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Résolution 1323 (2003)

La situation des droits de l'homme en République tchétchène

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l'Assemblée le 2 avril 2003 (13e séance) (voir Doc. 9732, rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme, rapporteur: M. Bindig). Texte adopté par l'Assemblée le 2 avril 2003 (13e séance).

1. L'Assemblée parlementaire rappelle ses précédentes résolutions et recommandations relatives au conflit en République tchétchène. Elle renvoie plus particulièrement à la Résolution 1315 (2003) sur l'évaluation des perspectives de résolution politique du conflit en République tchétchène, résolution qui conserve toute sa validité.
2. L'Assemblée réitère sa conviction selon laquelle il ne peut y avoir de paix sans justice en République tchétchène. La situation en matière de droits de l'homme dans la république est un facteur déterminant pour une solution politique équitable, fondée sur la réconciliation nationale. Sans une amélioration tangible sur le plan des droits de l'homme, toutes les tentatives de pacification de la région sont vouées à l'échec.
3. Cela fait maintenant près de dix ans que les habitants de la République tchétchène vivent dans la peur. Leurs villes et leurs villages ne sont plus que décombres, leurs champs ont été minés, leurs amis et leurs proches ont été assassinés, arrêtés illégalement, portés «disparus», kidnappés, violés, torturés ou spoliés. L'Assemblée n'a eu de cesse de condamner les atteintes flagrantes aux droits de l'homme, les violations du droit humanitaire international et les crimes de guerre commis en Tchétchénie par les deux parties au conflit. Depuis le tout début de la première guerre de Tchétchénie, en 1994, l'Assemblée lance des appels pour que les responsables de ces actes soient traduits en justice – ces appels n'ont guère été entendus.
4. Les habitants de la République tchétchène n'ont pas simplement droit à notre compassion; ils ont aussi droit à notre protection. A ce jour, tous les protagonistes – le Gouvernement de la Fédération de Russie, l'administration et le système judiciaire russes, les régimes tchétchènes successifs – ont tragiquement failli dans leur tâche consistant à assurer cette protection à l'égard des atteintes aux droits de l'homme. Les organisations internationales et leurs Etats membres n'ont pas réussi à faire en sorte que les victimes de ces exactions obtiennent réparation, au plan national ou international.
5. Si les soldats russes et les combattants tchétchènes continuent, aujourd'hui encore, de commettre de tels actes, c'est essentiellement parce que leurs auteurs ne sont presque jamais inquiétés. L'Assemblée rend hommage au courage de certaines victimes, de journalistes, de membres d'ONG et de militants des droits de l'homme, et aux officiers intègres des forces de l'ordre, qui ont fait connaître des violations de la loi et qui, malgré une situation difficile, se sont attachés à restaurer la justice. Dans le même temps, l'Assemblée est déçue de voir que les enquêtes pénales sur les violations flagrantes des droits de l'homme, y compris les massacres de civils tchétchènes innocents et les assassinats de responsables locaux d'une administration ou de leur famille, sont néanmoins peu fréquentes et d'une inefficacité décourageante, si bien qu'elles n'aboutissent guère à des condamnations en justice (en admettant qu'on en arrive au stade des poursuites pénales, ce qui est rare).
6. Quant aux mécanismes de réparation non judiciaires mis en place par les autorités russes, tels que le Bureau du représentant spécial du Président de la Fédération de Russie pour les droits de l'homme en République tchétchène, ils ne font que recenser les plaintes individuelles. L'Assemblée rend hommage au courage des experts du Conseil de l'Europe qui travaillent en ce bureau, mais elle demande que toutes les mesures soient prises en vue d'accroître l'efficacité de leur mandat actuel en ce qui concerne la possibilité d'influencer la situation des droits de l'homme.
7. Le Gouvernement russe n'a pas renouvelé le mandat du Groupe d'assistance de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe en Tchétchénie. Le Comité du Conseil de l'Europe pour la prévention de la torture (CPT) s'est plaint du manque de coopération de la Fédération de Russie. La Fédération de Russie n'a pas encore autorisé la publication des rapports du CPT. Lorsqu'elle donne suite aux recommandations du commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, elle le fait avec des retards considérables. La Cour européenne des Droits de l'Homme, qui a vocation à examiner des atteintes individuelles aux droits de l'homme, ne peut espérer être en mesure de traiter de manière effective, par la voie du recours individuel, les violations systématiques à l'échelle tchétchène. Il est déplorable qu'aucun Etat membre ou groupe d'Etats membres n'ait encore trouvé le courage d'introduire une requête interétatique auprès de la Cour.
8. Tout cela génère un climat d'impunité qui est propice à de nouvelles violations des droits de l'homme et qui représente un déni de justice pour les milliers de victimes; la population est tellement excédée que la République tchétchène pourrait devenir véritablement ingouvernable. Si l'on veut qu'un processus politique positif s'amorce dans la république, il faut que les atteintes aux droits de l'homme cessent et que les personnes responsables d'exactions soient déférées à la justice.
9. Pour obtenir que les droits de l'homme soient dorénavant respectés dans la République tchétchène, l'Assemblée recommande:
9.1. que les combattants tchétchènes mettent immédiatement un terme à leurs activités terroristes et renoncent à toute forme de crime. Toute forme de soutien aux combattants tchétchènes devrait cesser immédiatement;
9.2. que les forces russes soient mieux contrôlées et que la discipline soit effectivement assurée: tous les règlements civils et militaires pertinents et toutes les garanties constitutionnelles, le droit international, y compris le droit humanitaire, et en particulier les dispositions pertinentes des Conventions de Genève et les protocoles y afférents, ainsi que la Convention européenne des Droits de l'Homme et la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, doivent être intégralement observés au cours de toutes les opérations; la coopération avec les services du procureur doit s'exercer sans réserve avant, pendant et après de telles opérations;
9.3. pour autant que la situation sur le plan de la sécurité le permette, que les troupes soient consignées dans leurs casernes ou carrément retirées de la République tchétchène;
9.4. que tous ceux qui sont soupçonnés d'avoir commis des exactions fassent l'objet d'une enquête approfondie et, si leur culpabilité est établie, qu'ils soient sévèrement punis conformément à la loi, quels que soient leur grade et leurs fonctions;
9.5. que les recommandations du commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe soient immédiatement mises en œuvre par la Fédération russe;
9.6. que la Fédération de Russie autorise sans plus tarder la publication des rapports du CPT.
10. Désireuse d'obtenir que les personnes responsables d'exactions soient traduites en justice, l'Assemblée:
10.1. exige des autorités russes qu'elles coopèrent davantage avec les mécanismes de réparation nationaux et internationaux, tant judiciaires que non judiciaires;
10.2. invite les Etats membres du Conseil de l'Europe à explorer sans plus attendre toutes les voies permettant de mettre la Fédération de Russie face à ses responsabilités, y compris par l'introduction de requêtes interétatiques devant la Cour européenne des Droits de l'Homme et par l'exercice de la compétence universelle pour les crimes les plus graves commis dans la République tchétchène;
10.3. estime que, si les efforts pour livrer à la justice les personnes responsables de violations des droits de l'homme n'étaient pas intensifiés et si le climat d'impunité en République tchétchène continuait de prévaloir, la communauté internationale devrait envisager la mise en place d'un tribunal ad hoc pour juger les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité commis dans la République tchétchène;
10.4. invite instamment la Fédération de Russie à ratifier sans tarder le Statut de la Cour pénale internationale.