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Résolution 1655 (2009)
Migrations et déplacements induits par les facteurs environnementaux: un défi pour le XXIe siècle
1. Les migrations
– à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières – sont l’une
des plus anciennes stratégies pour faire face à la dégradation des
conditions environnementales. L’augmentation de l’intensité et de
l’échelle géographique des changements environnementaux provoquée
ou exacerbée par le changement climatique et par l’activité humaine
a toutefois conduit de nombreux experts des milieux universitaires
et de la communauté internationale à qualifier les migrations induites
par des causes environnementales de phénomène d’un genre nouveau
et de nouveau défi pour le XXIe siècle.
2. L’Assemblée parlementaire considère que les catastrophes naturelles
et la dégradation de l’environnement seront des facteurs de plus
en plus déterminants de mobilité humaine; elles auront des incidences
sur un plan humanitaire et sur la sécurité des personnes qu’il importe
d’analyser sans plus tarder.
3. Elle note avec préoccupation les estimations drastiques prévoyant
des flux migratoires ingérables provoqués par les problèmes environnementaux.
A ce jour, plus de 30 millions de personnes sont déjà déplacées
à travers le monde en raison de l’accroissement de la désertification,
de la sécheresse, de la montée du niveau des mers, des accidents
industriels, des grands projets d’infrastructures et d’épisodes climatiques
extrêmes, et ce chiffre est en forte hausse. Il est inquiétant d’observer
que le nombre de personnes concernées est déjà supérieur à celui
des personnes contraintes de quitter leur foyer à cause de conflits
armés et de persécutions.
4. Les personnes les plus menacées sont celles qui vivent dans
les pays les moins développés, dont la capacité de prévention, d’adaptation
et de réduction des effets du changement climatique est très faible,
y compris celles qui résident dans des zones côtières basses et
dans des zones extrêmement surpeuplées. L’Europe n’est pas à l’abri
des conséquences du changement climatique ni des migrations induites
par des facteurs environnementaux.
5. Les migrations pour raisons environnementales découlent rarement
d’une seule cause. Les liens de cause à effet sont de plus en plus
complexes et multifactoriels. Un nombre croissant de personnes fuient
pour de multiples raisons: discrimination et atteintes aux droits
de l’homme, dégradation de l’environnement, rivalité pour des ressources
rares et difficultés économiques dues aux dysfonctionnements de
l’Etat. Certaines partent volontairement, d’autres parce qu’elles
n’ont pas d’autre choix; d’autres encore peuvent prendre la décision
de partir avant que la situation ne leur laisse pas d’autre choix.
Les divers effets et l’ensemble complexe de facteurs influents brouillent
les notions traditionnelles de migration et de déplacement, créant
ainsi la confusion parmi les communautés universitaires et internationales
sur la question de savoir s’il faut parler de «migration» ou de
«déplacement» dans le cas de personnes qui fuient des catastrophes
naturelles et la dégradation de l’environnement.
6. L’environnement interagit doublement avec les migrations:
des changements environnementaux soudains ou progressifs à la suite
d’une catastrophe peuvent entraîner des déplacements de population
à l’intérieur ou à l’extérieur des frontières; de plus, les «migrations
environnementales» massives ont une incidence sur l’environnement
dans les zones d’origine, de transit et de destination, notamment
lorsque d’importantes concentrations de population sont contraintes
d’aller chercher refuge dans des régions fragiles sur le plan écologique.
L’Assemblée estime qu’il est urgent de mieux faire comprendre l’effet
direct des migrations sur l’environnement des zones concernées.
7. En outre, les migrations peuvent entraîner une diversification
positive et proactive, et former une stratégie de développement
adoptée par des foyers, des individus, parfois même par des communautés entières,
pour améliorer leur qualité de vie et diminuer les risques et la
vulnérabilité. Les migrations massives peuvent néanmoins avoir des
impacts négatifs, notamment l’intensification de la crise humanitaire
et l’urbanisation rapide qui s’accompagne de l’extension des quartiers
de taudis et de la stagnation du développement.
8. Il est fondamental de noter que la migration environnementale
induite par le changement climatique est un processus mondial et
non une crise locale. Par conséquent, en plus des pouvoirs locaux
et nationaux, la communauté internationale a la responsabilité d’intervenir
en amont. Elle doit prendre des mesures appropriées de prévention,
d’adaptation et de réduction des risques pour limiter la vulnérabilité
des pays «sensibles» aux impacts des catastrophes environnementales
et pour gérer l’évolution des processus environnementaux.
9. Causés par un manque de ressources associé à une mauvaise
gestion publique et à une piètre gouvernance, les flux migratoires
de grande ampleur peuvent conduire à des situations instables et conflictuelles.
De telles situations peuvent à leur tour provoquer des flux plus
importants de réfugiés et des déplacements internes de population,
et, plus généralement, nuire à la stabilité politique mondiale et
à la sécurité humaine. L’Assemblée estime que, pour éviter des scénarios
aussi négatifs, l’Europe doit être en première ligne pour faire
face au problème croissant et partagé des migrations et des déplacements environnementaux.
10. Les groupes vulnérables tels que les femmes, les enfants,
les personnes âgées, les personnes handicapées et les populations
indigènes des pays pauvres sont exposés à des risques cumulés et
exigent une attention spéciale. Les personnes âgées quittent leur
milieu de vie habituel et elles ont peu de possibilités d’adaptation.
Les enfants sont privés de leur milieu ethnoculturel et, souvent,
de la libre communication dans leur langue maternelle, ce qui est
un élément important dans leur formation et leur perception du monde. L’Assemblée
observe notamment que, en raison des rôles et des activités traditionnellement
assignés aux femmes dans de nombreuses sociétés, les femmes sont
plus vulnérables que les hommes aux effets du changement climatique.
Elle souligne l’importance de reconnaître les impacts du changement
climatique liés au sexe dès les premiers stades de l’élaboration
des politiques.
11. On s’attend à ce que la majorité des mouvements migratoires
provoqués par le changement climatique et la dégradation de l’environnement
se produisent à l’intérieur des pays, bien que les mouvements transfrontaliers
soient plus fréquents. L’Assemblée maintient que toutes les personnes
affectées ont besoin d’une protection appropriée en matière de droits
de l’homme, sociaux et économiques, qu’elles quittent leur pays
ou non. De plus, cette protection devrait prévoir le soutien effectif
de la communauté internationale, si le soutien national est insuffisant
ou inexistant.
12. L’Assemblée s’inquiète de l’absence de consensus au sein de
la communauté internationale en matière de terminologie juridique
internationale applicable à la mobilité humaine liée à la dégradation
et aux catastrophes écologiques. La variété de termes employés de
façon interchangeable de nos jours entrave les progrès nécessaires
sur la reconnaissance et sur la protection juridique des personnes
déplacées et des «migrants environnementaux».
13. Ce qui pose problème, c’est que la notion de «migration» e
terme qui n’a pas non plus de définition universelle a est interprétée
de multiples façons. Les organisations humanitaires plaident en
faveur du maintien d’une distinction entre la migration transfrontalière
et les déplacements internes, ainsi qu’entre les mouvements volontaires
et forcés, par crainte d’une éventuelle confusion entre les catégories
existantes qu’elles sont chargées de protéger. Elles soutiennent
que la définition de «personnes déplacées à l’intérieur d’un pays»,
telle qu’énoncée dans les Principes directeurs de 1998 des Nations
Unies relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur
propre pays, inclut déjà les personnes ou groupes de personnes qui
ont été forcés ou contraints de fuir ou de quitter leur foyer ou
leur lieu de résidence habituel à la suite de catastrophes naturelles
ou causées par l’homme, ou pour les éviter.
14. De leur côté, diverses agences qui se concentrent sur des
questions plus larges de population et de développement préfèrent
parler de «migration environnementale» comme d’un concept global
qui inclut toutes les personnes qui ont été poussées à migrer principalement
pour des raisons environnementales. Elles maintiennent que la migration
inclut tant les mouvements de population internationaux et nationaux, volontaires
et forcés, que tous les mouvements intermédiaires.
15. L’Assemblée salue les efforts récemment déployés par l’informel
Comité permanent inter-agences des Nations Unies en vue d’établir
une terminologie et des notions communes. De son point de vue, il
est nécessaire de couvrir l’ensemble des catégories de mobilité
humaine pour des raisons environnementales, quelles que soient la
durée ou les possibilités de retour, tout en faisant respecter les
normes de protection universelles prescrites par les cadres normatifs
et le droit international.
16. L’Assemblée note que, tandis qu’il existe une vaste gamme
d’instruments juridiques internationaux, nationaux et régionaux
bien établis, les conventions et les normes en matière de protection
des droits des personnes contraintes au déplacement par la guerre
et les persécutions, et dans une certaine mesure par les catastrophes
naturelles ou les conflits relatifs aux ressources, le cadre de
protection existant comporte toujours une multitude de lacunes.
Les personnes que l’on estime contraintes de migrer à cause d’une
dégradation progressive de l’environnement pâtissent particulièrement
des vides juridiques en matière de protection normative et opérationnelle,
aux niveaux national et international. Qui plus est, pour les habitants
des petits Etats insulaires qui risquent d’être submergés, les mesures
de protection font cruellement défaut dans les traités sur l’apatridie
existants.
17. L’Assemblée estime que ces lacunes devraient faire l’objet
d’une analyse approfondie et met l’accent sur la nécessité de reconnaître
les instruments de protection existants (par exemple pour les personnes déplacées
pour des raisons environnementales conformément aux principes directeurs).
Elle constate, par ailleurs, qu’aucun cadre juridique ni politique
n’est défini pour couvrir l’ensemble des catégories de migrations environnementales
au sens large du terme. Elle en appelle donc aux organisations internationales
actives dans ce domaine pour qu’elles envisagent l’élaboration d’un
cadre spécifique pour la reconnaissance et la protection des migrants
environnementaux, dans une convention séparée et/ou comme composante
de traités environnementaux multilatéraux.
18. L’Assemblée encourage également les agences respectives des
Nations Unies à envisager d’étendre les principes directeurs, aux
personnes déplacées à cause d’une dégradation progressive de l’environnement, et
à établir en parallèle une synthèse similaire, sous forme de principes,
de la législation internationale existante sur les déplacements
à l’étranger.
19. Dans ce contexte, notamment en référence à sa Recommandation 1631 (2003) sur les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre
pays en Europe, l’Assemblée fait part de son soutien constant à
l’action humanitaire et aux cadres normatifs développés depuis une
dizaine d’années pour protéger les personnes auxquelles s’appliquent
les Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à
l’intérieur de leur propre pays. Dix ans après l’adoption de l’unique
texte de référence pour assister et protéger ces personnes, il semble
opportun de se demander si le moment est venu d’améliorer son impact
non seulement en s’assurant que ses principes sont prévus par les
législations nationales, mais aussi en élaborant un instrument contraignant,
comme le fait actuellement l’Union africaine.
20. L’Assemblée s’inquiète toujours du fait que pas une seule
organisation internationale ne se focalise aujourd’hui explicitement
sur ces problèmes ni sur la protection des personnes ayant dû ou
devant quitter leur lieu de résidence habituel principalement ou
exclusivement pour des raisons environnementales. Elle reconnaît
le rôle moteur que doivent jouer les agences des Nations Unies,
en particulier le Haut-Commissariat pour les réfugiés (par exemple
dans le dispositif de protection humanitaire), dans l’assistance
humanitaire et la protection des personnes qui fuient des catastrophes
environnementales.
21. En plus de l’action humanitaire, l’Assemblée encourage la
mise en place d’une structure de coordination effective qui rassemblerait
les divers organismes internationaux et acteurs concernés. A cette
fin, elle invite à la création d’une commission de coordination
pour les migrations environnementales chargée de coordonner les
travaux des organisations internationales sur les différents aspects
du problème des migrations environnementales, notamment la réduction
des risques, l’intervention humanitaire, l’adaptation et le développement.
22. L’Assemblée regrette que les migrations et les déplacements
provoqués par des catastrophes naturelles ne soient pas intégrés
dans les statistiques relatives aux catastrophes. En l’absence d’une
organisation globale responsable de la collecte ou de la compilation
des statistiques sur les déplacements non liés à des conflits, elle
exhorte la communauté humanitaire internationale et tous les pays
victimes de catastrophes naturelles à inclure – dans la mesure du
possible – les migrants déplacés à l’intérieur et à l’extérieur
des frontières dans les statistiques relatives aux catastrophes.
23. Les politiques d’adaptation axées sur la protection de la
santé et des moyens de subsistance des populations des pays en voie
de développement sont essentielles pour faire face aux conséquences inévitables
du changement climatique. Il importe d’accélérer et de soutenir
ces politiques par le biais de l’aide internationale au développement.
24. A la lumière de ce qui précède, l’Assemblée invite les Etats
membres:
24.1. à favoriser l’adoption
d’une définition claire et concrète, qui couvre toutes les formes
de mouvements, volontaires ou forcés, et inclut l’ensemble des catégories
de mobilité humaine pour des raisons environnementales, applicable
par les institutions nationales et par les organisations humanitaires
chargées d’aider et d’apporter une protection effective aux personnes
concernées; une telle définition devrait être conforme aux normes
internationales et régionales, et reconnaître les droits et les
besoins de protection différents des personnes touchées;
24.2. à prendre des mesures appropriées pour réduire la vulnérabilité
des pays en voie de développement aux effets des catastrophes environnementales
et à poursuivre l’évolution des processus environnementaux;
24.3. à entreprendre une étude d’ensemble, y compris la collecte
de données brutes, et à élaborer des politiques pour évaluer l’interaction
complexe entre changements environnementaux, migrations, déplacements
et conflits;
24.4. à contribuer, par une participation active aux travaux
des organisations internationales concernées, à l’examen des vides
juridiques et d’autres mécanismes de protection en vue de l’élaboration
éventuelle d’une nouvelle convention internationale garantissant
la protection des personnes déplacées en raison d’une dégradation
environnementale et de catastrophes naturelles ou causées par l’homme,
lorsque leur retour est impossible;
24.5. à anticiper les travaux au niveau international par l’élaboration
d’une législation nationale qui reconnaîtrait les migrants environnementaux
et leurs besoins en matière de protection non seulement par le principe
de non-refoulement en fonction des articles 2 et 3 de la Convention
européenne des droits de l’homme (STE no 5),
mais aussi par une protection subsidiaire, par exemple par l’octroi
d’un statut de résidence temporaire pour des motifs humanitaires
ou d’un statut permanent en cas d’impossibilité de retour;
24.6. à promouvoir une recherche pluridisciplinaire dans des
domaines tels que la science du climat, la géographie, les migrations,
le développement et l’énergie, les catastrophes, l’environnement,
la cohésion sociale et la santé, afin d’améliorer la compréhension
et la reconnaissance des liens qui existent entre déplacements de
population et facteurs environnementaux;
24.7. à promouvoir la cohérence aux niveaux national et international
entre les politiques des migrations, du développement et humanitaires,
et les politiques d’adaptation aux changements climatiques, notamment
en soutenant l’inclusion des conséquences des changements climatiques
sur les migrations et les déplacements à l’accord de la Convention-cadre
des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) pour
la succession du Protocole de Kyoto;
24.8. à intégrer une perspective de genre dans l’élaboration
des politiques nationales et internationales, et des cadres de protection
sur les migrations environnementales.
25. L’Assemblée demande en outre à l’Union européenne de tenir
compte des points ci-dessus lors de l’élaboration de sa stratégie
globale en matière d’immigration. Cette stratégie est nécessaire
aux niveaux européen, régional, national et local. Elle devrait
améliorer l’anticipation et la gestion des risques, et la politique d’intervention
lors de catastrophes, offrir une protection adéquate aux victimes
de perturbations climatiques et environnementales, et fournir des
instruments d’indemnisation et de réinstallation. Elle devrait aussi
favoriser la prise de conscience des populations et des autorités
concernées.
26. En particulier, l’Assemblée encourage l’Union européenne à
faire usage de la procédure de révision que prévoit le Plan d’action
en matière d’asile afin de mieux traiter l’écart qui existe en matière
de protection en ce qui concerne les déplacements pour des raisons
environnementales à l’extérieur des frontières. Il convient d’étudier
plus attentivement la législation et la jurisprudence finlandaises
et suédoises pour voir si elles pourraient servir d’exemples de
bonne pratique, voire de modèle, pour un nouvel alinéa, reconnaissant
ainsi explicitement les personnes déplacées pour des raisons environnementales
à l’extérieur des frontières en Europe.
27. L’Assemblée demande également à l’Union européenne de mettre
en place un système approprié de financement, au niveau européen,
en vue de soutenir des stratégies de prévention et d’adaptation,
des projets de développement et de gestion des migrations ainsi
qu’une réaction humanitaire renforcée.
28. L’Assemblée est convaincue que le moment est venu de faire
face à la dangereuse dégradation de l’environnement, notamment aux
changements climatiques. L’action doit être prompte et coordonnée:
les responsables politiques, la communauté scientifique, la société
civile et d’autres acteurs – aux niveaux national et international
– doivent chercher des solutions communes pour les personnes contraintes
d’émigrer ou qui risquent de l’être, à la recherche d’une existence
sûre et durable.