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Résolution 1744 (2010) Version finale

Les acteurs extra-institutionnels dans un régime démocratique

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 23 juin 2010 (24e séance) (voir Doc. 12278, rapport de la commission des questions politiques, rapporteur: M. Daems). Texte adopté par l’Assemblée le 23 juin 2010 (24e séance).

1. L’Assemblée parlementaire rappelle le rôle capital joué par le Conseil de l’Europe et en particulier sa responsabilité dans la sauvegarde et la promotion de la démocratie pluraliste en Europe. L’Organisation doit continuer de suivre avec attention les nouveaux développements et anticiper les tendances dans l’évolution de nos sociétés afin d’identifier et de remédier aux déficiences, et d’améliorer la qualité de la démocratie, valeur essentielle pour l’ensemble des Européens.
2. Comme elle l’a déjà exprimé dans ses précédentes résolutions, l’Assemblée reste préoccupée par le déclin de l’intérêt et de l’engagement du public dans la vie politique ainsi que par la perte de confiance des citoyens dans les institutions étatiques et politiques.
3. Elle note, cependant, que les institutions étatiques et politiques traditionnelles – les parlements, les gouvernements, le système judiciaire ainsi que les partis politiques – ne sont pas seules à participer au processus politique démocratique. Dans les sociétés démocratiques modernes, il existe toute une série d’autres acteurs qui n’émanent pas des branches traditionnelles du pouvoir institutionnel, mais qui exercent une influence sur le processus de formation de ces institutions et sur le processus de décision politique en leur sein.
4. Ces acteurs extra-institutionnels peuvent inclure les syndicats, les organes consultatifs constitués, les milieux d’affaires, les groupes d’intérêts et de pression, les groupes de sensibilisation, les lobbys et les réseaux d’influence. Par ailleurs, les médias jouent un rôle important dans le processus politique. Les organisations de la société civile (caritatives, sans but lucratif ou non gouvernementales, ainsi que les associations de bénévoles, etc.), tout comme les organisations religieuses, poursuivent souvent des objectifs politiques et ont tendance à influencer les décisions politiques. Enfin, il convient de ne pas sous-estimer les tentatives de groupes impliqués dans des activités illicites pour influer sur les décisions politiques.
5. De plus, les activités et les décisions de divers acteurs économiques (industries, banques, compagnies d’assurances, fonds d’investissement, agences de notation, etc.) peuvent avoir un impact considérable sur les mesures des pouvoirs publics et nécessiter une réaction politique de la part des acteurs institutionnels.
6. Certes, ce phénomène n’est pas nouveau, mais l’influence d’acteurs extra-institutionnels en politique semble avoir pris de l’ampleur et gagné en visibilité ces dernières années, en particulier avec le développement des technologies de l’information et de la communication. C’est pourquoi l’Assemblée considère que l’impact des acteurs extra-institutionnels sur les institutions et procédures démocratiques doit être mieux compris et davantage pris en compte dans les efforts pour renforcer et améliorer la démocratie.
7. L’Assemblée soutient fermement le pluralisme politique, qu’elle considère comme l’un des principes clés d’une démocratie véritable. C’est pourquoi elle note que, sous certaines conditions, les activités des acteurs extra-institutionnels peuvent s’avérer bénéfiques pour le fonctionnement du système politique démocratique, si tant est que ces acteurs:
7.1. offrent un cadre permettant aux individus de se rassembler, pour conjointement exprimer leurs opinions et défendre leurs intérêts;
7.2. favorisent une plus large participation à la vie publique et offrent des opportunités de s’engager dans le processus politique;
7.3. établissent un lien entre le peuple et les institutions politiques;
7.4. permettent une meilleure représentation des intérêts et besoins spécifiques, y compris ceux des minorités;
7.5. fournissent des informations spécialisées relevant de leur domaine d’activité, indispensables pour une prise de décision politique éclairée;
7.6. offrent des canaux supplémentaires pour le contrôle du public sur les décisions politiques.
8. Parallèlement, l’Assemblée estime que certains aspects des activités des acteurs extra-institutionnels visant à influencer les décisions politiques peuvent soulever des préoccupations en relation avec les principes fondamentaux de la démocratie.
9. En particulier, la légitimité des acteurs extra-institutionnels est souvent douteuse car leur mandat n’émane pas de l’ensemble de la société; leur représentativité est limitée et difficile à évaluer. Dans le même temps, l’influence réelle et l’autorité de ces acteurs peuvent s’étendre bien au-delà de leurs légitimité et représentativité.
10. Le manque de transparence du fonctionnement interne des acteurs extra-institutionnels et leurs relations avec des institutions et des responsables publics peuvent être source de suspicions de corruption politique et porter encore davantage atteinte à l’image des institutions politiques et à la confiance qui leur est accordée par le public. De plus, les acteurs extra-institutionnels ne sont soumis à aucune véritable obligation démocratique de rendre compte.
11. En cherchant à influencer les décisions politiques conformément aux intérêts sectoriels qu’ils représentent, les acteurs extra-institutionnels visent à altérer l’équilibre des intérêts exprimés par le biais des processus politiques ordinaires. De ce fait, la volonté du peuple peut s’en trouver déformée, le principe d’égalité politique des citoyens est mis en danger, et la confiance du public dans le processus décisionnel démocratique davantage compromise.
12. Même si les médias ne font pas partie des institutions d’Etat, ils sont souvent désignés comme le «quatrième pouvoir» du fait de leur influence sur l’opinion publique et, par conséquent, sur le processus politique. Les médias pluralistes libres sont l’une des clés de voûte d’une société démocratique, dans la mesure où ils permettent la communication d’informations précises, nécessaires pour la prise de décisions.
13. En même temps, les médias en tant qu’instrument d’influence politique peuvent être exploités de manière impropre et abusive pour faire circuler des informations sélectives ou biaisées et erronées dans le but de manipuler l’opinion publique ou de poursuivre des intérêts partisans ou économiques privés.
14. A cet égard, l’Assemblée réitère ses préoccupations, déjà exprimées dans sa Résolution 1547 (2007) sur la situation des droits de l’homme et de la démocratie en Europe, devant la tendance fréquente des médias à se substituer aux partis politiques en déterminant les priorités politiques, en monopolisant le débat politique et en créant et choisissant les personnalités politiques. Elle estime par ailleurs que le rôle auto-assumé de juge ultime joué parfois par certains médias risque de nuire gravement au processus politique.
15. L’Assemblée est d’avis que les institutions étatiques et politiques doivent impliquer plus activement divers acteurs extra-institutionnels et les citoyens au processus décisionnel. Cependant, pour améliorer la confiance de la population dans les institutions publiques gouvernementales et renforcer ainsi la démocratie et l’Etat de droit, le processus de prise de décisions doit être plus transparent.
16. Le peuple a un droit démocratique de connaître les acteurs qui ont accès au processus décisionnel du gouvernement dans le but de l’influencer. Toutes les formes d’influence qui ne sont pas exercées en pleine transparence devraient être considérées comme suspectes et nuisibles pour la démocratie.
17. C’est pourquoi les institutions démocratiques devraient rejeter toute tentative d’influence sur les décisions politiques menée de manière non transparente.
18. L’Assemblée rappelle sa Recommandation 1908 (2010) sur le lobbying dans une société démocratique (Code européen de bonne conduite en matière de lobbying), et réitère les suggestions qu’elle contient.
19. Cela étant, elle considère que l’influence des acteurs extra-institutionnels sur les décisions politiques doit faire l’objet d’un examen plus approfondi, y compris dans le cadre du Forum pour l’avenir de la démocratie du Conseil de l’Europe.
20. En conséquence, l’Assemblée invite la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) à examiner cette question, notamment en ce qui concerne:
20.1. l’ampleur de l’implication des acteurs extra-institutionnels dans le processus politique des Etats membres du Conseil de l’Europe, ainsi qu’au plan international;
20.2. l’impact de ces acteurs sur le fonctionnement des institutions démocratiques et sur la légitimité du processus politique démocratique;
20.3. le cadre juridique en place pour de telles activités dans les Etats membres du Conseil de l’Europe et l’opportunité de prendre des mesures normatives complémentaires aux plans national et européen.
21. L’Assemblée décide d’examiner à nouveau la question du rôle des acteurs extra-institutionnels dans un système démocratique sur la base des conclusions de la Commission de Venise.