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Résolution 1535 (2007)
Menaces contre la vie et la liberté d'expression des journalistes
1. L’Assemblée parlementaire est profondément
préoccupée par le nombre d’agressions et de menaces contre la vie
et la liberté d’expression des journalistes en Europe en 2006 et
en janvier 2007. Elle condamne avec la plus grande fermeté les meurtres
de Hrant Dink en Turquie et d’Anna Politkovskaïa en Fédération de Russie,
ainsi que les violentes agressions contre Fikret Huseynli, Bahaddin
Khaziyev et Nijat Huseynov en Azerbaïdjan, Ion Robu en Moldova et
Ihor Mosiyshuck, Sergueï Yanovski et Lilia Budjurova en Ukraine.
Elle s’indigne aussi des appels au meurtre lancés récemment par
des chefs religieux iraniens contre Rafiq Tagi et Samir Sedagetoglu
en Azerbaïdjan, et contre Robert Redeker en France, ainsi que des
menaces de mort proférées contre Mubarak Asani en Bosnie-Herzégovine,
Drago Hedl et Ladislav Tomicic en Croatie, Slavica Jovanovic et
Jahja Fehratovic en Serbie, et Vassil Ivanov en Bulgarie en raison
de leur travail de journalistes. D’autres agressions contre des
journalistes se sont peut-être produites en Europe sans éveiller
l’attention du grand public. L’Assemblée déplore au plus haut point
le fait qu’en Europe des journalistes doivent travailler en craignant
pour leur vie et leur sécurité physique.
2. L’Assemblée rend hommage à tous les journalistes et à tous
les médias qui font avancer la démocratie et l’Etat de droit par
leur travail d’investigation sur des questions politiques et sociales
d’intérêt général dans le respect des normes éthiques du journalisme.
Le journalisme de haine, qui confond propagande et reportage, diffame
les individus et enflamme le débat public au lieu de l’éclairer,
est également en progression et doit être combattu.
3. La liberté d’expression et d’information dans les médias comprend
le droit d’exprimer des opinions politiques et de critiquer les
pouvoirs publics et la société, de dénoncer les erreurs des gouvernements,
la corruption et la criminalité organisée, et de mettre en cause
les pratiques et les dogmes religieux. Cette liberté, un des piliers
de toute société démocratique, est garantie par l’article 10 de
la Convention européenne des Droits de l’Homme (CEDH) (STE no 5).
Les Etats membres du Conseil de l’Europe se sont engagés à défendre les
droits de l’homme, la démocratie et l’Etat de droit; ils sont suivis
dans cette voie par l’immense majorité des citoyens européens qui
ont adhéré à ces valeurs dont l’Histoire les a parfois longuement
et souvent douloureusement privés. La démocratie est en danger si
les journalistes doivent craindre pour leur vie et leur sécurité.
La liberté d’expression est une des pierres angulaires de la démocratie
en Europe.
4. L’Assemblée estime que, pour que la démocratie soit effective,
liberté d’expression et liberté de religion doivent aller de pair.
Les agressions violentes et les menaces, auxquelles tel ou tel groupe
se livre – au nom de sa religion – contre l’expression d’une opinion
par l’écrit, la parole ou l’image, n’ont pas la moindre place dans
la démocratie européenne.
5. L’Assemblée rappelle que, selon les termes des articles 2
et 10 de la CEDH, les Etats membres ont l’obligation légale d’enquêter
sur tous les meurtres, violences physiques graves ou menaces de
mort sur la personne de journalistes. Cette obligation découle des
droits individuels du journaliste prévus par la Convention; elle
résulte aussi de la nécessité, pour toute démocratie, de permettre
aux médias de travailler sans subir d’intimidation ou de menaces
politiques. La démocratie et l’Etat de droit sont mis à mal lorsque
les journalistes peuvent être attaqués en toute impunité.
6. Les pouvoirs publics doivent faire preuve de retenue et de
mesure lorsqu’ils appliquent des restrictions juridiques à la liberté
d’expression. Les actes administratifs, tels que la délivrance d’autorisations
pour les médias électroniques ou l’octroi de subventions aux médias,
doivent être équitables et respecter l’égalité de traitement à l’égard
de tous les journalistes et des entreprises médiatiques. La liberté
de la presse est violée lorsque journalistes et médias font l’objet
d’une discrimination arbitraire ou d’ordre politique.
7. Consciente de l’importance de l’article 10 de la CEDH pour
la protection de la liberté des médias dans toute l’Europe, l’Assemblée
estime que des mesures supplémentaires sont nécessaires pour protéger concrètement
la vie et la liberté d’expression des journalistes en Europe. Les
requêtes auprès de la Cour européenne des Droits de l’Homme ne sont
possibles qu’une fois l’infraction commise et après épuisement de toutes
les voies de recours au niveau national; les jugements sont donc
rendus très longtemps après les faits.
8. L’Assemblée est sensible aux plusieurs milliers de signatures
recueillies et transmises à son Président par Reporters sans frontières
(Paris) pour demander une enquête sur le meurtre d’Anna Politkovskaïa.
Par ailleurs, elle apprécie les initiatives de l’Institut international
de la presse (Vienne), d’ARTICLE 19 (Londres), de la Fondation pour
la défense de la glasnost (Moscou), de l’Organisation des médias
du sud-est de l’Europe (SEEMO, Vienne) et d’autres organisations,
qui visent à informer le public de tous les meurtres de journalistes et
des agressions que leur vaut leur métier. Les organisations professionnelles
de journalistes et les médias peuvent soutenir leurs membres lorsqu’ils
sont menacés ou agressés en leur proposant une aide et des formations,
d’une part, et en sensibilisant les responsables politiques et le
grand public à ce problème, d’autre part. Le travail de ces organisations
professionnelles est protégé par les articles 10 et 11 de la CEDH,
qui interdisent aux autorités étatiques d’imposer des restrictions
injustifiées.
9. L’Assemblée n’a cessé de défendre la liberté des médias en
Europe. Dans ce contexte, elle rappelle qu’elle a adopté la Recommandation 1506 (2001) sur la liberté d’expression et d’information dans les
médias en Europe, la Recommandation
1589 (2003) sur la liberté d’expression dans les médias en Europe,
la Résolution 1372 (2004) et la Recommandation
1658 (2004) sur la persécution de la presse dans la République du
Bélarus, la Résolution
1438 (2005) et la Recommandation
1702 (2005) sur la liberté de la presse et les conditions de travail
des journalistes dans les zones de conflit, la Recommandation 1706 (2005) sur les médias et le terrorisme et, enfin, la Résolution 1510 (2006) sur la liberté d’expression et le respect des croyances religieuses.
10. L’Assemblée appelle les parlements nationaux:
10.1. à suivre de près l’avancement
des enquêtes criminelles de ce type et à tenir les autorités responsables
de toute absence d’enquête ou de poursuites – par exemple le Parlement
russe en ce qui concerne le meurtre d’Anna Politkovskaïa;
10.2. à abolir les lois qui imposent des restrictions disproportionnées
à la liberté d’expression et qui sont susceptibles d’être utilisées
à mauvais escient pour inciter au nationalisme extrême et à l’intolérance
– par exemple le Parlement turc en ce qui concerne l’article 301
du Code pénal turc relatif au «dénigrement de l’identité turque».
11. L’Assemblée invite tous les parlements concernés à ouvrir
des enquêtes parlementaires sur les meurtres non élucidés, les agressions
et les menaces de mort dont des journalistes ont été victimes, afin
de faire la lumière sur ces affaires et d’élaborer en urgence des
politiques efficaces visant à mieux protéger les journalistes et
leur droit de faire leur travail sans subir de menaces.
12. L’Assemblée a condamné la disparition, en 2000, et le meurtre
du journaliste ukrainien Georgiy Gongadze et a demandé aux autorités
compétentes d’enquêter sur cette affaire. Elle est préoccupée par
le manque de résultats de l’enquête et souligne le besoin d’assurer
un environnement propice à un jugement indépendant.
13. Après l’arrestation de l’assassin supposé de Hrant Dink, l’Assemblée
est unanime pour demander la suppression de l’article 301 du Code
pénal turc, en vertu duquel Dink et d’autres journalistes ont été
poursuivis. L’existence de cette disposition juridique limitant
la liberté d’expression ne fait que valider les attaques légales et
autres contre les journalistes.
14. L’Assemblée est déterminée à mettre en place un dispositif
spécifique de suivi pour identifier et analyser les attentats contre
la vie et la liberté d’expression des journalistes en Europe ainsi
que l’avancée des enquêtes des autorités judiciaires et des parlements
nationaux sur ces attentats, et invite par conséquent Reporters
sans frontières, l’Institut international de la presse, la Fédération
internationale des journalistes et d’autres organisations à lui
signaler de tels attentats. L’Assemblée considère que des organisations
et syndicats de journalistes indépendants et pleinement représentatifs
offrent une protection importante à la liberté d’expression, et
elle rejette toute idée d’agrément ou de contrôle par l’Etat quant
à l’exercice de la profession de journaliste.