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Recommandation 1962 (2011) Version finale

La dimension religieuse du dialogue interculturel

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l'Assemblée le 12 avril 2011 (12e et 13e séances) (voir Doc. 12553, rapport de la commission de la culture, de la science et de l'éducation, rapporteur: Mme Brasseur; et Doc. 12576, avis de la commission des questions politiques, rapporteur: M. Toshev). Texte adopté par l'Assemblée le 12 avril 2011 (13e séance).

1. L’Assemblée parlementaire constate l’intérêt grandissant pour les questions concernant le dialogue interculturel dans un contexte européen et mondial où les efforts de rapprochement et de collaboration entre communautés au sein de nos sociétés et entre les peuples, pour construire ensemble le bien commun, sont mis constamment en danger par des incompréhensions, de fortes tensions, voire des actes barbares de haine et de violence.
2. L’Assemblée se réjouit de la dynamique positive qui se développe au sein du Conseil de l’Europe et qui favorise une approche intégrée des questions concernant le dialogue interculturel et sa dimension religieuse. Le Livre blanc sur le dialogue interculturel – Vivre ensemble dans l’égale dignité et les rencontres annuelles organisées par le Comité des Ministres sur «La dimension religieuse du dialogue interculturel» sont en quelque sorte l’aboutissement de cette approche.
3. L’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme («la Convention», STE no 5) garantit le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Cette liberté représente l’une des assises d’une «société démocratique» au sens de la Convention; elle figure, dans sa dimension religieuse, parmi les éléments les plus essentiels de l’identité des croyants et de leur conception de la vie, mais elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents.
4. L’affirmation de ce droit inaliénable implique la liberté pour chacun d’avoir (ou non) une religion et de manifester sa religion individuellement et en privé, ou de manière collective, en public et dans le cercle de ceux dont on partage la foi. Les Eglises et communautés religieuses ont, en Europe, le droit d’exister et de s’organiser de manière autonome. Néanmoins, la liberté de religion ainsi que la liberté d’avoir une vision philosophique ou laïque du monde sont indissociables de l’acceptation sans réserve, de la part de tous, des valeurs fondamentales inscrites dans la Convention.
5. Ces valeurs doivent nous rassembler, mais il est également important de reconnaître les différences culturelles qui existent entre personnes de convictions différentes. Les différences, dans la mesure où elles sont compatibles avec le respect des droits de l’homme et des principes à la base de la démocratie, ont non seulement le droit d’exister, mais contribuent également à la détermination de l’essence de nos sociétés plurielles.
6. Le modèle européen est par définition multiculturel et il faudrait prendre en considération les différences résultant d’un vécu historique diversifié. Néanmoins, les valeurs communes telles que le respect mutuel, la protection des droits fondamentaux, la démocratie, la tolérance, l’acceptation que les différences sont un fait normal et la vision d’un futur commun doivent être renforcées davantage.
7. Le problème réside souvent dans notre attitude face à la diversité. L’Assemblée insiste sur la nécessité pour chacun d’apprendre à partager ses différences de manière positive et à accueillir l’autre avec les siennes, afin de construire des sociétés cohésives, ouvertes à la diversité et respectueuses de la dignité de toute personne. A cette fin, l’Assemblée est persuadée de l’importance de la dimension religieuse du dialogue interculturel, ainsi que de l’importance de la collaboration entre les communautés religieuses, pour la promotion des valeurs qui constituent le socle commun de nos sociétés européennes et de toute société démocratique.
8. L’Assemblée estime qu’il est non seulement souhaitable, mais aussi nécessaire que les diverses Eglises et communautés religieuses – et notamment les chrétiens, les juifs et les musulmans – se reconnaissent mutuellement le droit à la liberté de religion et de conviction. Il est également indispensable que les personnes de toutes les convictions et de toutes les visions du monde, qu’elles soient religieuses ou non, acceptent d’intensifier le dialogue en s’appuyant sur l’affirmation commune de l’égale dignité de toutes les personnes et sur l’adhésion sans réserve aux principes démocratiques et aux droits de l’homme. Ce sont là deux conditions essentielles pour développer une nouvelle culture du vivre ensemble. L’Assemblée appelle donc toutes les Eglises et les communautés religieuses à poursuivre leurs efforts de dialogue, y compris avec les mouvements humanistes, afin de travailler à l’unisson pour atteindre l’objectif d’une garantie effective de ces valeurs partout, en Europe et dans le monde.
9. Il incombe aux Etats de mettre en place les conditions nécessaires au pluralisme religieux et de convictions, et d’assurer le respect effectif de la liberté de pensée, de conscience et de religion, tel que garanti par l’article 9 de la Convention.
10. L’Assemblée rappelle à cet égard l’obligation pour les Etats de veiller à ce que toutes les communautés religieuses qui acceptent les valeurs fondamentales communes puissent bénéficier de statuts juridiques appropriés garantissant l’exercice de la liberté de religion et d’éviter qu’un soutien privilégié accordé à certaines religions ne devienne, dans les faits, disproportionné et discriminatoire. Les Etats doivent également réconcilier les droits des communautés religieuses avec la nécessité de sauvegarder les droits des personnes sans croyance religieuse qui adhèrent à ces mêmes valeurs fondamentales.
11. L’Assemblée considère qu’il est nécessaire de développer un partenariat dynamique et fructueux entre les institutions publiques, les communautés religieuses et les groupements s’inspirant d’une vision non religieuse. La reconnaissance par les diverses confessions religieuses et par les convictions non religieuses de la dignité humaine comme un bien essentiel et universel constitue le point de départ commun.
12. De ce fait, l’Assemblée recommande aux autorités publiques aux niveaux local et national de faciliter les rencontres organisées dans le cadre du dialogue interreligieux ainsi que d’encourager et de soutenir les projets développés en commun par plusieurs communautés, y compris avec les associations humanistes et non religieuses, qui visent à consolider les liens sociaux à travers, par exemple, la promotion d’une solidarité intercommunautaire, l’attention à l’égard des personnes les plus vulnérables et la lutte contre les discriminations.
13. L’Assemblée réaffirme l’importance et le rôle du système éducatif pour la connaissance et la compréhension des différentes cultures, y compris les croyances et les convictions qui les caractérisent, et pour l’apprentissage des valeurs démocratiques et du respect des droits de l’homme. Elle recommande aux Etats et aux communautés religieuses de reconsidérer ensemble, sur la base des orientations données par le Conseil de l’Europe, les questions de l’enseignement du fait religieux, de l’enseignement confessionnel et de la formation des enseignants et des ministres du culte ou cadres religieux, en suivant une approche holistique.
14. L’Assemblée souligne que le principe de neutralité de l’Etat s’applique à l’enseignement religieux dans le cadre scolaire et que, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, il incombe aux autorités nationales de veiller avec la plus grande attention à ce que les convictions religieuses et non religieuses des parents ne soient pas heurtées.
15. Pour l’Assemblée, le défi est aujourd’hui de trouver l’accord et l’équilibre nécessaires afin que l’enseignement du fait religieux devienne une opportunité de rencontre et d’écoute réciproque. Elle recommande aux Etats et aux communautés religieuses de faire des efforts concertés dans cette direction et invite les Etats à se donner les moyens nécessaires pour passer des déclarations aux réalisations sur le terrain. Il serait hautement recommandable que chaque enseignant, tous types d’enseignement et filières confondus, suive pendant sa formation un module le familiarisant avec les courants de pensées majeurs.
16. L’Assemblée rappelle que l’autonomie interne des institutions religieuses quant à la formation des cadres religieux est un principe inhérent à la liberté de religion. Néanmoins, cette autonomie est limitée par les droits fondamentaux, les principes démocratiques et l’Etat de droit, que nous avons en commun. Dès lors, l’Assemblée invite les institutions et les responsables religieux à réfléchir, si possible ensemble et dans le cadre du dialogue interreligieux, sur la manière appropriée de mieux former leurs cadres religieux:
16.1. à la connaissance et à la compréhension des autres religions et convictions ainsi qu’à l’ouverture, au dialogue et à la collaboration entre communautés religieuses;
16.2. au respect des droits fondamentaux, des principes démocratiques et de l’Etat de droit, comme assise commune de ce dialogue et de cette collaboration.
17. L’Assemblée recommande au Comité des Ministres:
17.1. de promouvoir un véritable partenariat pour la démocratie et les droits de l’homme entre le Conseil de l’Europe, les institutions religieuses et les organisations humanistes et non religieuses, visant à favoriser l’engagement actif de toutes les parties prenantes dans des actions de promotion des valeurs fondamentales de l’Organisation;
17.2. de créer, pour ce faire, un espace de dialogue, une table de travail entre le Conseil de l’Europe et de hauts représentants de religions et d’organisations non confessionnelles, afin d’asseoir les relations existantes sur une plate-forme stable et formellement reconnue;
17.3. de développer cette initiative en concertation avec les parties intéressées, d’y associer étroitement l’Assemblée parlementaire et, dans toute la mesure du possible, l’Union européenne, et d’inviter l’Alliance des civilisations – ONU et éventuellement d’autres partenaires à y contribuer;
17.4. de poursuivre, dans ce contexte, l’organisation de rencontres thématiques sur la dimension religieuse du dialogue interculturel.
18. L’Assemblée recommande, en outre, au Comité des Ministres:
18.1. de promouvoir l’adhésion des Etats du Bassin méditerranéen à la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), à l’Accord partiel sur la mobilité des jeunes par la Carte Jeunes et au Centre européen pour l’interdépendance et la solidarité mondiales (Centre Nord-Sud);
18.2. d’inviter tous les Etats membres à soutenir tout projet ciblé que le Centre Nord-Sud pourrait développer pour renforcer les dynamiques positives de la dimension religieuse du dialogue interculturel au-delà des frontières du continent européen, sur le plan interrégional et/ou global;
18.3. d’accroître les moyens alloués au projet sur les cités interculturelles, dans lequel il conviendrait d’intégrer explicitement la dimension religieuse du dialogue interculturel;
18.4. d’offrir davantage de soutien aux travaux du Centre européen Wergeland à Oslo, notamment pour développer sa capacité de collaborer avec les Etats membres du Conseil de l’Europe sur des projets concernant la dimension interculturelle et interreligieuse de la formation des enseignants et des éducateurs.
19. L’Assemblée invite l’Union européenne, en particulier le Parlement européen et la Commission européenne, ainsi que son Agence des droits fondamentaux, à développer des programmes communs avec le Conseil de l’Europe dans le domaine de l’éducation à la citoyenneté démocratique et de l’éducation aux droits de l’homme, s’appuyant sur la Charte que le Comité des Ministres a adoptée le 11 mai 2010 (Recommandation CM/Rec(2010)7), ainsi que dans le domaine du dialogue interculturel et interreligieux.
20. L’Assemblée invite l’Alliance des civilisations – ONU à développer des programmes communs avec le Conseil de l’Europe visant à accroître les synergies dans l’action des deux organisations en Europe.