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Résolution 1510 (2006)
Liberté d’expression et respect des croyances religieuses
1. L’Assemblée parlementaire du Conseil
de l’Europe réaffirme qu’il ne peut y avoir de société démocratique
sans droit fondamental à la liberté d’expression. Le progrès de
la société et le développement de tout individu dépendent de la
possibilité de recevoir et de partager des informations et des idées.
Cette liberté s’applique non seulement aux idées qui sont bien accueillies
ou réputées inoffensives, mais aussi à celles qui peuvent choquer,
offenser ou perturber l’Etat ou une partie de la population, conformément
à l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme
(STE no 5).
2. La liberté de pensée, de conscience et de religion est une
exigence de toute société démocratique et une des libertés essentielles
qui permettent aux personnes de définir leur perception de la vie
et de la société humaines. La conscience et la religion sont des
éléments fondamentaux de la culture humaine. A ce titre, elles sont
protégées en vertu de l’article 9 de la Convention européenne des
Droits de l’Homme.
3. Une société démocratique doit néanmoins autoriser, au nom
de la liberté de pensée et d’expression, un débat ouvert sur les
sujets relatifs à la religion et aux croyances. L’Assemblée rappelle
à cet égard sa Recommandation
1396 (1999), «Religion et démocratie». Les sociétés démocratiques
modernes se composent de personnes aux religions et aux croyances
diverses. Si les attaques visant des personnes et motivées par des
considérations religieuses ou raciales ne peuvent être tolérées,
les lois sur le blasphème ne sauraient être utilisées pour restreindre
la liberté d’expression et de pensée.
4. L’Assemblée souligne la diversité culturelle et religieuse
de ses Etats membres. Les chrétiens, les musulmans, les juifs et
les membres de nombreuses autres religions, de même que les personnes
sans religion, sont chez eux en Europe. Les religions ont contribué
aux valeurs, aux idéaux et aux principes spirituels et moraux qui
forment le patrimoine commun de l’Europe. A cet égard, l’Assemblée
souligne l’article 1 du Statut du Conseil de l’Europe (STE no 1),
qui établit que le but du Conseil de l’Europe est de réaliser une
union plus étroite entre ses membres afin de sauvegarder et de promouvoir
les idéaux et les principes qui sont leur patrimoine commun.
5. L’Assemblée souligne sa volonté de faire en sorte que la diversité
culturelle devienne une source d’enrichissement mutuel et non de
tension, grâce à un véritable dialogue ouvert entre les cultures,
fondé sur la compréhension et le respect mutuels. L’objectif général
doit être de préserver la diversité au sein de sociétés ouvertes
et inclusives, fondées sur les droits de l’homme, la démocratie
et la prééminence du droit, en encourageant la communication et
en favorisant les compétences et les connaissances nécessaires pour mener
une coexistence pacifique et constructive dans les sociétés européennes,
entre les pays européens et entre l’Europe et ses régions voisines.
6. Les réactions à des images perçues comme négatives, relayées
par des livres, des films, des caricatures, des peintures ou l’internet,
ont récemment été à l’origine de vastes débats sur la question de
savoir si – et le cas échéant, dans quelle mesure – le respect des
croyances religieuses justifie de limiter la liberté d’expression.
Les questions relatives à la responsabilité, à l’autorégulation
et à l’autocensure des médias ont également fait débat.
7. Le blasphème a une longue histoire. L’Assemblée rappelle que
les lois punissant le blasphème et la critique des pratiques et
des dogmes religieux ont souvent eu des incidences négatives sur
le progrès scientifique et social. La situation a commencé à changer
avec le siècle des Lumières, qui a entraîné un mouvement de laïcisation.
Les sociétés démocratiques modernes sont généralement laïques et
plutôt attachées aux libertés individuelles. Le récent débat sur
les caricatures danoises a soulevé la question de ces deux perceptions.
8. Dans une société démocratique, les communautés religieuses
sont autorisées à se défendre contre les critiques et les railleries
dans le respect de la législation et des normes relatives aux droits
de l’homme. Il incombe aux Etats de favoriser l’information et l’éducation
du public dans le domaine des religions afin d’affiner ses connaissances
et son esprit critique en la matière, conformément à la Recommandation 1720 (2005) de l’Assemblée,
«Education et religion». Les Etats doivent en outre concevoir et
mettre en œuvre avec détermination des stratégies solides comportant
des mesures législatives et judiciaires appropriées, pour lutter contre
la discrimination et l’intolérance religieuses.
9. L’Assemblée rappelle également que la culture du débat critique
et de la liberté artistique possède une longue tradition en Europe
et est considérée comme un élément positif et même nécessaire au
progrès individuel et social. Seuls les systèmes totalitaires les
craignent. Le débat, la satire, l’humour et l’expression artistique
doivent donc bénéficier d’un degré élevé de liberté d’expression,
et le recours à l’exagération ne devrait pas être perçu comme une
provocation.
10. Les droits de l’homme et les libertés fondamentales sont universellement
reconnus, notamment en vertu de la Déclaration universelle des droits
de l’homme et des pactes internationaux des Nations Unies. En revanche,
ces droits ne bénéficient pas d’une mise en œuvre universellement
cohérente. L’Assemblée doit lutter contre tout abaissement de ces
normes. L’Assemblée salue l’initiative du Secrétaire général des
Nations Unies en faveur d’une alliance des civilisations visant
à lancer une action concertée au niveau des institutions et de la
société civile dans le but de mettre fin aux préjugés, aux incompréhensions
et à la polarisation. Un véritable dialogue a pour conditions préalables
le respect authentique et la connaissance d’autres cultures et sociétés.
Les valeurs telles que le respect des droits de l’homme, la démocratie,
la prééminence du droit et la responsabilité sont le produit de
la sagesse, de la conscience et du progrès collectifs de l’humanité.
L’objectif est d’identifier les racines de ces valeurs dans les
différentes cultures.
11. Lorsqu’une affaire concrète impose de mettre en balance des
droits de l’homme contre d’autres droits de l’homme, les juridictions
et législateurs nationaux disposent toujours d’une marge d’appréciation.
A cet égard, la Cour européenne des Droits de l’Homme a établi que
les possibilités d’imposer des restrictions à la liberté d’expression
sont très limitées dans le domaine du discours politique ou des
questions d’intérêt général, mais généralement plus importantes
lorsqu’il s’agit de questions susceptibles d’offenser des convictions intimes
dans le domaine de la morale ou de la religion. Ce qui est de nature
à offenser gravement des personnes d’une certaine croyance religieuse
varie considérablement dans le temps et dans l’espace.
12. L’Assemblée est d’avis que la liberté d’expression, telle
qu’elle est protégée en vertu de l’article 10 de la Convention européenne
des Droits de l’Homme, ne doit pas être davantage restreinte pour
répondre à la sensibilité croissante de certains groupes religieux.
Dans le même temps, l’Assemblée rappelle fermement que les discours
incitant à la haine à l’encontre de quelque groupe religieux que
ce soit ne sont pas compatibles avec les droits et libertés fondamentaux
garantis par la Convention européenne des Droits de l’Homme et les précédents
de la Cour européenne des Droits de l’Homme.
13. L’Assemblée invite les parlements des Etats membres à tenir
des débats sur la liberté d’expression et le respect des croyances
religieuses, et les parlementaires à rendre compte à l’Assemblée
des résultats de ces débats.
14. Elle encourage les communautés religieuses en Europe à débattre
de la liberté d’expression et du respect des croyances religieuses
au sein de chaque communauté, et à entretenir un dialogue avec d’autres communautés
religieuses afin de développer un code de conduite et une conception
commune de la tolérance religieuse, qui est nécessaire dans une
société démocratique.
15. L’Assemblée invite également les professionnels des médias
et leurs organisations à débattre de l’éthique des médias à l’égard
des croyances et des sensibilités religieuses. Elle encourage la
création, le cas échéant, d’organes de réclamation et de médiation
ou d’autres organes d’autorégulation dans le secteur des médias,
qui seraient chargés d’étudier les moyens de recours applicables
en cas d’offense à des croyances religieuses.
16. L’Assemblée encourage le dialogue interculturel et interreligieux
fondé sur les droits de l’homme universels, impliquant – sur la
base de l’égalité et du respect mutuel – la société civile ainsi
que les médias, et visant à promouvoir la tolérance, la confiance
et la compréhension mutuelle, qui sont essentielles à l’édification de
sociétés solidaires et à la consolidation de la paix et de la sécurité
au niveau international.
17. L’Assemblée encourage les organes du Conseil de l’Europe à
œuvrer activement à la prévention du discours de haine dirigé contre
différents groupes religieux ou ethniques.
18. L’Assemblée décide de revenir sur cette question sur la base
d’un rapport sur la législation relative au blasphème, aux insultes
à caractère religieux et à l’incitation à la haine à l’encontre
de personnes au motif de leur religion, après avoir fait le point
sur les différentes approches en Europe, y compris l’application
de la Convention européenne des Droits de l’Homme, les rapports
et les recommandations de la Commission européenne contre le racisme
et l’intolérance (ECRI) et de la Commission européenne pour la démocratie
par le droit (Commission de Venise), et les rapports du commissaire
aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe.