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Recommandation 1804 (2007)
Etat, religion, laïcité et droits de l’homme
1. L’Assemblée parlementaire constate l’importance du fait religieux dans la société européenne. Cette importance relève de la présence historique de certaines religions depuis des siècles, et de leur influence dans l’histoire européenne. Aujourd’hui encore, on peut constater la multiplication de religions sur notre continent, lequel présente une réalité très plurielle des croyances et des Eglises.
2. Les religions organisées en tant que telles font partie intégrante de la société et, à cet égard, il faut les considérer comme des institutions constituées par et impliquant des citoyens qui ont le droit à la liberté de religion, mais aussi en tant qu’organisations prenant part à la société civile, avec toutes ses potentialités d’orientations éthique et civique, et ayant un rôle à jouer au sein de la communauté nationale, qu’elle soit croyante ou laïque.
3.
Le Conseil de l’Europe doit reconnaître cette réalité, et accueillir et respecter le fait religieux, dans toute sa pluralité, comme l’expression éthique, morale, idéologique et spirituelle d’une partie des citoyens européens, en tenant compte des différences entre les religions elles-mêmes et des circonstances propres à chaque pays.
4. L’Assemblée réaffirme qu’une des valeurs communes en Europe, qui transcende les différences nationales, est la séparation de l’Eglise et de l’Etat. C’est un principe généralement admis qui domine la vie politique et institutionnelle dans les pays démocratiques. Ainsi, dans sa Recommandation 1720 (2005) sur l’éducation et la religion, l’Assemblée notait que «la religion de chacun, y inclus l’option de ne pas avoir de religion, relève du domaine strictement privé».
5. L’Assemblée note que, si la Cour européenne des Droits de l’Homme protège la liberté d’expression et la liberté de religion, elle reconnaît également le droit des différents pays d’organiser, y compris par des lois, les relations entre l’Etat et la religion, conformément aux dispositions de la Convention européenne des Droits de l’Homme (STE n° 5), et constate que les Etats membres du Conseil de l’Europe présentent aujourd’hui des degrés divers de séparation entre le gouvernement et les institutions religieuses, dans le plein respect de la Convention.
6.
Au cours des vingt dernières années, la pratique religieuse a sensiblement reculé en Europe. Moins d’un Européen sur cinq fréquente un service religieux au moins une fois par semaine, alors qu’il y a vingt ans le chiffre était plus du double. Parallèlement, nous assistons à un développement des communautés musulmanes dans presque tous les Etats membres du Conseil de l’Europe.
7. En raison de la mondialisation et de l’essor rapide des nouvelles technologies de la communication et de l’information, certains groupes sont particulièrement visibles. La religion est redevenue ces dernières années un sujet central de discussion dans nos sociétés, cela ne fait aucun doute. Les catholiques, les orthodoxes, les évangélistes et les musulmans semblent être les plus actifs.
8.
L’Assemblée reconnaît l’importance du dialogue interculturel et de sa dimension religieuse, et est prête à participer à l’élaboration d’une stratégie globale du Conseil de l’Europe en la matière. Dans le respect du principe de séparation de l’Eglise et de l’Etat, elle estime cependant que le dialogue interreligieux ou interconfessionnel n’est pas du ressort des Etats ou du Conseil de l’Europe.
9. Dans sa Recommandation 1396 (1999) sur la religion et la démocratie, l’Assemblée affirmait que «plusieurs problèmes de la société moderne ont aussi une composante religieuse, tels que les mouvements fondamentalistes intolérants et les actes terroristes, le racisme et la xénophobie, les conflits ethniques». Cette affirmation garde toute son actualité.
10. La gouvernance et la religion ne devraient pas se mélanger. Cependant, la religion et la démocratie ne sont pas incompatibles, et parfois les religions jouent un rôle social très positif. En s’attaquant aux problèmes de société, les autorités civiles, avec le soutien des religions, peuvent éliminer beaucoup de ce qui cause l’extrémisme religieux, mais pas tout.
11. Les gouvernements devraient tenir compte de la capacité particulière des communautés religieuses à œuvrer en faveur de la paix, de la coopération, de la tolérance, de la solidarité, du dialogue interculturel et de l’expansion des valeurs défendues par le Conseil de l’Europe.
12. L’éducation est un élément majeur pour combattre l’ignorance, les stéréotypes et l’incompréhension des religions aussi bien que des responsables religieux, et joue un rôle central dans la construction d’une société démocratique.
13. L’école est un forum essentiel pour le dialogue interculturel et pose aussi les bases d’un comportement tolérant; elle peut lutter efficacement contre le fanatisme en enseignant aux enfants l’histoire et la philosophie des principales religions avec mesure et objectivité. Les médias et les familles peuvent aussi jouer un rôle important dans ce domaine.
14.
La connaissance des religions fait partie intégrante de celle de l’histoire des hommes et des civilisations. Elle se distingue de la croyance en une religion en particulier et de sa pratique. Même les pays où une confession est largement prédominante se doivent d’enseigner les origines de toutes les religions.
15. En Europe, diverses situations coexistent. Dans certains Etats, une religion est encore privilégiée par rapport aux autres. Des représentants religieux peuvent jouer un rôle politique, comme c’est le cas des évêques qui siègent à la Chambre des Lords au Royaume-Uni. Certains pays ont interdit le port de symboles religieux dans les établissements scolaires. Dans la législation de plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe subsistent des anachronismes liés à un passé où la religion jouait un rôle plus important dans nos sociétés.
16. La liberté de religion est protégée par l’article 9 de la Convention européenne des Droits de l’Homme et par l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Cependant, cette liberté n’est pas illimitée: une religion dont la doctrine ou la pratique irait à l’encontre des autres droits fondamentaux serait inacceptable. En tout cas, les restrictions dont elle peut faire l’objet sont «celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui» (article 9.2 de la Convention).
17. Les Etats ne peuvent pas non plus accepter la diffusion de principes religieux qui, mis en pratique, impliqueraient une violation des droits de l’homme. Si des doutes existent dans ce domaine, les Etats doivent exiger des responsables religieux une prise de position sans ambiguïté sur la primauté des droits de l’homme, tels que consignés dans la Convention européenne des Droits de l’Homme, sur tout principe religieux.
18. La liberté d’expression est l’un des droits de l’homme les plus importants. L’Assemblée l’a affirmé à plusieurs reprises. Dans sa Recommandation 1510 (2006) sur la liberté d’expression et le respect des croyances religieuses, elle déclare que «la liberté d’expression, telle qu’elle est protégée en vertu de l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, ne doit pas être davantage restreinte pour répondre à la sensibilité croissante de certains groupes religieux».
19. Tout en reconnaissant que nous devons respecter les autres et qu’il faut décourager l’insulte gratuite, il va de soi que la liberté d’expression ne peut être restreinte par déférence à certains dogmes ou convictions de l’une ou de l’autre communauté religieuse.
20.
En ce qui concerne les relations entre le Conseil de l’Europe et les communautés religieuses, certaines initiatives ont vu le jour pour promouvoir une relation plus étroite.
21. A cet égard, il faut rappeler que dans le passé, à plusieurs reprises, des responsables religieux se sont adressés à l’Assemblée, qui a accepté en contrepartie de participer aux grandes conférences organisées par les communautés religieuses. D’autre part, des dizaines d’organisations religieuses et humanistes sont déjà représentées au Conseil de l’Europe par le biais du statut participatif des organisations non gouvernementales.
22.
L’Assemblée se réjouit de la proposition du Comité des Ministres d’organiser, sur une base expérimentale, des «rencontres annuelles sur la dimension religieuse du dialogue interculturel» avec les représentants des religions traditionnellement présentes en Europe et de la société civile.
23. En conséquence, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres:
23.1. de veiller à ce que les communautés religieuses puissent exercer sans entraves le droit fondamental de la liberté de religion dans tous les Etats membres du Conseil de l’Europe, conformément à l’article 9 de la Convention européenne des Droits de l’Homme et à l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme;
23.2. d’exclure toute ingérence dans les affaires confessionnelles des religions, mais de considérer les organisations religieuses comme des acteurs de la société civile et de les appeler à jouer un rôle actif en faveur de la paix, de la coopération, de la tolérance, de la solidarité, du dialogue interculturel et de l’expansion des valeurs du Conseil de l’Europe;
23.3. de réaffirmer le principe d’indépendance du politique et du droit par rapport aux religions;
23.4. de poursuivre la réflexion sur la dimension religieuse du dialogue interculturel, notamment en organisant des rencontres avec des responsables religieux ainsi que des représentants du monde humaniste et philosophique;
23.5. d’exclure de la consultation toute formation qui ne serait pas attachée sans équivoque aux valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe – les droits de l’homme, la démocratie et l’Etat de droit;
23.6. de recenser et de diffuser des exemples de bonnes pratiques en matière de dialogue avec des responsables des communautés religieuses;
23.7. d’envisager la création d’un institut ayant pour mission d’élaborer des programmes, méthodes et matériels pédagogiques afin d’étudier le patrimoine religieux des Etats membres du Conseil de l’Europe; ces programmes doivent être élaborés en étroite collaboration avec les représentants des différentes religions traditionnellement présentes sur le continent européen.
24. De plus, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres d’encourager les Etats membres:
24.1. à promouvoir la formation initiale et continue des enseignants, en vue d’une éducation objective et pondérée sur les religions aujourd’hui et sur les religions dans l’Histoire, et à exiger une formation aux droits de l’homme pour tous les responsables religieux, notamment pour ceux qui ont un rôle éducatif en contact avec des jeunes;
24.2. à éliminer progressivement, si telle est la volonté des citoyens, des éléments de la législation susceptibles d’être discriminatoires du point de vue d’un pluralisme religieux démocratique.