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Résolution 1463 (2005)

Disparitions forcées

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 3 octobre 2005 (25e séance) (voir Doc. 10679, rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, rapporteur : M. Pourgourides). Texte adopté par l’Assemblée le 3 octobre 2005 (25e séance).

1. Le terme de «disparition forcée» recouvre la privation de liberté, le refus de reconnaître cette privation de liberté ou de révéler le sort réservé à la personne disparue et le lieu où elle se trouve, et la soustraction de la personne à la protection de la loi.
2. L’Assemblée parlementaire condamne catégoriquement la disparition forcée, qu’elle considère comme une violation très grave des droits de l’homme, au même titre que la torture et le meurtre, et elle constate avec préoccupation que, même en Europe, ce fléau humanitaire continue de sévir.
3. L’Assemblée, rappelant en particulier sa Résolution 1403 (2004) et sa Recommandation 1679 (2004) sur la situation des droits de l’homme en République tchétchène, ainsi que sa Résolution 1371 (2004) et sa Recommandation 1657 (2004) sur les personnes disparues au Bélarus, et sa Recommandation 1056 (1987) relative aux réfugiés nationaux et aux personnes disparues à Chypre, estime que la lutte contre les disparitions forcées relève d’abord et avant tout de la responsabilité des Etats concernés.
4. Elle note les analogies entre les disparitions survenues au Bélarus et celles qui se sont produites dans certains pays d’Amérique latine dans les années 1970 et 1980, et demande que justice soit faite sans plus tarder.
5. Vu l’incapacité, et dans de rares cas l’absence de volonté, de certains Etats d’assurer une protection efficace contre la disparition forcée, il est en outre de la plus haute importance d’établir un cadre juridique international clairement défini.
6. A cet égard, l’Assemblée rend hommage aux organes internationaux de défense des droits de l’homme, et notamment à la Cour européenne des Droits de l’Homme, au Comité des droits de l’homme de l’ONU et à la Commission des droits de l’homme de l’ONU, au groupe de travail de cette dernière sur les disparitions forcées ou involontaires et à la Cour interaméricaine des droits de l’homme, pour leur contribution au cadre juridique international qui commence à se mettre en place en matière de lutte contre les disparitions forcées. Leur jurisprudence a clarifié un certain nombre d’obligations incombant aux Etats dans ce domaine, concernant en particulier le devoir d’enquête.
7. Elle salue également la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, adoptée en 1992 par l’Assemblée générale des Nations Unies, qui regroupe pour la première fois un certain nombre de principes fondamentaux, bien que sous la forme d’un texte non contraignant.
8. Malheureusement, plusieurs lacunes importantes subsistent dans le cadre juridique international en ce qui concerne notamment la définition de la disparition forcée, l’étendue précise des obligations incombant aux Etats en matière de prévention, d’enquête et de répression pour de tels crimes, et le statut des victimes et des membres de leur famille.
9. En conséquence, l’Assemblée se félicite des progrès réalisés par le groupe de travail intersessions à composition non limitée chargé d’élaborer un projet d’instrument normatif juridiquement contraignant pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées lors de sa 5e session, en septembre 2005, qui a débouché sur l’adoption, le 22 septembre 2005, d’un projet de convention en temps voulu pour que la Commission des droits de l’homme de l’ONU puisse l’adopter lors de sa 62e session au printemps 2006.
10. Concernant le contenu du futur instrument contraignant, l’Assemblée attache une importance fondamentale aux points suivants, que l’on retrouve pour la plupart dans le projet de convention adopté par le groupe de travail intersessions de l’ONU le 22 septembre 2005 :
10.1. la définition de la disparition forcée :
10.1.1. devrait être suffisamment large pour prendre en compte ces actes également lorsqu’ils sont commis par des acteurs non étatiques comme des groupes paramilitaires, des escadrons de la mort, des combattants rebelles ou des bandes criminelles organisées ;
10.1.2. ne devrait pas comprendre d’élément subjectif, qui serait difficile à prouver dans la pratique. Les difficultés inhérentes de preuve d’une disparition forcée devraient donner lieu à une présomption réfutable à l’encontre des fonctionnaires responsables impliqués ;
10.2. les membres de la famille de la personne disparue devraient être reconnus comme des victimes à part entière de la disparition forcée et bénéficier d’un «droit à la vérité», c’est-à-dire d’un droit d’être informés du sort du disparu ;
10.3. l’instrument devrait prévoir les garanties suivantes contre l’impunité :
10.3.1. l’obligation pour les Etats de qualifier la disparition forcée de crime passible d’une peine appropriée dans leur Code pénal interne ;
10.3.2. l’extension du principe de compétence universelle à tous les actes de disparition forcée ;
10.3.3. la reconnaissance que le crime de disparition forcée ne cesse pas tant que ses auteurs dissimulent le sort réservé à la personne disparue et que les faits ne sont pas élucidés ; par voie de conséquence, la non-applicabilité des délais de prescription prévus par la loi aux disparitions forcées ;
10.3.4. la disposition indiquant clairement qu’aucun ordre donné par un supérieur hiérarchique ou instruction émanant d’une autorité publique ne peut être invoqué pour justifier un acte de disparition forcée ;
10.3.5. l’exclusion des auteurs de disparitions forcées de toute amnistie ou mesure analogue et de tout privilège, immunité ou dispense spéciale à l’égard des poursuites ;
10.3.6. le jugement des auteurs de disparitions forcées uniquement par des juridictions de droit commun et non par des tribunaux militaires ;
10.3.7. pour les besoins de l’extradition et de l’asile, la disparition forcée n’est pas considérée comme une infraction politique et l’interdiction du refoulement s’applique également en cas de risque d’être soumis à une disparition forcée ;
10.3.8. l’omission de l’investigation effective de toute disparition forcée alléguée devrait constituer un crime indépendant puni de manière appropriée. Le ministre et/ou le chef du département chargé des investigations devrait être tenu pénalement responsable de ladite omission ;
10.4. l’instrument devrait comprendre les mesures préventives suivantes :
10.4.1. l’interdiction inconditionnelle de toute forme de détention au secret et de tout lieu de détention secret ;
10.4.2. des voies de recours rapides, simples et efficaces contre la détention arbitraire (habeas corpus) ;
10.4.3. le devoir d’enquêter efficacement à la suite de toute plainte portant sur une disparition forcée ;
10.4.4. l’établissement d’un registre officiel de tous les détenus, accessible à tous et tenu à jour, et de registres centralisés de tous les lieux de détention ;
10.4.5. des procédures de libération de tous les détenus permettant une vérification fiable ;
10.4.6. la formation appropriée des agents des forces de l’ordre, du personnel pénitentiaire et des avocats ;
10.5. l’instrument devrait instaurer un droit à réparation clairement défini, incluant :
10.5.1. la restitution, c’est-à-dire la libération immédiate de la personne disparue si elle est encore en vie, ou l’exhumation, l’identification et la remise du corps à la famille proche pour qu’il soit inhumé dignement, ainsi que la réadaptation et l’assistance médicale, psychologique et sociale aux frais du gouvernement responsable ;
10.5.2. la satisfaction, c’est-à-dire la présentation d’excuses par les autorités, des garanties de non-récidive, la communication de tous les faits pertinents à la suite d’une enquête approfondie et l’engagement de poursuites contre les auteurs ;
10.5.3. l’indemnisation des dommages matériels (y compris la perte de revenu et de moyens de subsistance pour les personnes à charge et les frais de justice, évalués de façon réaliste) et une compensation adéquate pour les préjudices psychologique et physique subis tant par la personne disparue que par les membres de sa famille ;
10.6. enfin, l’instrument devrait établir un puissant mécanisme international pour vérifier que les Etats respectent leurs obligations découlant des points 10.1 à 10.5 ci-dessus ; ce mécanisme devrait également comprendre un dispositif d’intervention d’urgence dans certains cas.
11. L’Assemblée invite instamment tous les Etats membres du Conseil de l’Europe à soutenir l’adoption du projet d’instrument contraignant, tel qu’approuvé par le groupe de travail intersessions, par la Commission des droits de l’homme et l’Assemblée générale de l’ONU.
12. Au cas où le compromis reflété dans le projet d’instrument contraignant serait remis en cause au cours du processus d’adoption, les Etats membres du Conseil de l’Europe sont encouragés à promouvoir de nouvelles améliorations de ce texte, en vue en particulier :
12.1. de rationaliser la procédure prévue à l’article 32 du projet de convention pour les visites sur place du futur comité sur les disparitions forcées ;
12.2. d’étendre à terme l’application de la future convention, au-delà des dispositions de l’actuel article 35, aux cas dans lesquels la disparition est survenue avant l’entrée en vigueur de la convention et à ceux dans lesquels le lieu où se trouvait la personne disparue n’a été déterminé qu’après son entrée en vigueur ;
12.3. d’améliorer les mesures contre l’impunité, notamment en excluant les auteurs de disparitions forcées de toute amnistie ou mesure analogue mentionnée ci-dessus ;
12.4. d’instaurer une règle selon laquelle les auteurs de disparitions forcées seront jugés uniquement par des juridictions de droit commun et non par des tribunaux militaires.
13. Au cas où le projet d’instrument serait adopté en l’état, les Etats membres du Conseil de l’Europe sont invités instamment à le signer et à le ratifier sans délai, et à faire des déclarations visant à conférer un effet protecteur maximal à l’instrument, et en particulier :
13.1. à renoncer à la nécessité de l’accord préalable aux visites sur place du comité sur les disparitions forcées, prévu à l’article 32 ;
13.2. à reconnaître la compétence du comité pour recevoir et examiner des communications pour le compte de particuliers qui prétendent être victimes d’une violation de la convention, comme le prévoit l’article 31 ; et
13.3. à interpréter l’article 35 de manière à ce que la convention soit également applicable aux cas dans lesquels la disparition est survenue avant l’entrée en vigueur de la convention et à ceux dans lesquels le lieu où se trouvait la personne disparue n’a été déterminé qu’après son entrée en vigueur.
14. L’Assemblée se déclare résolue à examiner, au second semestre 2006, les résultats obtenus dans le cadre de l’Organisation des Nations Unies et à étudier toute nouvelle initiative que le Conseil de l’Europe pourrait être appelé à prendre pour parvenir au degré voulu de protection contre les disparitions forcées.