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Recommandation 1959 (2011) Version finale

Les politiques de prévention en matière de santé dans les Etats membres du Conseil de l’Europe

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l'Assemblée le 28 janvier 2011 (9e séance) (voir Doc. 12219, rapport de la commission des questions sociales, de la santé et de la famille, rapporteuse: Mme Maury Pasquier). Texte adopté par l'Assemblée le 28 janvier 2011 (9e séance).

1. L’Assemblée parlementaire constate qu’au cours du dernier siècle l’Europe a enregistré des progrès extraordinaires en matière de santé et de longévité. Les systèmes de santé européens sont appréciés dans le monde entier pour leur équité et leur capacité à proposer à la population des traitements gratuits ou à un coût raisonnable. En même temps, notre société de consommation à l’échelon mondial a produit de nouvelles maladies, comme l’obésité, les maladies cardiaques, le cancer, le diabète et les problèmes de santé mentale, tandis que de nouvelles inégalités sont apparues dans le domaine de la santé.
2. Le vieillissement de la population aura des conséquences importantes sur les individus, les collectivités et les Etats, modifiera les schémas pathologiques et pèsera sur la viabilité des systèmes de santé. D’après les prévisions, les maladies chroniques devraient devenir la cause principale du handicap dans le monde d’ici à 2020. Des voix s’élèvent pour prévenir que les enfants d’aujourd’hui pourraient bien être la première génération dont l’espérance de vie serait inférieure à celle de leurs parents. Des données inquiétantes montrent par exemple que les cas de diabète chez les enfants ont augmenté considérablement depuis dix ans. Si elles ne font pas l’objet de politiques de prévention et de gestion efficaces, ces maladies chroniques poseront un problème extrêmement épineux à nos systèmes de santé.
3. Les leçons des trente dernières années en matière de promotion de la santé ont souvent été oubliées, négligées ou écartées lors de la mise en œuvre des politiques publiques. Les actuels systèmes de santé européens récompensent et favorisent une approche curative qui vise principalement à réparer ce qui ne va pas. En conséquence, les autorités compétentes se trouvent confrontées à une demande forte et sans cesse croissante d’augmenter la capacité des systèmes de santé à répondre aux besoins d’une population vieillissante et d’améliorer la qualité des soins. L’état actuel des connaissances de ce qui constitue la santé, ce qu’on appelle les facteurs déterminants de la santé, l’évolution de la société ainsi que les taux de progression exponentielle des maladies chroniques indiquent que les systèmes nationaux de santé doivent changer d’orientation et appliquer une nouvelle approche concernant la santé.
4. L’Assemblée attire l’attention sur le fait qu’il subsiste des inégalités dans l’accès aux soins et dans l’accès à l’éducation et à l’information sur la santé, la partie de la population bien informée jouissant d’un accès facile aux ressources mises à disposition et les groupes défavorisés ayant davantage de difficultés. Certaines formes d’inégalité en matière de santé ont des conséquences négatives évidentes sur le reste de la société, par exemple la diffusion des maladies infectieuses, les conséquences de l’alcoolisme et de l’abus de drogue ou les actes de violence et les crimes. Le véritable enjeu consiste donc à garantir l’accès aux ressources disponibles à toutes les couches de la population, sans distinction d’origine socio-économique.
5. L’Assemblée considère que les disparités en matière de santé peuvent être partiellement évitées, dans la mesure où elles résultent de choix politiques identifiables de la part des gouvernements concernant notamment l’éducation, la réglementation commerciale et industrielle, l’alimentation, l’agriculture, la production de produits chimiques, la protection de l’environnement, la circulation routière, les transports, et la consommation d’alcool, de tabac ou de drogue. De ce fait, les inégalités en matière de santé peuvent, en principe, être corrigées par des interventions des pouvoirs publics.
6. Les gouvernements qui sont soucieux d’améliorer la santé des populations doivent donc intégrer bien davantage, lors de l’élaboration de leurs politiques, une approche préventive en matière de santé. Les gouvernements européens ont ainsi une occasion unique de faire des choix importants pouvant affecter la vie de millions d’Européens en renforçant la prévention et la médecine participative.
7. Les connaissances actuelles associées aux facteurs sociaux de la santé, et au fait que l’amélioration de l’état de santé général représente un atout supplémentaire pour la croissance économique, sont si solidement ancrées qu’elles ne sont que rarement remises en question. L’Assemblée regrette toutefois que, malgré l’appel à de meilleures politiques de prévention et malgré toutes les recommandations et certaines avancées réglementaires ou législatives, il y ait encore un manque de réaction face aux risques sanitaires connus ou émergents, en particulier ceux qui relèvent des maladies non transmissibles. Les mesures de promotion de la santé doivent s’inscrire dans une vision à long terme servie par la mise en œuvre de stratégies et de mesures concrètes, ce qui figure rarement parmi les priorités des politiques nationales.
8. L’Assemblée demande instamment aux Etats membres du Conseil de l’Europe d’analyser et d’évaluer leurs stratégies de prévention en matière de santé, en accordant une attention redoublée aux déterminants sociaux et aux inégalités en matière de santé, en mettant l’accent sur les avantages liés à l’amélioration de la santé, et de renouveler leur engagement concernant les objectifs sanitaires de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
9. En outre, l’Assemblée demande au Comité des Ministres d’inviter les Etats membres et les Etats observateurs du Conseil de l’Europe:
9.1. à définir des normes minimales en matière d’accès aux soins de santé, fondées sur les droits fondamentaux de l’être humain et sur des politiques et des pratiques de santé publique judicieuses, en tenant compte du fait que toute la population a droit à la santé, y compris l’ensemble des migrants, quel que soit leur statut migratoire;
9.2. à faire en sorte que la promotion de la santé et le comblement des retards en matière de santé constituent un objectif partagé par tous les secteurs d’action des pouvoirs publics et à incorporer dans le processus d’élaboration des politiques de tous les secteurs et agences une réflexion sur les impacts pour la santé, en adoptant l’approche de la «perspective santé dans toutes les politiques»;
9.3. à renforcer les mécanismes de prévention et de réduction des risques sanitaires liés à l’environnement en raison de la pollution de l’air, de l’eau, des aliments et des sols, ainsi que de la pollution sonore, et à promouvoir les effets positifs pour la santé de l’accès à un environnement de qualité, comme le souligne la Recommandation 1863 (2009) de l’Assemblée «Environnement et santé: mieux prévenir les risques sanitaires liés à l’environnement»;
9.4. à améliorer les mécanismes de dépistage et de détection précoces des maladies et des troubles de la santé – notamment le VIH/SIDA et la tuberculose – pour permettre un traitement rapide de ces maladies, à fournir les moyens permettant d’orienter chaque patient vers des services et des aides complémentaires ainsi qu’à coopérer activement avec l’OMS et le système mondial de surveillance afin de stopper la propagation des maladies infectieuses;
9.5. à promouvoir une éducation sexuelle et à la santé englobant tous les aspects, y compris l’abstinence, afin de prévenir la diffusion des maladies sexuellement transmissibles;
9.6. à promouvoir un dépistage universel de maladies non infectieuses et des facteurs de risque à des âges clés de la vie ou dans des situations spécifiques pour la prévention de problèmes de santé relatifs à certains risques génétiques ou environnementaux;
9.7. à incorporer expressément les politiques de prévention dans les stratégies de réduction de la pauvreté et dans les politiques socio-économiques pertinentes afin de supprimer les inégalités dans l’accès à l’information et à la protection sanitaires, l’exposition aux risques et l’accès aux soins, qui entraînent de grandes inégalités dans l’apparition et l’issue des maladies, tout en prêtant une attention particulière à la situation des personnes vulnérables en Europe;
9.8. à favoriser un bon départ dans la vie pour les familles et les jeunes enfants, en renforçant les soins préventifs avant la grossesse ainsi que les soins aux mères et aux nourrissons dans des centres de soins pré- et post-natals, pédiatriques et scolaires, et également par l’amélioration du niveau d’instruction des parents et des enfants;
9.9. à intensifier les efforts visant à faire de l’éducation à la santé une priorité de la politique de santé publique, et notamment à veiller à ce que cette discipline soit intégrée dans les programmes scolaires, en utilisant les nouvelles technologies dans ce contexte;
9.10. àdévelopper une recherche indépendante, fondée sur des critères scientifiques à l’abri de l’influence des groupes de pression économiques, notamment de l’industrie agroalimentaire, pharmaceutique et du tabac;
9.11. à assurer un processus transparent et responsable de prise de décisions pour l’ensemble des questions relatives à la réglementation de l’alimentation; à promouvoir les méthodes de production alimentaire et d’agriculture durables qui préservent les ressources naturelles; à développer une culture plus forte de la nutrition-santé, afin d’améliorer les connaissances de la population sur les aliments et la nutrition;
9.12. à prêter attention, lors de la planification des campagnes sur la nutrition et le poids corporel sain, aux risques de stigmatisation qui pourraient avoir des effets négatifs non voulus pour les personnes en surpoids ou risquant de développer des troubles de l’image du corps et de l’alimentation;
9.13. à inciter, par la négociation, le secteur privé et les médias à s’engager davantage en faveur des questions de santé ainsi qu’à sensibiliser les industries à haut risque à leurs responsabilités en encourageant la transparence et en promouvant une culture de responsabilité sociale d’entreprise, notamment à l’égard des catégories défavorisées de la population;
9.14. à travailler avec les industries agroalimentaire et publicitaire pour encourager la prise en compte de données, faits et chiffres clés sur les maladies non transmissibles et pour interdire la publicité des produits nocifs pour la santé; à formuler des recommandations en faveur de la réduction des taux de graisses saturées et de sucre ajouté, et de la commercialisation croissante de certains produits alimentaires dans des versions à taux de graisse réduit ou faible et à taux de sucre réduit, faible ou nul;
9.15. à promouvoir le développement d’installations couvertes et en plein air pour des loisirs à caractère sportif, en particulier des gymnases, des piscines, des terrains de jeu et des patinoires; à renforcer le soutien aux programmes de sport, en particulier ceux qui sont accessibles à tous les membres de la société, quels que soient leur âge, leur sexe, leur origine, et à encourager le secteur privé à mieux assumer sa responsabilité envers la société en permettant à des personnes moins favorisées d’utiliser ses installations;
9.16. à renforcer l’intégration des soins et de la prévention en s’assurant le soutien des professionnels de santé; à intégrer l’éducation à la santé en tant qu’élément fondamental de la formation médicale initiale et continue, notamment l’éducation à la nutrition, à la santé et aux droits humains, et à inclure les connaissances en matière de santé parmi les indicateurs clés d’une prise en charge hospitalière de qualité;
9.17. à s’intéresser au contexte social général qui influe sur la consommation problématique d’alcool, de tabac et de drogue (y compris les médicaments psychotropes dont la consommation régulière présente également un risque d’addiction), et à inscrire les politiques de lutte contre la dépendance dans le cadre général de la politique économique et sociale;
9.18. à soutenir activement les efforts de l’OMS pour la mise en place d’un cadre international destiné à s’attaquer à l’utilisation nocive de l’alcool, en suivant l’exemple de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac;
9.19. à promouvoir des campagnes d’éducation visant à sensibiliser le public à la gravité et aux causes sous-jacentes des accidents, des décès et des blessures liés à la circulation;
9.20. à adopter des mesures appropriées pour permettre aux personnes âgées de mener une existence indépendante dans leur environnement habituel aussi longtemps qu’elles le souhaitent et que cela est possible, et à mettre en place des programmes de santé mentale pour tout problème psychologique rencontré par les personnes âgées, ainsi que des services de soins palliatifs adéquats;
9.21. à accorder une attention particulièreà la santé mentale, englobant la prévention des troubles mentaux et du suicide; à promouvoir le bien-être et l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie familiale, ainsi qu’à favoriser l’intégration sociale des groupes fortement marginalisés tels que les réfugiés, les victimes de catastrophes, les exclus sociaux, les handicapés mentaux, les personnes âgées et fragiles, les femmes et les enfants victimes de violence et également les personnes très pauvres;
9.22. à formuler, à mettre en œuvre et à assurer le suivi périodique d’une politique nationale cohérente sur l’hygiène et la sécurité au travail, en consultant les organisations patronales et syndicales;
9.23. à développer une mobilité «douce» et des politiques de transport soucieuses de la santé et de l’environnement, tels que les transports publics, le covoiturage et l’auto-partage, afin de créer des villes favorables aux piétons et aux cyclistes, en coopération avec les pouvoirs locaux et régionaux;
9.24. à encourager la participation des organisations de la société civile, telles que les associations de malades et de consommateurs, les associations de solidarité agréées et les organisations non gouvernementales, et à les soutenir activement;
9.25. àmettre en place des systèmes d’évaluation et à promouvoir la collecte de données et d’informations standardisées ainsi que d’indicateurs pertinents, en conformité avec les recommandations de l’OMS.
10. En conclusion, l’Assemblée invite le Comité des Ministres:
10.1. à examiner, à mettre à jour et à comparer les politiques nationales et internationales de prévention en matière de santé et les stratégies de promotion de la santé dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, en coopération avec l’Union européenne;
10.2. à examiner et à comparer la mise en œuvre de ces politiques, et à encourager les Etats membres à augmenter la part des ressources allouées aux politiques de prévention et de promotion de la santé, et à leur conférer un caractère durable;
10.3. à étudier le rôle des organisations nationales, européennes et internationales engagées dans des activités de promotion de la santé et à analyser les possibilités d’une interaction plus stratégique fondée sur les domaines spécialisés de chaque organisation;
10.4. à établir un dialogue constructif avec la Commission européenne, afin de renforcer la solidarité en matière de santé et de réduire les inégalités en matière de santé en Europe, en accordant une attention particulière aux pays non membres de l’Union européenne, en étroite collaboration avec l’OMS;
10.5. à charger un comité d’experts de préparer un projet de recommandation s’inspirant des éléments ci-dessus, dans un délai de deux ans.