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Résolution 1455 (2005)

Respect des obligations et engagements de la Fédération de Russie

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 22 juin 2005 (20e séance) (voir Doc. 10568, rapport de la commission pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l’Europe (commission de suivi), corapporteurs: MM. Atkinson et Bindig). Texte adopté par l’Assemblée le 22 juin 2005 (21e séance).

1. La Fédération de Russie a adhéré au Conseil de l’Europe le 28 février 1996. Lors de cette adhésion, elle s’est engagée à respecter ses obligations générales au titre du Statut du Conseil de l’Europe, à savoir la démocratie pluraliste, la prééminence du droit et le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales de toutes les personnes placées sous sa juridiction. La Fédération de Russie a aussi accepté de respecter, dans des délais définis, un certain nombre d’engagements spécifiques énumérés dans l’Avis N° 193 (1996) de l’Assemblée parlementaire.
2. Ces 15 dernières années, la Fédération de Russie a fondamentalement changé. Le dernier rapport de suivi de l’Assemblée et la Résolution 1277 (2002), adoptée en avril 2002, ont salué les progrès indéniables accomplis par la Russie en matière de prééminence du droit et de démocratie, ainsi que les efforts considérables entrepris depuis l’adhésion pour honorer ses obligations et engagements.
3. Ces trois dernières années, la Fédération de Russie a adopté un nouveau Code de procédure pénale et une loi sur le service militaire de substitution, a réduit significativement le nombre des personnes détenues dans les établissements pénitentiaires, a signé la Convention sur le transfèrement des personnes condamnées (STE no 112), a ratifié un accord frontalier avec la Lituanie et en a signé un avec l’Estonie. Durant cette même période, cependant, très peu de progrès ont été enregistrés en ce qui concerne le respect des autres engagements non honorés à ce jour, y compris l’abolition formelle de la peine de mort, le retrait des troupes russes de Moldova et l’obligation de traduire en justice les responsables avérés de violations des droits de l’homme, en particulier en relation avec les événements de Tchétchénie.
4. La période écoulée depuis le précédent rapport de suivi a aussi été marquée par un effort des autorités russes visant à traiter plusieurs problèmes graves qui représentaient – et, dans certains cas, continuent de représenter – une menace pour la stabilité politique, le progrès économique et le fonctionnement normal des institutions démocratiques du pays. Ces problèmes sont notamment les suivants: la menace terroriste persistante liée au conflit dans le Caucase du Nord; les privatisations obscures et irrégulières qui ont abouti à un contrôle oligarchique sur un grand nombre d’actifs et de ressources économiques du pays; enfin, les allégations de corruption émises à l’encontre de certains gouverneurs fédéraux qui n’étaient responsables ni devant les autorités fédérales ni devant les citoyens qui les avaient élus.
5. L’Assemblée soutient pleinement les efforts déployés par les autorités russes pour lutter contre ces problèmes et améliorer l’efficacité et la responsabilisation du système politique et administratif russe. Elle reconnaît sans réserve le droit des autorités russes à mener des réformes adaptées à la situation économique, politique, administrative et historique du pays. Toutefois, l’Assemblée considère aussi que les autorités russes devraient opter pour des solutions conformes aux normes et principes contraignants, juridiquement et politiquement, du Conseil de l’Europe.
6. Le train de réformes présenté à l’automne 2004 visant à renforcer «la verticale du pouvoir» suscite la plus vive inquiétude de l’Assemblée car il pourrait compromettre à beaucoup d’égards l’équilibre des pouvoirs indispensable au fonctionnement normal de toute démocratie. Pour qu’une démocratie fonctionne, il faut non seulement un renforcement vertical du pouvoir mais aussi son partage horizontal.
7. L’Assemblée s’inquiète de ce que les changements récents apportés à la législation concernant l’élection de la Douma d’Etat et l’organisation des partis politiques vont restreindre de manière drastique la compétition entre les partis. La forte augmentation du seuil électoral (7 %), l’interdiction des coalitions électorales, la réduction, de quatre à deux, du nombre minimal des partis devant être représentés à la chambre basse et, enfin, les nouvelles règles restrictives pour l’autorisation des partis à participer aux élections de la Douma d’Etat vont limiter substantiellement les conditions d’accès au parlement, au net avantage des partis déjà représentés à l’actuelle Douma d’Etat.
8. De la même manière, les changements qui donnent au Président une influence décisive dans l’élection des gouverneurs régionaux vont affecter la composition de la chambre haute du Parlement russe – le Conseil de la fédération – qui est responsable du contrôle de l’action du gouvernement fédéral et du Président. Selon la nouvelle législation, la moitié des membres du conseil seront nommés par les gouverneurs régionaux qui sont eux-mêmes sélectionnés – et peuvent être révoqués à tout moment – par le Président lui-même. Une telle situation est clairement incompatible avec le principe démocratique fondamental de la séparation des pouvoirs entre les organes législatifs et exécutifs.
9. L’Assemblée s’inquiète des propositions récentes visant à confier à l’exécutif la nomination et la révocation des juges et de l’administration judiciaire, et les procédures disciplinaires les concernant, car elles peuvent compromettre les chances d’avènement, en Fédération de Russie, d’un système judiciaire indépendant et impartial.
10. La création récente d’une «chambre publique» chargée de «la coordination des intérêts» des citoyens, des organisations non gouvernementales et des pouvoirs publics devrait être évaluée de manière critique. Il est en effet difficile de comprendre quel est l’intérêt de créer un nouvel organe chargé de remplir le rôle normalement dévolu, d’une part, à un parlement pluraliste et démocratiquement élu, et, d’autre part, à une société civile fonctionnant de manière réellement libre et indépendante.
11. Des délégations de l’Assemblée ont observé, respectivement en décembre 2003 et en mars 2004, les élections législatives et présidentielles, et elles ont dans les deux cas fortement critiqué la partialité des médias et l’utilisation des ressources de l’Etat en faveur du Président en exercice et de ses alliés politiques. L’Assemblée considère que le manque de pluralisme et la partialité des médias audiovisuels constituent un obstacle insurmontable à la conduite d’élections réellement libres et équitables, et au bon fonctionnement de la démocratie dans son ensemble.
12. L’Assemblée encourage donc fortement les autorités russes à améliorer les conditions d’un fonctionnement normal de la démocratie pluraliste et, à cette fin, les incite:
à renforcer les conditions juridiques, administratives et politiques dans lesquelles un parlement élu démocratiquement et réellement pluraliste pourra non seulement soutenir mais contrôler l’action du pouvoir exécutif;
à réviser la législation adoptée récemment concernant les élections des gouverneurs régionaux, dans la mesure où elle affecte la composition et l’indépendance de la chambre haute du Parlement russe, afin de garantir le plein respect du principe de la séparation des pouvoirs;
à poursuivre les objectifs qui ont inspiré la mise en place de la chambre publique en créant les conditions administratives, fiscales et politiques nécessaires à un fonctionnement normal de la société civile russe;
à créer les conditions du pluralisme et de l’impartialité des médias audiovisuels et, à cette fin:
a. créer un radiodiffuseur de service public indépendant et une autorité indépendante pour la surveillance du secteur de la radiodiffusion, conformément aux normes du Conseil de l’Europe;
b. améliorer les conditions nécessaires à un fonctionnement normal des médias audiovisuels privés de portée nationale, qui doivent être libres de toute ingérence de l’Etat;
à mettre immédiatement fin aux pratiques de harcèlement et d’intimidation à l’encontre des membres de la société civile critiques à l’égard des autorités, en particulier des journalistes, scientifiques et écologistes, qui font l’objet d’une application abusive des lois sur la diffamation et le secret d’Etat.
13. Concernant la prééminence du droit et la protection des droits de l’homme, l’Assemblée encourage fortement les autorités russes à prendre les mesures suivantes:
concernant l’abolition de la peine de mort, ratifier immédiatement le Protocole no 6 (STE no 114) à la Convention européenne des Droits de l’Homme (STE no 5). L’Assemblée rappelle que le délai initial pour le respect de cet engagement a expiré en 1999 et que les autres pays qui n’ont pas respecté cet engagement essentiel ont été exposés à des sanctions;
concernant le conflit en République tchétchène, mettre en œuvre les recommandations de l’Assemblée contenues dans la Résolution 1403 (2004), notamment agir effectivement pour mettre fin sans délai aux «disparitions», aux tortures, aux détentions arbitraires, aux détentions au secret dans des lieux de détention illégaux et secrets, et aux meurtres qui continuent de se produire, traduire en justice les responsables avérés de violations des droits de l’homme, rechercher un règlement pacifique du conflit, respecter strictement les dispositions du droit humanitaire international, engager des poursuites pour toutes les tentatives visant à intimider ou à harceler les militants des droits de l’homme et les personnes ayant déposé une requête devant la Cour européenne des Droits de l’Homme, mettre en œuvre les recommandations figurant dans les rapports du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, et envisager leur publication;
coopérer sans réserve avec la Cour européenne des Droits de l’Homme, ne s’opposer en aucune manière à l’exercice effectif du droit de recours individuel devant la Cour et exécuter rapidement et intégralement ses décisions, en particulier celle qui a été rendue dans l’affaire Ilascu et autres;
concernant les mauvais traitements et les décès survenus dans l’armée en dehors des conflits armés, appliquer une politique de tolérance zéro au problème endémique et persistant du bizutage, au moyen de programmes de formation pour les personnels et en veillant à ce que les infractions fassent, de manière systématique, fiable et transparente, l’objet d’une instruction et de poursuites;
réviser la loi adoptée récemment sur le service militaire de substitution afin d’enlever à cette loi son caractère disproportionné et de la rendre conforme aux pratiques européennes;
intensifier les efforts visant à combattre les violences et la discrimination à motivation religieuse, ethnique ou raciale, améliorer en particulier la situation des Turcs meskhets qui souhaitent rester dans la région de Krasnodar, et instruire et sanctionner tous les cas avérés de harcèlement et de discrimination;
garantir l’exclusion de toute discrimination juridique, administrative et fiscale à l’encontre des confessions dites non traditionnelles et rendre l’application de la loi fédérale sur la liberté de conscience et les associations religieuses conforme aux normes du Conseil de l’Europe;
poursuivre les réformes dans le domaine judiciaire en stricte conformité avec les normes du Conseil de l’Europe afin de lever tous les doutes quant à l’équité et à l’indépendance du système judiciaire russe, qui sont notamment apparus au sujet des procès contre les dirigeants de Ioukos;
poursuivre la réforme de la Prokuratura conformément aux normes européennes pertinentes et à l’Avis no 340/2005 de la Commission de Venise, adopté les 10 et 11 juin 2005, notamment sur les pouvoirs très étendus en matière de contrôle général de la légalité, et retirer la réserve formulée au sujet de l’article 5 de la Convention européenne des Droits de l’Homme;
concernant la loi sur le Service fédéral de sécurité:
a. réviser la loi sur le Service fédéral de sécurité afin de mettre l’étendue de ses pouvoirs d’investigation et ses prérogatives en matière de maintien de l’ordre en conformité avec les normes et principes du Conseil de l’Europe, et respecter ainsi l’engagement dont le délai initial a expiré en février 1997;
b. transférer sans plus tarder au ministère de la Justice la responsabilité du centre de détention provisoire de Lefortovo et de tous les autres centres analogues gérés actuellement par le Service fédéral de sécurité;
concernant la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (STE no 148), ratifier l’instrument sans plus tarder et respecter ainsi l’engagement dont le délai initial a expiré en février 1997;
concernant la Charte sociale européenne (STE no 163) et la Convention européenne sur le transfèrement des personnes condamnées, ratifier ces deux instruments aussi rapidement que possible.
14. En ce qui concerne les relations de la Russie avec les Etats voisins et les autres Etats de la région qui sont également membres du Conseil de l’Europe, l’Assemblée, tout en se félicitant du récent accord sur la fermeture des bases militaires russes restantes en Géorgie, encourage fortement les autorités russes à prendre les mesures suivantes:
concernant le retrait des forces armées russes et de leur matériel restant du territoire de la Moldova, effectuer sans plus tarder ce retrait qui aurait dû être achevé en octobre 1997;
concernant le traitement des pays voisins et des autres pays de la région comme des zones d’influence spéciale, dénoncer la politique de «l’étranger proche», contribuer de manière constructive à la résolution des problèmes encore en suspens et mettre un terme aux pratiques qui, comme la délivrance de passeports russes aux habitants des régions géorgiennes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud, peuvent – de manière directe ou indirecte – porter atteinte à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de ces pays;
coopérer avec les autorités géorgiennes afin de créer les conditions d’un retour volontaire des Turcs meskhets vers les régions d’où ils ont été déplacés par la force;
concernant l’indemnisation des personnes déportées des Etats baltes occupés et des descendants de déportés, mentionnée au paragraphe 7.xii de l’Avis no 193 (1996), régler ces questions le plus rapidement possible;
achever les préparatifs de la signature et de la ratification de l’accord frontalier avec la Lettonie;
faciliter la consultation des archives conservées en Fédération de Russie, conformément à l’Avis no 193 (1996), paragraphe 10.xv;
régler rapidement toutes les questions relatives à la restitution des biens culturels réclamés par des Etats membres du Conseil de l’Europe, conformément à l’Avis no 193 (1996), paragraphe 10.xii et xiv;
concernant les relations avec le Bélarus, assortir toute assistance politique ou financière au gouvernement de ce pays de conditions de respect des droits de l’homme et des libertés civiles du peuple du Bélarus.
15. L’Assemblée voit un signe encourageant dans les déclarations récentes de la délégation russe promettant des progrès au sujet de plusieurs engagements non respectés à ce jour. Toutefois, elle souhaite insister sur la nécessité pour les autorités russes non seulement d’accélérer le processus de mise en conformité avec les engagements non encore respectés, mais aussi de modifier l’orientation de certaines réformes politiques, législatives et administratives menées récemment. Cela est particulièrement important en ce qui concerne les changements relatifs au fonctionnement normal de la démocratie pluraliste, qui requiert l’organisation d’élections libres et équitables, la garantie de droits adéquats aux partis d’opposition, la responsabilisation du pouvoir exécutif et l’indépendance des médias.
16. Dans ce contexte, l’Assemblée décide de poursuivre son suivi du respect des obligations et engagements acceptés par la Fédération de Russie jusqu’à ce qu’elle reçoive des preuves de progrès substantiels concernant notamment les questions mentionnées dans la présente résolution.