Imprimer
Autres documents liés

Recommandation 1355 (1998)

Lutte contre l’exclusion sociale et renforcement de la cohésion sociale en Europe

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 28 janvier 1998 (5e séance) (voir Doc. 7981, rapport de la commission des questions sociales, de la santé et de la famille, rapporteur: M. Hegyi) Texte adopté par l’Assemblée le 28 janvier 1998 (5e séance).

1. Profondément préoccupée par les graves problèmes sociaux qui se posent dans tous les Etats membres et par le risque d’explosion sociale qui en découle, l’Assemblée constate que le chômage persistant, la pauvreté et l’ensemble des manifestations de l’exclusion sociale qui touchent un nombre croissant d’individus et de familles menacent la cohésion sociale des Etats européens.
2. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, la transition vers l’économie de marché, avec son cortège de restructurations économiques, s’est accompagnée de la disparition des politiques sociales communistes. Les situations sociales dramatiques qui en ont résulté sont à l’heure actuelle insurmontables en raison de l’insuffisance et de l’inadéquation des infrastructures sanitaire et sociale, et de l’inexistence de législations adéquates.
3. Dans les pays de l’Europe occidentale, on assiste au déclin et à la remise en cause des politiques de protection sociale, avec pour corollaire un désengagement massif de l’Etat.
4. L’approche traditionnelle de la pauvreté se borne à considérer les pauvres comme ceux qui occupent le ou les degrés inférieurs en termes de distribution des revenus. L’Assemblée parlementaire a souligné dans sa Recommandation 1196 (1992), relative à l’extrême pauvreté et à l’exclusion sociale: vers des ressources minimales garanties, que "l’extrême pauvreté recouvre les cas où les intéressés n’ont pas la possibilité de vivre et d’élever des enfants dans des conditions considérées comme décentes", et qu’elle constitue une cause d’exclusion de la vie sociale normale.
5. Si la pauvreté a trait à une insuffisance ou à une inégalité des ressources matérielles, l’exclusion sociale, quant à elle, va au-delà de la participation à la société par la consommation et englobe l’insuffisance, l’inégalité, voire l’absence totale de participation à la vie sociale, économique, politique et culturelle. L’exclusion va de l’isolement social à la rupture totale avec la société.
6. Toutefois, ce sont bien certains groupes particuliers qui sont les victimes de la pauvreté, laquelle entraîne une proportion considérable de jeunes adultes, de femmes, d’enfants, de personnes âgées, de familles monoparentales, de familles nombreuses, de réfugiés et de demandeurs d’asile, mais aussi de personnes appartenant aux minorités ethniques, comme les Tsiganes, vers l’exclusion sociale.
7. La pauvreté et l’exclusion ne doivent pas être le prix à payer pour la croissance et le bien-être économiques. Aujourd’hui, l’exclusion sociale n’est plus un problème marginal en Europe, où elle constitue une réalité douloureuse et dramatique pour des millions de personnes.
8. L’exclusion sociale non seulement porte atteinte à la dignité de la personne humaine et constitue un déni de ses droits fondamentaux, mais, liée à l’instabilité sociale et économique, et à l’aggravation des inégalités, elle induit également des phénomènes de marginalisation, de repli sur soi, ou des réactions de violence, créant ainsi les conditions d’une fragilisation des fondements démocratiques de nos sociétés.
9. Elle remet clairement en question les principes qui sous-tendent les politiques et les structures actuelles de sécurité et de protection sociales, et souligne leur inadaptation.
10. L’Assemblée, se référant expressément à sa Recommandation 1196, constate que les préoccupations qui étaient alors les siennes sont malheureusement toujours d’actualité.
11. Elle rappelle également sa Recommandation 1290 (1996) relative au suivi du Sommet de Copenhague sur le développement social, laquelle énonçait les engagements pris à cette occasion par les chefs d’Etat et de gouvernement d’éradiquer la pauvreté par des actions au niveau national et par la coopération internationale, de réaliser l’intégration sociale et la participation de tous à la société, et de promouvoir l’accès de tous à l’éducation et aux soins de santé.
12. Parce que la paix sociale et la restauration du dialogue social sont des conditions nécessaires à la stabilité démocratique de l’Europe, il est aujourd’hui urgent d’insuffler un nouvel élan à la lutte contre l’exclusion, et de relever le défi du renforcement de la cohésion sociale.
13. En particulier, la cohésion sociale implique de promouvoir l’Europe des droits sociaux, lesquels sont, au même titre que les droits civils et politiques, des droits fondamentaux de l’homme.
14. L’Assemblée souscrit pleinement aux termes du communiqué final adopté par les participants au Colloque sur la cohésion sociale, organisé conjointement par la commission des questions sociales, de la santé et de la famille, et le Conseil national de la République slovaque, qui a eu lieu à Bratislava les 16 et 17 septembre 1997, et appelle de ses vœux l’avènement d’un "meilleur Etat", qui serait fondé sur une société plus juste et un nouveau contrat social.
15. Le renforcement de la cohésion sociale, parce qu’il met en avant le respect de la dignité humaine et de l’intégrité de la personne, et permet de restaurer le lien social entre l’individu et la communauté, constitue la meilleure réponse au drame de l’exclusion qui frappe des dizaines de millions d’Européens. Face aux bouleversements de nos sociétés et aux risques d’explosion sociale, la préservation des équilibres sociaux, élément essentiel de la sécurité démocratique en Europe, passe par la restauration de la confiance et de la tolérance sociale.
16. L’Assemblée se félicite des décisions prises par les chefs d’Etat et de gouvernement lors du 2e Sommet, qui a eu lieu à Strasbourg les 10 et 11 octobre 1997, visant à réaffirmer la dimension sociale du Conseil de l’Europe, et notamment de ce que la cohésion sociale constitue désormais une des exigences primordiales de l’Europe élargie, comme un complément indispensable de la promotion des droits de l’homme et de la dignité humaine. Elle constate que le Conseil de l’Europe est la seule organisation paneuropéenne qui puisse proposer effectivement à tous les pays du continent les mesures indispensables pour relever le défi du renforcement de la cohésion sociale en Europe, comme facteur de la stabilité démocratique du continent.
17. En conséquence, elle encourage la promotion des instruments clés de la cohésion sociale en Europe, en particulier la Charte sociale européenne, la Charte sociale révisée, et le Code européen de sécurité sociale, auprès des Etats qui n’en sont pas encore parties.
18. Ainsi qu’elle le soulignait dans sa Recommandation 1304 (1996) relative à l’avenir de la politique sociale, il est indispensable de mettre parallèlement en œuvre des politiques de l’emploi actives, l’emploi jouant un rôle primordial comme facteur d’intégration. Toutefois, la croissance économique et le progrès technologique constituent des conditions certes nécessaires mais non suffisantes au renforcement de la cohésion sociale.
19. En conséquence, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres d’inviter les gouvernements des Etats membres à agir et à prendre les mesures suivantes:
19.1. donner aux droits sociaux la même priorité que celle accordée aux droits de l’homme;
19.2. réformer prioritairement les politiques sociales existantes, en les fondant sur le principe de la solidarité, avec pour objectif de répartir l’aide aux plus démunis de façon plus efficace, plus ciblée et plus équilibrée, et de les protéger de façon plus effective contre l’exclusion sociale;
19.3. promouvoir des politiques de prévention de la pauvreté, en ciblant les groupes concernés en fonction des facteurs de risque;
19.4. renforcer les politiques de réinsertion des personnes marginalisées ou exclues, basées sur le principe de la contractualisation, ce par la formation professionnelle, l’alphabétisation, l’acquisition ou la mise à niveau des connaissances, permettant de leur redonner le sentiment de leur utilité sociale;
19.5. améliorer le processus de participation et le dialogue civil, conditions sine qua non de l’insertion sociale et de la citoyenneté;
19.6. définir rapidement et en commun des politiques efficaces de lutte contre le chômage.
20. Plus spécifiquement, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres d’encourager les gouvernements des Etats membres:
20.1. dans le domaine de l’urbanisme et du logement:
a. à renforcer la protection juridique des locataires et des sous-locataires victimes de la pauvreté;
b. à mettre en place un système de prise en charge partielle de leurs loyers, ainsi que des charges locatives élémentaires;
c. à stimuler l’offre de logements à loyers modérés et à développer des programmes de construction et de réhabilitation de logements sociaux;
d. à adopter des politiques d’urbanisme qui empêchent la formation des ghettos et la violence;
20.2. dans le domaine de l’éducation et de la formation:
a. à mettre en œuvre des actions positives pour aider les pauvres et les exclus à combler leurs handicaps éducatifs;
b. à promouvoir des programmes de formation continue pour les chômeurs, quel que soit leur âge;
20.3. dans le domaine de la santé:
a. à prévoir un suivi médical gratuit des pauvres, afin de renforcer la prévention des maladies graves;
b. à combattre les maladies pathologiques chez les pauvres, par des programmes de soins médicaux spécifiques;
20.4. dans le domaine juridique:
a. à prévoir un système d’aide judiciaire gratuite pour les pauvres,
b. à mettre en place des cellules de conseil juridique aux exclus qui en ont un besoin immédiat, par exemple les sans-abri ou les chômeurs.
21. L’Assemblée exprime son entier soutien au projet "Dignité humaine et exclusion sociale", lancé en 1995, qui a permis d’attirer l’attention des gouvernements sur les problèmes d’exclusion et d’évaluer précisément l’étendue du phénomène. Elle entend être étroitement associée à la préparation et à la tenue de la conférence d’étape, qui aura lieu à Helsinki en mai 1998, et invite d’ores et déjà le Comité des Ministres à la poursuite du projet.
22. L’Assemblée invite en outre le Comité des Ministres à créer un observatoire de la cohésion sociale en Europe, qui pourrait être constitué sur la base d’un accord partiel du Conseil de l’Europe, et aurait pour fonction de collecter des informations et des statistiques sur l’état de la pauvreté et de l’exclusion dans les Etats parties, et d’élaborer à leur demande ou à celle des comités directeurs ou de l’Assemblée parlementaire toute expertise sur des questions ayant trait à la cohésion sociale, ainsi que tout avis sur les politiques nationales et européennes de promotion de la cohésion sociale. L’Assemblée prend note de l’invitation du Gouvernement turc d’accueillir l’observatoire de la cohésion sociale en Europe à Istanbul.
23. L’Assemblée se félicite de la décision du Comité des Ministres de lancer une campagne sur "l’interdépendance et la solidarité mondiales: l’Europe contre la pauvreté et l’exclusion", et espère que la campagne saura tirer profit de la vaste expérience acquise par le Conseil de l’Europe en la matière, en particulier avec le projet "Dignité humaine et exclusion sociale". Elle demande au Comité des Ministres d’associer des représentants des commissions compétentes de l’Assemblée à cette campagne dès la phase préparatoire.
24. Enfin, l’Assemblée, attentive à la redéfinition des finalités et des méthodes de travail du Conseil de l’Europe dans le domaine social, actuellement en cours, invite le Comité des Ministres à concrétiser les décisions prises lors du 2e Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement, et à la tenir informée de l’état des travaux visant au renforcement des activités liées à la cohésion sociale, y compris les restructurations correspondantes au sein du Secrétariat.