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Recommandation 1742 (2006)

Droits de l’homme des membres des forces armées

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 11 avril 2006 (11e séance) (voir Doc.10861, rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, rapporteur: M. Arabadjiev). Texte adopté par l’Assemblée le 11 avril 2006 (11e séance).

1. L’armée est l’institution responsable de la sauvegarde de l’Etat, investie de la mission de défense de la collectivité, dont le combat est la raison d’être, la finalité de son existence, astreinte à des contraintes spécifiques que sont les règles de l’unité, de la hiérarchie, de la discipline et de l’obéissance aux ordres.
2. L’Assemblée parlementaire rappelle les nombreux textes qu’elle a adoptés concernant la promotion des droits de l’homme dans les forces armées et constate qu’ils ont gardé toute leur pertinence et leur actualité. Elle considère que les membres des forces armées sont des citoyens en uniforme qui doivent jouir des mêmes libertés fondamentales, notamment celles qui figurent dans la Convention européenne des Droits de l’Homme (STE no 5) et la Charte sociale européenne révisée (STE no 163), et de la même protection de leurs droits et de leur dignité que tout autre citoyen, dans les limites imposées par les exigences spécifiques de la fonction militaire.
3. Avec la fin de la conscription et la professionnalisation de l’armée dans plusieurs pays, à une époque où les forces armées de nombre d’Etats membres sont engagées sur les mêmes théâtres d’opération, l’Assemblée promeut résolument des principes communs qui viendraient encadrer l’action des forces armées et régir les conditions dans lesquelles elles exercent leurs missions. On ne peut attendre des membres des forces armées qu’ils respectent le droit humanitaire et les droits de l’homme dans leurs opérations si le respect des droits de l’homme n’est pas assuré à l’intérieur même de l’armée. Il est donc essentiel que la démarche du Conseil de l’Europe d’élaborer des lignes directrices en matière de protection des droits de l’homme à l’intérieur des forces armées soit accompagnée dans les Etats membres d’une politique de sensibilisation aux droits de l’homme au sein même de leurs forces armées.
4. L’Assemblée constate que, nonobstant ses demandes répétées aux Etats membres, la situation des membres des forces armées dans certains Etats au regard des droits dont ils jouissent en application de la Convention européenne des Droits de l’Homme et de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme est loin d’être satisfaisante. Elle constate à regret que nombre des restrictions apportées à l’exercice par les membres des forces armées de leurs droits dans certains Etats membres excèdent ce qui est acceptable aux termes de la Convention.
5. Elle regrette également le peu d’attention portée jusqu’ici à la justice militaire, à la procédure disciplinaire et à la procédure pénale militaires, et considère que, au vu de la diversité des systèmes juridiques et judiciaires dans les Etats membres, il y a lieu de mener une étude de droit comparé afin de promouvoir le droit des militaires à la liberté, à la sûreté et à un procès équitable.
6. L’Assemblée considère que le Conseil de l’Europe doit accorder une attention renforcée à la question de la condition des femmes dans les forces armées. Un grand nombre de femmes militaires sont victimes de harcèlement sexuel. L’accès aux fonctions militaires et à certains postes dans les forces armées, la carrière et l’égalité des droits sont autant de questions touchant à la discrimination des femmes, qui nécessitent également un examen approfondi.
7. L’Assemblée est horrifiée et scandalisée par la situation des soldats dans les forces armées de certains Etats membres, qui subissent des abus, des brutalités, des brimades institutionnalisées, des violences, des mauvais traitements, des tortures constituant les violations les plus graves de leurs droits. Tel est le cas des pratiques de bizutage (dedovchtchina) qui, bien que périodiquement dénoncées par les ONG, restent pratique courante dans les forces armées de certains pays.
8. L’Assemblée rappelle que le droit à l’objection de conscience est une composante fondamentale du droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion reconnu dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Convention européenne des Droits de l’Homme.
9. L’Assemblée demande aux Etats membres d’assurer la protection réelle et effective des droits de l’homme des membres des forces armées, et notamment:
9.1. d’autoriser les membres des forces armées à s’organiser dans des associations professionnelles représentatives ou des syndicats ayant le droit de négocier sur des questions concernant les salaires et les conditions de travail, et de mettre en place des organismes consultatifs à tous les niveaux réunissant ces associations ou syndicats, représentant toutes les catégories de personnel;
9.2. de mettre en place, lorsqu’elle n’existe pas, une institution civile autonome – le médiateur militaire – chargée de promouvoir les droits fondamentaux des membres des forces armées, de s’assurer de leur respect, de fournir une assistance juridique aux militaires, de recueillir les plaintes relatives à la violation de leurs droits, à laquelle le personnel militaire pourrait s’adresser, de manière confidentielle, en cas de conflit du travail et d’autres questions relatives à l’exercice des fonctions;
9.3. d’abolir les restrictions existantes aux droits électoraux des membres des forces armées;
9.4. d’autoriser les membres des forces armées et le personnel militaire à adhérer à des partis politiques légaux;
9.5. d’adopter ou de modifier leurs législations et réglementations, afin d’assurer leur conformité avec la Convention européenne des Droits de l’Homme et la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme, y compris les codes militaires et règlements internes militaires, qui devront énoncer clairement les droits et les obligations des personnels des forces armées;
9.6. de lever toute réserve existante à l’application des articles 5 et 6 de la Convention européenne des Droits de l’Homme;
9.7. d’introduire dans leurs législations respectives le droit à être enregistré en tant qu’objecteur de conscience à tout moment – avant, pendant, ou après la réalisation du service militaire – ainsi que le droit pour les militaires de carrière de demander le statut d’objecteur de conscience;
9.8. d’adopter d’urgence, lorsque c’est nécessaire, les mesures indispensables pour mettre un terme aux situations et pratiques scandaleuses de brimades, et de mettre un terme à la loi du silence qui prévaut dans les forces armées et qui conduit à l’impunité de tels actes;
9.9. de s’assurer que chaque cas de violation porté à la connaissance des autorités fasse l’objet d’une enquête approfondie, transparente et rapide, et que ses auteurs soient poursuivis et traduits en justice.
10. L’Assemblée recommande au Comité des Ministres d’élaborer et d’adopter des lignes directrices, sous forme d’une nouvelle recommandation à l’intention des Etats membres, visant à assurer le respect des droits de l’homme par et au sein des forces armées, en s’inspirant de la Convention européenne des Droits de l’Homme et de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme, des recommandations antérieures du Comité des Ministres, des recommandations de l’Assemblée parlementaire et de celles du commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe. Des lignes directrices sur les droits des personnels des forces armées, quel que soit leur statut – appelés, engagés, militaires de carrière – devraient contenir au minimum les droits suivants:
10.1. Les membres des forces armées doivent jouir des libertés et droits fondamentaux suivants:
10.1.1. droit à la vie (compte tenu, cependant, des dangers inhérents au métier des armes);
10.1.2. droit à la protection contre la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants;
10.1.3. prohibition de l’esclavage, de la servitude, et interdiction d’être employés à des tâches non compatibles avec leur affectation à une mission de défense nationale ou à des travaux forcés ou obligatoires;
10.1.4. droit à la protection juridique en cas de violation de leurs droits, droit à la liberté et à la sûreté, et droit à un procès équitable par des tribunaux indépendants, ainsi que le droit d’appel;
10.1.5. interdiction de la discrimination;
10.1.6. droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion;
10.1.7. droit de jouir pleinement des droits civiques, notamment du droit de vote;
10.1.8. droit au respect de la propriété;
10.1.9. droit de se marier et de fonder une famille.
10.2. Les membres des forces armées doivent jouir des libertés et droits fondamentaux suivants, dont l’exercice peut, toutefois, connaître certaines restrictions:
10.2.1. droit à la liberté d’expression;
10.2.2. droit à la liberté de réunion et d’association, y compris droit de se syndiquer et droit d’appartenir à un parti politique;
10.2.3. droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance.
10.3. Toutes les restrictions éventuelles à l’exercice et à la jouissance par les membres des forces armées des droits mentionnés au paragraphe 10.2 doivent répondre à des critères précis:
10.3.1. elles doivent répondre à un objectif légitime, être strictement nécessitées par les besoins et spécificités de la vie militaire, de la discipline militaire et de l’entraînement, et proportionnelles au but visé;
10.3.2. elles doivent être connues, prévues par la loi, strictement définies par elle, et conformes aux dispositions constitutionnelles;
10.3.3. elles ne doivent pas menacer ou mettre en danger de manière injustifiée la santé physique ou mentale des membres des forces armées;
10.3.4. elles doivent respecter les limites prévues par la Convention européenne des Droits de l’Homme.
10.4. Les membres des forces armées doivent également jouir de droits économiques et sociaux, notamment:
10.4.1. droit à un logement/hébergement décent et approprié;
10.4.2. droit à recevoir une rémunération équitable et droit à percevoir une retraite;
10.4.3. droit à la protection de la santé et à la sécurité au travail;
10.4.4. droit à une alimentation décente et suffisante.
10.5. Les membres des forces armées doivent être informés de leurs droits et doivent recevoir une formation destinée à les sensibiliser aux droits de l’homme.
11. L’Assemblée recommande, en outre, au Comité des Ministres:
11.1. d’examiner à nouveau sa proposition d’introduire le droit à l’objection de conscience au service militaire dans la Convention européenne des Droits de l’Homme par le biais d’un protocole additionnel qui amenderait les articles 4.3.b et 9;
11.2. d’examiner spécifiquement la situation des femmes dans les forces armées;
11.3. de soutenir pleinement et fermement l’Assemblée dans l’application d’une politique de tolérance zéro aux brimades dans les forces armées.