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Résolution 1707 (2010) Version finale

Rétention administrative des demandeurs d’asile et des migrants en situation irrégulière en Europe

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 28 janvier 2010 (7e séance) (voir Doc. 12105, rapport de la commission des migrations, des réfugiés et de la population, rapporteur: Mme Mendonça). Texte adopté par l’Assemblée le 28 janvier 2010 (7e séance). Voir également la Recommandation 1900 (2010).

1. La rétention administrative des demandeurs d’asile et des migrants en situation irrégulière s’est fortement répandue ces dernières années dans les Etats membres du Conseil de l’Europe. Bien que cette augmentation s’explique en partie par les arrivées de plus en plus nombreuses de migrants en situation irrégulière et de demandeurs d’asile dans certaines régions d’Europe, elle est aussi due, dans une large mesure, à des pratiques et à des décisions politiques résultant d’un durcissement des attitudes envers la population concernée.
2. Les centres de rétention connaissent un grave problème de surpopulation. A mesure que le nombre de personnes retenues dépasse la capacité des centres de rétention, les Etats réagissent en construisant des centres de plus en plus vastes. Cependant, plus ils construisent de centres, plus ils les remplissent, souvent pour justifier les dépenses engagées, mais les conditions de vie des personnes retenues n’en sont pas forcément améliorées. En outre, de plus en plus de demandeurs d’asile et de migrants en situation irrégulière sont retenus dans des locaux d’appoint qui ne sont pas adaptés à l’accueil de ce type de public: commissariats de police, prisons, casernes désaffectées, hôtels, containers, etc.
3. Il est universellement reconnu que la privation de liberté ne devrait être appliquée qu’en dernier recours. Or, elle fait de plus en plus office de première solution et de moyen de dissuasion. Cela se traduit par des placements en rétention aussi massifs qu’inutiles. L’Assemblée parlementaire est préoccupée par ce recours excessif à la rétention et par la longue série de problèmes graves qui en résulte, problèmes régulièrement soulignés non seulement par les instances de suivi des droits de l’homme du Conseil de l’Europe, telles que la Cour européenne des droits de l’homme, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), le Commissaire aux droits de l’homme et la commission des migrations, des réfugiés et de la population de l’Assemblée, mais aussi par d’autres organisations nationales et internationales.
4. Les conditions de vie et les garanties offertes aux migrants retenus, qui ne sont pas des délinquants, sont souvent pires que celles réservées aux personnes placées en réclusion criminelle. Les conditions matérielles sont parfois consternantes (saleté, manque d’hygiène, manque de lits, de vêtements et de nourriture, soins insuffisants, etc.) et le régime de rétention est souvent inadapté, voire presque inexistant (activités, éducation, accès à l’extérieur et à l’air libre). En outre, les besoins des personnes vulnérables ne sont pas assez pris en compte et les allégations de mauvais traitements, de violences et d’abus par le personnel persistent. Tous ces éléments ont un impact négatif sur le bien-être physique et psychique des personnes retenues, pendant et après la rétention.
5. Du point de vue budgétaire, la rétention coûte très cher aux Etats qui appliquent fréquemment cette mesure et retiennent les personnes concernées pendant de longues périodes. La «directive retour» de l’Union européenne, qui prévoit que la durée de rétention peut être prolongée jusqu’à dix-huit mois, est critiquable car elle fixe des normes minimales en matière de durée de rétention, ce qui permet aux Etats membres de l’Union européenne de pratiquer la rétention à long terme et augmente la possibilité que ces Etats accroissent la durée minimale de la rétention.
6. L’Assemblée est particulièrement préoccupée par la mise en rétention des demandeurs d’asile, qui devraient être distingués des migrants en situation irrégulière. La Convention de 1951 relative au statut des réfugiés ne prévoit que des exceptions très limitées et spécifiques à leur droit à la liberté de mouvement. Selon la convention, les demandeurs d’asile ne devraient pas être placés en rétention au seul motif d’une demande d’asile, d’une entrée ou d’une présence illégale dans le pays où ils ont déposé une demande d’asile.
7. L’Assemblée ne s’inquiète pas seulement des conditions de rétention. Elle est également préoccupée par le peu de clarté concernant les cas où la rétention est juridiquement justifiable. Il manque clairement un cadre juridique accessible et précis régissant le recours à la rétention conformément au droit international relatif aux droits de l’homme et aux réfugiés. En outre, les lois et réglementations nationales s’avèrent souvent insuffisantes (laissant trop de liberté d’action aux membres des services de l’immigration), les politiques de rétention ne sont pas transparentes (laissant les intéressés à la merci d’abus ou de décisions arbitraires), l’accès des personnes retenues à un avocat est limité et les données empiriques concernant la rétention sont absentes. Il est donc nécessaire d’établir un cadre accessible et précis régissant le fonctionnement des centres et les conditions de rétention, qui doivent également faire l’objet d’un contrôle judiciaire.
8. L’Assemblée réaffirme que les motifs de détention liée à l’immigration sont limités par l’article 5.1.f de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5). La rétention ne devrait être utilisée que lorsque des mesures moins contraignantes ont été essayées et se sont avérées insuffisantes. Par conséquent, la priorité devrait aller à des solutions alternatives à la rétention pour les personnes visées (bien que ces mesures puissent aussi avoir une incidence sur les droits de l’homme). Les solutions alternatives à la rétention sont plus intéressantes pour les Etats concernés sur le plan financier et elles ont fait la preuve de leur efficacité. Dans certains Etats, malheureusement, les alternatives à la rétention ne sont que rarement appliquées ou sont absentes de la législation nationale, malgré toutes les obligations qui imposent de les prendre en compte.
9. Au vu de ce qui précède, l’Assemblée appelle les Etats membres du Conseil de l’Europe dans lesquels des demandeurs d’asiles et des migrants en situation irrégulière sont retenus à respecter pleinement leurs obligations au regard du droit international relatif aux droits de l’homme et aux réfugiés, et les invite:
9.1. à suivre 10 principes directeursdéfinissant les circonstances dans lesquelles la rétention des demandeurs d’asile et des migrants en situation irrégulière est légalement admissible. Ces principes sont les suivants:
9.1.1. la rétention des demandeurs d’asile et des migrants en situation irrégulière est une mesure exceptionnelle qui n’est applicable que lorsque l’on a examiné toutes les autres alternatives et qu’aucune ne s’est avérée probante;
9.1.2. une distinction est opérée entre les demandeurs d’asile et les migrants en situation irrégulière; les demandeurs d’asile doivent être protégés de sanctions liées à leur entrée ou à leur présence non autorisée;
9.1.3. la rétention est mise en œuvre selon une procédure définie par la loi, elle est autorisée par une instance judiciaire et fait l’objet d’un contrôle judiciaire périodique;
9.1.4. la rétention n’est ordonnée que dans le but spécifique d’empêcher une entrée irrégulière sur le territoire d’un Etat ou en vue d’une expulsion ou d’une extradition;
9.1.5. la rétention n’est pas arbitraire;
9.1.6. la rétention est appliquée uniquement quand elle est nécessaire;
9.1.7. la rétention est proportionnée à l’objectif visé;
9.1.8. le lieu, les conditions et le régime de la rétention sont appropriés;
9.1.9. en règle générale, les personnes vulnérables ne sont pas placées en rétention, et en particulier les mineurs non accompagnés ne sont jamais retenus;
9.1.10. la durée de la rétention est la plus brève possible;
9.2. à appliquer en droit et dans la pratique les 15 règles européennes définissant les normes minimales applicables aux conditions de rétention des migrants et des demandeurs d’asile afin d’assurer:
9.2.1. que les personnes privées de liberté sont traitées avec dignité et dans le respect de leurs droits;
9.2.2. que les personnes retenues sont hébergées dans des centres spécialement conçus pour la rétention liée à l’immigration et non dans des prisons;
9.2.3. que toutes les personnes retenues sont informées rapidement, dans un langage simple et accessible pour elles, des principales raisons juridiques et factuelles de leur rétention, de leurs droits, des règles et de la procédure de plaintes applicables pendant la rétention; durant la rétention, les personnes retenues ont la possibilité de déposer une demande d’asile ou de protection complémentaire ou subsidiaire, et un accès effectif à une procédure d’asile équitable et satisfaisante offrant toutes les garanties procédurales;
9.2.4. que les critères d’admission juridiques et factuels sont respectés, ce qui suppose l’organisation de contrôles de dépistage et de visites médicales permettant de repérer les besoins spécifiques. Des archives pertinentes concernant les admissions, les séjours et les départs doivent être conservées;
9.2.5. que les conditions matérielles de rétention sont adaptées à la situation juridique et factuelle de l’intéressé;
9.2.6. que le régime de rétention est adapté à la situation juridique et factuelle de l’intéressé;
9.2.7. que les autorités responsables préservent la santé et le bien-être de toutes les personnes retenues dont elles ont la charge;
9.2.8. que les personnes retenues ont un accès concret garanti au monde extérieur (y compris des contacts avec des avocats, la famille, des amis, le Bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), la société civile, des représentants du monde spirituel et religieux) et ont le droit de recevoir des visites fréquentes du monde extérieur;
9.2.9. que les personnes retenues ont un accès concret garanti à des conseils, à une assistance et à une représentation juridiques d’une qualité suffisante, ainsi qu’à une aide juridique gratuite;
9.2.10. que les personnes retenues peuvent déposer périodiquement un recours effectif contre leur mise en rétention devant un tribunal et que les décisions concernant la rétention sont examinées automatiquement à intervalles réguliers;
9.2.11. que la sécurité, la protection et la discipline des personnes retenues sont prises en compte de façon à garantir le bon fonctionnement des centres de rétention;
9.2.12. que le personnel des centres de rétention et des services de l’immigration ne recourt pas à la force contre les personnes retenues, sauf en situation de légitime défense ou en cas de tentative d’évasion ou de résistance physique active à un ordre légal, toujours en dernier recours et d’une manière proportionnée à la situation;
9.2.13. que la direction et le personnel des centres de rétention sont recrutés avec soin, bénéficient d’une formation adaptée et œuvrent conformément aux normes professionnelles, éthiques et personnelles les plus élevées;
9.2.14. que les personnes retenues ont tout loisir de formuler des demandes ou des plaintes auprès d’autorités compétentes, et que des garanties de confidentialité leur sont données à cet égard;
9.2.15. que les centres de rétention et les conditions de rétention font l’objet d’inspections et de contrôles indépendants;
9.3. à examiner les alternatives à la rétention et:
9.3.1. à s’assurer qu’il existe une présomption en faveur de la mise en liberté dans la législation nationale;
9.3.2. à clarifier la mise en œuvre des alternatives à la rétention et à intégrer à la législation et à la pratique nationales un véritable cadre juridique et institutionnel applicable à ces alternatives afin de veiller à ce qu’elles soient envisagées d’emblée si la mise en liberté ou le placement provisoire en rétention ne sont pas accordés;
9.3.3. à faire en sorte que leur application soit non discriminatoire, proportionnée et nécessaire, que la situation et la vulnérabilité des personnes auxquelles elles sont appliquées soient prises en compte, et que la possibilité d’un contrôle par un organe judiciaire indépendant ou une autre autorité compétente soit prévue;
9.3.4. à commander et à mener à bien des recherches et analyses empiriques sur les alternatives à la rétention, leur mise en œuvre et leur efficacité, ainsi que sur les bonnes pratiques, en établissant une distinction entre les alternatives sociales qui autorisent la liberté de mouvement et celles qui limitent la liberté de mouvement. A cet égard, les alternatives suivantes, entre autres, peuvent être prises en compte:
9.3.4.1. le placement dans des établissements spéciaux (ouverts ou semi-ouverts);
9.3.4.2. l’enregistrement et le signalement;
9.3.4.3. la mise en liberté sous caution/désignation d’un garant;
9.3.4.4. la mise en liberté surveillée auprès de particuliers, de parents, d’organisations non gouvernementales (ONG), d’organisations religieuses ou autres;
9.3.4.5. la remise de titres de voyage et autres documents, la libération associée à la désignation d’un travailleur spécialisé;
9.3.4.6. les documents électroniques ou le suivi électronique.
10. L’Assemblée invite le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe et le CPT à continuer de suivre de près le problème de la rétention des demandeurs d’asile et des migrants en situation irrégulière, et à appuyer les principes directeurs susmentionnés concernant les placements en rétention légalement admissibles et les règles minimales de conditions de rétention. Elle les invite également à encourager les Etats membres à étudier les alternatives à la rétention et à en faire un usage beaucoup plus important.