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Recommandation 1624 (2003)

Politique commune en matière de migration et d'asile

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 30 septembre 2003 (29e séance) (voir Doc. 9889, rapport de la commission des migrations, des réfugiés et de la population, rapporteur: M. Hancock). Texte adopté par l’Assemblée le 30 septembre 2003 (29e séance).

1. L’Assemblée parlementaire est préoccupée par le fait que des différences majeures entre les législations et les politiques en matière de migration et d’asile pourraient entraîner des disparités notables dans le traitement que les différents Etats membres du Conseil de l’Europe garantissent aux migrants, aux demandeurs d’asile et aux réfugiés, au risque de porter atteinte à la réalisation d’une union plus étroite entre ses membres, ce qui est l’aspiration fondamentale du Conseil de l’Europe.
2. L’Assemblée reconnaît les progrès réalisés par l’Union européenne vers la définition d’une politique commune en matière d’asile et de migration, et l’encourage à persévérer dans l’effort pour atteindre les objectifs fixés par le Traité d’Amsterdam et les conclusions du Conseil européen de Tampere.
3. L’Assemblée est néanmoins convaincue de la nécessité d’établir une politique commune en matière de migration et d’asile, basée sur des normes minimales communes partagées par tous les Etats membres du Conseil de l’Europe, indépendamment de leur appartenance à d’autres organisations internationales et sans préjudice des dispositions plus favorables applicables dans certains Etats membres. Cette politique commune en matière de migration et d’asile pourrait contribuer à la création d’une zone européenne où les migrants et les personnes ayant besoin de protection internationale bénéficieraient d’un traitement conforme aux droits de l’homme, au principe de l’Etat de droit, à l’accès à des droits de base et à des voies de recours. Elle prévoirait également des mécanismes pour renforcer les voies de migration régulières et fixerait les modalités de la coopération entre les différents services s’occupant des migrations.
4. Tout en reconnaissant les importantes différences entre les migrants forcés et les migrants volontaires, l’Assemblée estime qu’une politique commune en matière d’asile et de migration devrait se baser sur des droits et des garanties de procédure, dont devraient bénéficier toutes les personnes placées sous la juridiction d’un pays membre du Conseil de l’Europe, qu’il s’agisse de migrants économiques, d’étrangers rejoignant leur famille dans le cadre de procédures de regroupement familial, ou d’autres catégories de migrants volontaires, demandeurs d’asile, réfugiés ou autres, ayant besoin de protection internationale. On faciliterait beaucoup cette approche en permettant à tous les services chargés des migrations d’accéder au réseau de bases de données consacrées aux ressortissants étrangers, garantissant ainsi une réponse plus rapide. Parallèlement, il faudrait que les migrants potentiels puissent accéder à des documents d’information communs.
5. Un telle politique devrait s’inspirer d’une approche pratique de la migration et de l’asile, et reconnaître l’interdépendance entre les deux: en particulier, que l’absence de voie permettant une immigration légale peut amener un certain nombre de migrants à exploiter abusivement le système de l’asile, seule manière d’obtenir l’accès au pays de leur choix; que certaines personnes ayant besoin d’une protection internationale souhaitent choisir leur pays d’asile et préfèrent donc ne pas informer les autorités d’autres Etats de leur présence, de sorte qu’elles y séjournent ou les traversent en contrevenant à la réglementation en matière d’immigration; enfin que l’on peut être forcé d’émigrer à cause de la persécution, de la violence généralisée ou de violations massives des droits de l’homme, mais aussi pour d’autres raisons impératives, notamment l’extrême pauvreté.
6. Cette politique du Conseil de l’Europe fondée sur des droits et des garanties de procédure communes pour la migration et l’asile ne devrait pas porter atteinte aux normes plus favorables s’appliquant à certaines catégories spécifiques de migrants, forcés ou volontaires, sur la base du droit national ou international.
7. L’Assemblée pense qu’une politique commune du Conseil de l’Europe dans les domaines de la migration et de l’asile, conforme à son rôle et à son expertise, devrait se situer dans le contexte de la protection des droits de l’homme et le respect de la dignité de la personne, et en particulier de la Convention européenne des Droits de l’Homme.
8. Enfin, une politique commune du Conseil de l’Europe en matière de migration et d’asile devrait être fondée sur un effort concerté des pays d’origine, de transit et de destination pour s’attaquer aux causes profondes des mouvements migratoires forcés ainsi que sur une volonté de mener des activités de prévention des conflits et d’aide au développement.
9. L’Assemblée recommande donc au Comité des Ministres de charger ses comités compétents d’élaborer un modèle de politique commune en matière d’asile et de migration du Conseil de l’Europe, selon les principes directeurs suivants:

En ce qui concerne le contrôle aux frontières:

1. les Etats membres devraient assurer le contrôle effectif de l’immigration à leurs frontières, dans le respect de leurs obligations internationales;
2. les Etats membres devraient améliorer leur coopération, dans le but d’assurer un contrôle efficace de l’immigration aux frontières, en organisant notamment des cours de formation communs, des échanges d’informations et en prenant d’autres initiatives et activités communes;
3. le contrôle de l’immigration aux frontières ne pourrait en aucun cas être effectué au préjudice du principe de non-refoulement des personnes ayant besoin d’une protection internationale;
4. les Etats membres devraient veiller à ce que les personnes chargées de l’application des mesures de contrôle aux frontières reçoivent une formation appropriée aux droits de l’homme et au droit relatif aux réfugiés, ainsi que sur la prise en charge des victimes de traite et des autres personnes vulnérables. Les personnes concernées devraient aussi recevoir une formation appropriée sur la manière de traiter les mineurs.

En ce qui concerne la détention liée à l’immigration ou à l’asile:

1. la détention reposant uniquement sur des raisons tenant à l’immigration ou à l’asile ne devrait être appliquée qu’à titre exceptionnel et seulement en présence d’éléments convaincants permettant de penser que la personne intéressée entrerait dans la clandestinité, ou en présence de raisons légitimes spécifiques à une personne, par exemple lorsqu’il y a de grands risques que cette personne prenne la fuite, ou lorsque la détention est nécessaire pour appliquer une mesure d’expulsion ou pour déterminer l’identité de la personne;
2. la décision de détention devrait être notifiée à la personne concernée, par écrit et dans une langue qu’elle comprend, en indiquant les motivations de la décision et les preuves sur lesquelles elle est fondée, en ayant recours si nécessaire à un interprète pour s’assurer que la personne a bien compris la décision;
3. la décision de détention sera considérée comme nulle et non avenue si, au moment de la notification, la personne concernée n’est pas informée, par écrit et dans une langue qu’elle comprend, de ses droits, des modalités de recours et des moyens d’obtenir conseil et représentation juridiques gratuits;
4. en tout état de cause, la détention pour des raisons tenant à l’immigration ou à l’asile devrait être confirmée par un juge sous quarante-huit heures;
5. la détention pour des raisons tenant à l’immigration ou à l’asile ne devrait en aucune circonstance excéder la durée raisonnablement nécessaire ni être indûment prolongée.

En ce qui concerne l’équité des procédures légales dans le contexte de l’immigration et de l’asile:

chaque procédure légale visant à accorder un statut juridique, ou à limiter la liberté personnelle, ou à éloigner un étranger du territoire d’un Etat membre devrait être conforme à la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés et à son Protocole de 1967, ainsi qu’à la Convention européenne des Droits de l’Homme; elle devrait en outre se dérouler de manière équitable et se conclure par une décision dûment motivée, qui devrait être notifiée par écrit à la personne intéressée, dans une langue qu’elle comprend, ou expliquée à l’aide d’un interprète, si nécessaire.

En ce qui concerne l’accès à l’interprétation et aux conseil et représentation juridiques dans le contexte de l’immigration et de l’asile:

1. lors de chaque procédure légale visant à accorder un statut juridique, ou à limiter la liberté personnelle, ou à éloigner un étranger du territoire d’un Etat membre, une consultation juridique indépendante et une représentation en justice par un avocat devraient être prévues gratuitement si la personne intéressée ne possède pas les moyens financiers suffisants;
2. lors de chaque procédure légale visant à accorder un statut juridique, ou à limiter la liberté personnelle, ou à éloigner un étranger du territoire d’un Etat membre, toute communication entre les autorités locales, de l’Etat ou fédérales de cet Etat et la personne intéressée, qui serait de nature à influer sur son statut juridique ou son expulsion, devrait avoir lieu avec l’assistance d’un interprète indépendant.

En ce qui concerne la durée de la procédure d’asile:

1. les autorités devraient se prononcer dans les six mois sur une demande d’asile et assurer aux demandeurs un niveau de vie suffisant pendant la durée de la procédure;
2. après six mois, les autorités responsables de l’examen de la demande d’asile devraient informer la personne concernée, par écrit et dans une langue qu’elle comprend en recourant si nécessaire à un interprète, des raisons pour lesquelles elles n’ont pas pu aboutir à une décision.

En ce qui concerne l’expulsion:

1. les Etats membres devraient mettre en place des mécanismes efficaces pour assurer l’expulsion des étrangers n’ayant pas besoin d’une protection internationale et ne détenant aucun titre légal de séjour dans le pays;
2. toute décision d’expulser un étranger du territoire d’un Etat membre du Conseil de l’Europe devrait être soumise à un droit de recours suspensif;
3. en cas de recours contre l’expulsion, la procédure d’appel devrait être achevée dans les trois mois de la décision d’expulsion;
4. les personnes n’ayant aucun titre légal de séjour dans un pays membre du Conseil de l’Europe, mais qui ne peuvent être expulsées de manière sûre et digne, et dans le plein respect de leurs droits fondamentaux, ou ne pouvant l’être pour des raisons d’ordre pratique, dont la non-existence d’accord de réadmission avec le pays d’origine, le manque de coopération des autorités du pays d’origine, la suspension des vols avec le pays d’origine, l’impossibilité de déterminer l’identité ou la nationalité de la personne à expulser, devraient être enregistrées par les autorités dès que leur présence est connue et bénéficier d’un permis de séjour temporaire, renouvelable tant que ces conditions persistent.

En ce qui concerne les mineurs:

1. les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient introduire des règles claires concernant la désignation d’un tuteur légal pour chaque enfant mineur non accompagné ou séparé se trouvant à la frontière ou sur leur territoire. Cette désignation devrait avoir lieu sans tarder à compter de la prise de connaissance des autorités de la présence du mineur non accompagné ou séparé;
2. aucun enfant mineur non accompagné ou séparé ne devrait être expulsé, rejeté, éloigné ou de toute autre manière renvoyé dans son pays d’origine ou dans un autre pays avant que la désignation d’un tuteur légal ait été effectuée, que l’avis du tuteur légal en ce qui concerne le retour de l’enfant ait été entendu et dûment pris en considération, et qu’une garantie formelle ait été donnée par les autorités du pays dans lequel l’enfant est renvoyé qu’un accueil approprié immédiat et de longue durée lui sera réservé à son retour;
3. les mineurs ne devraient pas être détenus uniquement pour des motifs tenant à l’immigration ou à l’asile. Ce principe ne saurait être enfreint que dans des circonstances absolument exceptionnelles.

En ce qui concerne les trafiquants et les passeurs:

1. les Etats membres ont l’obligation d’arrêter et de punir les trafiquants et les passeurs ainsi que d’apporter une aide et une protection adaptées aux victimes qui acceptent de coopérer avec les autorités en vue de l’arrestation des trafiquants et des passeurs;
2. à cet égard, la négociation, la conclusion et la ratification d’une convention européenne sur la traite des personnes devraient être encouragées en tant qu’éléments essentiels d’une politique commune en matière de migration et d’asile.

En ce qui concerne les mesures de traitement extraterritoriales des demandes d’asile:

1. les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient veiller à ce que les mesures prises pour faire face aux flux de réfugiés et de migrants soient strictement conformes aux principes du droit des réfugiés et des droits de l’homme, dans le plein respect de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés;
2. toute disposition relative au partage des responsabilités devrait promouvoir, d’abord et avant tout, les droits et les intérêts des réfugiés;
3. aucune disposition relative au partage des responsabilités ne devrait nuire à la coopération et à la solidarité internationales en créant différentes classes de pays d’accueil, permettant à certains Etats de choisir les personnes autorisées à entrer et obligeant les autres Etats à accueillir de nombreux demandeurs d’asile;
4. aucune mesure ne devrait avoir pour effet, direct ou indirect, de remettre en question la primauté de la responsabilité de l’Etat, l’application des lois ou la responsabilité devant la loi, ou de réduire la protection des réfugiés.