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Résolution 1862 (2012) Version finale
Le fonctionnement des institutions démocratiques en Ukraine
1. L’Assemblée parlementaire se réjouit
de la coopération constante avec les autorités ukrainiennes dans le
cadre de la procédure de suivi de l’Assemblée. Elle note avec satisfaction
que les autorités ont pris plusieurs mesures importantes afin d’honorer
les engagements restants, contractés lors de l’adhésion, y compris
en ce qui concerne la lutte contre la corruption. Elle salue l’étroite
coopération établie entre le Conseil de l’Europe et les autorités
ukrainiennes pour la mise en œuvre des réformes nécessaires. Toutefois,
l’Assemblée regrette que les poursuites engagées contre d’anciens
dirigeants politiques ukrainiens entravent l’intégration européenne
du pays.
2. L’Assemblée exprime son inquiétude face aux poursuites pénales
engagées aux termes des articles 364 (abus d’autorité) et 365 (outrepassement
d’autorité ou de fonction) du Code pénal ukrainien contre certains membres
de l’ancien gouvernement, notamment M. Iouri Loutsenko, ancien ministre
de l’Intérieur, M. Valeri Ivachtchenko, ancien ministre de la Défense
par intérim, et M. Evgueni Kornitchouk, ancien premier vice-ministre
de la Justice, ainsi que Mme Ioulia Timochenko, ancien Premier ministre.
3. L’Assemblée considère que le champ d’application des articles
364 et 365 du Code pénal ukrainien est beaucoup trop large et qu’il
permet effectivement une pénalisation postérieure au fait de décisions
politiques normales, ce qui est contraire au principe de l’Etat
de droit et inacceptable. L’Assemblée invite donc instamment les
autorités à modifier rapidement ces deux articles du Code pénal
pour les rendre conformes aux normes du Conseil de l’Europe et à
lever les charges qui pèsent sur les responsables de l’ancien gouvernement
et qui sont fondées sur ces dispositions. L’Assemblée tient à souligner
que l’évaluation des décisions politiques et de leurs conséquences
est une prérogative des parlements et, en fin de compte, de l’électorat,
et non des tribunaux. A cet égard, l’Assemblée demande au Président
de l’Ukraine d’examiner tous les moyens juridiques à sa disposition
pour libérer ces membres de l’ancien gouvernement et leur permettre de
se présenter aux prochaines élections législatives. Elle estime
que des normes internationales strictes délimitant la responsabilité
pénale et politique doivent être élaborées.
4. L’Assemblée regrette les nombreuses défaillances relevées
dans les procédures pénales engagées contre des membres de l’ancien
gouvernement et considère qu’elles peuvent avoir réduit la possibilité
des accusés d’obtenir un procès équitable au sens de l’article 6
de la Convention européenne des droits de l’homme (la Convention,
STE no 5). A cet égard, l’Assemblée prend note de la décision de
la Cour européenne des droits de l’homme de traiter selon une procédure
accélérée une requête de Mme Timochenko concernant sa détention,
dans laquelle elle se plaint de violations des articles 3, 5 et
18 de la Convention.
5. De l’avis de l’Assemblée, ces défaillances sont le résultat
de déficiences structurelles qui existent dans le système judiciaire
en Ukraine. Ces déficiences ne sont pas nouvelles et préoccupent
l’Assemblée depuis longtemps, notamment le manque d’indépendance
du pouvoir judiciaire, le recours excessif à la détention provisoire
et la durée de celle-ci, le manque d’égalité des armes entre l’accusation
et la défense, ainsi que les arguments juridiques inappropriés fournis
par l’accusation et les tribunaux dans les documents officiels et
les décisions.
6. Eu égard à l’indépendance du pouvoir judiciaire, l’Assemblée:
6.1. réaffirme sa profonde inquiétude
face au manque d’indépendance du pouvoir judiciaire et considère
qu’il s’agit du principal défi que doit relever l’appareil judiciaire
en Ukraine;
6.2. estime que la procédure actuelle de nomination des juges
nuit à l’indépendance du pouvoir judiciaire. Elle invite les autorités
à supprimer ou, au minimum, à raccourcir considérablement la période d’essai
de cinq ans prévue pour les juges et à retirer la Verkhovna Rada
du processus de nomination;
6.3. estime que les juges ne devraient pas instruire d’affaires
politiquement sensibles ou complexes pendant leur période d’essai;
6.4. considère que la composition du Conseil supérieur de la
magistrature est contraire au principe de séparation des pouvoirs
et nuit également à l’indépendance du pouvoir judiciaire. L’Assemblée demande
donc que des amendements aux lois pertinentes soient adoptés afin
de retirer effectivement les représentants de la Verkhovna Rada,
le Président de l’Ukraine et la Prokuratura de la composition du
Conseil supérieur de la magistrature. Dans l’attente de l’adoption
de ces amendements, ces trois institutions devraient nommer des
membres apolitiques au Conseil supérieur de la magistrature;
6.5. invite la Verkhovna Rada à adopter rapidement les amendements
constitutionnels qui permettraient de retirer les dispositions empêchant
l’application des recommandations de l’Assemblée mentionnées aux
paragraphes 6.2 et 6.4;
6.6. exprime son inquiétude face aux nombreux rapports crédibles
qui signalent que des mesures disciplinaires ont été engagées, et
que des juges ont été révoqués par le Conseil supérieur de la magistrature
parce que le ministère public s’est plaint que les juges en question
se soient prononcés contre l’accusation dans une certaine affaire.
De telles pratiques sont incompatibles avec le principe de l’Etat
de droit et doivent cesser immédiatement.
7. Eu égard à la détention provisoire, l’Assemblée:
7.1. exprime son inquiétude face
au recours excessif à la détention provisoire, souvent appliquée sans
justification ou motifs valables, dans le système judiciaire ukrainien;
7.2. note à cet égard que la détention provisoire excessive
et illégale est un des principaux motifs des arrêts rendus par la
Cour européenne des droits de l’homme contre l’Ukraine;
7.3. réaffirme que, conformément au principe de présomption
d’innocence, la détention provisoire ne devrait être utilisée que
comme une mesure de dernier ressort lorsqu’il existe un risque patent
de fuite ou de détournement de la justice;
7.4. demande aux autorités de veiller à ce que le Code de procédure
pénale fournisse une procédure claire d’examen de la légalité et
de la durée de la détention provisoire. En outre, des indications devraient
être données pour garantir que la détention provisoire n’est appliquée
que comme une mesure de dernier ressort et uniquement sur la base
d’une décision dûment motivée par un tribunal.
8. Eu égard à l’égalité des armes entre l’accusation et la défense,
l’Assemblée:
8.1. note avec préoccupation
que le parti pris en faveur de l’accusation est endémique dans le système
judiciaire ukrainien;
8.2. demande aux autorités de veiller à ce que, dans le Code
de procédure pénale, l’égalité des armes entre l’accusation et la
défense soit garantie dans la loi et la pratique;
8.3. invite les autorités à s’assurer en particulier que le
Code de procédure pénale indique explicitement que la défense doit
obtenir une copie du dossier d’accusation et disposer d’un laps
de temps suffisant pour en prendre connaissance, sous le contrôle
d’un juge;
8.4. constate avec satisfaction que le Président de l’Ukraine
a soumis un nouveau projet de code de procédure pénale à la Verkhovna
Rada, et appelle cette dernière à adopter rapidement cette loi qui prend
pleinement en compte les recommandations faites par le Conseil de
l’Europe lors de son examen du projet de loi.
9. Concernant les déficiences structurelles du système judiciaire,
l’Assemblée regrette que l’Ukraine n’ait pas encore mis le parquet
en conformité avec les normes du Conseil de l’Europe, alors que
cette réforme figure parmi les engagements contractés lors de l’adhésion.
En conséquence, la Prokuratura reste une institution beaucoup trop
centralisée, dotée de pouvoirs excessifs.
10. L’Assemblée prend note avec préoccupation des rapports qui
signalent que l’état de santé de M. Iouri Loutsenko, ancien ministre
de l’Intérieur, et celui de M. Valeri Ivachtchenko, ancien ministre
de la Défense par intérim, placés actuellement en détention provisoire,
se dégradent rapidement, et que ces deux personnes ont besoin de
soins médicaux en dehors du système carcéral. L’Assemblée demande
que ces deux personnes soient libérées immédiatement pour des motifs
humanitaires en attendant les conclusions de leur procès, compte
tenu également de ses inquiétudes face au recours à la détention
provisoire en Ukraine. L’Assemblée se déclare également préoccupée
par la dégradation de l’état de santé de Mme Timochenko et appelle
les autorités à autoriser, sans conditions préalables, des examens
médicaux et, si nécessaire, un traitement par des médecins indépendants,
hors du service pénitentiaire.
11. L’Assemblée salue le fait qu’un certain nombre de réformes
importantes ont été mises en œuvre, notamment dans le domaine de
l’intégration de l’économie ukrainienne dans l’Espace économique
européen. Cela souligne l’importance donnée par les autorités à
une plus grande intégration européenne du pays.
12. L’Assemblée reconnaît le résultat du 15e Sommet Ukraine-Union
européenne, qui a eu lieu le 19 décembre 2011 à Kiev en relation
avec l’Accord d’association entre l’Ukraine et l’Union européenne.
Il est essentiel que les deux parties reconnaissent que cet accord
d’association constitue une nouvelle étape sur la voie du développement
de relations contractuelles entre elles en vue d’une association
politique et d’une intégration économique.
13. L’Assemblée réaffirme sa position selon laquelle il ne sera
pas possible de mettre en œuvre les réformes nécessaires que l’Ukraine
doit entreprendre pour honorer ses engagements envers le Conseil
de l’Europe sans réformer au préalable la Constitution actuelle.
Elle invite donc le Président et la Verkhovna Rada à engager rapidement
un processus complet de réforme constitutionnelle, sans attendre
la fin des prochaines élections législatives. L’Assemblée se félicite
de l’avis positif donné par la Commission européenne pour la démocratie par
le droit (Commission de Venise) au document de réflexion visant
à instituer une assemblée constitutionnelle dont elle espère qu’elle
sera à la base du processus de réforme de la Constitution. De plus, l’Assemblée
appelle instamment les autorités à tirer pleinement parti des recommandations
formulées dans les avis de la Commission de Venise sur de précédents
projets de réforme constitutionnelle.
14. L’Assemblée salue le fait que les autorités demandent systématiquement
l’avis de la Commission de Venise sur les projets de loi qu’elles
préparent. Cependant, elle note que, à plusieurs occasions, les
projets de loi pour lesquels des avis ont été demandés ont par la
suite été retirés et que les recommandations de la Commission de
Venise n’ont pas été prises en compte dans les lois adoptées en
fin de compte par la Verkhovna Rada. L’Assemblée appelle donc instamment
les autorités à tenir pleinement compte des avis de la Commission
de Venise lors de la préparation de nouvelles lois, y compris pour
ce qui est des avis sur des projets antérieurs portant sur un même
sujet. Dans ce contexte, l’Assemblée s’attend à ce que les avis
positifs donnés sur les projets de loi – préparés par la Commission
présidentielle pour le renforcement de la démocratie – sur l’ordre
des avocats, sur la liberté de réunion et sur le document de réflexion
concernant l’établissement d’une assemblée constitutionnelle soient
pris en considération dans les projets de loi qui sont envoyés à
la Verkhovna Rada pour adoption.
15. L’Assemblée prend note de l’adoption, le 17 novembre 2011,
de la loi sur l’élection des députés du peuple d’Ukraine. Tout en
se félicitant qu’un certain nombre de ses préoccupations précédentes
aient été prises en compte, l’Assemblée regrette que ses principales
recommandations, notamment l’adoption d’un code électoral unifié
et l’adoption d’un système électoral régional proportionnel, n’aient
pas été mises en œuvre. Eu égard à la nouvelle législation électorale,
l’Assemblée:
15.1. salue l’adoption,
par un large consensus et avec la participation de l’opposition,
de la loi relative aux élections législatives, qui constitue un
premier pas vers une législation électorale unifiée;
15.2. souligne que l’adoption de cette loi relative aux élections
législatives ne devrait pas être un prétexte pour ne pas adopter
un code électoral unifié, qui reste toujours nécessaire afin d’assurer
que toutes les élections organisées en Ukraine s’inscrivent dans
un cadre juridique cohérent pleinement conforme aux normes européennes;
15.3. craint que le relèvement à 5 % du seuil requis pour les
élections proportionnelles ainsi que l’interdiction pour les partis
de former des blocs électoraux pour se présenter aux élections puissent diminuer
les chances pour les partis plus petits ou récents d’entrer au parlement.
L’Assemblée craint que ces dispositions puissent réduire le pluralisme
et renforcer la polarisation au nouveau parlement. Elle recommande
que le seuil soit abaissé et que l’interdiction de former des blocs
électoraux soit retirée de la législation électorale avant les prochaines
élections législatives. Pour améliorer le pluralisme et encourager
la participation des minorités nationales à la vie publique, l’Assemblée
recommande à la Commission électorale centrale de veiller, quand
elle délimitera les circonscriptions pour les élections législatives
de 2012, à incorporer en une même circonscription les groupes minoritaires
nationaux qui forment un habitat concentré dans certaines zones;
15.4. regrette la présence dans cette loi de dispositions qui
limitent le droit de se présenter à une élection de toute personne
condamnée pour une infraction, quelle que soit la gravité de celle-ci. Reconnaissant
que ces dispositions sont fondées sur l’article 76 de la Constitution
ukrainienne, l’Assemblée propose de supprimer celles-ci sans délai
dans le cadre du processus de révision constitutionnelle qu’elle
a recommandé;
15.5. demande aux autorités de mettre pleinement en œuvre les
recommandations du Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO) du
Conseil de l’Europe concernant le financement des partis politiques.
16. L’Assemblée considère que les prochaines élections législatives
seront un test décisif de l’engagement de l’Ukraine en faveur des
principes démocratiques. L’Assemblée est d’avis qu’une observation
internationale de ces élections contribuera considérablement à leur
conduite démocratique. Elle estime qu’elle devrait y contribuer
en s’appuyant sur une importante délégation.
17. L’Assemblée note que plusieurs engagements d’adhésion importants
n’ont pas encore été honorés, bien que l’Ukraine ait adhéré au Conseil
de l’Europe en 1995, il y a presque dix-sept ans. Les gouvernements successifs,
ainsi que la Verkhovna Rada et ses groupes politiques, partagent
la responsabilité de cet échec. Dans sa Résolution 1755 (2010) sur
le fonctionnement des institutions démocratiques en Ukraine, l’Assemblée s’était
félicitée du programme de réforme ambitieux des autorités en vue
d’honorer les engagements d’adhésion restants. Malgré les résultats
positifs initiaux dans plusieurs domaines, l’Assemblée est préoccupée
par les signaux qui indiquent que la dynamique et la volonté politique
nécessaires pour mettre en œuvre ces réformes s’essoufflent. L’Assemblée
invite donc instamment les autorités, ainsi que toutes les forces
politiques du pays, à mettre en œuvre rapidement les réformes qui
sont nécessaires pour que l’Ukraine honore ses engagements d’adhésion
et instaure une démocratie solide dans le pays.
18. L’Assemblée considère que la mise en œuvre de ses recommandations,
et notamment de celles qui concernent les poursuites pénales engagées
contre des membres de l’ancien gouvernement, témoignerait de la
volonté des autorités de respecter les normes et valeurs du Conseil
de l’Europe. Inversement, si ses recommandations n’étaient pas appliquées
dans un délai raisonnable, cela ferait peser de sérieux doutes sur l’adhésion
des autorités aux principes de la démocratie et de la prééminence
du droit, et devrait conduire à une réponse appropriée de l’Assemblée.
En conséquence, l’Assemblée invite la commission de suivi à continuer
à observer la situation de près et à proposer éventuellement que
l’Assemblée adopte les mesures requises par la situation, qui pourraient
aussi consister à envisager des sanctions si les demandes de l’Assemblée
n’étaient pas satisfaites.