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Recommandation 1930 (2010) Version finale
Interdiction de la commercialisation et de l’utilisation du dispositif anti-jeunes «Mosquito»
1. Le Forum européen de la jeunesse
a attiré l’attention de l’Assemblée parlementaire sur le dispositif
anti-jeunes «Mosquito» et lui a demandé de se prononcer sur son
utilisation. Son impact sur la santé des enfants et des adolescents
et son caractère discriminatoire à leur égard ont été mentionnés.
2. «Mosquito» est le nom commercial du dispositif sonore anti-jeunes
actuellement commercialisé et utilisé dans plusieurs Etats membres
du Conseil de l’Europe, à savoir le Royaume-Uni, où 3 500 appareils
sont en service, la Belgique, la France, l’Allemagne, l’Irlande,
les Pays-Bas et la Suisse.
3. L’appareil «Mosquito» émet un puissant signal sonore pulsé
ayant une pression de 75 à 95 décibels et une fréquence de 16 à
18,5 kilohertz. Ce type de son est audible par presque tous les
jeunes de moins de 20 ans, mais difficilement perceptible par les
personnes de plus de 25 ans. Le bruit produit par le «Mosquito» est
extrêmement désagréable, et même souvent pénible pour une majorité
de mineurs; il les incite à quitter rapidement la zone couverte
par le dispositif.
4. Ce système est utilisé pour dissuader les adolescents indésirables
de traîner dans des lieux où ils ne sont pas les bienvenus et où
l’on estime qu’ils nuisent à l’image ou à l’ambiance recherchées,
à savoir à l’extérieur des centres commerciaux, dans les ruelles
et autres endroits où les jeunes aiment se retrouver et passer leur
temps. Les appareils sont installés et utilisés par des administrations,
des commerçants et parfois même par des établissements scolaires
ou des particuliers. Dans la majorité des cas, aucun avertissement
ou information préalable ne précède l’installation de ces dispositifs
acoustiques.
5. Les personnes plus âgées n’ont pas conscience d’être exposées
à des émissions acoustiques aussi fortes parce que celles-ci sont
en dehors de leur champ d’audition. En revanche, de nombreux enfants,
en particulier les bébés, ont des réactions spectaculaires à ce
son. Ils se mettent souvent à pleurer ou à crier et se couvrent
les oreilles, à la surprise de leurs parents qui, n’entendant pas
le bruit, ne comprennent pas ce qui se passe.
6. Les adolescents exposés à ce type de bruit sont obligés de
quitter les lieux. Ils ont l’impression que le «Mosquito» est utilisé
comme une arme contre eux, quel que soit leur comportement. Ils
se sentent persécutés et insultés, et s’estiment victimes d’un traitement
clairement discriminatoire. Ils pensent être traités comme des fauteurs
de troubles potentiels et des délinquants, ce qui renforce leur
sentiment de mise à l’écart.
7. L’utilisation du dispositif «Mosquito» pose aussi un problème
de santé publique. En effet, même si le niveau sonore produit par
l’appareil n’excède généralement pas le niveau autorisé par la réglementation
du travail pour des expositions de courte durée, ces règles ne s’appliquent
pas aux enfants, aux mineurs ou aux femmes enceintes, qui devraient,
de toute évidence, être bien mieux protégés que les travailleurs
adultes.
8. A ce jour, il ressort des études menées dans ce domaine que
l’exposition au son émis par le «Mosquito» ne fait pas courir aux
adultes et aux jeunes de risque de perte d’audition. Cependant,
bien qu’il n’existe aucun élément prouvant l’existence d’autres
risques pour la santé liés à l’utilisation de cet appareil, des
tests médicaux supplémentaires sont nécessaires. On ignore, par
exemple, l’impact des sons de haute fréquence sur le fœtus. Le principe
de précaution doit par conséquent s’appliquer.
9. L’Assemblée considère que l’utilisation d’appareils de type
«Mosquito» constitue une ingérence disproportionnée dans l’exercice
du droit au respect de la vie privée – qui inclut le droit au respect
de l’intégrité physique – tel que protégé par l’article 8 de la
Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5). Même
si cette ingérence ne résulte pas directement de l’action des pouvoirs
publics, les Etats parties sont tenus de garantir efficacement ce
droit et d’adopter, au besoin, des mesures de protection adéquates.
L’emploi de ces dispositifs peut, en fonction des circonstances,
constituer aussi une ingérence dans le droit à la liberté de réunion
pacifique, garanti par l’article 11 de la Convention.
10. Pour l’Assemblée, les répulsifs sonores visant à disperser
les adolescents, comme le «Mosquito», vont également à l’encontre
de l’interdiction générale de la discrimination dans la jouissance
de tout droit prévu par la loi, telle que garantie par l’article 1
du Protocole no 12 à la Convention (STE
no 177), et sont contraires à l’article
14 de la Convention, aux termes duquel la jouissance des droits
et libertés reconnus par celle-ci doit être assurée sans distinction
aucune, fondée notamment sur «la naissance ou toute autre situation».
A la suite d’une campagne nationale menée en Grande-Bretagne contre
le caractère discriminatoire du «Mosquito», une nouvelle version
de l’appareil a été mise en vente en novembre 2008, qui permet à
l’utilisateur de baisser la fréquence, permettant ainsi aux personnes
de tous âges d’entendre le son émis. Toutefois, tant qu’il sera possible
d’augmenter la fréquence de l’appareil, et compte tenu de sa finalité,
l’emploi du «Mosquito» restera potentiellement discriminatoire.
11. L’Assemblée souligne, par ailleurs, que ces dispositifs, outre
le fait qu’ils infligent des sons pénibles aux jeunes et les traitent
comme des oiseaux ou des insectes indésirables, sont nocifs et extrêmement
insultants, leur utilisation pouvant ainsi s’apparenter à un traitement
dégradant tel qu’interdit par l’article 3 de la Convention. En vertu
de cette disposition, les enfants et les autres personnes vulnérables
ont le droit d’être protégés contre toute atteinte grave à leur
intégrité physique et psychique.
12. En outre, l’Assemblée constate que les appareils «Mosquito»
contreviennent à la Convention des Nations Unies relative aux droits
de l’enfant, notamment en ce qui concerne le droit à la santé et
à la sécurité. Les Etats parties sont tenus, en vertu de cette convention,
de veiller à ce que «l’enfant soit effectivement protégé contre
toutes formes de discrimination ou de sanction» (article 2.2), de
reconnaître le droit de l’enfant à la liberté de réunion pacifique
(article 15) et de prendre «toutes les mesures législatives, administratives, sociales
et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme
de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales»
(article 19.1).
13. Enfin, le dispositif «Mosquito» ne constitue pas une réponse
raisonnable au comportement antisocial de certains jeunes et ne
fait que déplacer le problème – ailleurs, dans le même quartier.
Il ne s’attaque pas à la racine du problème et n’est certainement
pas de nature à encourager les jeunes à agir de manière responsable,
bien au contraire.
14. L’Assemblée note avec satisfaction qu’un projet de loi est
actuellement examiné par le Sénat belge en vue d’interdire la fabrication,
la commercialisation et la vente de ces appareils, et se félicite
des initiatives prises par certaines autorités locales, qui ont
interdit le recours à tout dispositif de type «Mosquito». Elle déplore, cependant,
qu’aucun Etat membre du Conseil de l’Europe n’ait à ce jour pris
une telle décision. De surcroît, la Commission européenne a décidé
en avril 2008 de ne pas interdire ces dispositifs.
15. Par conséquent, l’Assemblée recommande aux parlements nationaux,
aux gouvernements et aux autorités locales des Etats membres du
Conseil de l’Europe, dans l’exercice de leurs fonctions et de leurs compétences
respectives, de prendre des mesures appropriées, en vue:
15.1. d’interdire dans tous les lieux
publics l’installation et l’utilisation d’appareils acoustiques
de type «Mosquito», qui sont source de discrimination à l’égard
des jeunes;
15.2. d’interdire la commercialisation et la vente de dispositifs
anti-jeunes de type «Mosquito» ou, au moins, d’obliger les propriétaires
ou les gérants de lieux non publics qui décident d’utiliser ce type d’appareil
acoustique dans des lieux placés sous leur responsabilité à clairement
le signaler;
15.3. de promouvoir, en consultation avec les forums de jeunes
au niveau local, la mise en place d’aménagements intérieurs et extérieurs
pour multiplier les possibilités d’activités récréatives, physiques et
intellectuelles, dont des espaces verts, des gymnases, des piscines,
des terrains de jeu, des bibliothèques et des bibliothèques multimédias.
16. L’Assemblée recommande au Comité des Ministres:
16.1. d’inviter instamment les autorités
nationales à adopter une législation interdisant tous les dispositifs
anti-jeunes de type «Mosquito», en tant que condition nécessaire
à la pleine protection des droits fondamentaux des jeunes;
16.2. de suivre étroitement l’évolution de la situation et d’encourager
les initiatives visant à assurer que, dans les divers aspects de
l’organisation de la vie sociale, les mineurs ne soient pas traités
avec mépris et animosité, ni considérés comme des sources de nuisance,
des fauteurs de troubles potentiels, voire des éléments hostiles
de la société.