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Addendum au rapport | Doc. 12874 Add | 12 avril 2012
La protection de la liberté d'expression et d'information sur l'internet et les médias en ligne
Commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias
1. Introduction
1. Le nouvel Accord commercial anti-contrefaçon (ACAC) a suscité une controverse politique
dans plusieurs Etats membres et sur les forums internet. L'un des
principaux griefs retenus est que l'ACAC pourrait porter atteinte
à la liberté d'expression et d'information sur l'internet. C'est
pourquoi je soumets le présent addendum à mon rapport sur la protection
de la liberté d'expression et d'information sur l'internet et les
médias en ligne (Doc. 12874).
2. Les travaux qui donneront naissance à l'ACAC ont débuté en
octobre 2007 à l'initiative conjointe de l'Union européenne, du
Japon, des Etats-Unis ainsi que d'autres Etats. L'ACAC a été signé
à Tokyo le 1er octobre 2011 par l'Australie,
le Canada, le Japon, la République de Corée, le Maroc, la Nouvelle-Zélande, Singapour
et les Etats-Unis et le 26 janvier 2012 par 22 Etats membres de
l'Union européenne .
L'Union européenne a répondu publiquement aux récentes critiques
formulées à l'encontre de l'ACAC .
3. L'ACAC met l'accent sur les procédures judiciaires civiles
(articles 7 à 12) et sur les sanctions (articles 23 à 26) visant
la contrefaçon de marques et les atteintes au droit d'auteur et
aux droits connexes. L'article 27 de l'ACAC concerne plus particulièrement
le respect des droits de propriété intellectuelle dans l'environnement numérique.
C'est notamment cette dernière disposition qui a fait l'objet de
critiques.
2. Protection des droits de propriété intellectuelle
4. Le Conseil de l'Europe protège les droits de propriété
intellectuelle aux termes de l'article 1 («Protection de la propriété»)
du protocole additionnel à la Convention européenne des droits de
l'homme (STE nos 5 et 9, «la Convention»)
et de l'article 10 («Infractions liées aux atteintes à la propriété
intellectuelle et aux droits connexes») de la Convention sur la
cybercriminalité (STE no 185) ainsi que
de la Convention du Conseil de l'Europe sur la contrefaçon des produits
médicaux et les infractions similaires menaçant la santé publique (STCE
no 211).
5. L'article 17.2 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union
européenne protège expressément la propriété intellectuelle. Une
législation européenne spécifique a par exemple été établie par
l'intermédiaire de la Directive 2001/29/CE sur l'harmonisation de
certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société
de l'information, de la Directive 2004/48/CE relative au respect
des droits de propriété intellectuelle et de la Directive 2009/24/CE
concernant la protection juridique des programmes d'ordinateur.
6. Au niveau mondial, la protection est essentiellement assurée
par la Convention révisée de Berne pour la protection des œuvres
littéraires et artistiques, l'Accord sur les aspects des droits
de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) de
l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ainsi que le Traité sur
le droit d'auteur de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle
(OMPI).
7. Un débat public s'est également ouvert autour de certaines
législations nationales pour la protection du droit d'auteur et
droits connexes sur l'internet. En 2009, la France a créé la Haute
Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits
sur internet (HADOPI), habilitée
à enquêter sur les atteintes au droit d'auteur et à les sanctionner.
Le Président des Etats-Unis a annoncé en janvier 2012 qu'il s'opposerait
à deux projets de loi sur le piratage sur internet adoptés respectivement
par la Chambre des représentants et par le Sénat (à savoir le «Stop
Online Piracy Act» et le «Protect IP Act»). A l'heure actuelle aux
Etats-Unis, la loi dite «Digital Millennium Copyright Act» de 1998
dégage les opérateurs internet de toute responsabilité, s'ils n'ont
pas connaissance d'une violation du droit d'auteur. Un opérateur
doit toutefois mettre fin à la violation dès sa notification.
8. Le vaste partage de fichiers parmi les utilisateurs du réseau
YouTube a donné un large écho au problème du piratage sur l'internet
d'œuvres protégées par le droit d'auteur. Racheté par Google en
2006 pour $US 1,76 milliards, YouTube a par la suite mis au point
un logiciel du nom de «Content ID» qui examine et compare les vidéos
aux supports fournis par les détenteurs de droits d'auteur , notamment pour afficher une publicité
ciblée sur l'écran des utilisateurs ayant diffusé ces vidéos. Ce
logiciel permet à YouTube de tirer des revenus de la publicité et
d'identifier les atteintes au droit d'auteur lorsque les vidéos
sont mises en ligne par les internautes. YouTube a aussi mis en
place l'année dernière la «YouTube Copyright School» pour les contrevenants
au droit d'auteur à qui il sera demandé de visionner une vidéo de
4,5 minutes sur son site internet et de répondre à des questions
sur le droit d'auteur à des fins pédagogiques.
9. Les droits de propriété intellectuelle représentent une large
part des droits de propriété. Selon les récentes statistiques de
l'OMPI, 1,98 million de demandes de brevet, 3,66 millions de demandes d'enregistrement
de marques et 724 000 demandes d'enregistrement de dessins et modèles
industriels ont été déposées à travers le monde en 2010. Une étude de l'Organisation de coopération
et de développement économiques (OCDE) lancée en 2005 a conclu que
le commerce international de produits contrefaits et piratés aurait
atteint jusqu'à $US 200 milliards en 2005. Ces estimations n'englobent
pas les produits contrefaits et piratés fabriqués et consommés au
niveau national ni la grande quantité de biens numériques piratés
diffusés sur l'internet. Si l'on prenait tous ces produits en compte,
l'ampleur totale de la contrefaçon et du piratage à l'échelle globale
pourrait encore augmenter de plusieurs centaines de milliards de
dollars .
3. Aspects juridiques concernant l'ACAC
10. L'article 1 de l'ACAC dispose clairement que «aucune
disposition du présent accord ne déroge aux obligations d'une Partie
à l'égard d'une autre Partie en vertu d'accords existants, y compris
l'Accord sur les ADPIC». Cette clause permet aux Parties à l'ACAC
de donner effet aux obligations découlant de ce dernier conformément,
par exemple, à la Convention européenne des droits de l'homme et
à la Convention sur la cybercriminalité.
11. L'article 3 de l'ACAC dispose que: (1) «Le présent accord
est conclu sous réserve des dispositions contenues dans la législation
d'une Partie régissant l'existence, l'acquisition, la portée et
le maintien des droits de propriété intellectuelle»; (2) «Le présent
accord ne crée aucune obligation à l'égard d'une Partie en ce qui concerne
l'application de mesures lorsqu'un droit de propriété intellectuelle
n'est pas protégé aux termes de ses lois et réglementations». Par
conséquent des restrictions aux droits de propriété intellectuelle
aux termes du droit national pourront s'appliquer, par exemple à
des fins d'éducation ou de recherche ou dans l'intérêt public .
12. S'agissant du respect des droits de propriété intellectuelle
dans l'environnement numérique, l'article 27.3 de l'ACAC dispose
que «[c]haque Partie s'efforce de promouvoir, au sein des milieux
d'affaires, des efforts de coopération destinés à contrer les atteintes
portées aux marques de fabrique ou de commerce et au droit d'auteur
ou à des droits connexes tout en préservant la concurrence légitime
et, en accord avec la législation de cette Partie, les principes
fondamentaux comme la liberté d'expression, les procédures équitables
et le respect de la vie privée». Cette disposition devrait de toute
évidence éviter que l'application de l'article 27.3 de l'ACAC au
niveau national ne limite les droits fondamentaux à la liberté d'expression
(consacrée par exemple par l'article 10 de la Convention européenne
des droits de l’homme), à un procès équitable (consacré par exemple
par l'article 6 de la Convention) et au respect de la vie privée
(consacré par exemple par l'article 8 de la Convention).
13. L'article 27.4 de l'ACAC stipule que «[u]ne Partie peut prévoir
que ses autorités compétentes seront habilitées, en conformité avec
ses lois et réglementations, à ordonner à un fournisseur de services
en ligne de divulguer rapidement au détenteur du droit des renseignements
suffisants pour lui permettre d'identifier un abonné dont il est
allégué que le compte aurait été utilisé en vue de porter atteinte
à des droits, lorsque le détenteur du droit a présenté des allégations
suffisantes sur le plan juridique, relativement à une atteinte à
une marque de fabrique ou de commerce ou au droit d'auteur ou à
des droits connexes, et lorsque ces renseignements sont demandés
aux fins de la protection ou du respect de ces droits. Ces procédures
sont mises en œuvre d'une manière qui évite la création d'obstacles
aux activités légitimes, y compris au commerce électronique, et
qui, en conformité avec la législation de cette Partie, préserve
les principes fondamentaux comme la liberté d'expression, les procédures
équitables et le respect de la vie privée». Cette disposition apparaît
comme celle qui a cristallisé le plus de critiques compte tenu des
obligations potentielles des fournisseurs de services en ligne et
de problèmes liés aux droits de la personne. Toutefois, la dernière
phrase de cette disposition autorise clairement, par exemple, les
Etats membres du Conseil de l'Europe qui sont parties à l'ACAC à
respecter leurs obligations en matière de droits de l'homme prévues
par les articles 10 («Liberté d'expression»), 6 («Droit à un procès
équitable») et 8 («Droit au respect de la vie privée et familiale») de
la Convention européenne des droits de l’homme. L'article 27.4 de
l'ACAC apparaît en outre comme étant seulement une disposition facultative.
4. Critiques d'ordre politique à l'égard de l'ACAC
14. Le libellé des dispositions de l'ACAC est plutôt
vague, laissant le champ libre à certaines exceptions au niveau
du droit interne. Ces exceptions risquent de nuire à la volonté
d'harmonisation en matière de protection des droits de propriété
intellectuelle au niveau mondial. Il semblerait cependant que cela
pose davantage problème pour les Parties à l'ACAC en dehors de l'Union
européenne qui ne sont pas Parties à la Convention de Berne, à l'Accord
sur les ADPIC, au Traité de l'OMPI sur le droit d'auteur et à la
Convention sur la cybercriminalité dans la mesure où ces traités
internationaux et le droit de l'Union européenne constituent d'ores
et déjà une base solide de réglementations applicables. Par ailleurs,
les préoccupations liées aux droits de l'homme peuvent être satisfaites
par les références expresses faites aux droits fondamentaux que
sont la liberté d'expression, un procès équitable et le respect
de la vie privée, à l'article 27, paragraphes 3 et 4 de l'ACAC.
15. La principale raison du tollé suscité dans l'opinion publique
par l'ACAC est la possibilité, aux termes de son article 27.4, d'obliger
un fournisseur de services en ligne à divulguer des informations
permettant d'identifier un abonné dont il est allégué que le compte
a été utilisé pour porter atteinte au droit d'auteur ou à des droits
connexes. Les fournisseurs de services internet s'opposent souvent
à toute tentative visant à les obliger à divulguer des informations
sur leurs clients, ces pratiques pouvant nuire à leurs intérêts
commerciaux et porter atteinte au droit au respect de la vie privée
et à la protection des données des utilisateurs. Si les prestataires
de services internet font aussi souvent valoir leur incapacité à
contrôler le comportement de leurs clients ou les contenus qu'ils
diffusent en ligne, les progrès technologiques réalisés en matière
d'établissement du profil des internautes et de leur identification
permettent en réalité à YouTube, par exemple, d'identifier des vidéos
protégées par un droit d'auteur diffusées par leurs clients et de
diffuser des publicités en ligne ciblées à l'intention de ces derniers.
La Cour de justice de l'Union européenne au Luxembourg a décidé
le 16 février 2012 qu'un opérateur d'une plateforme de réseau social
en ligne ne peut être obligé à mettre en place un système général
de filtrage couvrant l'ensemble de ses utilisateurs afin d'empêcher
la mise à disposition de fichiers portant atteinte aux droits d'auteur.
16. La possibilité d'obliger les prestataires de services en ligne
de divulguer des données d’information au titre de l'article 27.4
de l'ACAC est expressément assujettie à la législation nationale
et aux droits fondamentaux à la liberté d'expression, à un procès
équitable et au respect de la vie privée. Dans ce contexte, les
Etats membres du Conseil de l'Europe devraient par conséquent veiller
à ce qu'il ne soit pas porté atteinte aux droits consacrés par les
articles 6, 8 et 10 de la Convention et que les mesures pertinentes
prises par les pouvoirs publics puissent être examinées par les
juridictions nationales et, en dernier recours, par la Cour européenne
des droits de l'homme.
17. M. Peter Hustinx, Contrôleur européen de la protection des
données de l'Union européenne, a soumis le 22 février 2010 un avis
officiel sur les négociations de l'Union européenne sur l'ACAC . Il appelait l'Union européenne
à trouver un juste équilibre entre d'une part les exigences de protection
des droits de propriété intellectuelle et d'autre part les droits
des personnes physiques en matière de respect de la vie privée et
de protection des données. Pour son avis, M. Hustinx s'est fondé
sur un projet de texte de novembre 2009 et a déclaré que «étant
donné le peu d'informations rendues publiques, le Contrôleur européen
de la protection des données fait observer qu'il n'est pas en mesure
de fournir une analyse des dispositions spécifiques de l'ACAC».
Il n'apparaît pas clairement dans quelle mesure le texte final de
l'ACAC tient compte de cet avis. Quoiqu'il en soit, le droit de
l'Union européenne sur la protection des données, l'article 8 de
la Convention européenne des droits de l’homme et la Convention
européenne pour la protection des personnes à l'égard du traitement
automatisé des données à caractère personnel (STE no 108)
devraient prévaloir selon la disposition générale de l'article 1
de l'ACAC sur les normes potentiellement moins rigoureuses en matière
de protection de données.
18. L'ancien rapporteur du Parlement européen sur l'ACAC, M. Kader
Arif (France, Alliance progressiste des socialistes et démocrates),
a démissionné le 26 janvier 2012 afin de protester contre le prétendu
manque de transparence du processus d'élaboration aboutissant à
la version finale du texte de l'ACAC. Les traités internationaux
sont généralement élaborés par des experts juridiques de haut niveau
du ministère de la Justice ou des Affaires étrangères des pays qui
ont l’intention d’être parties aux traités en question. Le Conseil
de l'Europe a pour habitude de soumettre les projets de traité à
un processus de consultation publique, notamment lorsque ces traités
portent sur la réglementation de l'internet. Après avril 2000, le
comité intergouvernemental chargé de l'élaboration de la Convention
sur la cybercriminalité avait déclassifié des projets de documents
de façon à permettre aux Etats ayant participé aux négociations
de consulter les parties prenantes intéressées. La révision actuelle
de la Convention européenne pour la protection des personnes à l'égard
du traitement automatisé des données à caractère personnel a été
ouverte à toutes les parties prenantes par l'intermédiaire d'une
consultation publique par internet. A ce titre, la Résolution 1744
(2010) de l'Assemblée sur les acteurs extra-institutionnels dans
un régime démocratique devrait être une référence en la matière.
19. Dans la mesure où l'ACAC a été ouvert à la signature en 2011,
les consultations publiques ne peuvent plus influencer son contenu.
Les parties à l'ACAC ont cependant une certaine marge d'appréciation
quant à l'application ou la transposition des dispositions de l'ACAC.
Il semble donc utile que les parties signataires poursuivent à présent
les consultations publiques, par exemple au niveau parlementaire,
les parlements devant ratifier l'ACAC ou adopter une législation
nationale conforme à l'ACAC .
5. Conclusion
20. Compte tenu de ce qui précède, je propose à la commission
de déposer l'amendement suivant au projet de résolution figurant
dans le rapport (Doc. 12874):
21. Dans le projet de résolution, après le paragraphe 6, insérer
le paragraphe suivant:
«Se référant aux nombreuses critiques et aux préoccupations concernant les restrictions aux libertés et droits fondamentaux, et plus particulièrement à la liberté d'expression et à la confidentialité des communications privées, exprimées par les parties prenantes de l'internet et par les gouvernements à l'encontre de l'Accord commercial anti-contrefaçon (ACAC) du 1er octobre 2011, l'Assemblée invite les Etats membres signataires de l'ACAC à poursuivre les consultations publiques sur la future législation nationale découlant de l'ACAC, en tenant compte de la Résolution 1744 (2010) de l'Assemblée sur les acteurs extra-institutionnels dans un régime démocratique. La législation nationale en question doit notamment respecter les articles 6, 8 et 10 de la Convention et l'article 1 de son premier protocole (STE no 9. Les Parties à l'ACAC qui sont également Parties à la Convention sur la cybercriminalité (STE no 185) ou à la Convention européenne pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel (STE no 108) ne devraient pas déroger aux conventions en question, conformément à l'article 1 de l'ACAC.»