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Recommandation 1835 (2008)

Développement durable et tourisme: vers une croissance qualitative

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 18 avril 2008 (18e séance) (voir Doc. 11539, rapport de la commission des questions économiques et du développement, rapporteur: M. José Mendes Bota); Doc. 11561, avis de la commission de l’environnement, de l’agriculture et des questions territoriales, rapporteur: Mme Carina Ohlsson; et Doc. 11580, avis de la commission de la culture, de la science et de l’éducation, rapporteur: M. Kent Olsson). Texte adopté par l’Assemblée le 18 avril 2008 (18e séance).

1. L’Europe attire les visiteurs depuis longtemps et reste la région la plus visitée au monde grâce à son histoire, à ses paysages, à sa culture et à ses styles de vie qui offrent une multitude de perspectives. Sept pays européens – la France, l’Espagne, l’Italie, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Autriche et la Fédération de Russie – figurent parmi les 10 premières destinations du monde en termes de fréquentation. Globalement, près de la moitié du nombre total de touristes dans le monde (478 millions) ont voyagé dans des pays européens en 2007. On s’attend à un doublement des flux touristiques en Europe dans les vingt prochaines années, la mondialisation favorisant la mobilité et rendant les voyages de plus en plus abordables. Pour l’Europe, cela représente à la fois un enjeu de développement et une chance de rester concurrentielle à long terme dans la compétition mondiale pour les gains de prospérité assurés par le tourisme.
2. Les relations interpersonnelles établies dans le cadre du tourisme et des voyages peuvent faciliter la compréhension mutuelle et la diplomatie internationale. Elles contribuent à la construction, en Europe, d’une communauté de valeurs érigée en exemple sur la scène internationale. Les pays européens, représentés par le Conseil de l’Europe, devraient mettre l’être humain et le développement durable au cœur de leurs politiques de développement, notamment en ce qui concerne le tourisme. Une vision à long terme et une approche holistique du développement sont nécessaires pour que l’Europe ouvre la voie, non seulement comme destination touristique la plus fréquentée mais aussi comme modèle de réussite.
3. Avec une croissance moyenne de 3 à 4% par an, le tourisme est devenu en Europe une activité économique majeure, qui représente 24 millions d’emplois directs, contribue à hauteur de 4% du PIB cumulé et dégage chaque année 237 milliards d’euros de recettes. Un quart de l’activité touristique est lié aux voyages d’affaires destinés à favoriser la création de richesses, les transferts de compétences et de technologies, l’esprit d’entreprise et les relations entre marchés. Ces dernières années, le développement du tourisme a été particulièrement dynamique – bien qu’irrégulier – en Europe centrale et orientale, ce qui a permis aux pays de la région de rattraper leurs voisins occidentaux sur les plans du développement économique et du niveau de vie, non sans créer des pressions socio-économiques considérables résultant du gonflement des flux de visiteurs. Il est essentiel de concentrer les efforts en vue de promouvoir le développement d’un tourisme de qualité, dans ces pays mais aussi dans toute l’Europe, afin de permettre au tourisme de contribuer de manière substantielle et durable à un développement globalement équilibré et viable tout en évitant les excès constatés dans certaines stations accueillant un tourisme de masse.
4. Les aspects quantitatif et qualitatif peuvent et doivent être conciliés au moyen d’un développement durable du tourisme fondé sur des indicateurs économiques, sociaux, environnementaux et culturels en synergie. Encourager la diversité, l’authenticité et la qualité dans le tourisme est la clé d’un succès durable. La viabilité économique, la prospérité locale, la qualité de l’emploi, l’équité sociale, la satisfaction des touristes, la maîtrise locale, le bien-être collectif, la richesse culturelle, l’intégrité physique, la biodiversité, l’utilisation efficace des ressources et la pureté environnementale sont des impératifs à prendre en compte pour façonner une vision et des stratégies de développement à long terme.
5. La prospérité du tourisme et des voyages est inconcevable sans sûreté et sans sécurité. Bien que l’Europe ait bonne réputation en la matière, elle n’est pas à l’abri des menaces. Les Etats membres du Conseil de l’Europe doivent rester vigilants et se demander comment améliorer encore la sécurité à tous les niveaux, de manière discrète et en respectant les droits de l’homme, les valeurs éthiques et l’Etat de droit. Il faut qu’ils fassent le point sur leurs systèmes d’alerte et de gestion de crise (notamment les plans d’évacuation), leur communication avec le public sur la sécurité et leurs dispositions de coopération transfrontalière. Le Conseil de l’Europe et son Assemblée parlementaire devraient également étudier plus en détail la légitimité des nouvelles exigences de sécurité concernant les liaisons transatlantiques soumises il y a peu par le Gouvernement des Etats-Unis aux Etats européens.
6. Avec les nouvelles technologies, l’évolution du comportement des consommateurs et la simplification de l’organisation des voyages, les cas de saturation des transports, du logement et des sites touristiques sont de plus en plus fréquents dans beaucoup de stations de vacances et de centres d’affaires européens, tandis que de nombreux sites périphériques ou secondaires pâtissent au contraire du manque d’intérêt des visiteurs. La saturation stresse les visiteurs, perturbe la vie locale et provoque souvent une dégradation des sites et des services touristiques. Il est urgent de mieux gérer les flux touristiques, afin d’optimiser l’utilisation des installations et des ressources dans l’espace et dans le temps.
7. Nos modes de vie, le bien-être et l’économie vont subir progressivement les conséquences du changement climatique. En Europe, ce sont les régions méridionales et septentrionales, ainsi que les zones montagneuses, insulaires et côtières, qui risquent d’être le plus gravement touchées, mais tous les pays vont devoir faire face à des dérèglements et à des épisodes climatiques extrêmes de plus en plus marqués et fréquents (canicules, sécheresses, tempêtes ou précipitations exceptionnelles, par exemple) et aux problèmes qui en découlent (incendies de forêt, inondations, conséquences sur la faune, la flore et la biodiversité, érosion côtière, dégâts matériels, maladies infectieuses, variations des niveaux d’eau et manque de ressources). En tant que secteur très sensible au climat – au même titre que l’agriculture, l’énergie, l’assurance et le transport – le tourisme doit s’adapter et contribuer à la lutte mondiale contre le changement climatique, principalement par la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le domaine du transport et du logement.
8. Dans de nombreux pays, des dispositions de la législation générale et du droit du travail garantissent aux salariés des congés payés et régissent les modalités de ces congés. Les pays d’Europe et la quasi-totalité des autres pays du monde se sont ouverts au tourisme et ont beaucoup simplifié les formalités administratives imposées aux touristes. A cause de l’écart de plus en plus grand entre les revenus, qui s’observe dans tous nos pays, près de 40 % de la population n’a plus les moyens de partir en vacances, ni dans son pays ni à l’étranger. Sont particulièrement concernés les familles, les personnes âgées, les immigrants, les jeunes et les personnes handicapées. En tenant davantage compte des aspects sociaux du tourisme, on pourrait contribuer à réduire la saisonnalité de la demande et les concentrations géographiques excessives de voyageurs, à stabiliser l’emploi tout au long de l’année et à soutenir le développement de régions défavorisées, surtout si l’on pouvait persuader plus de touristes de partir hors saison et/ou ailleurs que dans les endroits les plus fréquentés. Il convient de s’attaquer à plusieurs problèmes importants: l’accessibilité physique des destinations et sites touristiques, le caractère financièrement abordable des vacances et l’amélioration de l’information des personnes ayant des besoins particuliers sur les possibilités de voyager.
9. Le tourisme est source de richesse lorsqu’il est un phénomène équilibré, qui crée une situation gagnant-gagnant pour les visiteurs et pour leurs hôtes. Si les autorités publiques et les institutions internationales sont responsables au premier chef de l’action politique et de la mise en œuvre de politiques propices à la durabilité dans le tourisme, les autorités locales et régionales sont également responsables de la promotion de l’écotourisme dans leurs régions respectives. La contribution du secteur privé est essentielle pour obtenir des résultats sur le terrain et faire remonter des informations aux responsables politiques. Les acteurs publics et privés devraient travailler main dans la main pour définir et mettre en œuvre un système intégré de gestion de la qualité respectueux de normes de référence dans le domaine des services et produits touristiques, et pour en assurer le suivi. Si le tourisme et les associations sectorielles peuvent servir de relais d’information entre les autorités publiques et les acteurs locaux, les partenariats public-privé peuvent, quant à eux, servir à réaliser des projets pilotes, à promouvoir la responsabilité sociale des entreprises et à mettre en œuvre des programmes d’emploi équitable, de meilleurs modèles de fixation des prix, un marketing innovant des destinations touristiques et une planification des investissements compatible avec les impératifs environnementaux, culturels et sociaux.
10. Le tourisme est avant tout l’affaire d’hommes et de femmes de tous âges, ayant des intérêts et des compétences variés. Le tourisme de qualité contribue à la diversité culturelle et au dialogue interculturel. Pour offrir des services touristiques de qualité, il faut que les populations locales et les professionnels du tourisme concernés fassent preuve de dévouement et de compétence. L’hospitalité, qui se traduit par un comportement prévenant à l’égard des visiteurs, le respect des traditions et du patrimoine, et la connaissance de langues étrangères, joue un rôle de plus en plus éminent. Elle est indissociable de la durabilité, fondée sur des modes de production et de consommation responsables visant à réduire au minimum le gaspillage de ressources et la pollution, et à mettre l’accent sur la valeur plutôt que sur le volume. Ces notions devraient être enseignées tôt, à l’école. Il faudrait par ailleurs réinvestir une part équitable des retombées du tourisme dans le développement local.
11. Le développement durable du tourisme est très prometteur pour l’Europe et au-delà. Les objectifs de croissance et de viabilité ne sont pas incompatibles s’ils sont correctement menés à bien. Les problèmes de développement, qui tiennent à l’évolution des modes de vie, à la croissance économique et à la restructuration, aux tendances démographiques et à la mondialisation, appellent non seulement des réponses mesurées aux niveaux national, régional et local, mais aussi des réponses collectives, paneuropéennes. Dans ce contexte, l’Assemblée souligne l’importance d’examiner les implications de la croissance du tourisme sur le développement de l’infrastructure dans les Etats membres du Conseil de l’Europe.
12. L’Assemblée parlementaire demande donc au Comité des Ministres d’inciter les gouvernements des Etats membres du Conseil de l’Europe:
12.1. à allier la réflexion à long terme, les bonnes pratiques et un ensemble de critères économiques, sociaux, environnementaux et culturels ambitieux pour forger des politiques nationales de développement du tourisme;
12.2. à examiner la compatibilité de la législation nationale en matière de tourisme avec les principes du développement durable et avec les conventions applicables du Conseil de l’Europe dans les domaines environnemental et culturel;
12.3. à inclure le tourisme dans la mise en œuvre des engagements découlant de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques et du Protocole de Kyoto, et à contribuer à l’élaboration du nouveau train de mesures pour l’après-2012;
12.4. à soutenir la mise en œuvre de politiques internationales de codéveloppement, notamment les objectifs du Millénaire pour le développement, des accords environnementaux, le Code mondial d’éthique du tourisme de l’Organisation mondiale du tourisme, le Mécanisme de développement propre et les programmes d’aide multilatéraux et bilatéraux, afin d’aider les pays émergents à concilier leurs besoins en matière de développement et leur aspiration à amplifier le tourisme;
12.5. à promouvoir le tourisme à l’intérieur du pays et intra-européen pour tirer parti de trajets plus courts et d’un recours accru aux transports publics;
12.6. à atténuer l’impact des émissions de CO2 liées aux transports et voyages au long cours, notamment grâce au principe du pollueur-payeur et à une participation plus importante des compagnies aériennes au système d’échange de quotas d’émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne, ainsi qu’au moyen de mesures fiscales incitant à transférer de la route au rail le transport de marchandises sur les principaux axes de transit européens;
12.7. à encourager des modes responsables de consommation et de production qui limitent le plus possible le gaspillage de ressources et la pollution (en particulier pour ce qui est de l’utilisation de l’eau et de l’énergie, du recyclage, de la gestion des déchets, de la planification, etc.) et à faire connaître les solutions alternatives (recours accru aux ressources renouvelables, transports publics, construction durable, etc.) qui présentent un intérêt dans le cadre de l’offre de services touristiques;
12.8. à promouvoir le partage des connaissances et les échanges de bonnes pratiques en matière de développement durable du tourisme avec d’autres pays et régions;
12.9. à envisager de restructurer les organisations nationales de tourisme pour qu’elles travaillent sous la forme de partenariats public-privé;
12.10. à promouvoir le tourisme rural, en particulier dans les régions moins développées, par des aides – notamment de nature financière – pour inciter les habitants de ces régions à envisager de développer le tourisme comme une possible source de revenus secondaires;
12.11. à soutenir la création d’offres de logement et de voyage à caractère familial, par exemple en créant des fondations pour la promotion des vacances familiales qui, par des mesures incitatives, encouragent les prestataires de services à proposer de nouveaux services destinés à ce groupe cible;
12.12. à accélérer la mise en œuvre du Plan d’action du Conseil de l’Europe pour les personnes handicapées 2006-2015;
12.13. à encourager et à faciliter les voyages vers différentes destinations européennes de certaines catégories de population (jeunes, personnes âgées, familles, habitués et surtout personnes handicapées, qui ont des besoins spécifiques et pour qui le manque d’infrastructures appropriées peut décourager les déplacements en tant que touristes), afin d’assurer une répartition géographique et saisonnière plus harmonieuse des flux de touristes dans les régions européennes;
12.14. à effectuer à intervalles réguliers des audits de sécurité aux niveaux tant national que sectoriel;
12.15. à créer ou, le cas échéant, à désigner des points de contact nationaux multilingues chargés de la sûreté des touristes, et des centres d’appel d’urgence;
12.16. à encourager la mise en place de matériels multilingues dans les musées et d’autres lieux fréquentés par les touristes et à abandonner, là où elle existe encore, la pratique discriminatoire consistant à interdire les guides touristiques étrangers qui satisfont pourtant aux normes de qualité en vigueur dans le pays visité;
12.17. à réévaluer leurs systèmes d’alerte et de gestion de crise (notamment les plans d’évacuation), leur communication avec le public sur la sécurité et leurs dispositions de coopération transfrontalière;
12.18. à mieux exploiter les nouvelles technologies de sécurité et de défense dans la protection civile, y compris dans le secteur du tourisme;
12.19. à créer des mesures réglementaires d’incitation et à fixer des objectifs minimaux contraignants pour promouvoir une construction et une rénovation immobilières durables;
12.20. à faire en sorte qu’une part équitable des retombées directes et indirectes du tourisme soit affectée à la protection, à l’entretien et au développement approprié des ressources naturelles et culturelles;
12.21. à soutenir le développement du tourisme comme source alternative de revenus et d’emplois locaux dans les zones en voie de déclin économique et de dépeuplement, notamment en région rurale et de montagne;
12.22. à promouvoir des mécanismes de certification de la qualité pour les services et produits du tourisme;
12.23. à étudier la possibilité d’introduire les notions d’hospitalité et de développement durable dans les programmes scolaires;
12.24. à assurer la protection effective des droits du consommateur dans le secteur du tourisme.
13. L’Assemblée invite le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe:
13.1. à étudier l’impact des voyages à bas coût sur le développement local et les conditions d’emploi ainsi que ce qui en découle, en vue de rédiger, le cas échéant, des lignes directrices sur cette question;
13.2. à mener des études comparatives sur les systèmes de gestion des visiteurs et à élaborer des lignes directrices sur cette question;
13.3. à garantir une surveillance efficace, au niveau local, de la mise en œuvre de la réglementation relative à l’aménagement du territoire;
13.4. à encourager les autorités locales et régionales à promouvoir le tourisme rural dans le plein respect du développement durable.
14. L’Assemblée invite les parlements nationaux à s’assurer que leur pays dispose d’une législation visant à encadrer les investisseurs, les touristes et les autres acteurs, et à garantir une réponse gouvernementale adaptée aux problèmes de développement touristique durable.