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Recommandation 1506 (2001)

Liberté d’expression et d’information dans les médias en Europe

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 24 avril 2001 (10e séance) (voir Doc. 9000, rapport de la commission de la culture, de la science et de l’éducation, rapporteur: M. Hegyi). Texte adopté par l’Assemblée le 24 avril 2001 (10e séance).

1. L’Assemblée est convaincue que l’existence de médias libres et indépendants est un indicateur essentiel de la maturité démocratique d’une société. Le droit à la liberté d’expression et d’information est intrinsèquement lié au droit de savoir des citoyens, condition indispensable pour que ceux-ci puissent prendre des décisions en toute connaissance de cause. La possibilité d’exprimer librement ses idées et ses opinions enrichit le dialogue public et stimule ainsi le développement du processus démocratique dans la société.
2. Maintenant que le Conseil de l’Europe compte quarante-trois États membres, la quasi-totalité du continent est concernée par les dispositions de la Convention européenne des Droits de l’Homme, en particulier par son article 10 qui garantit à chacun la liberté d’expression, et notamment «la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière». De rapides progrès sur la voie d’une démocratisation dans ce domaine sont attendus en République fédérale de Yougoslavie et en Bosnie-Herzégovine. Le Bélarus demeure le pays où les actes des autorités transgressent de la manière la plus flagrante les valeurs et les principes défendus par le Conseil de l’Europe en matière de médias.
3. Comme l’indiquait la Recommandation 1407 (1999) de l’Assemblée sur les médias et la culture démocratique, des progrès immenses ont été réalisés en Europe centrale et orientale depuis la chute du communisme en ce qui concerne la liberté d’expression et d’information. Toutefois, des violations graves et inacceptables de cette liberté continuent d’être commises dans un certain nombre de pays. Par ailleurs, de nouveaux défis, qui se posent à l’ensemble de l’Europe, sont en train de se faire jour.
4. La censure est toujours pratiquée, y compris sous ses formes les plus révoltantes, la violence et le meurtre. Des journalistes continuent à mourir, et ce non seulement sur les champs de bataille alors qu’ils sont en train de couvrir l’actualité, mais surtout parce qu’ils font leur métier en essayant d’éclairer certains aspects troubles de la société comme la corruption, les scandales financiers, le trafic de stupéfiants, le terrorisme ou les conflits ethniques. Pratiquement aucun des auteurs de ces crimes n’a été arrêté et traduit en justice, ce qui jette de sérieux doutes sur l’indépendance du système judiciaire et la volonté réelle des autorités de révéler la vérité. L’Assemblée, dans sa Résolution 1239, a récemment appelé l’attention sur ce problème dans le cas de l’Ukraine. L’Azerbaïdjan, la Russie, la Turquie et l’Ukraine sont les pays où l’on compte le plus grand nombre de journalistes victimes d’agressions physiques au cours des dernières années.
5. Les gouvernements continuent à invoquer des dispositions dans des textes législatifs concernant la diffamation ou relatives à l’intégrité territoriale, à la sécurité nationale ou à l’ordre public pour harceler les détracteurs indésirables. Les peines d’emprisonnement pour diffamation sont encore pratiquées dans plusieurs pays anciennement communistes ainsi qu’en Grèce, et elles figurent toujours dans le code pénal d’autres pays occidentaux, même si elles n’y sont plus appliquées. En Turquie, plusieurs journalistes, pour la plupart condamnés pour être liés à des groupes terroristes ou accusés de l’être, sont encore incarcérés ou traduits en justice. Ailleurs, même quand la diffamation est dépénalisée, il arrive souvent que des amendes exorbitantes découragent la libre expression et incitent à l’autocensure. La multiplication des procédures judiciaires est aussi une caractéristique de la transition des nouvelles démocraties d’un système fondé sur «un seul parti, une seule vérité» vers le pluralisme.
6. Dans certains pays l’accès à l’information officielle relève dans une large mesure du bon vouloir des autorités. Particulièrement inacceptables sont les restrictions qui ont été imposées à l’accès à l’information dans des zones de conflit comme la Tchétchénie, bien que l’Assemblée ait invité à maintes reprises les autorités russes à garantir la liberté d’accès aux journalistes, ou encore sur des questions sensibles telles que, en Turquie, les récentes grèves de la faim. Certains aspects de la politique d’information de l’Otan pendant la guerre du Kosovo appellent également des critiques.
7. Les atteintes à la liberté d’expression peuvent prendre beaucoup d’autres formes, telles que menaces, intimidations, fermetures arbitraires de médias, coupures d’électricité, alertes à la bombe, perquisitions et confiscation de matériel, destruction des installations d’impression ou des émetteurs de radio et de télévision, lourde imposition, monopoles du papier et de la distribution, inégalité de traitement entre les médias d’État et les autres, pressions sur les annonceurs.
8. Le harcèlement administratif est également monnaie courante dans plusieurs pays anciennement communistes, en particulier par le biais de la législation fiscale et d’autres réglementations financières. De telles pratiques, par exemple en Russie, ont cours actuellement, dans une tentative apparente de placer toutes les stations de télévision nationales sous le contrôle gouvernemental. L’Assemblée se déclare particulièrement préoccupée par les événements récents en Russie – la saisie de l’unique chaîne de télévision nationale indépendante NTV, la fermeture du journal Segodnya et le renvoi des journalistes du magazine Itogy. Les attaques contre la liberté d’expression et les moyens de communication de masse en Russie, menées avec la participation des autorités, vont à l’encontre des principes fondamentaux du Conseil de l’Europe et constituent une violation caractéristique de l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme.
9. La précarité des conditions économiques et l’insuffisance de la culture démocratique constituent en elles-mêmes une grave menace pour la liberté d’expression, car elles font des médias une proie facile pour de puissants intérêts politiques, économiques et autres. Au lieu de jouer leur rôle de «chien de garde» de la société, les médias servent à régler des comptes et sont transformés en mercenaires agissant sur ordre.
10. L’indépendance de la radiodiffusion du service public et la nécessité d’instaurer une autorité de régulation du secteur de la radiodiffusion véritablement indépendante, comme le préconise la Recommandation Rec (2000) 23 du Comité des Ministres, demeurent un sérieux défi pour presque tous les pays anciennement communistes et ne sont pas encore totalement considérées comme allant de soi dans les démocraties établies. Cela est bien illustré par les récents événements concernant la télévision publique tchèque et la radio nationale bulgare. En Hongrie, seuls les partis au pouvoir sont représentés au sein des conseils d’administration de la radio et de la télévision, en dépit des réclamations constantes de deux partis d’opposition. Le problème tient au fait que le plus petit parti de l’opposition exige le double de représentants au sein des conseils d’administration par rapport au principal parti de l’opposition, qui a dix fois plus de députés. Récemment, une nouvelle loi sur la radio et la télévision a été adoptée en Croatie sans qu’il soit tenu compte des réserves émises à ce sujet par le Conseil de l’Europe. D’autre part, il importe de mettre en place une procédure d’autorisation équitable et transparente, comme en témoignent les problèmes rencontrés par les radiodiffuseurs privés en Azerbaïdjan.
11. Dans toute l’Europe, la liberté d’expression et d’information fait face à de nouveaux défis liés à la mondialisation du marché des médias ainsi qu’à la révolution entraînée par la convergence de la radiodiffusion, de l’informatique et des télécommunications. L’actuelle restructuration du marché, qui se traduit par de nouvelles alliances et des fusions entre les médias traditionnels et les nouveaux fournisseurs de services, pourrait aboutir à une concentration et une intégration verticale accrues au sein de corporations multimédias, ce qui serait préjudiciable au pluralisme des médias. Le Comité des Ministres, dans sa Recommandation n° R (99) 1, souligne que les États devraient promouvoir le pluralisme politique et culturel en développant leur politique dans le domaine des médias conformément à l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme.
12. Un système des médias pluraliste et indépendant est aussi essentiel pour le développement démocratique et un processus électoral équitable. Il est donc nécessaire que des situations oligopolistiques dans les médias soient éliminées et que les médias ne soient pas utilisés pour la conquête du pouvoir politique, notamment dans les pays où un système mixte public-privé permettrait à des mouvements politiques, soutenus par le secteur privé, de contrôler après les élections la totalité de l’information, spécialement radiotélévisée.
13. Il existe une tendance croissante à considérer les médias comme un produit purement commercial plutôt que comme une ressource culturelle et démocratique spécifique. De ce fait, même si certains journalistes s’y conforment, cette tendance soumet la majorité d’entre eux à une pression inacceptable qui les pousse à sacrifier le journalisme de qualité au profit de «l’information-spectacle», ce qui va à l’encontre de la liberté d’expression et d’information. La concurrence sans merci que se livrent les entreprises du secteur des médias contraint de plus en plus les comités de rédaction à privilégier l’actualité immédiate au détriment d’une analyse et d’une recherche approfondies. Les réductions dans les budgets de rédaction et les nouvelles politiques de propriété entraînent un affaiblissement des normes journalistiques et un recours accru aux journalistes pigistes, et, par voie de conséquence, un recul de la responsabilité professionnelle. Le journalisme d’investigation est de moins en moins rentable. Les histoires à sensation et les «publireportages» ou les programmes du style de «Big Brother» remplacent les éditoriaux indépendants. D’un autre côté, les journalistes employés sont censurés et leur expression est souvent limitée par leurs employeurs – propriétaires ou chefs de sociétés de médias radiophoniques, directeurs de journaux – quand ils imposent leurs propres vues et des intérêts politiques ou commerciaux à un journaliste au détriment de sa personnalité, de son nom et de sa responsabilité professionnelle.
14. Compte tenu de ce qui précède, l’Assemblée estime que la liberté d’expression et d’information est et demeurera un défi majeur pour la démocratie en Europe, et qu’elle devrait continuer de figurer en bonne place parmi les préoccupations du Conseil de l’Europe.
15. A cet égard, l’Assemblée exprime à nouveau l’avis qu’elle avait formulé dans sa Recommandation 1407 (1999) sur les médias et la culture démocratique, à savoir que le Conseil de l’Europe devrait «exercer des pressions morales et politiques sur les gouvernements qui violent la liberté d’expression». L’Assemblée va continuer à étudier cette question, pays par pays. Elle regrette que le Comité des Ministres n’ait pas encore fourni de réponse satisfaisante à cette recommandation, et ce à un moment où il s’efforce d’affirmer davantage sa présence politique en Europe.
16. En conséquence, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres:
16.1. de considérer la défense de la liberté d’expression et d’information dans les pays membres et candidats comme une priorité;
16.2. de mettre en place de toute urgence une méthode plus efficace pour défendre la liberté d’expression et d’information en Europe, qui associe tous les secteurs de l’organisation concernés par cette question et lui permette d’accentuer la pression sur les gouvernements;
16.3. de rendre publics les résultats de sa procédure de suivi concernant la liberté d’expression personnelle et éditoriale, de formuler, à la lumière de ces résultats, des recommandations concrètes à l’intention des différents États membres et de faire obligation à ces États de rendre publiquement des comptes sur la mise en œuvre de ces recommandations;
16.4. de faire en sorte que l’expertise apportée par le Conseil de l’Europe dans le domaine de la législation relative aux médias soit dûment prise en compte par les États membres, en particulier pour les mesures visant à contrecarrer les tentatives de mainmise politique sur les médias;
16.5. de charger ses organes compétents d’intensifier leur travail sur les défis à la liberté d’expression et d’information, et sur le pluralisme et la diversité des médias résultant de la mondialisation et du développement accru de la société de l’information;
16.6. d’intensifier le débat public au sein de ses organes spécialisés sur les changements et les améliorations nécessaires dans le domaine de la liberté d’expression et d’information dans les pays membres;
16.7. d’allouer les moyens nécessaires à la mise en œuvre de programmes d’assistance et de faire prendre conscience aux gouvernements de la nécessité pressante d’offrir des contributions volontaires;
16.8. d’assurer la coordination et la complémentarité des activités susmentionnées avec celles des autres institutions internationales, en particulier le Représentant de l’OSCE pour la liberté des médias, l’Union européenne et l’Unesco, ainsi que des ONG s’occupant de liberté de la presse et des associations de journalisme et syndicats compétents.
17. L’Assemblée estime nécessaire que la commission de suivi porte une attention toute spéciale à la liberté d’expression et des moyens de communication de masse dans les États membres du Conseil de l’Europe pendant les procédures de suivi.
18. L’Assemblée se félicite de la décision de sa commission de la culture, de la science et de l’éducation de désigner un rapporteur général sur les médias et demande au Comité des Ministres et au Secrétaire Général d’apporter leur soutien à ce dernier, notamment sur le plan de l’information et de l’assistance du secrétariat.