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Recommandation 1547 (2002)

Procédures d’expulsion conformes aux droits de l’homme et exécutées dans le respect de la sécurité et de la dignité

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 22 janvier 2002 (3e séance) (voir Doc. 9196, rapport de la commission des migrations, des réfugiés et de la démographie, rapporteuse: Mme Vermot Mangold). Texte adopté par l’Assemblée le 22 janvier 2002 (3e séance).

1. L’Assemblée est fortement préoccupée par le nombre de décès résultant des méthodes utilisées dans l’exécution des procédures d’expulsion forcée dans les Etats membres du Conseil de l’Europe. Durant leur expulsion d’Autriche, de Belgique, d’Allemagne, de France, d’Italie et de Suisse, dix personnes ont ainsi trouvé la mort entre septembre 1998 et mai 2001.
2. Ces décès sont de tristes exemples de ce qui peut arriver de pire pendant une procédure d’expulsion. Amnesty International reçoit régulièrement, depuis au moins sept ans, des plaintes concernant le mauvais traitement des personnes susceptibles d’être expulsées. Toutes les organisations destinataires de plaintes en signalent une nette augmentation durant ces deux dernières années, correspondant à un nombre croissant d’expulsions et, parallèlement, d’expulsions forcées et violentes.
3. L’Assemblée estime que, dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, la multiplication des incidents lors des expulsions montre qu’il ne s’agit pas d’événements isolés. Trop souvent, des étrangers attendant leur expulsion sont, au mépris de la Convention européenne des Droits de l’Homme, sujets à des discriminations, des abus verbaux de caractère raciste, des méthodes de rétention dangereuses, voire des violences et des traitements inhumains ou dégradants. Trop souvent, les agents chargés de l’exécution des expulsions recourent à la force de manière injustifiée ou abusive, voire dangereuse. Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) considère qu’il existe des risques manifestes de traitements inhumains dans l’expulsion d’étrangers, tant dans sa phase préparatoire que pendant son exécution (par avion et par bateau) et à l’arrivée.
4. L’Assemblée s’inquiète du rôle prépondérant, voire exclusif, des forces de police et de sécurité, souvent mal formées dans la mise en œuvre des expulsions. Elle ne peut que regretter l’intervention limitée, à tous les stades de la procédure, des professionnels du soutien psychosocial ou de l’aide humanitaire, d’une part, et des avocats, des juges et des médecins, d’autre part. Elle s’inquiète également des responsabilités exorbitantes que les Etats font peser directement ou indirectement sur les transporteurs.
5. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant qu’il soit difficile de réunir des informations fiables sur lesprocédures d’expulsion. On ne doit souvent qu’au hasard la connaissance d’un mauvais traitement au cours d’une expulsion. Très rares sont les personnes qui se retournent contre ceux qui ont été chargés de leur expulsion, faute de moyens et de soutien après leur retour dans leur pays d’origine.
6. L’Assemblée déplore que les procédures d’expulsion manquent de transparence dans tous les Etats membres du Conseil de l’Europe. Elle accueille avec intérêt les réflexions menées et les réformes entreprises à ce sujet par un certain nombre d’Etats membres du Conseil de l’Europe, mais constate avec préoccupation queles cadres juridiques qui permettent d’exécuter l’ordre d’expulsion ne sont souvent pas respectés dans la pratique.
7. L’Assemblée est d’avis que l’expulsion ne doit intervenir qu’en tout dernier ressort, qu’elle ne saurait concerner que les personnes opposant une résistance manifeste et persistante, et qu’elle peut être évitée par un véritable travail d’accompagnement et de préparation au départ, dans le cadre d’une prise en charge individuelle et suivie.
8. L’Assemblée souligne avec force que les principes fondamentaux du Conseil de l’Europe sont menacés si l’on n’agit pas contre le climat d’hostilité qui se crée à l’égard des réfugiés, des demandeurs d’asile et des immigrés, et pour encourager le respect de leurs sécurité et dignité en toutes circonstances.
9. Elle remercie le commissaire européen aux droits de l’homme d’avoir récemment réuni les organisations non gouvernementales dans un séminaire portant sur les normes relatives aux droits de l’homme applicables à la détention d’étrangers souhaitant entrer dans un Etat membre du Conseil de l’Europe et à la mise en œuvre des décisions d’expulsion, qui lui a permis d’obtenir des informations précieuses sur le déroulement des expulsions.
10. L’Assemblée rappelle et réaffirme ses récentes recommandations tendant à améliorer la protection et le traitement réservés aux demandeurs d’asile, à savoir sa Recommandation 1475 (2000) sur l’arrivée de demandeurs d’asile dans les aéroports européens, la Recommandation 1467 (2000) sur l’immigration clandestine et la lutte contre les trafiquants, ainsi que la Recommandation 1440 (2000) sur les restrictions au droit d’asile dans les Etats membres du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne, ainsi que la Recommandation n° R (99) 12 du Comité des Ministres sur le retour des demandeurs d’asile déboutés.
11. L’Assemblée recommande au Comité des Ministres de mener une étude de fond et d’assurer un suivi par le biais de rapports périodiques sur les procédures et les pratiques mises en œuvre dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, y compris les Etats d’Europe centrale et orientale, pour effectuer les expulsions légalement décidées, en réunissant des informations précises et circonstanciées:
sur les cadres légaux et réglementaires pertinents dans les droits nationaux, le sens et la portée des réformes entreprises et envisagées;
sur la pratique mise en place par les autorités chargées d’exécuter l’expulsion et les directives qui sont à la base de cette pratique;
sur le nombre de plaintes, le résultat des enquêtes et, le cas échéant, les condamnations judiciaires et disciplinaires.
12. L’Assemblée recommande également au Comité des Ministres d’établir, à l’échelle européenne, un groupe de travail mixte (composé, entre autres, de représentants de gouvernement, de parlement et d’organisations concernées, de membres des forces chargées d’exécuter l’expulsion, de professionnels de la santé et du soutien psychosocial, de pilotes, de juges et de conseillers juridiques), afin d’élaborer, dans un esprit pragmatique et humain, un code de bonne conduite comportant à la fois:
un inventaire exhaustif des normes de droits de l’homme applicables aux étrangers en situation d’expulsion et de leurs garanties;
une liste de principes minimaux concernant les modalités de suivi, d’encadrement et de soutien des personnes susceptibles d’être expulsées, au regard de leur dignité et de leur sécurité;
des lignes directrices sur les techniques de contrainte;
un statut des membres d’escorte et des agents de liaison, garantissant que les responsabilités en matière d’expulsion sont pleinement assumées par les pouvoirs publics.
13. L’Assemblée recommande enfin au Comité des Ministres d’inviter instamment les Etats membres:
à mettre en place un contrôle indépendant des procédures d’expulsion, par exemple par l’institution d’observateurs, de médiateurs ou d’ombudsmans, et à mener des enquêtes impartiales et approfondies, à tous les niveaux, en cas d’allégation de mauvais traitements;
à faire en sorte que tout étranger visé par une procédure d’expulsion bénéficie, sous l’égide d’un référent, d’une prise en charge qui soit:
a. individualisée, par une évaluation de la situation personnelle de chaque étranger concerné, portant non seulement sur son statut administratif et juridique, mais également sur son appréhension de l’expulsion et son état de santé;
b. globale, en faisant intervenir une cellule pluridisciplinaire associant, dans le respect de leurs principes déontologiques, médecins, psychologues, travailleurs sociaux, conseillers juridiques, des organisations proposant une assistance humanitaire ou juridique, en particulier les organisations non gouvernementales;
c. suivie à tous les stades de la procédure d’expulsion, c’est-à-dire pendant la préparation du départ, en particulier dans les locaux de détention, dans les centres et au cours du voyage, et au retour dans le pays;
à faire en sorte que tout mineur accompagné visé par une procédure d’expulsion ne puisse être emmené par les services compétents qu’en présence de ses parents et accompagné de ceux-ci;
à développer de manière systématique les programmes de retour volontaire ou forcé, en partenariat avec l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) ou tout autre organisme compétent, notamment en y affectant les moyens financiers nécessaires;
à adapter sans délai leurs législations et leurs pratiques en matière de rétention préalable à l’expulsion, afin:
a. de limiter la durée de rétention en zone d’attente ou de transit à un maximum de quinze jours;
b. de limiter la durée de rétention dans les commissariats de police au temps strictement nécessaire à l’éventuelle procédure d’arrestation, et de séparer les étrangers visés par l’expulsion des personnes interpellées pour des faits de droit commun;
c. de restreindre la rétention en prison aux personnes représentant un danger avéré pour l’ordre public ou la sécurité, et de séparer les étrangers visés par l’expulsion des détenus de droit commun;
d. d’éviter de détenir les étrangers devant être expulsés dans un environnement carcéral, et, en particulier:
13.5.4.1. de mettre fin à la détention en cellule;
13.5.4.2. de prévoir l’accès à l’air libre ainsi qu’à des espaces privés et à des espaces de communication avec l’extérieur;
13.5.4.3. de ne pas entraver les contacts avec la famille et les organisations non gouvernementales;
13.5.4.4. de garantir l’accès aux moyens de communication avec l’extérieur, tels que le téléphone et la poste;
13.5.4.5. d’assurer que, pendant la détention, les étrangers puissent travailler, en dignité et avec une rémunération adéquate, et participer à des activités sportives et culturelles;
13.5.4.6. de garantir le libre accès à la consultation et à la représentation juridique indépendante;
e. de garantir, sous contrôle régulier du juge, la stricte nécessité et la proportionnalité du placement et du maintien en détention pour l’exécution de l’expulsion, et de fixer la durée de la détention à un maximum d’un mois;
f. de privilégier les alternatives à la rétention moins restrictives de liberté, telles que l’assignation à résidence ou d’autres formes de contrôle ou de suivi, comme l’obligation de s’inscrire; et de mettre en place des centres d’accueil ouverts;
g. d’organiser l’encadrement des centres de rétention par des personnes spécialement sélectionnées et formées au soutien psychosocial, et d’y assurer la présence permanente, ou au moins régulière, de «médiateurs interculturels», d’interprètes, de médecins, de psychologues ainsi que la protection juridique par des conseillers juridiques;
h. de prendre en considération, dans toute décision de limiter la liberté personnelle, les besoins des groupes vulnérables, en particulier:
  • le principe de l’unité de la famille doit être respecté en toutes circonstances;
  • les mineurs non accompagnés doivent être traités selon leur âge; ils doivent être pris en charge par un juge pour les mineurs sans aucun délai et ils doivent avoir accès à une consultation et une représentation juridiques indépendantes;
  • les femmes seules doivent pouvoir utiliser des installations séparées;
  • les personnes âgées doivent avoir accès aux soins médicaux que nécessite leur âge;
à assurer que l’exécution de l’expulsion sera effectuée par des agents de l’Etat spécialement formés et en habillement civil, et non par des agents privés, et à éviter tout traitement traumatisant, surtout à l’égard des personnes vulnérables;
à informer l’Etat de destination des mesures prises, afin d’éviter que les personnes expulsées soient considérées comme des criminels;
à mettre en place un système de suivi dans le pays de destination, mené par le personnel des ambassades, ayant pour objectif d’éviter que la personne expulsée soit soumise à des violations des droits de l’homme, ou considérée comme criminelle, ou menacée de chantage ou de détention arbitraire;
à adapter sans délai leurs législations et pratiques en matière de transport des étrangers expulsés, afin:
a. d’informer la personne expulsée, au plus tard trente-six heures avant le voyage, des modalités: horaires, destination, moyen de transport et, le cas échéant, accompagnement par une escorte;
b. de limiter le recours à une escorte aux cas de résistance avérée, de prendre en considération attentivement tout refus d’être escorté et d’organiser une rencontre préalable avec les membres de l’escorte, si elle est indispensable;
c. d’assurer aux membres des escortes des formations adéquates, en particulier en matière de médiation et de gestion du stress, et de connaissances linguistiques et culturelles;
d. de privilégier en toutes hypothèses le transport par voie aérienne régulière et de s’assurer de l’information exhaustive et de l’accord formel du transporteur et du commandant de bord, à défaut de prévoir la présence d’observateurs indépendants ou de réaliser des enregistrements vidéo;
e. e. de permettre également la présence d’observatrices/ observateurs indépendants ou de pratiquer des enregistrements vidéo des moments précédant le départ, en raison des menaces ou des agressions susceptibles d’être proférées pour persuader la personne de partir; les observatrices/observateurs indépendants doivent être présents au départ et à l’arrivée;
f. d’établir des certificats sur l’état de santé physique et mentale de la personne expulsée, de manière systématique, au départ et à l’arrivée;
g. d’introduire dans le droit national des réglementations spécifiques interdisant de manière absolue les pratiques suivantes:
  • l’obstruction partielle ou totale des voies respiratoires;
  • le bâillonnement avec de la bande autocollante;
  • l’utilisation de gaz asphyxiants ou paralysants;
  • l’administration de substances tranquillisantes contre le gré de la personne et de médicaments en dehors d’indications médicales;
  • toutes formes d’entraves autres que les menottes aux poignets;
  • l’immobilisation par des menottes durant le voyage;
  • le port de masque ou de cagoule par les membres de l’escorte;
  • le recours arbitraire ou disproportionné à la force;
h. d’assurer la proportionnalité et le respect de la sécurité et de la dignité humaine dans toute autre mesure prise pendant la procédure d’expulsion, en prenant en compte les besoins particuliers des personnes vulnérables telles que les enfants, les mineurs non accompagnés, les femmes seules et les personnes âgées;
i. d’assurer que les personnes expulsées bénéficient au cours du voyage de nourriture et de boisson, et qu’elles peuvent emporter et récupérer leurs effets personnels;
à introduire dans la loi les garanties juridictionnelles nécessaires à l’exercice effectif de leur droit de recours par les personnes qui sont victimes d’une violation de leurs droits pendant la procédure d’expulsion, à savoir:
a. la possibilité de porter un recours devant une instance juridictionnelle, par la victime ou toute autre personne qu’elle mandate à cette fin, y compris, le cas échéant, auprès des représentations diplomatiques de l’Etat dont elle a été expulsée;
b. la pleine information de toute personne visée par une procédure d’expulsion concernant l’existence et les modalités d’exercice du recours, informations sur les conséquences possibles d’un refus de collaborer et les moyens de contrainte prévus par la législation nationale;
c. la présence de la victime sur le territoire de l’Etat qui a décidé son expulsion, pendant toute la durée de la procédure ouverte par le recours, si nécessaire par le biais:
  • de l’effet suspensif de la procédure d’expulsion d’une personne encore présente sur le territoire de l’Etat dont elle doit être expulsée; ou
  • du retour de la personne déjà expulsée sur le territoire de l’Etat qui l’a expulsée.