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Recommandation 1648 (2004)

Conséquences de l'élargissement de l'Union européenne pour la liberté de circulation entre les Etats membres du Conseil de l'Europe

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 30 janvier 2004 (8e séance) (voir Doc. 9979, rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, rapporteur: M. Shybko; et Doc.10025, avis de la commission des questions politiques, rapporteur: M. Severin). Texte adopté par l’Assemblée le 30 janvier 2004 (8e séance).

1. Une crainte largement répandue est que, après mai 2004, à la suite de l’actuelle vague d’élargissement de l’Union européenne, l’Europe se trouve administrativement coupée en deux du fait de l’extension du régime de visas Schengen. Cela reviendrait à créer une restriction excessive à la libre circulation des personnes entre les Etats membres du Conseil de l’Europe, ce qui aurait des conséquences pour un certain nombre de questions distinctes, y compris les voyages touristiques, les voyages d’affaires, les voyages diplomatiques, le petit trafic frontalier de marchandises, les migrations internationales de travailleurs, et les liens communaux et culturels. Ces conséquences pourraient à leur tour engendrer des tensions nationales et internationales fondées sur la nationalité et l’ethnicité.
2. Ainsi qu’il est dit dans son Statut, le Conseil de l’Europe s’appuie sur un patrimoine commun de valeurs spirituelles et morales qui unissent les peuples de ses Etats membres et qui sont la véritable source des principes de liberté individuelle, de liberté politique et de prééminence du droit, sur lesquels se fonde la démocratie européenne. Une unité plus étroite entre les Etats européens est nécessaire pour préserver ces idéaux et les concrétiser ainsi que pour promouvoir le progrès économique et social. La plus grande liberté possible de circulation des personnes dans toute l’Europe est une condition indispensable à la réalisation de ce projet et, en fait, à l’adhésion des pays et des individus à nos principes communs. La coopération internationale sous les auspices tant du Conseil de l’Europe que de l’Union européenne a contribué à établir des liens de compréhension, de confiance et d’amitié à travers le continent.
3. Ces principes, de même que l’importance de la mission unificatrice du Conseil de l’Europe, demeurent fondamentaux et pertinents aujourd’hui. A cet égard, l’Assemblée parlementaire rappelle ses Recommandations 879 (1979), relative à la circulation des personnes entre les Etats membres du Conseil de l’Europe, 990 (1984), relative aux migrations clandestines en Europe, 1014 (1985), relative à l’obligation du visa d’entrée imposée aux ressortissants turcs par certains Etats membres du Conseil de l’Europe, 1373 (1998), relative à la liberté de circulation et à la délivrance de visas aux membres de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, et 1579 (2002), relative à l’élargissement de l’Union européenne et à la région de Kaliningrad. L’Assemblée se félicite de l’accord récent entre la Lituanie, la Fédération de Russie et l’Union européenne concernant la région de Kaliningrad. Elle prend note également des documents et déclarations récentes du Conseil européen, du Conseil de l’Union européenne et de la Commission européenne qui reconnaissent ces principes et conviennent de la nécessité d’éviter de créer de nouveaux clivages.
4. Le régime de Schengen a pour but d’établir la libre circulation des personnes à l’intérieur d’un territoire multinational (l’Espace Schengen) sans frontières intérieures. Les préoccupations d’ordre public et de sécurité qui en découlent sont abordées par deux séries de mesures: la première concerne la politique en matière de visas et le contrôle aux frontières extérieures, et vise à empêcher les individus qui représentent une menace pour l’ordre public ou la sécurité d’entrer dans l’Espace Schengen; la seconde concerne la coopération en matière de police et de sécurité, envisagée pour que les systèmes nationaux de justice pénale puissent opérer plus efficacement entre les Etats dans l’Espace Schengen sans frontières de manière à mieux répondre à toutes les formes de criminalité transnationale et internationale.
5. L’Assemblée note que le Conseil de l’Europe, dès ses premières années d’existence, a poursuivi activement ces mêmes objectifs. En ce qui concerne la libre circulation des personnes, elle rappelle en particulier la Convention européenne d’établissement de 1955 (STE no 19) et l’Accord européen de 1957 sur le régime de la circulation des personnes entre les pays membres du Conseil de l’Europe (STE no 25), ainsi que la Convention européenne relative au statut juridique du travailleur migrant (STE no 93) et la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales (STE no 106). En ce qui concerne la justice pénale et l’ordre public, elle rappelle en particulier la Convention européenne d’extradition de 1957 (STE no 24) et ses protocoles additionnels (STE nos 86 et 98), la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale de 1959 (STE no 30) et ses protocoles additionnels (STE nos 99 et 182), la Convention européenne de 1970 sur la valeur internationale des jugements répressifs (STE no 70), la Convention européenne de 1977 pour la répression du terrorisme (STE no 90) et le protocole y portant amendement (STE no 190), la Convention pénale sur la corruption (STE no 173) et la Convention civile sur la corruption (STE no 174), toutes deux de 1999, ainsi que la Convention sur le transfèrement des personnes condamnées (STE no 112) et la Convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime (STE no 141); il faut relever que plusieurs parmi ces instruments sont à la base des propres mécanismes du système Schengen. L’Assemblée prend note également du Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO).
6. Si l’Union européenne a réalisé un niveau d’intégration supérieur à celui du Conseil de l’Europe, l’Assemblée n’en estime pas moins que l’ensemble des traités du Conseil de l’Europe portant sur la libre circulation des personnes et la coopération policière et judiciaire soutient la comparaison avec le régime de Schengen, qu’il s’agisse non seulement des objectifs poursuivis, mais aussi de l’efficacité potentielle. Un plus grand nombre de ratifications, ainsi qu’une coordination appropriée et, si nécessaire, la modification de ces traités pourraient conduire à l’élaboration d’un cadre permettant une plus grande liberté de circulation dans toute la Grande Europe: moindre que dans l’Espace Schengen, mais suffisamment accrue pour refléter l’unité et la cohésion des Etats membres du Conseil de l’Europe.
7. L’Assemblée, qui est le seul organe démocratique représentatif des citoyens de toute l’Europe, se déclare fermement opposée à toutes les mesures qui pourraient avoir pour effet de diviser les peuples et les Etats d’un continent qui n’a atteint que depuis peu un degré sans précédent d’unité et d’harmonie en matière politique, sociale, économique et culturelle. En conséquence, elle demande que tous les efforts soient déployés afin d’éviter cette perspective.
8. L’Assemblée recommande aux Etats membres:
8.1. d’apporter tout leur soin à la mise en œuvre d’un dialogue politique ouvert et constructif entre les Etats membres de l’Union européenne et les Etats non membres, ainsi qu’au niveau sous-régional, qui veille à éviter à tout prix l’apparition de nouvelles lignes de démarcation sur le continent européen et qui garantisse la liberté de circulation entre tous les membres;
8.2. dans la mesure où ils ne l’ont pas encore fait, de ratifier et d’appliquer sans retard les conventions, accords et autres traités énumérés au paragraphe 5 ci-dessus, ainsi que de devenir membres du GRECO;
8.3. d’introduire, sur la base de la réciprocité, les dispositions permettant aux ressortissants des Etats membres du Conseil de l’Europe titulaires de passeports diplomatiques ou de service d’effectuer les voyages officiels sans visa;
8.4. s’agissant des Etats membres qui sont également membres de l’Union européenne (y compris ceux qui pourront le devenir en mai 2004), d’adopter des mesures libérales à l’égard des ressortissants des autres Etats membres du Conseil de l’Europe dans les domaines de la politique d’immigration ne relevant pas de la compétence de l’Union européenne, en particulier en vue de simplifier les formalités pour l’obtention de visas et de faciliter le franchissement des frontières;
8.5. s’agissant des Etats membres qui ne sont pas membres de l’Union européenne, de veiller à ce qu’ils prennent des mesures pour faciliter une évolution positive dans les domaines de réciprocité, tels que l’adoption de frais de visa minimaux et la conclusion d’accords de réadmission bilatéraux et multilatéraux;
8.6. de faciliter la traversée de frontières en aménageant aux points de contrôle frontalier les couloirs spéciaux réservés aux ressortissants des Etats membres du Conseil de l’Europe;
8.7. s’agissant des Etats membres dont les frontières communes sont déjà les frontières extérieures de l’Union européenne ou le seront après l’élargissement de celle-ci, de coopérer activement en vue de protéger et sécuriser leurs frontières communes, ainsi que les frontières extérieures des Etats membres du Conseil de l’Europe voisins de l’Union européenne, et de s’engager dans une coopération institutionnalisée en matière d’échange d’informations relatives au trafic illicite de personnes et de marchandises;
8.8. de faire bon usage de leur faculté de délivrer des visas nationaux de longue durée pour les ressortissants des Etats membres du Conseil de l’Europe;
8.9. d’assurer la formation des gardes-frontière, notamment en vue d’éliminer les idées reçues et les stéréotypes que ces derniers peuvent avoir à propos des étrangers, et d’humaniser les contacts avec les ressortissants des pays étrangers qui voyagent pour des raisons légitimes.
9. L’Assemblée recommande également aux Etats parties à la Convention de Schengen de 1990:
9.1. de développer leurs services consulaires dans d’autres Etats membres du Conseil de l’Europe pour faire en sorte que les visas soient délivrés rapidement, efficacement et commodément, et dans le respect de la dignité de la personne humaine. A cet égard, une procédure administrative de contrôle du traitement des demandes de visa devrait être instituée et systématisée dans tous les consulats;
9.2. de créer une présomption de visa selon laquelle toute personne qui fait une demande de visa devrait bénéficier d’une présomption en faveur de la délivrance du visa. Son refus devrait être fondé sur des raisons motivées remplissant des critères spécifiques susceptibles de résister à un test de transparence;
9.3. d’accroître le nombre et améliorer les installations des points de passage aux frontières avec les Etats voisins non membres de l’Union européenne, grâce notamment à l’utilisation de techniques électroniques avancées;
9.4. de prendre des mesures afin de faire connaître plus largement au grand public la procédure permettant à un individu de prendre connaissance des informations le concernant contenues dans le Système d’information Schengen (SIS) et, le cas échéant, de faire corriger les informations erronées.
10. En outre, l’Assemblée recommande à l’Union européenne:
10.1. d’étendre, à la première occasion, la liste des pays tiers dont les nationaux ne sont pas soumis à l’obligation de visa lorsqu’ils franchissent les frontières extérieures de l’Espace Schengen à tous les Etats membres du Conseil de l’Europe qui ne sont pas également membres de l’Union européenne, et, en attendant:
10.2. d’établir la présomption que les ressortissants des Etats parties aux traités du Conseil de l’Europe mentionnés dans la Convention de Schengen de 1990 (STE nos 24, 30 et 112, ainsi que leurs protocoles pertinents) n’ont pas besoin de visa pour entrer ou circuler dans l’Espace Schengen, cette présomption étant renforcée lorsqu’un Etat est également partie à d’autres traités du Conseil de l’Europe dans le domaine de l’ordre public et de la sécurité (notamment aux traités STE nos 70, 90, 141, 173 et 174 et leurs protocoles pertinents);
10.3. s’agissant des Etats membres qui ne peuvent bénéficier de cette présomption, d’assouplir l’obligation de visa et accélérer les formalités d’obtention, notamment:
a. en encourageant la délivrance de visas à entrées multiples d’une durée de cinq ans, en particulier pour les résidents des régions frontalières et les personnes qui se livrent à un petit trafic frontalier légitime;
b. en maintenant les frais de visa au niveau le plus bas possible, voire en délivrant des visas gratuitement;
c. en ne demandant des documents à l’appui des demandes de visa et la présence de l’intéressé en vue d’un entretien personnel qu’en cas de nécessité;
d. en veillant à ce que l’examen des documents et la conduite des entretiens personnels respectent pleinement la dignité individuelle et la vie privée;
e. en autorisant que les demandes de visa se fassent par voie postale ou électronique, dans la mesure où la nécessité de vérifier l’authenticité des documents ou de mener des entretiens personnels le permettent;
f. en veillant à ce que le refus d’admission aux frontières de personnes titulaires d’un visa valide soit une mesure exceptionnelle prise uniquement lorsque cela est justifié par des motifs déterminés objectivement;
g. en prévoyant des dispositions spéciales pour le voyage à des fins politiques et diplomatiques de ressortissants des Etats membres du Conseil de l’Europe qui ne sont pas parties à la Convention de Schengen de 1990, par exemple en dispensant de l’obligation de visa les détenteurs de passeports diplomatiques et les personnes en mission officielle certifiée;
h. en concluant des accords de réadmission bilatéraux avec les Etats membres du Conseil de l’Europe qui ne sont pas membres de l’Union européenne et avec lesquels de tels accords n’existent pas encore;
i. en fournissant une assistance financière et matérielle aux nouveaux Etats membres de l’Union européenne, pour qu’ils puissent répondre rapidement et efficacement aux demandes de visa émanant de ressortissants d’autres Etats membres du Conseil de l’Europe;
j. en considérant la possibilité et la faisabilité de créer des euroconsulats qui seraient spécialisés dans le traitement des demandes et la délivrance de visas Schengen;
10.4. d’aider les pays qui seront voisins de l’Union européenne élargie à redoubler d’efforts pour prévenir les migrations illégales, en particulier le trafic de personnes;
10.5. d’envisager de ratifier les traités du Conseil de l’Europe qui concernent les domaines de la liberté de circulation, de la justice pénale et de l’ordre public pour lesquels elle a compétence supranationale, et de rejoindre le GRECO; et
10.6. dans ce cadre juridique paneuropéen, d’élaborer des politiques de l’immigration permettant le plus grand degré possible de liberté de circulation des personnes dans toute l’Europe et d’encourager l’intégration des migrants dans les sociétés et Etats d’accueil.
11. Enfin, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres:
11.1. d’entreprendre une étude complète – avec la participation des commissions établies en vertu des traités pertinents du Conseil de l’Europe, de représentants de l’Union européenne et de l’Assemblée – de la manière dont les traités existants du Conseil de l’Europe concernant la libre circulation des personnes, la justice pénale et l’ordre public peuvent être plus largement ratifiés, appliqués, coordonnés et (si nécessaire) modifiés ou complétés, y compris par l’élaboration, la signature et la mise en œuvre d’une nouvelle convention européenne, afin de mettre en place un cadre juridique d’ensemble permettant d’établir le degré le plus grand possible de liberté de circulation des personnes dans toute l’Europe;
11.2. d’établir des principes pour la normalisation des documents de voyage des Etats membres du Conseil de l’Europe, afin de fournir des garanties contre la falsification et l’utilisation frauduleuse, et faciliter ce faisant la libéralisation du régime des visas et des politiques d’immigration;
11.3. d’initier les travaux visant à harmoniser, sous les auspices du Conseil de l’Europe et selon les principes directeurs élaborés dans la Recommandation 1624 (2003) de l’Assemblée parlementaire relative à la politique commune en matière de migration et d’asile, les législations et les pratiques des Etats membres du Conseil de l’Europe en cette matière.