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Résolution 1558 (2007)

La féminisation de la pauvreté

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 26 juin 2007 (21e séance) (voir Doc. 11276, rapport de la commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes, rapporteur: Mme Naghdalyan). Texte adopté par l’Assemblée le 26 juin 2007 (21e séance).

1. L’expression «féminisation de la pauvreté» signifie que les femmes sont plus touchées que les hommes par la pauvreté, que leur pauvreté est plus grande que celle des hommes et qu’il y a une tendance à l’accroissement de la pauvreté des femmes. La prévention et la réduction de la pauvreté des femmes, si ce n’est son éradication, sont des éléments importants du principe fondamental de solidarité sociale auquel le monde souscrit.
2. La pauvreté peut être décrite comme l’impossibilité d’une personne à satisfaire ses besoins biologiques, sociaux, spirituels et culturels minimaux. L’Assemblée parlementaire note qu’à cet égard les femmes constituent le groupe le plus vulnérable de la population. Les femmes peuvent en effet se retrouver dans des situations délicates qui les exposent particulièrement à la pauvreté, par exemple lorsqu’elles ont des grossesses précoces ou qu’elles n’ont pas de qualification professionnelle, après un divorce ou bien au moment de la retraite, quand elles assurent un travail domestique non rémunéré qui n’améliore pas leurs compétences, ni ne renforce leur situation économique et leur indépendance financière, et qui n’est pas pris en compte pour le calcul de leur retraite. En général, on peut affirmer que la contribution des femmes au développement de la famille, de la société et de l’économie est régulièrement sous-estimée et sous-payée. Pour les ménages dirigés par des femmes, le risque de pauvreté est supérieur d’un tiers à celui des autres ménages. En fait, les mères célibataires sont dans une situation identique à celle des familles nombreuses, voire pire dans de nombreux cas.
3. C’est le fondement d’un phénomène appelé «féminisation de la pauvreté», expression qui souligne la prédominance du nombre de femmes et d’enfants sur le nombre total de personnes pauvres. Cette évaluation fait référence principalement à la pauvreté matérielle (revenu et propriété). Cependant, du point de vue de la pauvreté humaine, en l’occurrence le développement des capacités ou la liberté de choix, l’inégalité entre les sexes est plus forte.
4. Bien qu’elle définisse la pauvreté comme un phénomène multidimensionnel, l’Assemblée constate que l’inégalité entre les sexes est l’un des facteurs qui en est à l’origine. Il existe quatre groupes de problèmes:
4.1. la répartition du travail selon les sexes, qui fait que les emplois à salaire élevé sont généralement réservés aux hommes, et les emplois moins rémunérés aux femmes;
4.2. l’inégalité de l’accès aux ressources et la jouissance de celles-ci;
4.3. le caractère limité du pouvoir qu’ont les femmes de défendre leurs intérêts, dû à des facteurs économiques, juridiques, sociaux, culturels et autres;
4.4. la pauvreté qui entrave la participation des femmes au processus démocratique et restreint leur accès aux droits civils.
5. L’inégalité entre les sexes est un obstacle à la réduction de la pauvreté et compromet les perspectives de développement économique et humain. L’Assemblée invite par conséquent les Etats membres du Conseil de l’Europe à considérer que l’égalité des sexes conditionne non seulement la justice sociale, mais aussi la promotion du développement.
6. Les résultats de l’étude pilote menée en 2004 dans certains pays sur l’utilisation du temps ont montré que, dans les pays en développement, les femmes consacrent plus de temps aux travaux domestiques que les hommes. De ce fait, une nette différence apparaît entre les sexes en matière de compatibilité entre emploi lucratif et vie privée. Cette différence existe aussi dans d’autres pays, y compris les pays développés, mais à une échelle plus petite.
7. Le même bilan peut être dressé pour le chômage. Dans les pays en développement, le taux de chômage des femmes est nettement supérieur à celui des hommes. Cette manifestation de l’inégalité entre les sexes face au chômage est liée à l’âge et à la situation matrimoniale. Si les chances de trouver un emploi pour les jeunes hommes et jeunes femmes célibataires sont presque identiques, les femmes de 50 à 54 ans ont plus de risques de se retrouver au chômage et sont donc plus exposées au risque de pauvreté.
8. Les enfants qui grandissent dans la pauvreté risquent également d’être sous-alimentés, donc d’avoir un mauvais développement physique, et peu instruits, ce qui réduit, là encore, leurs chances d’échapper plus tard à la pauvreté. Non seulement les enfants pauvres sont confrontés à des difficultés matérielles, mais ils sont aussi privés des chances de développer leur capital humain, ce qui rend presque inévitable la transmission de la pauvreté de génération en génération.
9. L’Assemblée attire l’attention sur les conséquences de l’extrême pauvreté, qui peuvent déboucher sur des situations pires s’agissant de violence, de prostitution et de traite des êtres humains auxquelles les femmes vulnérables sont davantage exposées.
10. L’Assemblée accorde ainsi une grande importance à l’élimination, et pas seulement à la réduction, de la pauvreté, c’est-à-dire à l’ensemble des mesures publiques passives d’aide sociale, y compris les allocations familiales et la protection sociale. Elle appelle les gouvernements des Etats membres à agir dans le sens du développement humain et de l’instauration de la justice sociale, et ainsi à identifier la nature et le rôle des politiques d’élimination de la pauvreté fondées sur les approches conceptuelles de l’éradication de la pauvreté, ainsi que sur l’établissement de priorités et de lignes directrices. Une disposition de principe devrait être énoncée dans les approches conceptuelles: l’élimination de la pauvreté devrait être considérée comme une question de développement et non de survie. L’approche susmentionnée, bien que valable pour tous les pays, est d’une importance primordiale pour les pays en développement et les pays en transition.
11. L’Assemblée pense qu’il est nécessaire d’adopter une approche d’égalité des sexes comme élément central de toutes les politiques et de tous les programmes nationaux d’élimination de la pauvreté et de lutte contre l’exclusion sociale, afin de résoudre et de prévenir les risques de pauvreté des femmes.
12. Le développement de l’emploi est, en fait, la manière la mieux acceptée socialement et la plus efficace économiquement de vaincre la pauvreté. A cet égard, les principaux problèmes relatifs à la situation économique des femmes sont notamment la discrimination envers les femmes sur le marché du travail, l’insuffisance des possibilités d’emploi des femmes et les carences de la sécurité sociale des femmes actives.
13. En conséquence, l’Assemblée invite les Etats membres du Conseil de l’Europe:
13.1. à prendre la mesure des inégalités entre les sexes sur le marché du travail formel et à en révéler les causes;
13.2. à envisager de développer des méthodes pour influencer le marché du travail (au besoin par une discrimination positive, des quotas en matière de sexe ou d’autres méthodes), qui visent l’application pratique du principe d’égalité des chances;
13.3. à observer les paramètres du marché du travail informel, y compris la dimension de l’égalité entre les sexes, dont la sous-estimation jette le doute sur le niveau de justification des projets de développement économique et social;
13.4. à promouvoir le développement d’un artisanat national, de l’industrie à domicile et des petites entreprises par une politique de prêt et de fiscalité favorable, en particulier dans les zones rurales;
13.5. à appliquer immédiatement le principe «à travail de valeur égale, salaire égal»;
13.6. à prendre les mesures nécessaires pour promouvoir la conciliation de la vie professionnelle et de la vie privée, pour permettre aux femmes qui le souhaitent de poursuivre leur carrière professionnelle ou de travailler à plein temps;
13.7. à sensibiliser les employeurs à la nécessité de prévoir une évolution de carrière pour tous les salariés, quel que soit leur sexe;
13.8. à garantir le principe de «représentation équilibrée» pour toutes les nominations dans la fonction publique, en appliquant au besoin des mesures de discrimination positive;
13.9. à aider les femmes à s’insérer ou à se réinsérer sur le marché du travail;
13.10. à offrir des formations professionnelles à tous les stades de la vie pour permettre aux femmes qui n’ont pas les qualifications adéquates d’obtenir un emploi;
13.11. à aider et à encourager les employeurs et les entreprises qui favorisent l’emploi des femmes, proposent des horaires de travail souples, donnent accès à des structures de garde des enfants, etc.;
13.12. à promouvoir la création d’un système de qualification et de formation pour les femmes entrepreneurs, à contribuer à la formation d’une image positive de l’entrepreneuriat féminin auprès du public, à apporter un financement public pour le développement de l’entrepreneuriat féminin, et à mettre en place et augmenter les prêts alloués aux femmes entrepreneurs;
13.13. à préparer des statistiques nationales en mettant l’accent sur la situation des femmes dans l’économie.
14. L’Assemblée recommande aux Etats membres du Conseil de l’Europe d’appliquer les mesures suivantes afin d’améliorer l’accompagnement social:
14.1. évaluer l’impact des redistributions sociales en fonction du sexe des bénéficiaires et procéder, le cas échéant, à un rééquilibrage des allocations;
14.2. augmenter de façon significative les allocations pour la naissance et la garde des enfants, ainsi que la durée du congé partiellement payé;
14.3. mettre en place des structures de garde d’enfants (par exemple des garderies à horaires souples) et autres services sociaux;
14.4. mettre en place un congé payé pour s’occuper des enfants malades;
14.5. intégrer les aides et services à la personne dans les programmes de services sociaux pour les personnes âgées et les personnes handicapées à domicile;
14.6. mettre en place des allocations et autres aides (par exemple un congé payé) pour la garde des personnes âgées et des autres membres valides de la famille;
14.7. intégrer dans les programmes nationaux d’élimination de la pauvreté un élément visant les enfants, qui prévoira en particulier une forte augmentation de la somme allouée aux mineurs dans le système d’allocations familiales;
14.8. établir des programmes de formation pour surmonter les situations stressantes, et mettre en place des services sociopsychologiques (par exemple des services d’assistance téléphonique) pour les femmes et pour les hommes.
15. L’Assemblée considère que le régime de vieillesse est essentiel pour la réduction de la pauvreté à la fois au niveau des familles et à celui du public au sens large, et recommande aux Etats membres:
15.1. de veiller à ce que le champ d’application et les conditions d’accès aux régimes de vieillesse permettent aux femmes d’avoir une pension de retraite suffisante, notamment en compensant les pauses dans la carrière et le travail à temps partiel liés à la garde des enfants et aux soins des personnes âgées ou dépendantes;
15.2. d’instaurer une pension minimale de retraite pour les personnes de plus de 60 ans qui n’ont pas cotisé ou ont cotisé insuffisamment pour leur permettre d’avoir un niveau de vie décent, pension à laquelle s’ajoutera un supplément de retraite lié aux revenus perçus pendant la période d’activité;
15.3. de garantir la couverture sociale des femmes qui s’occupent d’enfants ou de personnes dépendantes, ou qui ont une retraite modique;
15.4. de supprimer les sanctions et restrictions appliquées par de nombreux régimes de vieillesse aux employés qui ont eu une activité professionnelle irrégulière (changements fréquents d’emploi, changement d’activité professionnelle, mobilité géographique), ainsi que dans ce qu’on appelle les «emplois souples» (travail à temps partiel, travail temporaire ou intérimaire, travail à domicile ou télétravail);
15.5. d’introduire dans les systèmes de pension le droit à une pension en cas de perte du soutien de famille, pour les femmes divorcées et leurs enfants, ainsi que pour les femmes qui n’ont pas déclaré leur mariage; 15.6. de ne pas limiter à six ans l’accès à une assurance dans le système des pensions de retraite en cas de pause dans la carrière liée à la naissance et à la garde d’un enfant;
15.6. de transmettre le droit au cumul des retraites au conjoint par succession; le transfert de ce droit peut également se faire en convertissant les ressources accumulées des pensions individuelles des conjoints en une rente «commune».
16. L’Assemblée considère qu’une santé précaire peut être à la fois une cause et une conséquence de la pauvreté. Les personnes pauvres sont prises dans un cercle vicieux: à cause de leur pauvreté, elles n’ont pas les moyens de faire des dépenses (services médicaux, alimentation, eau potable, conditions sanitaires et d’hygiène suffisantes, conditions nécessaires pour une bonne santé) pour préserver leur santé. Cela entraîne une réduction de leur capacité à travailler et les personnes s’appauvrissent davantage encore. De ce fait, la préservation de la santé humaine est un élément important de la réduction de la pauvreté et de l’augmentation du niveau de vie, et il faudrait mener à cet égard une politique aussi volontaire qu’efficace.
17. L’Assemblée invite donc les Etats membres:
17.1. à agir séparément, en fonction de groupes «de pauvreté» et de zones géographiques, pour définir les objectifs de soins de santé de la population en les associant à des «cartes de pauvreté», et à élaborer des projets de soins de santé ciblés;
17.2. à inclure les représentants des groupes les plus vulnérables dans la formulation des services de base fournis par l’Etat, en mettant l’accent sur les maladies sociales (tuberculose, maladies infectieuses et sexuellement transmissibles), la prestation de services médicaux visant la protection de la santé maternelle et infantile, et les services ayant une importance démographique (santé génésique);
17.3. à encourager une répartition plus rationnelle du personnel médical afin d’améliorer l’accès à l’assistance médicale; en particulier, les Etats membres devraient:
17.3.1. favoriser à titre prioritaire l’installation de médecins généralistes dans les zones rurales;
17.3.2. créer des conditions plus attractives pour inciter les jeunes diplômés à travailler en zone rurale;
17.3.3. prendre des mesures plus énergiques pour prévenir les maladies sexuellement transmissibles, dont le VIH/sida, notamment des projets éducatifs destinés aux jeunes.
18. Une éducation de qualité est l’un des principaux facteurs de réduction de la pauvreté et des inégalités. Grâce à l’éducation, les femmes augmentent considérablement leurs débouchés et leur niveau de vie. L’Assemblée voit un lien direct entre le niveau d’instruction des femmes et les conditions socio-économiques dans lesquelles elles vivent, car un niveau d’instruction bas pour les futures générations est synonyme d’occasions manquées. L’Assemblée invite donc les Etats membres à promouvoir le développement des capacités des femmes par l’éducation, en raison de l’effet de boomerang de l’éducation des femmes sur les soins de santé et l’éducation des générations futures