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Recommandation 1880 (2009)

L’enseignement de l’histoire dans les zones de conflit et de post-conflit

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 26 juin 2009 (26e séance) (voir Doc. 11919, rapport de la commission de la culture, de la science et de l’éducation, rapporteur: Mme Keaveney). Texte adopté par l’Assemblée le 26 juin 2009 (26e séance).

1. L’Assemblée parlementaire rappelle sa Recommandation 1283 (1996) relative à l’histoire et à l’apprentissage de l’histoire en Europe, et réaffirme que «l’histoire a aussi un rôle politique clé à jouer dans l’Europe d’aujourd’hui. Elle peut favoriser la compréhension, la tolérance et la confiance entre les individus et entre les peuples d’Europe. Elle peut aussi devenir une force de division, de violence et d’intolérance». Par conséquent, l’enseignement de l’histoire peut être un instrument pour soutenir la paix et la réconciliation dans les zones de conflit et de postconflit ainsi que la tolérance et la compréhension pour faire face à des phénomènes tels que les migrations, l’immigration et l’évolution démographique.
2. La résolution et la prévention des conflits s’effectuent au niveau politique, de la recherche de la paix à sa consolidation, puis à son maintien. L’enseignement de l’histoire est un processus au cours duquel les enseignants sont consultés, formés, spécialisés, soutenus, informés, encouragés et protégés dans la mise en œuvre de nouvelles approches des questions controversées et sensibles. Il convient de tenir compte de ces deux éléments si l’on veut que le processus politique soit efficace sur le long terme pour les générations à venir. L’Assemblée salue par conséquent les travaux menés par le Conseil de l’Europe et d’autres organisations dans des endroits comme la Bosnie-Herzégovine, Chypre et la région de la mer Noire, et elle apporte son soutien aux gouvernements dans leur lutte pour la tolérance et la compréhension mutuelles.
3. Le contenu de l’enseignement de l’histoire, la manière dont elle est enseignée et le moment où les sujets controversés peuvent être abordés sont des questions qui dépendent du développement de nouvelles compétences et du renforcement de la confiance à la fois du corps enseignant et des élèves. Ce processus doit être soutenu par de nouvelles attitudes et mesures politiques concernant le rôle de l’histoire dans la réconciliation des différences et la promotion de la tolérance.
4. Traditionnellement, l’histoire était enseignée selon une seule interprétation des événements qui incarnait «la vérité», ce qui était avantageux sur le plan politique. Il est à présent internationalement accepté qu’il peut exister plusieurs visions et plusieurs interprétations de l’histoire, fondées sur des faits. On reconnaît également la validité d’une approche aux perspectives multiples, qui aide et encourage les élèves à respecter la diversité et la différence culturelles, dans le contexte d’une mondialisation croissante, au lieu d’un enseignement susceptible de renforcer les aspects plus négatifs du nationalisme.
5. L’Assemblée salue l’action du Conseil de l’Europe dans des pays qui sortent d’une situation de conflit pour soutenir le changement dans la manière dont «l’autre» est présenté dans les cours d’histoire. Il intervient dans les questions relatives au contenu de l’enseignement de l’histoire et à la manière dont elle est enseignée. Il faut continuer d’investir considérablement dans le développement des compétences des enseignants, actuels et futurs, pour les encourager à adopter un programme d’un nouveau style et de nouvelles façons d’enseigner. Ce processus étant évolutif, il a des retombées sur les formations initiale et continue des enseignants.
6. La révision récente des programmes dans certains pays en situation de postconflit a abouti à une réduction des contenus. Même si cette réduction optimise le développement des compétences et incite les élèves à évaluer et à explorer de façon plus approfondie les thèmes eux-mêmes, elle doit accroître, et non diminuer, l’importance accordée aux questions intercommunautaires et interrégionales dans les programmes.
7. Les enseignants, les futurs enseignants et les étudiants qui souhaitent favoriser ce processus de changement sont des ressources essentielles dans ce domaine. Les enseignants devraient jouer un rôle de premier plan dans l’élaboration des contenus et la conception des matériels pédagogiques, afin qu’ils soient adaptés à l’âge des élèves et suscitent leur intérêt.
8. L’enseignement fondé sur la multiplicité des perspectives s’appuie sur la disponibilité des matériaux primaires et secondaires, et suppose une pédagogie interactive. Les études et les travaux fondés sur des projets, les débats en classe, les visites de musées, l’utilisation accrue des sources d’information primaires et l’intervention d’invités pour éveiller l’intérêt des élèves pour l’histoire moderne sont des pratiques qui donnent leurs meilleurs résultats dans des classes aux effectifs réduits. Les politiques éducatives doivent prendre en compte ce changement de mode d’enseignement.
9. L’amélioration de la communication entre les élèves et les enseignants issus de cultures et de milieux différents offre de nouvelles possibilités pour la mise en œuvre de projets d’histoire faisant intervenir plusieurs pays. De nouvelles perspectives s’ouvrent quand les élèves s’aident mutuellement à «résoudre» leurs problèmes, les «personnes extérieures» envisageant souvent les situations d’une autre manière que celles qui sont touchées de plus près par le problème.
10. Des activités transfrontalières et intercommunautaires sont organisées dans certaines localités. La Recommandation 1283 (1996) de l’Assemblée demandait aux gouvernements d’assurer un financement continu et suffisant de la recherche en matière d’histoire, en particulier des travaux des commissions multilatérales et bilatérales sur l’histoire contemporaine. Il incombe aux responsables politiques de renforcer ces possibilités et d’encourager les bénéficiaires à s’associer pour avancer dans cette direction sans crainte de représailles, d’où qu’elles puissent venir. Ces activités doivent concerner à la fois les enseignants et les élèves. Elles devraient pouvoir s’inscrire sur le long terme, en visant à obtenir des résultats tangibles, car la confiance s’établit avec le temps.
11. L’enseignement de l’histoire doit tenir compte de la situation internationale qui prévalait au cours de la période étudiée, et replacer les événements dans ce contexte. En effet, les événements étudiés isolément ne rendent pas pleinement compte du contexte et par conséquent n’en donnent pas toujours une représentation exacte ou complète. Toutefois, les références à l’histoire locale peuvent avoir une résonance particulière pour les jeunes et éveiller leur intérêt. De nombreux aspects de la vie locale peuvent ainsi être reliés à des circonstances ou événements plus importants.
12. L’éducation à la compréhension mutuelle et le patrimoine culturel doivent être au cœur des politiques éducatives, comme c’est le cas dans le nord de l’Irlande. Les services de soutien à l’enseignement de l’histoire devraient aider les enseignants à coordonner les sujets interdisciplinaires lors de journées spéciales de planification. Ces services devraient mettre en place, au niveau international, un mécanisme pour la mise en commun des notions et des pratiques.
13. Le recours à un humour bienveillant pour éveiller l’intérêt des élèves à l’égard de certains aspects de l’histoire est une bonne façon de capter leur attention, aussi efficace que la projection de films ou l’utilisation d’autres technologies. Quand nous serons capables de rire aussi bien de nous-mêmes que des autres, nous aurons progressé sur le chemin de la paix et de la réconciliation.
14. L’enseignement de l’histoire fondé sur la multiplicité des perspectives permettra aux élèves d’acquérir des compétences analytiques (ainsi que des connaissances sur le sujet) qui les aideront à développer leur esprit critique. Il s’agit donc d’une discipline susceptible de contribuer de façon cruciale au développement de l’enfant en cette époque de dynamiques changeantes et, si elle obtient un soutien suffisant, de former des employeurs et des travailleurs potentiels pour les pays qui ont le plus besoin de relancer leur économie à la suite d’un conflit.
15. D’après la Recommandation 1283 (1996), tout individu a le droit de connaître son passé, et de l’accepter ou de le rejeter ensuite. Le droit des élèves à pouvoir examiner de manière critique à la fois ce qu’ils voient et ce qu’ils entendent autour d’eux dans les divers médias, par le biais des supports pédagogiques, n’est devenu fondamental qu’avec le temps et le développement des nouvelles technologies. Comprendre la complexité des situations peut les aider à apprécier la diversité et à reconnaître de manière objective les fausses représentations induites par les stéréotypes.
16. L’Assemblée reconnaît que la révision du contenu des programmes a mis en avant la nécessité de contrebalancer les événements controversés, sensibles et tragiques par des sujets plus positifs et inclusifs qui ne soient pas exclusivement de nature politique et dont la portée dépasse les frontières nationales. Il convient d’approuver et d’encourager cette évolution qui vise à inclure dans les programmes des éléments culturels, philosophiques et économiques, et à prendre en compte le rôle joué par les femmes et les minorités.
17. L’Assemblée attire l’attention du Comité des Ministres sur de récents travaux qui soulignent la nécessité de donner la priorité aux écoles situées aux carrefours de conflits, qu’il s’agisse de mesures pour renforcer la confiance à la fois des enseignants et des élèves, pour mettre à disposition des sources d’information primaires et secondaires, et des accès à internet, ou pour organiser des échanges scolaires. Sortir d’un conflit est une épreuve longue et personnelle, que doivent relever chaque enseignant, chaque élève, chaque établissement scolaire et chaque communauté.
18. La diffusion de l’information s’est accélérée avec la mondialisation de diverses formes de supports qui transmettent tous de manière instantanée des informations sur l’actualité ou «l’histoire». Dans chaque Etat membre le système éducatif devrait encourager les élèves à développer des compétences analytiques pour étudier les médias de manière critique et les aider à comprendre ainsi que des messages peuvent être transmis sous une forme explicite ou subliminale.
19. Les personnalités influentes d’horizons divers et en particulier les responsables religieux peuvent avoir un rôle à jouer au sein des communautés qui se dirigent vers la paix ou sortent des conflits en créant un climat favorable ou défavorable à ce processus. Une orientation positive transconfessionnelle envoie un signal fort à ceux qui cherchent à inclure «l’image de l’autre» pour la première fois dans l’enseignement. L’Assemblée salue le rôle positif qu’ont joué les responsables religieux et les personnalités influentes dans certains pays, et invite tous les responsables religieux à adopter de nouvelles initiatives en faveur de la coexistence pacifique des citoyens d’aujourd’hui et de demain, et à soutenir ainsi la prise de nouvelles initiatives à l’école.
20. L’Assemblée invite tous les Etats signataires de la Convention culturelle européenne (STE no 18):
20.1. à veiller à mettre en place les technologies et les moyens nécessaires pour favoriser les interactions des enseignants et des élèves au sein des Etats et entre les Etats, y compris en termes d’accès des minorités à des sources d’information et à des ressources écrites dans leur propre langue;
20.2. à financer de manière suffisante et continue les travaux de recherche sur l’histoire, en particulier ceux des commissions multilatérales et bilatérales sur l’histoire contemporaine;
20.3. à axer l’étude de l’histoire plus sur les éléments socio-économiques, culturels, artistiques et patrimoniaux, et moins sur ses aspects politiques;
20.4. à mettre en œuvre un projet sur dix ans, encourageant les élèves des écoles primaires à tenir un journal dans lequel ils consigneraient leurs réactions face à l’actualité; ces récits pourraient ensuite être examinés et échangés avec d’autres Etats membres à la fin du projet;
20.5. à veiller à ce que les programmes de formation des enseignants comportent deux éléments distincts et équilibrés: le développement de l’expertise dans le domaine de la matière enseignée («quoi enseigner?») et le renforcement des compétences pour susciter l’intérêt des élèves pour la discipline («comment enseigner?»);
20.6. à affronter là où il existerait le problème des résistances aux changements «curriculaires» ou pédagogiques motivées en profondeur par des raisons politiques;
20.7. à effectuer régulièrement des recherches sur ce que pensent les enseignants et les élèves des nouveaux concepts, enjeux et approches de l’histoire, qu’il s’agisse de l’étendue des programmes, de leur contenu, de leur pertinence, de leur transmission ou de la manière dont ils sont examinés;
20.8. à faciliter la tâche des enseignants en ce qui concerne le calendrier du programme, pour leur permettre de diffuser de nouvelles idées en dehors de la salle de classe et les encourager à essayer de nouvelles pratiques;
20.9. à réduire, dans la mesure du possible, les effectifs des classes;
20.10. à encourager les enseignants à adhérer à des associations d’enseignants d’histoire et à participer à des manifestations telles que celles organisées par EUROCLIO (Conférence permanente européenne des associations de professeurs d’histoire) afin de développer leur confiance en eux, leur expérience et leurs compétences;
20.11. à encourager les enseignants à tirer parti des possibilités de développement personnel pour se tenir au courant des pratiques et des priorités ayant cours à l’étranger et inversement;
20.12. à envisager de mettre en place un système de récompense dans la structure de la grille des salaires afin d’encourager tous les secteurs de l’enseignement de l’histoire à participer activement au recensement continu de nouvelles méthodes pédagogiques, émanant aussi bien de la hiérarchie du système éducatif que de sa base;
20.13. à donner à tous les établissements scolaires la capacité d’accéder à des sources d’informations primaires et secondaires, y compris à l’internet à large bande.
21. L’Assemblée demande la pleine mise en œuvre du Livre blanc sur le dialogue interculturel «Vivre ensemble dans l’égale dignité» (lancé en mai 2008), pour faciliter l’élaboration de directives pour les enseignants sur les questions relatives à la tolérance et au dialogue interculturel.
22. L’Assemblée recommande au Comité des Ministres:
22.1. de continuer de soutenir les travaux du Conseil de l’Europe, en coopération avec d’autres institutions, comme l’Institut Georg-Eckert de recherche internationale sur les manuels scolaires, dans les zones de conflit et de postconflit, sur la révision et la conception des manuels scolaires et des manuels pour enseignants, sur l’organisation de séminaires d’enseignants et l’identification des documents sources;
22.2. de mener des recherches sur les bonnes pratiques et les faire connaître aux pays qui ont connu des conflits dans le passé, et d’aider tous ceux qui participent à un tel processus, quel que soit le stade où ils se trouvent;
22.3. de continuer de soutenir la mise en œuvre du projet du Conseil de l’Europe: «L’image de l’autre dans l’enseignement de l’histoire»;
22.4. de renforcer la coopération avec l’Union européenne dans le cadre des programmes et projets conjoints relatifs à l’enseignement de l’histoire, et d’utiliser le mieux possible, le cas échéant, les fonds de l’Union européenne.