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Résolution 1744 (2010) Version finale
Les acteurs extra-institutionnels dans un régime démocratique
1. L’Assemblée parlementaire rappelle
le rôle capital joué par le Conseil de l’Europe et en particulier
sa responsabilité dans la sauvegarde et la promotion de la démocratie
pluraliste en Europe. L’Organisation doit continuer de suivre avec
attention les nouveaux développements et anticiper les tendances
dans l’évolution de nos sociétés afin d’identifier et de remédier
aux déficiences, et d’améliorer la qualité de la démocratie, valeur
essentielle pour l’ensemble des Européens.
2. Comme elle l’a déjà exprimé dans ses précédentes résolutions,
l’Assemblée reste préoccupée par le déclin de l’intérêt et de l’engagement
du public dans la vie politique ainsi que par la perte de confiance
des citoyens dans les institutions étatiques et politiques.
3. Elle note, cependant, que les institutions étatiques et politiques
traditionnelles – les parlements, les gouvernements, le système
judiciaire ainsi que les partis politiques – ne sont pas seules
à participer au processus politique démocratique. Dans les sociétés
démocratiques modernes, il existe toute une série d’autres acteurs
qui n’émanent pas des branches traditionnelles du pouvoir institutionnel,
mais qui exercent une influence sur le processus de formation de
ces institutions et sur le processus de décision politique en leur sein.
4. Ces acteurs extra-institutionnels peuvent inclure les syndicats,
les organes consultatifs constitués, les milieux d’affaires, les
groupes d’intérêts et de pression, les groupes de sensibilisation,
les lobbys et les réseaux d’influence. Par ailleurs, les médias
jouent un rôle important dans le processus politique. Les organisations
de la société civile (caritatives, sans but lucratif ou non gouvernementales,
ainsi que les associations de bénévoles, etc.), tout comme les organisations
religieuses, poursuivent souvent des objectifs politiques et ont tendance
à influencer les décisions politiques. Enfin, il convient de ne
pas sous-estimer les tentatives de groupes impliqués dans des activités
illicites pour influer sur les décisions politiques.
5. De plus, les activités et les décisions de divers acteurs
économiques (industries, banques, compagnies d’assurances, fonds
d’investissement, agences de notation, etc.) peuvent avoir un impact
considérable sur les mesures des pouvoirs publics et nécessiter
une réaction politique de la part des acteurs institutionnels.
6. Certes, ce phénomène n’est pas nouveau, mais l’influence d’acteurs
extra-institutionnels en politique semble avoir pris de l’ampleur
et gagné en visibilité ces dernières années, en particulier avec
le développement des technologies de l’information et de la communication.
C’est pourquoi l’Assemblée considère que l’impact des acteurs extra-institutionnels
sur les institutions et procédures démocratiques doit être mieux
compris et davantage pris en compte dans les efforts pour renforcer
et améliorer la démocratie.
7. L’Assemblée soutient fermement le pluralisme politique, qu’elle
considère comme l’un des principes clés d’une démocratie véritable.
C’est pourquoi elle note que, sous certaines conditions, les activités
des acteurs extra-institutionnels peuvent s’avérer bénéfiques pour
le fonctionnement du système politique démocratique, si tant est
que ces acteurs:
7.1. offrent un
cadre permettant aux individus de se rassembler, pour conjointement
exprimer leurs opinions et défendre leurs intérêts;
7.2. favorisent une plus large participation à la vie publique
et offrent des opportunités de s’engager dans le processus politique;
7.3. établissent un lien entre le peuple et les institutions
politiques;
7.4. permettent une meilleure représentation des intérêts et
besoins spécifiques, y compris ceux des minorités;
7.5. fournissent des informations spécialisées relevant de
leur domaine d’activité, indispensables pour une prise de décision
politique éclairée;
7.6. offrent des canaux supplémentaires pour le contrôle du
public sur les décisions politiques.
8. Parallèlement, l’Assemblée estime que certains aspects des
activités des acteurs extra-institutionnels visant à influencer
les décisions politiques peuvent soulever des préoccupations en
relation avec les principes fondamentaux de la démocratie.
9. En particulier, la légitimité des acteurs extra-institutionnels
est souvent douteuse car leur mandat n’émane pas de l’ensemble de
la société; leur représentativité est limitée et difficile à évaluer.
Dans le même temps, l’influence réelle et l’autorité de ces acteurs
peuvent s’étendre bien au-delà de leurs légitimité et représentativité.
10. Le manque de transparence du fonctionnement interne des acteurs
extra-institutionnels et leurs relations avec des institutions et
des responsables publics peuvent être source de suspicions de corruption politique
et porter encore davantage atteinte à l’image des institutions politiques
et à la confiance qui leur est accordée par le public. De plus,
les acteurs extra-institutionnels ne sont soumis à aucune véritable
obligation démocratique de rendre compte.
11. En cherchant à influencer les décisions politiques conformément
aux intérêts sectoriels qu’ils représentent, les acteurs extra-institutionnels
visent à altérer l’équilibre des intérêts exprimés par le biais
des processus politiques ordinaires. De ce fait, la volonté du peuple
peut s’en trouver déformée, le principe d’égalité politique des
citoyens est mis en danger, et la confiance du public dans le processus
décisionnel démocratique davantage compromise.
12. Même si les médias ne font pas partie des institutions d’Etat,
ils sont souvent désignés comme le «quatrième pouvoir» du fait de
leur influence sur l’opinion publique et, par conséquent, sur le
processus politique. Les médias pluralistes libres sont l’une des
clés de voûte d’une société démocratique, dans la mesure où ils
permettent la communication d’informations précises, nécessaires
pour la prise de décisions.
13. En même temps, les médias en tant qu’instrument d’influence
politique peuvent être exploités de manière impropre et abusive
pour faire circuler des informations sélectives ou biaisées et erronées
dans le but de manipuler l’opinion publique ou de poursuivre des
intérêts partisans ou économiques privés.
14. A cet égard, l’Assemblée réitère ses préoccupations, déjà
exprimées dans sa Résolution
1547 (2007) sur la situation des droits de l’homme et
de la démocratie en Europe, devant la tendance fréquente des médias à
se substituer aux partis politiques en déterminant les priorités
politiques, en monopolisant le débat politique et en créant et choisissant
les personnalités politiques. Elle estime par ailleurs que le rôle
auto-assumé de juge ultime joué parfois par certains médias risque
de nuire gravement au processus politique.
15. L’Assemblée est d’avis que les institutions étatiques et politiques
doivent impliquer plus activement divers acteurs extra-institutionnels
et les citoyens au processus décisionnel. Cependant, pour améliorer
la confiance de la population dans les institutions publiques gouvernementales
et renforcer ainsi la démocratie et l’Etat de droit, le processus
de prise de décisions doit être plus transparent.
16. Le peuple a un droit démocratique de connaître les acteurs
qui ont accès au processus décisionnel du gouvernement dans le but
de l’influencer. Toutes les formes d’influence qui ne sont pas exercées
en pleine transparence devraient être considérées comme suspectes
et nuisibles pour la démocratie.
17. C’est pourquoi les institutions démocratiques devraient rejeter
toute tentative d’influence sur les décisions politiques menée de
manière non transparente.
18. L’Assemblée rappelle sa Recommandation
1908 (2010) sur le lobbying dans une société démocratique (Code
européen de bonne conduite en matière de lobbying), et réitère les
suggestions qu’elle contient.
19. Cela étant, elle considère que l’influence des acteurs extra-institutionnels
sur les décisions politiques doit faire l’objet d’un examen plus
approfondi, y compris dans le cadre du Forum pour l’avenir de la
démocratie du Conseil de l’Europe.
20. En conséquence, l’Assemblée invite la Commission européenne
pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) à examiner
cette question, notamment en ce qui concerne:
20.1. l’ampleur de l’implication des acteurs extra-institutionnels
dans le processus politique des Etats membres du Conseil de l’Europe,
ainsi qu’au plan international;
20.2. l’impact de ces acteurs sur le fonctionnement des institutions
démocratiques et sur la légitimité du processus politique démocratique;
20.3. le cadre juridique en place pour de telles activités dans
les Etats membres du Conseil de l’Europe et l’opportunité de prendre
des mesures normatives complémentaires aux plans national et européen.
21. L’Assemblée décide d’examiner à nouveau la question du rôle
des acteurs extra-institutionnels dans un système démocratique sur
la base des conclusions de la Commission de Venise.