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Résolution 1704 (2010) Version finale
Liberté de religion et autres droits de l’homme des minorités non musulmanes en Turquie et de la minorité musulmane en Thrace (Grèce orientale)
1. Le Conseil de l’Europe a la vocation
de promouvoir la tolérance mutuelle afin de contribuer à la coexistence
pacifique des religions. Il a déjà souligné que les croyances et
les traditions religieuses sont une dimension à part entière de
la culture, et a reconnu que la connaissance des religions joue
un rôle important dans le cadre de la compréhension et du respect
mutuels.
2. Le dialogue interculturel, y compris dans sa dimension interreligieuse,
est un moyen pour que la diversité des cultures européennes devienne
une source d’enrichissement mutuel. «L’existence, dans [un] pays,
de groupes minoritaires, qu’ils soient “nationaux”, “religieux”
ou “linguistiques”, devrait être considérée non pas comme un important
facteur de division, mais comme un important facteur d’enrichissement
de la société» a récemment rappelé le Commissaire aux droits de
l’homme du Conseil de l’Europe.
3. Le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sont les
pierres angulaires de la diversité culturelle et religieuse. Ils
doivent être accompagnés de mesures proactives, notamment de la
part des gouvernements et des acteurs de la société civile des Etats
membres.
4. L’Assemblée parlementaire est consciente que la question des
minorités religieuses en Grèce et en Turquie – en raison du poids
de l’Histoire – est empreinte d’une charge émotionnelle très grande.
Elle constate que la teneur des relations bilatérales entre la Grèce
et la Turquie au cours du XXe siècle a largement déterminé le traitement
de leurs minorités respectives.
5. L’Assemblée insiste sur le fait que les membres des minorités
religieuses concernées sont, dans les deux cas, des citoyens des
pays dans lesquels ils résident. Pour des raisons historiques, il
est régulièrement fait appel de part et d’autre au principe de réciprocité.
Alors que les «Etats-parents» que sont la Grèce et la Turquie peuvent
considérer avoir des responsabilités envers les membres des minorités
religieuses dans le pays voisin, ce sont bien en premier lieu les
pays où vivent les minorités qui sont responsables pour leurs propres
citoyens, y compris les membres des minorités religieuses respectives.
6. L’Assemblée souligne que la Cour européenne des droits de
l’homme a affirmé, dans l’arrêt Apostolidi et
autres c. Turquie, que la Convention européenne des droits
de l’homme (STE no 5) déborde le cadre
de la simple réciprocité entre Etats contractants.
7. Pourtant, se fondant sur l’article 45 du Traité de Lausanne
et évoquant la «réciprocité» en l’interprétant en termes négatifs,
la Grèce comme la Turquie ont, parfois, remis en cause plusieurs
des droits de leurs citoyens membres des minorités protégées par
ce traité.
8. L’Assemblée considère que le recours récurrent de ces deux
Etats au principe de réciprocité pour refuser la mise en œuvre des
droits garantis aux minorités concernées par le Traité de Lausanne
est anachronique et pourrait compromettre la cohésion nationale
de chacun des pays en ce début de XXIe siècle.
9. L’Assemblée invite la Grèce et la Turquie à traiter tous leurs
citoyens sans discrimination, sans prendre en compte la façon dont
l’Etat voisin pourrait traiter ses propres citoyens. Elle les appelle
également à mettre pleinement en œuvre les principes généraux en
matière de droits des minorités nationales développés dans la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l’homme, qui s’appliquent indépendamment
de la ratification, ou non, de la Convention-cadre pour la protection
des minorités nationales (STE no 157)
et de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires
(STE no 148).
10. D’une manière générale, l’Assemblée partage entièrement la
position du Commissaire aux droits de l’homme selon laquelle «le
droit à l’auto-identification ethnique constitue un principe majeur
sur lequel devrait se fonder toute société démocratique pluraliste
et (…) devrait être effectivement appliqué à toutes les minorités,
qu’elles soient nationales, religieuses ou linguistiques», dont
l’expression doit être compatible avec l’unité nationale.
11. L’Assemblée partage la préoccupation du Commissaire en ce
qui concerne la possibilité pour les groupes minoritaires de manifester
leur diversité et leur existence.
12. L’Assemblée constate que la Grèce comme la Turquie ont témoigné
récemment d’une plus grande compréhension des spécificités inhérentes
aux minorités qui font l’objet de cette résolution. L’Assemblée
se félicite d’une certaine prise de conscience de la part des autorités
des deux pays, qui ont apporté des témoignages de leur engagement
afin de trouver des réponses appropriées aux difficultés auxquelles
doivent faire face les membres de ces minorités.
13. Des démarches ont été entreprises de part et d’autre de la
frontière en vue d’améliorer la situation de ces minorités. L’Assemblée
salue également de récents événements, notamment la visite historique
du Premier ministre grec en Turquie, en janvier 2008, et sa rencontre
avec son homologue turc – expression d’une volonté constructive
et de respect mutuel.
14. Cependant, des questions restent en suspens et nécessitent
que les deux Etats poursuivent leurs efforts, efforts qui ne sauront
aboutir sans un dialogue ouvert et constructif avec les membres
des minorités concernées.
15. L’Assemblée encourage les autorités des deux pays à mettre
en œuvre tout ce qui est possible afin de modifier la perception
vis-à-vis des membres de ces minorités, qui sont parfois regardés
comme des étrangers dans leur propre pays. Il est d’une importance
capitale que tant les membres de la majorité que les membres des
minorités comprennent et ressentent que ces derniers sont des citoyens
à part entière de leur pays de résidence.
16. L’Assemblée encourage par ailleurs les deux pays à signer
et/ou ratifier la Convention-cadre pour la protection des minorités
nationales. La ratification de la Charte européenne des langues
régionales ou minoritaires serait aussi un signe de compréhension
et d’acceptation des spécificités culturelles.
17. La Grèce et la Turquie doivent également prendre toute la
mesure de l’enjeu que représente l’éducation des membres des minorités.
Les gouvernements doivent s’assurer que le niveau d’enseignement
dans les écoles des minorités est de qualité et permet une intégration
pleine et entière des enfants issus des minorités au sein de la
communauté nationale, tout en préservant leur identité culturelle.
18. En ce qui concerne spécifiquement la Grèce, l’Assemblée demande
instamment aux autorités grecques:
18.1. d’apporter le soutien approprié aux écoles des minorités
afin qu’elles soient en mesure d’assurer un enseignement de qualité;
notamment à travers la mise en circulation, attendue de longue date,
de certains livres scolaires pour les écoles des minorités qui ont
été remis à jour en 1997 dans le cadre d’un projet financé par l’Union
européenne, en envisageant la possibilité de créer de nouvelles
écoles d’enseignement supérieur pour les minorités;
18.2. de garantir que l’Académie pédagogique spéciale de Thessalonique
(EPATH) dispense un enseignement de qualité, à la fois en langue
grecque et en langue turque, afin d’assurer une formation adéquate
aux futurs instituteurs des écoles de la minorité musulmane de Thrace;
18.3. de soutenir durablement – y compris financièrement – les
initiatives visant une meilleure compréhension entre les membres
de la minorité musulmane et la majorité, et un meilleur apprentissage de
la langue grecque par les membres de cette minorité, et notamment
le programme «Education des enfants musulmans», l’éducation étant
un facteur d’intégration et de compréhension;
18.4. de mettre pleinement en œuvre la loi no 3647
de février 2008, dont les dispositions devraient être en mesure
de régler, pour une partie substantielle, les problèmes – en souffrance
depuis plusieurs décennies – liés au statut juridique des vafks (fondations de la minorité
musulmane);
18.5. de permettre à la minorité musulmane de choisir librement
ses muftis en tant que simples chefs religieux (c’est-à-dire sans
prérogatives judiciaires), par élection ou par nomination, et ainsi
d’abolir l’application de la charia – laquelle soulève de sérieuses
questions de compatibilité avec la Convention européenne des droits
de l’homme – ainsi que l’a préconisé le Commissaire aux droits de
l’homme;
18.6. de veiller à ce qu’il n’y ait pas de tentative visant
à imposer une identité à une personne ou à un groupe de personnes,
même par des représentants d’autres groupes au sein de la minorité
concernée, dans le respect de l’esprit de l’article 3 de la Convention-cadre
pour la protection des minorités nationales;
18.7. de poursuivre le développement économique et en matière
d’infrastructures de la Thrace, par exemple en explorant la possibilité
de faire usage des programmes de l’Union européenne en mettant en
place des zones de revitalisation rurale ou des zones franches dans
cette région;
18.8. de régler le plus rapidement possible les cas des personnes
encore affectées par le retrait de leur nationalité grecque en vertu
de l’article 19 (aujourd’hui abrogé) du Code de la nationalité,
y compris le cas des personnes devenues apatrides en application
dudit article, bien qu’elles ne résident plus en Grèce;
18.9. de mettre pleinement en œuvre les arrêts de la Cour européenne
des droits de l’homme concernant la liberté de religion et d’association,
notamment eu égard à la dénomination des associations, et d’autoriser
ces dernières à utiliser le qualificatif «turc» dans leur nom si
elles le souhaitent;
18.10. de mettre pleinement et rapidement en œuvre la législation
de 2008 prévoyant des quotas pour l’accès des membres de la minorité
musulmane à la fonction publique;
18.11. d’encourager le développement par les médias d’un code
de déontologie en matière de respect pour les minorités religieuses,
compte tenu du rôle fondamental qu’ils peuvent jouer dans la perception de
ces minorités par la majorité, et de sanctionner tout appel à la
haine relayé dans les médias, conformément aux principes énoncés
dans la Recommandation no R (97) 20 du
Comité des Ministres aux Etats membres sur le «discours de haine»;
18.12. d’organiser une campagne nationale contre le racisme et
l’intolérance, en insistant sur le fait que la diversité doit être
perçue non comme une menace mais comme une source d’enrichissement.
19. En ce qui concerne spécifiquement la Turquie, l’Assemblée
demande instamment aux autorités turques:
19.1. d’apporter des solutions constructives concernant la formation
du clergé des minorités religieuses et l’octroi de permis de travail
aux membres du clergé étrangers;
19.2. de reconnaître la personnalité juridique du patriarcat
orthodoxe œcuménique d’Istanbul, du patriarcat arménien d’Istanbul,
de l’archevêché catholique arménien d’Istanbul, de la communauté orthodoxe
bulgare au sein des structures du patriarcat orthodoxe œcuménique,
du grand rabbinat et du vicariat apostolique d’Istanbul. L’absence
de personnalité juridique qui touche toutes les communautés a des
conséquences directes en termes de droit à la propriété et de gestion
des biens;
19.3. de trouver une solution concertée avec les représentants
de la minorité, en vue de la réouverture de l’école théologique
grecque orthodoxe de Heybeliada (séminaire de Halki), notamment
en officialisant par écrit la proposition de rouvrir le séminaire
en tant que département de la faculté de théologie de l’université
de Galatasaray, afin d’initier de réelles négociations sur cette
proposition;
19.4. de laisser le libre choix au patriarcat orthodoxe œcuménique
d’Istanbul d’utiliser le qualificatif «œcuménique»;
19.5. de régler la question de l’enregistrement des lieux de
culte et la question des propriétés mazbut confisquées
depuis 1974, qui doivent être rendues à leurs propriétaires ou à
leurs ayants droit ou, lorsque la restitution des biens s’avère
impossible, de prévoir leur indemnisation équitable;
19.6. de veiller à ce que le monastère syriaque orthodoxe de
Mor Gabriel, l’un des plus anciens monastères chrétiens du monde,
fondé en 397 après Jésus-Christ, ne soit pas dépossédé de ses terres et
à ce qu’il soit protégé dans son intégralité. L’Assemblée est également
préoccupée par la situation actuelle concernant l’appropriation
illégale de nombreux terrains appartenant historiquement et juridiquement
à une multitude d’autres monastères syriaques anciens, églises et
propriétaires dans le sud-est de la Turquie;
19.7. de reconnaître, promouvoir et protéger la population syriaque
en tant que minorité, autochtone de la Turquie du Sud-Est, conformément
au Traité de Lausanne et aux conventions internationales connexes
qui garantissent leurs droits fondamentaux et leur dignité; cela
impliquera, mais sans s’y limiter, de développer officiellement
leur éducation et de tenir des offices religieux dans leur langue maternelle,
l’araméen;
19.8. de prendre des mesures concrètes pour permettre l’accès
des membres des minorités nationales aux forces de police, à l’armée,
à la magistrature et à l’administration;
19.9. de condamner fermement toute violence envers les membres
de minorités religieuses (qu’il s’agisse de citoyens turcs ou non),
de mener des enquêtes efficaces et de poursuivre avec célérité les responsables
de violences ou de menaces à l’encontre de membres de minorités
religieuses, notamment en ce qui concerne l’assassinat d’un prêtre
catholique italien en 2006 et de trois protestants en avril 2007
à Malatya;
19.10. de mener à bien les poursuites judiciaires concernant
l’assassinat de Hrant Dink en 2007. L’Assemblée invite en particulier
le Parlement turc à donner suite sans tarder au rapport de sa sous-commission
chargée d’enquêter sur l’assassinat de Hrant Dink, rapport qui a
mis en lumière, de la part des forces de sécurité et de la police
nationale, des erreurs et des négligences sans lesquelles ce meurtre
aurait pu être évité;
19.11. de s’assurer de la mise en œuvre de la circulaire sur
la liberté de religion des citoyens turcs non musulmans, émise par
le ministère de l’Intérieur le 19 juin 2007, et d’en évaluer l’impact;
19.12. de mettre pleinement en œuvre la loi no 3998
qui prévoit que les cimetières appartenant aux communautés minoritaires
ne peuvent pas être cédés aux municipalités, empêchant ainsi la construction
d’habitations observée dans certains cimetières juifs;
19.13. de se pencher sérieusement sur le problème de la profanation
du cimetière catholique du quartier d’Edirne-Karaagac, qui est un
lieu de sépulture sacré pour les catholiques polonais, bulgares,
italiens et français, et de permettre la remise en état des monuments
funéraires et des tombeaux détruits de ce cimetière;
19.14. de faire évoluer la législation afin de permettre aux
enfants issus de minorités non musulmanes, mais n’ayant pas la nationalité
turque, d’accéder aux écoles des minorités;
19.15. de mettre en œuvre la Résolution 1625 (2008) de l’Assemblée
relative à Gökçeada (Imbros) et Bozcaada (Ténédos): préserver le
caractère biculturel des deux îles turques comme un modèle de coopération
entre la Turquie et la Grèce dans l’intérêt des populations concernées;
19.16. de mettre en place l’institution du médiateur (en suspens
depuis 2006), sa mise en place revêtant une importance clé afin
d’éviter les tensions dans la société;
19.17. d’ériger en crimes les discours antisémites et autres
discours de haine, notamment toute forme d’incitation à la violence
contre des membres des minorités religieuses, en conformité avec
la Résolution 1563 (2007) de
l’Assemblée «Combattre l’antisémitisme en Europe» et la Recommandation de
politique générale no 9 de la Commission
européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) sur la lutte
contre l’antisémitisme;
19.18. d’encourager le développement par les médias d’un code
de déontologie en matière de respect pour les minorités religieuses,
compte tenu du rôle fondamental qu’ils peuvent jouer dans la perception de
ces minorités par la majorité, et de sanctionner tout appel à la
haine relayé dans les médias, conformément aux principes énoncés
dans la Recommandation no R (97) 20 du
Comité des Ministres;
19.19. d’organiser une campagne nationale contre le racisme et
l’intolérance, en insistant sur le fait que la diversité doit être
perçue non comme une menace mais comme une source d’enrichissement.
20. L’Assemblée demande aux Gouvernements de la Grèce et de la
Turquie de l’informer des progrès réalisés concernant chacun des
points des paragraphes 16, 18 et 19 de la présente résolution d’ici
à février 2011.