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Résolution 1738 (2010) Version finale
Recours juridiques en cas de violations des droits de l’homme dans la région du Caucase du Nord
1. L’Assemblée parlementaire prend
acte, avec soulagement, de la fin des actions de guerre telles que
les bombardements et les tirs d’artillerie sur des lieux habités,
qui ont provoqué des effets dévastateurs pour la population civile
lors des «deux guerres de Tchétchénie»; elle salue les efforts impressionnants
mis en œuvre par les autorités de la Fédération de Russie et de
la République tchétchène pour la reconstruction des villes, souvent
réduites en un amas de ruines, ainsi que pour la remise en état
et l’amélioration des infrastructures du pays, ce qui a indubitablement
amélioré les conditions de vie des habitants, si durement éprouvés
au cours de tant d’années.
2. L’Assemblée rappelle sa Résolution
1479 (2006) sur les violations des droits de l’homme
en République tchétchène: la responsabilité du Comité des Ministres
vis-à-vis des préoccupations de l’Assemblée, dans laquelle elle
mettait en garde la Fédération de Russie contre le danger d’embrasement
de toute la région du Caucase du Nord en raison de la violence généralisée
qui régnait en République tchétchène; les violations systématiques
des droits de l’homme ainsi que le climat de totale impunité ne
pouvaient que favoriser la montée des extrémismes et leur propagation
au-delà des frontières de la République tchétchène. Force est de constater
aujourd’hui que ces craintes étaient, hélas, fondées.
3. L’Assemblée a déjà eu l’occasion, à plusieurs reprises, de
condamner fermement les actes de terrorisme. Il ne peut exister
aucune raison, de quelque nature que ce soit, qui puisse justifier
le recours à des actes de violence indiscriminée contre la population
civile. Ce sont des actes lâches et odieux. L’Assemblée exprime
sa compassion et sa solidarité aux proches et aux familles de toutes
les victimes de la violence, y inclus celles des attentats à la
bombe survenus récemment dans le métro de Moscou, ainsi que des innombrables
attaques qui frappent sans cesse la population des républiques caucasiennes.
4. L’Assemblée constate que la situation dans la région du Caucase
du Nord, notamment en République tchétchène, en Ingouchie et au
Daghestan, constitue à l’heure actuelle la situation la plus sérieuse
et la plus délicate du point de vue de la protection des droits
de l’homme et de l’affirmation de l’Etat de droit de toute la zone
géographique couverte par le Conseil de l’Europe:
4.1. En République tchétchène, les
autorités en place continuent d’entretenir un climat de peur généralisée,
nonobstant les succès indéniables dans le domaine de la reconstruction
et la sensible amélioration des infrastructures de cette région
ravagée par deux guerres cruelles et dévastatrices. La situation
des droits de l’homme, le fonctionnement de la justice et des institutions
démocratiques continuent cependant à susciter les plus vives préoccupations:
les disparitions d’opposants au gouvernement et de défenseurs des
droits de l’homme restent largement impunies et ne sont pas élucidées
avec la diligence requise, des représailles sont commises contre
les familles de personnes suspectées d’appartenir aux formations
armées illégales (on met le feu à leur habitation, les proches du ou
des suspects sont victimes d’enlèvements ou font l’objet de graves
menaces), il y règne un climat d’intimidation permanente des médias
et de la société civile, et les organes judiciaires font preuve
d’une inertie manifeste face aux exactions commises par les forces
de sécurité. Tout cela se déroule dans un climat de personnalisation
du pouvoir qui apparaît, au vu de sa démesure, choquant dans une démocratie.
4.2. En Ingouchie, depuis l’installation du nouveau Président,
un dialogue constructif s’est établi entre le pouvoir et la société
civile. Il faut néanmoins constater une inquiétante recrudescence
de la violence depuis 2009, notamment des assassinats et des disparitions
d’opposants au gouvernement et de journalistes, restés à ce jour
sans aucune suite judiciaire. Le Président lui-même a été victime
d’un attentat dont les circonstances ne sont jusqu’à ce jour pas
encore totalement élucidées. L’Assemblée l’encourage à continuer
sa politique en vue de stabiliser la situation dans la république
par le biais d’un dialogue avec la société civile.
4.3. Plus récemment, le Daghestan a également connu une recrudescence
d’actes de terrorisme auxquels, hélas, les forces de sécurité ont
répondu par des méthodes qui ne sont pas toujours légales et productives.
L’admirable tradition séculaire de cohabitation paisible entre communautés musulmanes,
chrétiennes et juives fondée sur la tolérance mutuelle – dont la
ville de Derbent constitue un exemple remarquable – risque d’être
mise en danger par la montée de l’extrémisme et les réactions inadaptées
des autorités.
5. La souffrance des proches de milliers de personnes disparues
dans la région et leur impossibilité de faire leur deuil constituent
un obstacle majeur pour une véritable réconciliation et une paix
durable. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), fort
de son expérience reconnue en la matière, a fait des propositions concrètes
et réalistes aux autorités russes pour élucider le sort du plus
grand nombre possible de personnes disparues. La création d’une
commission d’Etat de haut niveau sur les personnes disparues semble indispensable.
6. L’Assemblée prend acte des très nombreux arrêts de la Cour
européenne des droits de l’homme («la Cour») – à ce jour plus de
150 – établissant des constats de violations graves et répétées
des droits fondamentaux dans la région, notamment en République
tchétchène. La Cour a été ainsi contrainte d’assumer un rôle de
protection de dernier ressort pour un très grand nombre de victimes:
6.1. dans de nombreuses affaires,
la Cour a constaté que les autorités russes étaient directement responsables
des violations du droit à la vie (article 2 de la Convention européenne
des droits de l’homme («la Convention») (STE no 5))
et de l’interdiction de la torture (article 3);
6.2. elle a fréquemment constaté l’absence d’une enquête effective
et efficace, en violation de la Convention, dans des affaires où
des représentants des forces de sécurité étaient suspectés d’être responsables
d’enlèvements et de tortures;
6.3. dans un grand nombre d’affaires, elle a également jugé
que le traitement que les représentants des forces de sécurité ont
infligé aux proches de personnes enlevées constituait un traitement
inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention;
6.4. débordée par un flot incessant de requêtes, la Cour accorde
la priorité aux affaires dans lesquelles son intervention rapide
peut contribuer à la protection et au soulagement des victimes des violations
les plus graves, dont de nombreux requérants de la région du Caucase
du Nord.
7. En ce qui concerne l’exécution de ces arrêts de la Cour, l’Assemblée
salue les efforts spécifiques fournis par les autorités russes qui
visent non seulement à verser dans les meilleurs délais l’indemnité
financière accordée par la Cour aux victimes – dont le montant est
bien plus symbolique que substantiel – mais aussi à mettre véritablement
en œuvre des enquêtes dans les affaires dans lesquelles la Cour
a constaté un manquement à cet égard. L’Assemblée constate, cependant,
que des résultats appréciables dans ce domaine se font toujours
attendre et elle regrette que les départements spéciaux mis en place
au sein des comités d’investigation n’aient pas encore réussi à
résoudre les problèmes de collaboration et de coordination entre
les divers services.
8. Le climat d’impunité illustré par les arrêts de la Cour ainsi
que la passivité des autorités qui y est dénoncée, notamment dans
de nombreux cas de crimes contre des personnalités emblématiques
de la société civile, sapent gravement la confiance de la population
envers les forces de sécurité et les institutions étatiques en général,
et alimentent ainsi la spirale perverse de la violence.
9. Comme elle l’a exprimé dans sa Résolution 1539 (2007) concernant
les violations des droits de l’homme commises au nom de la lutte
contre le terrorisme par les Etats-Unis et ses alliés, l’Assemblée
réaffirme avec force sa condamnation sans équivoque de tout acte
de terrorisme et reste persuadée que celui-ci ne peut être combattu
efficacement que dans le respect des droits fondamentaux et des
règles de la prééminence du droit:
9.1. dans tout Etat de droit, et à plus forte raison dans tout
Etat membre du Conseil de l’Europe, les disparitions forcées, les
tortures, les exécutions extrajudiciaires et les détentions secrètes
commises par des représentants des autorités étatiques, tolérées
ou pas empêchées, ni même combattues par celles-ci, constituent
des actes inacceptables qu’il faut condamner sans réserve;
9.2. ces exactions et ces omissions sapent la coexistence même
au sein de la société, car elles détruisent la confiance de la population
dans les institutions, ce qui voue à l’échec toute tentative de
faire face efficacement à la menace terroriste et favorise au contraire
la montée de l’extrémisme;
9.3. les violations des droits de l’homme commises par les
autorités finissent par conférer aux terroristes un statut de martyr,
alors qu’ils ne sont en réalité que des criminels qui doivent être
traités comme tels;
9.4. l’emploi, contre les terroristes, de moyens illégaux,
voire franchement criminels, risque fortement de susciter un mouvement
de sympathie à leur égard, ce qui ne peut que les renforcer dans
leur motivation et leur donner un sentiment de légitimité, celui
de combattre un Etat qui recourt à des moyens contraires à la loi;
9.5. l’élimination physique des suspects qui n’opposent pas
de résistance armée est une tactique non seulement illégale, mais
également contre-productive. Une arrestation régulière, conformément
aux règles de procédure, ainsi que l’application des dispositions
qui permettent d’encourager la collaboration avec la justice, permettent
en revanche de combattre et de neutraliser plus efficacement les organisations
criminelles et les réseaux terroristes;
9.6. la criminalisation et la victimisation de nombreuses personnes
innocentes n’ont fait que contribuer à alimenter davantage la spirale
de la violence, cela d’autant plus si l’on considère que la région
du Caucase du Nord est encore caractérisée par de solides traditions
claniques, y compris celles de la coutume de la vengeance.
10. L’Assemblée rend hommage aux défenseurs des droits de l’homme,
aux avocats et aux journalistes qui œuvrent, dans des circonstances
difficiles et souvent au péril de leur vie, pour aider les victimes
à obtenir justice et dénoncer les abus. Elle est profondément attristée
par la mort violente ou la disparition de personnalités telles qu’Anna
Politkovskaïa, Natalia Estemirova, Stanislav Markelov, Magomed Yevloyev, Makcharip
Aouchev, Zarema Gaïsanova, Zarema Sadoulayeva, Rachid Ozdoyev et
beaucoup d’autres, et exprime son incompréhension et son émoi face
au fait qu’à ce jour aucune de ces affaires n’a pu être élucidée par
les autorités judiciaires.
11. L’Assemblée exprime également sa préoccupation en ce qui concerne
la détérioration de la situation des femmes en République tchétchène.
A la différence d’autres républiques caucasiennes, on impose, parfois de
manière humiliante, une interprétation rigide des normes religieuses,
qui semble par ailleurs se trouver en contradiction avec les traditions
religieuses et culturelles de la région.
12. Elle s’inquiète, en outre, du fait que de nombreux exilés
tchétchènes dans plusieurs pays européens ont été l’objet de pressions
de la part d’émissaires des dirigeants tchétchènes afin de rentrer
au pays et de se soumettre à leur pouvoir. De forts indices subsistent
à l’encontre du pouvoir tchétchène, ou du moins à l’encontre des
cercles qui lui sont proches, d’être directement impliqué dans l’assassinat
d’Oumar Israïlov, en pleine rue à Vienne. A cet égard, l’Assemblée
invite les autorités autrichiennes et russes à coopérer afin de faire
toute la lumière sur cette affaire.
13. L’Assemblée appelle par conséquent:
13.1. les autorités exécutives et judiciaires russes, centrales
et régionales:
13.1.1. à combattre le terrorisme en recourant
aux instruments prévus par l’Etat de droit et à rechercher les causes
de la radicalisation en cours et de l’emprise grandissante de l’extrémisme religieux;
13.1.2. à poursuivre et à juger conformément à la loi tous les
auteurs de violations des droits de l’homme, y compris les membres
des forces de sécurité, et à élucider les nombreux crimes restés impunis,
notamment ceux commis contre les personnalités énumérées ci-dessus (paragraphe 10);
13.1.3. à mettre en œuvre toutes les conditions nécessaires pour
que les victimes de violations des droits de l’homme aient accès
à la justice et exercent librement leur droit à un recours effectif devant
les autorités judiciaires, et bénéficient d’une protection adéquate;
13.1.4. à intensifier la coopération avec le Conseil de l’Europe
dans le cadre de la mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne
des droits de l’homme, tout particulièrement en ce qui concerne
le renforcement des mesures individuelles visant à élucider les
affaires, notamment d’enlèvements, de meurtres et d’actes de torture
dans lesquelles la Cour a constaté une absence d’enquête effective;
13.1.5. à s’inspirer des exemples d’autres pays qui ont dû faire
face au terrorisme, notamment en ce qui concerne la mise en œuvre
de mesures favorisant la collaboration des prévenus avec la justice
pour démanteler les réseaux terroristes et les structures criminelles
existantes au sein des forces de sécurité, ainsi qu’à prévenir d’autres
actes de violence, et à prendre les mesures générales qui s’imposent
pour assurer une prévention effective de telles violations à l’avenir;
13.1.6. à coopérer de manière plus étroite avec les organisations
œuvrant sur le terrain pour la défense des droits de l’homme et
de la société civile en général, et à protéger leurs collaborateurs de
manière efficace contre d’éventuelles représailles;
13.1.7. à mettre en œuvre les propositions du CICR visant à résoudre,
dans la mesure du possible, le grave problème des personnes disparues,
et à créer des conditions favorables à la reprise des visites du
CICR aux détenus arrêtés en rapport avec la situation dans le Caucase
du Nord;
13.1.8. à poursuivre les efforts pour renforcer l’économie de
la région d’une façon équitable entre les républiques, avec une
attention particulière à la création d’emplois stables pour les jeunes,
dont le taux de chômage est très haut, ce qui constitue d’ailleurs
un facteur parmi d’autres du malaise social, de la radicalisation
en cours et de la criminalité;
13.1.9. à donner dans les meilleurs délais leur consentement à
la publication des rapports du Comité européen pour la prévention
de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants
(CPT) concernant la région du Caucase du Nord;
13.1.10. à promouvoir des initiatives à tous les niveaux pour renforcer
le dialogue interculturel et interreligieux afin d’améliorer sensiblement
la connaissance des populations caucasiennes et leur intégration
dans la Fédération de Russie;
13.2. les deux chambres du Parlement russe à consacrer la plus
haute attention à la situation dans le Caucase du Nord, à exiger
des autorités exécutives et judiciaires des explications exhaustives concernant
les dysfonctionnements constatés dans la région et signalés dans
la présente résolution, ainsi qu’à exiger la mise en œuvre des mesures
nécessaires;
13.3. tous les autres pays membres du Conseil de l’Europe:
13.3.1. à coopérer avec les autorités russes dans le cadre de
la lutte contre le terrorisme en insistant sur le respect, en toutes
circonstances, de la Convention européenne des droits de l’homme
et des arrêts de la Cour;
13.3.2. à assurer une protection adéquate aux réfugiés du Caucase
du Nord qui ont été accueillis sur leur territoire, et à examiner
avec le plus grand soin et la plus grande prudence les demandes
d’extradition les concernant, conformément à la Convention européenne
des droits de l’homme.
14. L’Assemblée demande à sa commission pour le respect des obligations
et engagements des Etats membres du Conseil de l’Europe (commission
de suivi) de prêter une attention particulière à l’évolution de
la situation des droits de l’homme dans le Caucase du Nord. Elle
rend hommage à l’action du Commissaire aux droits de l’homme du
Conseil de l’Europe et du CPT dans le Caucase du Nord, et les invite
à poursuivre et à intensifier davantage leur engagement. Elle demande
instamment que les ressources nécessaires leur soient mises à disposition.