1. Introduction
1. Le présent rapport fait suite
à une proposition de recommandation sur les cimetières juifs présentée
par M. Mátyás Eörsi et plusieurs de ses collègues en janvier 2010
(
Doc. 12115). La proposition de recommandation reposait sur le constat
de plusieurs particularités historiques et religieuses:
- dans la croyance juive, le cimetière
revêt un caractère sacré, supérieur même à celui des synagogues. C’est
une «maison de la vie/des vivants» où les âmes, qui gardent un lien
indissociable avec les corps des défunts, attendent la résurrection
à venir;
- dans beaucoup de pays européens, l’extermination des Juifs
pendant la seconde guerre mondiale a eu pour conséquence la disparition
de communautés juives européennes et, par conséquent, l’abandon forcé
de nombreux cimetières;
- l’état de dégradation critique et la persistance de l’antisémitisme
en Europe nécessite des mesures spécifiques de protection et de
préservation des cimetières juifs et des fosses communes.
2. Par le passé, l'Assemblée a eu l'occasion d'examiner des questions
portant sur la préservation et le développement des cultures religieuses
traditionnelles, notamment dans sa
Résolution 885 (1987) relative à la contribution juive à la culture européenne
et dans sa
Recommandation
1291 (1996) sur la culture yiddish, qui présentent un intérêt pour
ce rapport.
3. Le rapporteur tient à remercier M. Eörsi, qui est à l’origine
de la proposition de recommandation, et Mme Blanca
Fernandez-Capel Baños, première rapporteure, qui a présenté un schéma
de rapport à la commission de la culture, de la science, de l'éducation
et des médias en janvier 2011. Le présent exposé des motifs s’appuie
sur les thèmes définis par Mme Fernandez-Capel
Baños. Le rapporteur a été assisté d’un expert consultant, le rabbin
Mendel Samama, qui a collaboré avec l'équipe du grand rabbin de
France Gilles Bernheim pour recueillir les informations pertinentes
sur la situation actuelle des cimetières juifs et des fosses communes
en Europe. Les analyses figurant aux chapitres 2 et 3 sont fondées
sur ces informations.
4. Lors de sa réunion du 6 mars 2012, la commission a eu un échange
de vues avec M. Louis-Léon Christians, professeur titulaire de la
chaire de droit des religions à l’Université catholique de Louvain (Belgique),
et avec Mme Petya Totcharova, chef de
l’unité «Europe» au Centre du patrimoine mondial de l'UNESCO, dont
l’expertise et les exposés ont servi à réaliser l’analyse contenue
dans le chapitre 4. Le rapporteur tient également à remercier M. Daniel
Thérond, chef du Service de la culture, du patrimoine et de la diversité
à la Direction générale de la démocratie (DGII), qui a donné de
précieuses indications au sujet des dispositions de la Convention-cadre
du Conseil de l'Europe sur la valeur du patrimoine culturel pour
la société (STCE n° 199, «Convention de Faro») directement liées
aux questions soulevées par le présent rapport.
5. Le rapport s’intéresse surtout aux cimetières juifs. Ils peuvent
en effet être considérés comme plus vulnérables que les lieux sacrés
d’autres religions. Ces dernières risquent cependant aussi d’être
touchées par des problèmes de profanation, comme le Commissaire
aux droits de l’homme du Conseil de l'Europe, M. Thomas Hammarberg,
l’a confirmé en novembre 2010: «Ces derniers mois, des cimetières
musulmans, juifs et chrétiens (orthodoxes et catholiques) ont été
profanés dans plusieurs pays européens, dont la République tchèque,
la France, la Grèce, la Pologne, la Russie et la Turquie. (…) De
tels actes de mépris sont perpétrés dans la quasi-totalité des Etats
membres du Conseil de l'Europe. Ces crimes de haine menacent directement
les droits de l'homme.»
6. D’autres cas de profanation ou de menaces pesant sur des sites
du patrimoine religieux s’observent dans des pays où des déplacements
de population, dus notamment à des conflits (dont ceux de l’ex- Yougoslavie),
ont séparé des communautés de leurs lieux de culte. En Bosnie-Herzégovine,
par exemple, plus de 3 200 sites religieux ont été endommagés ou
totalement détruits dans les années 1990. Nombre d’entre eux étaient
répertoriés comme faisant partie du patrimoine culturel et historique.
Si les opérations de reconstruction et de restauration ne progressent
pas, c’est principalement à cause de la crise économique, du manque
de ressources financières et de la lenteur du processus de retour
des minorités ethniques dans les régions touchées par le conflit.
Les représentants religieux des communautés musulmanes, catholiques, orthodoxes
et juives s’accordent tous à reconnaître que, dans les zones où
les minorités ne se décident pas à retourner, il est très difficile
de restaurer et de faire revivre les éléments endommagés du patrimoine
religieux. De plus, les investissements sont destinés en priorité
à la reconstruction des logements, des établissements scolaires,
des hôpitaux, des entreprises et des infrastructures, qui sont tous
nécessaires au développement économique du pays.
7. En conséquence, les enseignements tirés des analyses ci-dessous
et les conclusions du présent rapport, ainsi que les propositions
concernant la protection et la préservation des lieux de sépulture
juifs, pourraient aussi s’appliquer, mutatis
mutandis, à d’autres communautés religieuses.
2. La situation des cimetières
juifs en Europe: vue d’ensemble
8. En Europe, où l’histoire de
la présence juive remonte à l’époque romaine, les communautés juives
ont subi de nombreuses périodes d’exclusion et de persécution. Durant
la seconde guerre mondiale, la majorité de la population juive a
été exterminée par les nazis et leurs alliés. Les survivants se
sont retrouvés dispersés dans le monde, contraints de laisser les
cimetières derrière eux.
9. Des efforts communs de protection et de préservation de ces
cimetières, à la fois en Europe de l’Est et à l’étranger, ont été
entrepris par des organisations locales et internationales, et par
des autorités. Ils mettent en évidence la volonté d’assumer une
responsabilité, mais aussi une volonté d’apprendre l’histoire, d’en
tirer des enseignements et surtout de participer à la préservation
et à la transmission de cet héritage aux générations futures.
10. Depuis la chute du communisme et l’ouverture des frontières
de l’Europe de l’Est aux touristes de l’Ouest, l’Europe de l’Est
est redevenue la destination de pèlerinage des Juifs du monde entier
sur les lieux où vécurent leurs ancêtres et les cimetières y rattachés.
Les visiteurs sont des descendants qui désirent prier sur les tombes
familiales ou sur celles d’illustres autorités rabbiniques de renommée
internationale. L’apport historique des communautés juives à la
construction socioculturelle et économique européenne est également à
rappeler.
11. Les participants à ces pèlerinages sont aussi des non-Juifs
qui souhaitent se connecter à l’histoire et à l’héritage de leur
passé. De nombreuses agences se sont spécialisées dans le tourisme
permettant parallèlement le développement d’une économie locale.
La construction de murs d’enceinte, la maintenance des cimetières,
la consultation des archives locales, l’«adoption» d’un cimetière
par les écoles, et bien d’autres domaines, sont autant de projets
qui valorisent un patrimoine commun.
2.1. Description des lieux d’enterrement
juifs
12. Une description exacte des
lieux d’enterrement juifs ne peut être entreprise et comprise que
par une présentation préliminaire du statut de ces lieux dans la
loi et la pratique juives. Selon les règles halachiques, le cimetière,
appelé «maison des vivants», ou tout lieu d’enterrement juif, jouit
d’un statut de sainteté plus élevé que celui de la synagogue. Une
fois une tombe fermée, que ce soit une tombe individuelle ou une
fosse commune, qu’elle soit ancienne ou récente, il est strictement
interdit de l’ouvrir, même avec l’intention de la refermer immédiatement.
13. La tradition juive prescrit l’achat de la tombe pour en assurer
sa perpétuité. S’il n’y a pas d’héritiers, ou si ceux-ci sont dans
l’incapacité de payer, la tombe sera achetée avec l’argent de la
communauté. Tout transfert d’une tombe est prohibé par le Talmud.
Un cadavre ne peut être déplacé de l’endroit où il est enterré. Selon
la foi juive, l’âme du défunt reste en relation directe avec le
corps et ne l’abandonne pas. La résurrection promise se fera dans
le corps dans lequel l’homme séjournait à la fin de ses jours.
14. Même si les pierres tombales ont été enlevées du cimetière,
le site garde sa sainteté et reste inviolable. C’est pourquoi un
cimetière sur lequel il ne reste que quelques pierres tombales visibles
peut être le lieu d’enterrement de centaines de juifs. D’autre part,
même une sépulture isolée sans pierre tombale ni autre signe distinctif
conserve ce caractère sacré
.
15. Mais les lieux d’enterrement ne peuvent se limiter aux cimetières:
les fosses communes, au regard de la loi juive et de notre devoir
de mémoire, doivent être considérées au même titre que les cimetières.
16. Des mémoriaux ont été construits sur un certain nombre de
ces lieux d’extermination, parfois au-dessus de la fosse même ou
à côté, et d’autres fois plus loin, si ces lieux sont devenus difficilement
accessibles.
17. Cependant, il faut rappeler que les mémoriaux servent par
définition à préserver des événements dans la mémoire commune mais
pas forcément à protéger un lieu chargé d’histoire. Ainsi, l’exhumation
des corps d’une fosse commune ou des tombes d’un cimetière pour
le remplacer par un mémorial ne constitue pas une forme de protection.
2.2. Menaces sur les lieux d’enterrement
juifs
18. La situation globale des lieux
d’enterrement juifs en Europe est alarmante. Car s’il existe encore
des traces des anciens cimetières dans des villes et villages dont
la population juive n’est plus présente, leur préservation et leur
protection sont sous une menace perpétuelle.
19. Les abus qui frappent les cimetières juifs en Europe ne se
limitent pas aux profanations de tombes dues à des groupes antisémites
ou inciviques. Ils relèvent plus insidieusement de l’exploitation
indue de cimetières anciens, laissés à l’abandon après la Shoah
ou à la suite de l’exode forcé des communautés qui les avaient fondés.
Il ne s’agit pas seulement de certaines gestions déficientes des
pouvoirs publics en matière d’aménagement du territoire, mais aussi,
particulièrement en Europe centrale, de diverses formes d’abus de propriété
ou de violation des mesures de protection des sépultures.
20. Les cimetières anciens sont souvent purement et simplement
détruits et leurs terrains détournés à des fins lucratives. Un urbanisme
sauvage ainsi qu’un redéploiement industriel trop rapide et mal
encadré conduisent d’autant plus aisément à des abus que les descendants
des défunts sont aujourd’hui dispersés, éloignés ou que les communautés
locales subsistantes sont faibles et dépourvues de moyens. On constate par
ailleurs un manque d’intérêt pour ces lieux d’ensevelissement anciens
qu’on ne considère pas, injustement, comme partie du patrimoine
culturel.
21. Le statut juridique de ces cimetières peut se révéler complexe,
au regard de la variété des situations juridiques tant des lieux
de sépultures que des minorités juives. Mais il se peut aussi que
ce statut soit tout simplement négligé ou oublié à la suite des
changements de régimes politiques. Enfin, les violations de sépulture
liées à des abus d’aménagement du territoire peuvent également recouper
des phénomènes latents d’antisémitisme.
22. C’est ainsi que la simple proposition d’un promoteur immobilier
peut transformer un cimetière en un complexe hôtelier. Certes, si
ce type de disparition radicale est bien réel, il ne faut surtout
pas sous-estimer la disparition lente et passive de ces lieux, en
raison de l’érosion due au temps. En outre, les cimetières non protégés
sont souvent victimes d’un mécanisme d’élimination et de profanation,
avec, dans un premier temps, la disparition des stèles, puis par
l’annexion progressive du terrain appartenant aux cimetières aux
terres agricoles rattachées aux champs voisins.
23. En somme, plusieurs éléments entrent en ligne de compte, mais
presque tous les lieux d’enterrement sont menacés à différents degrés
par un ou plusieurs de ces facteurs:
- l’érosion due au temps; le développement de la végétation;
la pollution;
- l’accès incontrôlé; l’annexion à un territoire voisin;
un raccourci pour la circulation routière ou pédestre;
- le vandalisme: de nombreux cimetières souffrent de dommages
causés avant et après la seconde guerre mondiale et durant le régime
nazi; les actes de profanation et d’antisémitisme; les vols de pierres tombales
et de sépultures; les vols de dents en or et d’ossements;
- l’entretien inapproprié ou insuffisant; le manque de moyens
et d’outils légaux requérant l’autorisation des ayants droit juifs
avant tous travaux sur le site de lieux d’enterrement juifs; la
découverte de lieux d’enterrement juifs «non visibles» qui «apparaissent»
seulement lorsque l’exhumation a déjà commencé.
24. Certains lieux d’enterrement juifs profanés ont été transformés
et destinés à d’autres usages, tels que forestier, agricole, commercial
ou industriel. Ils sont devenus zones résidentielles, jardins publics,
parcs de loisirs, terrains militaires ou lieux de stockage; certains
ont été transformés en lacs…
25. De nombreuses enquêtes ont été réalisées, qui offrent une
image de l’état d’identification de certains de ces sites. Par exemple,
certains sont identifiés mais non protégés; certains sont partiellement
délimités mais ne sont pas entourés d’une enceinte de protection,
de même que leurs frontières ne sont pas clairement délimitées;
certains ne portent aucune indication in
situ qui les identifient comme cimetières juifs; certaines fosses
communes ont été datées sous l’ère soviétique et ces sites ne sont
donc pas identifiés comme des lieux d’enterrement juifs.
2.3. Conséquences des profanations
26. Les conséquences de ces profanations
longues et irrémédiables sont la disparition complète de toute trace
de la présence juive dans des villes et villages chargés d’histoire,
entraînant de ce fait une rupture dans la transmission de l’Histoire
aux jeunes générations locales. D’un point de vue religieux, en
dehors des aspects de la mémoire, de l’Histoire ou du patrimoine
culturel qui s’évanouissent, c’est une atteinte à des lieux sacrés juifs
et à la dignité des morts.
27. Cette situation motive les organisations juives à collaborer
afin d’élaborer un cadre législatif européen qui saura sensibiliser
les Etats européens et les autorités locales et nationales à la
mise en œuvre des mesures de protection et de préservation prenant
en compte toutes ces considérations.
28. A cette fin, une étude
approfondie des textes juridiques
européens et internationaux relatifs à la protection et à la préservation
des cimetières juifs a été réalisée par le professeur Louis-Léon
Christians (Université de Louvain-la-Neuve, Belgique).
29. Les organisations juives se sont dotées d’une structure reconnue
par les communautés juives d’Europe, composée d’experts en matière
de législation juive spécifique aux lieux d’enterrement, et d’acteurs dynamiques,
afin d’apporter une expertise dans le domaine de la protection des
cimetières et des fosses communes en Europe. Il convient de citer
en exemple la Commission pour la préservation des cimetières juifs en
Europe (CPJCE)
et
l’organisation Agudath Israël
.
2.4. Exemples de gestion de cimetières
dans quelques Etats membres du Conseil de l’Europe
2.4.1. France
30. Une circulaire ministérielle
du 19 février 2008 stipule que la loi du 14 novembre 1881, dite
«sur la liberté des funérailles», a posé le principe de non-discrimination
dans les cimetières, et supprimé l’obligation de prévoir une partie
du cimetière, ou un lieu d’inhumation spécifique, pour chaque culte.
Toutefois, cette circulaire autorise les maires à procéder à l’aménagement
de carrés confessionnels dans les cimetières communaux.
31. La loi rappelle le principe des concessions qui peuvent être
temporaires (quinze, trente, cinquante ans) ou perpétuelles. Lorsqu’une
sépulture est laissée à l’abandon pendant une période de trente
années, le maire peut opérer (à la suite d’une procédure établie)
une reprise de la concession. Toutefois, dans les cimetières où
se trouvent des concessions reprises, le maire doit, par arrêté,
créer un ossuaire destiné à recevoir les restes des personnes qui
se trouvaient dans les concessions reprises.
32. Ces points de la législation française posent un certain nombre
de problèmes:
- l’aménagement
d’un carré confessionnel n’exclut pas qu’une personne non juive
puisse se faire inhumer dans cet espace, ce qui, au regard de la
loi juive, lui enlève le caractère confessionnel;
- les espaces confessionnels sont soumis au principe de
la concession, qui est limitée dans le temps. Dans le cas d’un non-renouvellement
de la concession, les restes peuvent être exhumés;
- la création des carrés confessionnels est soumise à la
seule volonté du maire. Cette situation porte atteinte aux libertés
individuelles en matière de pratique religieuse, puisque dans des
régions à forte densité les espaces confessionnels se font de plus
en plus rares;
- l’exhumation et la collocation des restes d’un défunt
dans un ossuaire sont contraires au respect que la religion juive
accorde aux morts;
- il est impossible pour une communauté, qu’elle soit juive
ou pas, d’acheter un terrain pour en faire un cimetière. Cette situation
prend en étau les autorités religieuses, car d’un côté elles ne
peuvent refuser à une personne d’une autre confession de se faire
inhumer dans le carré confessionnel et de l’autre elles ne peuvent
faire l’acquisition d’un terrain pour lui donner la destination
qu’elles souhaitent;
- les droits de concession ne peuvent être transmis à aucune
communauté (pas même à la communauté juive) lorsque les titulaires
de la concession (c'est-à-dire les membres de la famille du défunt)
ne sont plus là pour renouveler la concession ou l’entretenir. Cette
situation conduit à l’extinction des droits de concession et à de
nombreuses exhumations, qui laissent la communauté juive impuissante.
33. Un régime juridique spécifique est d’application en Alsace-Moselle.
Les cimetières israélites d’Alsace-Moselle sont régis, comme toutes
les activités des consistoires d’Alsace-Moselle, par l’ordonnance
royale du 25 mai 1844 organisant le culte israélite. Ces cimetières
sont la propriété des consistoires, contrairement au reste de la
France où ce sont les communes qui en sont propriétaires. Il a été
établi que les concessions dans ces cimetières sont perpétuelles.
34. L’organisation des obsèques est à la charge du consistoire
qui, depuis les dispositions législatives sur l’hygiène et la sécurité,
délègue une partie des opérations à des sociétés habilitées. C’est
le consistoire qui assure seul l’administration de ses cimetières
(concessions, entretien, etc.).
35. Les communautés qui avaient des cimetières avant la loi de
1905 sont toujours en possession des cimetières confessionnels;
ils sont encore utilisés, dans la mesure où il reste de la place.
2.4.2. Belgique
36. La Belgique ne compte pas beaucoup
de cimetières, et les cimetières anciens ne sont pas nombreux. L’Etat
met à disposition de la communauté juive des «carrés» dont elle
gère le fonctionnement. L’entretien est assuré par les municipalités
dans la grande majorité des cas.
37. Le principe de la concession est également en vigueur, avec
une durée de cinquante années renouvelables. Il n’y pas encore de
cas de concessions arrivées en fin de durée et il est prévu que
la communauté juive se chargera du renouvellement.
38. Cependant, certains membres de la communauté juive se font
inhumer aux Pays-Bas, pays géographiquement proche et qui assure
une concession perpétuelle. La situation générale n’est pas particulièrement
difficile pour le moment, mais la question des concessions limitées
dans le temps posera à terme des problèmes.
2.4.3. Italie
39. La communauté juive est propriétaire
de ses cimetières ou de carrés confessionnels et elle en a la gestion.
Des cas de dégradation et un besoin important d’entretien et de
sécurisation ont néanmoins été constatés.
2.4.4. Pologne
40. Le rabbinat de Pologne est
responsable de ses cimetières avec l’aide de la Fondation pour la préservation
du patrimoine juif en Pologne, la FODZ. Le gouvernement apporte
également son aide à la communauté.
41. Cette situation n’empêche pas des cas de dégradation ou de
disparition quasi totale de cimetières dans les petites villes et
les villages: par exemple, le 10 mai 2011 dans la ville de Neswige,
le cimetière est devenu un parc et un passage pour les riverains.
2.4.5. Ukraine
42. Un problème a été constaté
à Bobganiwka, dans la région de Nikolayev, où le cimetière se trouve
à la lisière de l’ancien kolkhoze juif. Pendant la guerre, des juifs
ont été fusillés et jetés dans la fosse commune creusée dans le
cimetière, mais aujourd’hui il est constaté que cinq sépultures
d’origine non juive s’y trouvent. Ce cimetière se trouve d’autant
plus menacé qu’un affaissement se produit avec le temps, dû au creusement d’une
sablière à côté.
3. Etudes de cas
43. Il est important d'examiner
à présent quelques cas précis qui ont été traités au cours de ces
dernières années afin d’identifier les bonnes et les mauvaises pratiques.
3.1. Bonnes pratiques de protection
des lieux d’enterrement juifs
3.1.1. Stuttgart (Allemagne) –
terrain militaire de l’US Air Force, 2005
44. Une fosse commune de victimes
de l’Holocauste (36 corps) a été découverte durant des travaux de rénovation
d’une route près d’une piste militaire utilisée par l’US Air Force.
45. Malgré les preuves historiques fournies, il a fallu de nombreuses
négociations internationales, et notamment l’intervention de l’organisation
juive Agudath Israël auprès des autorités concernées au Pentagone,
pour que les autorités soient convaincues que les ossements étaient
bien ceux de victimes des nazis. Les représentants du CPJCE ont
été obligés de faire venir sur place un témoin survivant de l’époque. Un
spécialiste est intervenu pour «trier» les ossements qui avaient
été rendus pêle-mêle dans des sacs plastique afin de leur redonner
la forme de squelettes. Il faut saluer la collaboration des autorités
militaires et locales qui ont alors autorisé le CPJCE à réenterrer
les corps déposés dans des cercueils à l’endroit où ils avaient
été découverts afin de respecter les prescriptions religieuses.
Un arrangement a pu être trouvé afin de préserver et de protéger
ce lieu.
46. Plusieurs parties ont été impliquées pour résoudre ce problème:
le CPJCE a apporté son savoir-faire en matière d’identification
des corps et de législation rabbinique. Agudath Israël a mené les
démarches au niveau politique auprès du Pentagone et a démontré
son aptitude, en matière de diplomatie, à sensibiliser les plus hautes
autorités concernant la gravité de la question, du point de vue
humain et religieux.
3.1.2. Tolède (Espagne) – terrain
appartenant à l’école Azarquiel, 2009
47. A la suite de l’expulsion des
juifs d’Espagne en 1492, le vieux cimetière historique de Tolède
fut détruit. Son site est pourtant resté connu. Lors des travaux
de construction de l’école Azarquiel, des tombes juives ont été
découvertes.
48. Le CPJCE a fourni beaucoup d’efforts afin de mobiliser la
Fédération des communautés juives d’Espagne ainsi que différentes
organisations de rabbins (la Conférence des rabbins européens, le
Conseil des rabbins d’Espagne) et de trouver une solution avec les
autorités gouvernementales.
49. Ce dossier était très compliqué du fait de l’avancée des travaux
de construction, de la nécessité de modifier les plans initiaux,
de prendre le temps de consulter des organisations juives et d'obtenir
des avis rabbiniques.
50. La solution, qui a contenté toutes les parties, a été la modification
partielle du plan de construction d’origine.
51. Cette expérience est très significative et enrichissante.
Le Gouvernement espagnol a fait preuve d’une forte volonté de prendre
en compte les paramètres religieux de la question dans la recherche
de la solution.
3.1.3. Camp de concentration de
Belzec (Pologne) – terrain appartenant au gouvernement, 2001-2004
52. Le camp de concentration de
Belzec situé au sud-est de la Pologne a été construit par les nazis
à la fin de l’année 1941. Ce fut le premier camp utilisant les chambres
à gaz. Entre février et décembre 1942, des centaines de milliers
de juifs et de Roms ont été tués et jetés dans des fosses communes.
A la fin de la guerre, cherchant à éliminer les preuves de leurs
crimes, les nazis ont ouvert les fosses afin de brûler les restes humains,
ont dispersé les cendres, puis ont planté des arbres par-dessus
ces fosses pour mieux camoufler la zone. Une peinture d’époque existe
et atteste de ces faits.
53. Depuis la fin de la guerre, ce lieu a été négligé pour diverses
raisons, ce qui a engendré une détérioration sérieuse du site, qui
laisse apparaître des ossements lors de fortes précipitations. Alertées,
les organisations juives et la Fédération des communautés juives
de Pologne ont entrepris des travaux de restauration.
54. L’American Jewish Committee a permis le financement des travaux
de consolidation du terrain et du mémorial.
55. Le CPJCE a joué également un rôle déterminant dans la réalisation
de ces travaux, en effectuant entre autres une inspection minutieuse
des lieux grâce à des techniques de géolocalisation permettant de
confirmer le nombre et la localisation des fosses communes. Une
modification du plan du mémorial a été établie afin de tenir compte
des conclusions du CPJCE.
3.1.4. Vilnius (Lituanie) – terrain
appartenant au gouvernement, 2001-2004
56. Le grand cimetière juif historique
de Vilnius a été détruit sous les régimes nazi et communiste, et
toutes les pierres tombales ont été enlevées, pour être souvent
utilisées à des fins de construction domestique. Un centre sportif
a été érigé sur une section du cimetière. Ces dernières années,
la municipalité de Vilnius a élaboré un plan de développement immobilier
du site du cimetière et, malheureusement, un certain nombre de bâtiments
ont déjà été construits. La profanation du site a entraîné des protestations
internationales massives. L’organisation Agudath Israël et le CPJCE
ont œuvré au niveau diplomatique afin de trouver le moyen de sortir de
cette crise. Le Gouvernement lituanien a invité les parties intéressées
à se rendre à Vilnius, pour enquêter et entamer une négociation.
57. Après de longues tractations, un accord a été conclu pour
la protection du cimetière, qui comprend un engagement du gouvernement
à n’autoriser aucune autre construction sur le cimetière dans sa
totalité, ainsi que la reconnaissance officielle du lieu comme site
historique.
58. Cette région de l’Europe a été un centre névralgique du judaïsme
du XVIIe au XXe siècle;
il était donc réellement important qu’un tel héritage soit respecté
et protégé.
3.1.5. Fosses communes en Ukraine
59. Yahad-In Unum est la principale
association conduisant des recherches sur les exécutions de masse qui
ont causé l’extermination d’un million et demi de juifs et de Roms
en Europe de l’Est, entre 1941 et 1944. Alors que les atrocités
commises dans les camps de concentration sont bien connues, ce n’est
pas le cas du génocide perpétré dans l’ancienne Union Soviétique
à l’encontre des juifs et d’autres victimes des nazis et de leurs
alliés.
60. Grâce à ses enquêtes, Yahad-In Unum a découvert des centaines
de charniers où sont enterrées les victimes assassinées en Europe
de l’Est, et a enregistré les dépositions de plus de 1 850 témoins.
Cette base de données unique est à ce jour l’objet d’un intérêt
particulier pour les organisations juives en Europe.
61. En 2011, un accord de coopération a été signé entre Yahad-In
Unum, le CPJCE et l’American Jewish Committee.
62. Cette coopération unique en son genre a pour particularité
de réunir des compétences différentes afin d’œuvrer à un même objectif,
celui de protéger les cimetières et les sites des exécutions. Yahad-In
Unum apporte sa compétence en la matière, grâce aux comptes-rendus
des enquêtes et des informations de géolocalisation. Ils fournissent
une information précise sur les conditions des assassinats ainsi
que sur la localisation précise des fosses communes. Le CPJCE est
l'organe rabbinique officiel habilité à instruire les méthodes et
les processus de protection de ces lieux. L’American Jewish Committee
joue un rôle majeur en tant que coordinateur des travaux, en partenariat
avec le Gouvernement allemand qui s’est engagé à financer les travaux
de protection de fosses communes à hauteur de plusieurs dizaines
de millions d’euros.
63. Actuellement, cet accord de coopération est actif pour protéger
cinq sites pilotes en Ukraine; il a pour objectif de clarifier des
standards de travail pour chacune de ces organisations afin d’apporter
ce qui se fait de mieux en matière de législation rabbinique (CPJCE)
et d’information historique (Yahad-In Unum), avec un organe de coordination
de niveau international (American Jewish Committee).
64. Les divers cas évoqués permettent de conclure que la reconnaissance,
par les autorités, du site en tant qu’élément du patrimoine et de
son caractère historique est la condition essentielle de tout accord.
Il ne s’agit pas seulement d’une porte ouverte à une négociation,
mais d’un gage de bonne volonté pour aborder l’étape cruciale suivante:
la recherche d’une vraie solution.
65. En outre, il est important de reconnaître la dimension religieuse
pour tout ce qui concerne le patrimoine juif et particulièrement
les lieux d’enterrement. La législation rabbinique est très pointue
et nécessite une expertise et une crédibilité internationales. En
conséquence, il est important d’agir en concertation et en coopération
très étroite avec l’organe européen compétent en la matière, le
CPJCE et Agudath Israël.
3.1.6. Ennezat (Auvergne, France)
– cimetière juif médiéval
66. L'Association sauvegarde du
patrimoine juif français et européen (SPJFE), dont le siège est
à Paris, a pour vocation de contribuer à la conservation des monuments
présentant un intérêt historique et culturel pour l'histoire du
judaïsme en France et en Europe. Elle se propose de sauvegarder
et de réhabiliter le cimetière juif d'Ennezat en Auvergne, connu
depuis plusieurs siècles sous le nom de «Champ des juifs».
67. Cette nécropole regroupe 700 tombes édifiées entre le XIIIe et
le XVe siècle. Ce site est exceptionnel
en Europe par le nombre et le caractère homogène des tombes.
68. En 1992, des fouilles préventives ont été conduites par l'Institut
national de recherches archéologiques préventives (INRAP). Les terrains
sous lesquels se trouvait la nécropole appartenaient à des propriétaires privés.
L'Association SPJFE, appuyée par la Fondation Matanel, s'est intéressée
au projet fin 2008.
69. Le site a été inscrit en juin 2009 à l'Inventaire des monuments
historiques. Une équipe projet a été constituée autour d’un architecte
chef de projet. Un comité de pilotage a été mis en place avec le
maire, le directeur régional des affaires culturelles d'Auvergne,
le conservateur du patrimoine en Auvergne et les représentants de
l'Etat et des collectivités locales. L'Association SPJFE a fait
l'acquisition des terrains (9 600 m2).
70. Un projet de mise en valeur est en préparation, comprenant
un parc de méditation avec un parcours explicatif de l'histoire
et de la mémoire du lieu, et un musée avec les moulages de stèles,
et les copies de documents et d'études à ce jour récoltés. Il sera
soumis, début 2012, à l'Etat et aux collectivités locales pour son
financement. L'entretien et la sécurité du site ainsi valorisé seront
assurés par la municipalité et feront l'objet d'un bail de longue
durée.
3.1.7. Bosnie-Herzégovine – cimetières
juifs de Sarajevo, Bihać et Travnik
71. Le cimetière juif de Sarajevo,
qui est l’un des plus vastes sites d’inhumation juifs d’Europe,
présente un intérêt exceptionnel. Il témoigne en effet de certains
aspects de la vie de la communauté séfarade depuis son expulsion
de la péninsule Ibérique au XVIe siècle,
ainsi que de la communauté ashkénaze, arrivée plus tard. Le cimetière
reflète aussi le développement de la ville de Sarajevo au fil des
siècles. Les séfarades ont créé un art funéraire original, qui se
traduit par des tombeaux en forme de maison, ornés de motifs symboliques polysémiques,
ne ressemblant à aucune autre sépulture juive ailleurs dans le monde.
D’une superficie totale de 31 160 m2, le cimetière compte plus de
3 850 tombes, ainsi que quatre monuments élevés à la mémoire des
victimes du fascisme et plusieurs cénotaphes. Il était situé sur
la ligne de front lors de la guerre de 1992-1995 en Bosnie-Herzégovine
et a subi d’importants dégâts. Aujourd’hui, le cimetière est principalement menacé
par les glissements de terrain, qui emportent des sépultures entières.
L’on estime qu’environ 95 % des tombes sont endommagées. L’ensemble
du cimetière, laissé à l’abandon, est envahi par la végétation.
72. Il incombe au Gouvernement de la Fédération de Bosnie-Herzégovine
de prendre les dispositions nécessaires pour protéger, conserver,
mettre en valeur et réhabiliter ce site exceptionnel du patrimoine national.
Avec l’accord du ministère fédéral responsable de l'aménagement
du territoire et sous le contrôle des spécialistes de l’autorité
chargée de la protection du patrimoine, de premières mesures ont
été mises en œuvre dans le but de protéger le site et d’éviter des
dégâts supplémentaires: création d’une zone de protection (qui s’étend
sur une largeur de 20 mètres à l’extérieur des murs du cimetière),
mise en place d’un système de drainage autour de la chapelle principale,
destinée à stabiliser sa structure pendant les travaux de restauration, et
interdiction formelle de toute construction illégale dans la zone
environnante. Des financements sont espérés pour poursuivre les
travaux visant à sécuriser et à stabiliser l’ensemble du site; il
s’agit de terminer la mise en place du système de drainage pour
assécher les sols et de construire des éléments structurels pour stabiliser
les terrains en pente. Une fois ces travaux terminés, il faudra
encore trouver de quoi financer la remise en état des tombes, monuments,
murs, portails et allées.
73. Le cimetière juif de Bihać date de 1875. A partir de 1937,
la communauté juive a collecté des fonds auprès de ses membres,
ce qui lui a permis d’entourer le lieu de sépulture d’un mur de
deux mètres de haut, comportant un portail sur son côté nord. Lors
de la seconde guerre mondiale, des monuments ont été détruits et
le mur d’enceinte a été endommagé. La reconstruction du mur et du
portail a commencé récemment, mais le site n’est pas encore sécurisé
et les travaux ont été interrompus, faute de crédits. La phase de
conception du projet est terminée; il reste à trouver 75 000 euros
pour le mettre en œuvre.
74. Les monuments les plus anciens du cimetière juif de Travnik
remontent à 1762. La communauté juive de Travnik a toujours entretenu
et protégé le cimetière, jusqu’en 1941. Il a alors été complètement
laissé à l’abandon, à la suite de la déportation de nombreux juifs.
Seuls quelques-uns sont revenus des camps de concentration et, après
1951, il ne restait plus à Travnik aucune famille juive originaire
de la ville. Avec l’aide de la Fédération des communautés juives
de Yougoslavie, le cimetière a été entouré d’une simple clôture
en bois, qui n’a pas tenu bien longtemps. Ce lieu d’inhumation est
actuellement en très mauvais état, alors qu’il a une valeur patrimoniale
exceptionnelle. La ville de Travnik et la communauté juive de Bosnie-Herzégovine envisagent
de demander que le cimetière soit classé «monument national», afin
d’éviter que le site continue à se dégrader.
3.2. Exemples de cas problématiques
75. L’Europe ne connaît pas que
des bonnes pratiques, malheureusement; les organisations juives
en Europe trouvent parfois des portes fermées et des violations
volontaires de lieux d’enterrement juifs.
3.2.1. Grodno (Bélarus) – stade
de football appartenant au club de football de Neman, 2003
76. En 1968, les terres du cimetière
juif (de grandes figures du judaïsme y sont enterrées, dont le rabbin Alexander
Ziskind, décédé en 1794) ont été confisquées par le gouvernement
communiste et un stade fut construit dessus. En mai 2003, les autorités
de Grodno ont autorisé l'élargissement du stade de football de Neman
sur le site du cimetière juif. Lors des travaux de mis à niveau
des fondations, la découverte des tombes n’a pas ému les autorités;
des restes humains ont été exhumés et profanés et des camions ont
été remplis d'ossements. Ce projet avait pourtant le soutien du
Comité international olympique.
77. Le CPJCE, la communauté juive du Bélarus, la Conférence des
rabbins européens, le Président américain de la commission «Preservation
of America’s Heritage Abroad», le Parlement européen et plusieurs missions
diplomatiques au Bélarus se sont activés.
78. Les réunions avec un nombre important de représentants du
Gouvernement bélarusse n'ont eu aucun effet; les assurances données
par le gouvernement central sur la protection du cimetière n’ont
été que des paroles.
79. Malgré la visite d’une délégation du Parlement européen à
Grodno, l'intervention du ministère des Affaires étrangères britannique
ainsi que des diplomates de France, d'Allemagne et de Pologne, et
les protestations publiques devant les ambassades du Bélarus à Londres
et à Bruxelles, aucun résultat n’a été obtenu.
3.2.2. Metz (France), 2003.
80. Autrefois, la communauté juive
de Metz était l’une des plus éminentes d'Europe. Le vieux cimetière
juif historique se trouvait sur l'avenue de Blida et comptait plusieurs
centaines de tombes. Aujourd’hui, l’endroit est un parking.
81. Il semblerait qu’à l’époque de l’occupation allemande une
section du cimetière fût exhumée. Pourtant, des recherches utilisant
une technique de géoradar et de scanner de sol sans intrusion, effectuée
en novembre 2005 et en collaboration avec la préfecture de Metz,
ont confirmé l'existence de vestiges du cimetière, malgré l’absence
de pierres tombales.
82. L’utilisation de cet endroit comme parking constitue donc
une violation du site. A la suite de nombreuses sollicitations diplomatiques
et politiques, il avait été convenu par la préfecture que le site
serait reconnu en tant que cimetière juif et qu’un autre emplacement
pour le parking serait fourni par la commune. La concrétisation de
cette décision est toujours en attente.
4. Protection et conservation
des cimetières juifs
83. La question de la protection
et de la conservation des cimetières juifs est examinée sous deux
angles: celui de la défense des droits fondamentaux consacrés par
la Convention européenne des droits de l'homme (STE n° 5,
«la Convention») et celui de la préservation du patrimoine culturel
commun de l'Europe.
4.1. Aspects relatifs aux droits
de l'homme
84. Les droits fondamentaux ci-après
énoncés dans la Convention peuvent s'appliquer à la protection et
à la conservation des cimetières et des lieux d'enterrement juifs:
- L'article 8 sur le droit au
respect de la vie privée et familiale: «Toute personne a droit au
respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa
correspondance», qui a été interprété par la Cour européenne des
droits de l'homme comme s'étendant, dans certains cas, à la relation
des membres de la famille avec un parent défunt.
85. La Cour européenne des droits de l'homme a admis l’existence
du droit de reposer en paix, interprété comme une forme de droit
au respect de la vie privée, mais en considérant que seuls les vivants
pouvaient l’invoquer. Il ne semble pas que les défunts jouissent
directement du droit au respect de la vie privée, qui leur garantirait
le droit de reposer en paix. En revanche, la protection du droit
au respect de la vie privée et familiale des requérants vivants
pourrait être envisagée dans le cadre de leurs relations avec les
défunts.
- L'article 9 sur la
liberté de pensée, de conscience et de religion: «Toute personne
a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce
droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi
que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement
ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement,
les pratiques et l'accomplissement des rites.»
86. L'article 9 prévoit la protection des convictions propre à
tout individu et du droit de manifester de telles convictions individuellement
ou collectivement, aussi bien en public qu'en privé. La jurisprudence
précise qu'il peut être fait obligation à l'Etat non seulement de
ne pas prendre de mesures qui porteraient atteinte à la liberté de
pensée, de conscience et de religion, mais aussi, dans certaines
circonstances, d’adopter des mesures positives pour protéger ces
droits et favoriser leur développement.
87. Dans son article du «Carnet des droits de l'homme» du 30 novembre
2010
,
le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe a déclaré
que «La Convention européenne des droits de l'homme protège le droit
à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit englobe
la protection des édifices et sites religieux contre le vandalisme.
Pourtant, certains gouvernements considèrent ces actes comme de
simples incivilités dont il n'est pas très important de retrouver
et de poursuivre les auteurs. Ces gouvernements se trompent.»
- L'article 1 du Protocole additionnel
de 1952 à la Convention (STE n° 9), sur la protection de la propriété: «Toute
personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul
ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique
et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux
du droit international.»
88. La plupart des cimetières juifs jouissent du statut de propriété
privée. Par conséquent, la jurisprudence sur les expropriations
est pertinente pour s'élever contre certaines spoliations ou abus.
Les parcelles permanentes des cimetières publics devraient jouir
d'un statut similaire.
89. Le rapporteur estime qu'il devrait y avoir une responsabilité
de protéger la dignité humaine au sens large en préservant les défunts
dans leur sépulture et de respecter leur religion en veillant à
ce qu'ils soient préservés d'une manière compatible avec leur pratique
religieuse. Le droit des individus et des communautés d'accéder
à ces cimetières ainsi que le droit de propriété doivent prendre
également en considération ces droits fondamentaux, tout en tenant
compte des différences entre les cimetières encore en activité,
ceux qui ne sont pas utilisés mais qui bénéficient d’une protection
et ceux qui ont été abandonnés.
4.2. Aspects relevant de la préservation
et de la protection du patrimoine européen
4.2.1. La Convention de Faro
90. La Convention-cadre du Conseil
de l’Europe sur la valeur du patrimoine culturel pour la société,
qui est entrée en vigueur en juin 2011, est née de la volonté d'instaurer
un cadre de référence pour les politiques du patrimoine et de tirer
parti des avantages résultant de l'exploitation du patrimoine en
tant que capital culturel et facteur de développement. En outre,
le patrimoine culturel européen est considéré comme un moyen essentiel
de susciter un engagement démocratique en faveur de la diversité
culturelle.
91. La convention reconnaît la nécessité de mettre les individus
et les valeurs humaines au centre du concept élargi et transdisciplinaire
du patrimoine culturel. En outre, elle valorise la notion de patrimoine européen
commun en affirmant le principe du droit pour chacun d'accéder au
patrimoine culturel de son choix, tout en respectant les droits
et les libertés d'autrui. La convention établit, par conséquent,
un lien important entre la protection des droits fondamentaux et
celle du patrimoine. Les articles ci-après présentent un intérêt tout
particulier pour la protection des cimetières juifs.
92. L’article 2.b donne
la définition de «communauté patrimoniale»: «qui se compose de personnes
qui attachent de la valeur à des aspects spécifiques du patrimoine
culturel qu'elles souhaitent, dans le cadre de l'action publique,
maintenir et transmettre aux générations futures».
93. L'article 3.a affirme
notamment la nécessité de promouvoir toutes les formes de patrimoine
culturel en Europe qui constituent ensemble «une source partagée
de mémoire, de compréhension et d'identité».
94. Concourant à établir la tolérance, le respect et la compréhension
mutuelle, l'article 4.b énonce
«qu'il est de la responsabilité de toute personne, seule ou en commun,
de respecter aussi bien le patrimoine culturel des autres que son
propre patrimoine», défendant les notions de «patrimoine commun
de l'Europe» et de «responsabilité commune».
95. La convention promeut aussi le respect de l'intégrité du patrimoine
culturel en demandant aux Etats parties de veiller à ce que les
décisions de changements incluent une prise en compte des valeurs
culturelles qui lui sont inhérentes (article 9.a) et de s'assurer que les besoins
spécifiques de la conservation du patrimoine culturel sont pris
en compte dans toutes les réglementations techniques générales (article
9.c).
96. L'approche de la convention concernant la façon de procéder
est également innovante puisqu'elle demande aux Etats de prendre
en considération «la valeur attachée au patrimoine culturel auquel
s'identifient les diverses communautés patrimoniales» (article 12.b) et de «développer les cadres
juridiques, financiers et professionnels qui permettent une action
combinée de la part des autorités publiques, des experts, des propriétaires,
des investisseurs, des entreprises, des organisations non gouvernementales
et de la société civile» (article 11.b).
97. Les dispositions de la Convention de Faro donnent, par conséquent,
des orientations excellentes et novatrices aux Etats membres mais
aussi aux nombreuses «communautés patrimoniales», dont les communautés
juives, dans leurs efforts pour préserver leur patrimoine culturel
spécifique et, avec lui, leur identité culturelle et leur histoire.
4.2.2. L’Accord partiel élargi
sur les itinéraires culturels
98. Un Itinéraire européen du patrimoine
juif a été établi en 2005 sous les auspices de l'Accord partiel
élargi du Conseil de l'Europe sur les itinéraires culturels.
99. Cet itinéraire vise à sensibiliser les citoyens européens
à la richesse culturelle apportée par le peuple juif dans de nombreuses
régions d’Europe. Il entend préserver et valoriser une partie du
patrimoine européen que les sites juifs représentent (synagogues,
cimetières, mikvés, etc.). Il se fonde sur la preuve historique
que les communautés juives ont toujours vécu dans l’échange culturel
avec des sociétés diverses, comme le montrent les différents styles
architecturaux des synagogues ou l’usage de diverses langues comme
le yiddish, le ladino, etc.
100. L’Itinéraire, qui s’étend de Dublin à Ankara et d’Helsinki
à Malte, en accordant une place très importante aux pays d’Europe
centrale et orientale, devrait contribuer à la reconstruction spirituelle
et historique des communautés juives détruites et à une connaissance
accrue de l’histoire de l’Europe; il permet aux visiteurs non seulement
de découvrir l’histoire du peuple juif mais aussi de mieux comprendre
leur histoire locale et nationale.
5. Conclusions
101. Les cimetières juifs sont nombreux
en Europe et doivent être protégés et préservés. Ils font partie
du patrimoine culturel européen et constituent un élément important
dans la religion juive. Ces cimetières sont probablement plus menacés
que ceux des autres confessions représentées en Europe, en raison
de l’histoire tragique du peuple juif qui a conduit à l’extermination,
à l’exode ou au transfert de nombreuses communautés locales. Les
gouvernements, les membres des communautés juives et les organisations
de protection du patrimoine ont la responsabilité de mettre en place
des formes appropriées de coopération pour assurer leur protection.
102. La Convention de Faro donne des orientations opportunes et
novatrices. Elle propose une définition ouverte du patrimoine qui,
sans exclure les éléments exceptionnels, embrasse tout particulièrement
le patrimoine ordinaire et les valeurs que lui attribuent les communautés
patrimoniales et/ou la société dans son ensemble. Elle se préoccupe
du droit au patrimoine culturel considéré comme partie intégrante
du droit de participer à la vie culturelle de la communauté et du
droit à l’éducation, et formule la notion de «responsabilité européenne
commune» vis-à-vis du patrimoine culturel. A ce propos, la Convention
de Faro donne des indications concrètes pour l’organisation des
responsabilités publiques en matière de préservation et de valorisation
du patrimoine culturel et de fonctionnement de la participation
démocratique.
103. La ratification de la Convention de Faro par un nombre accru
d’Etats membres pourrait favoriser une approche transdisciplinaire
dans le traitement des questions relatives au patrimoine culturel
et la création des mécanismes participatifs appropriés pour mettre
en œuvre ces politiques. Ces dernières devraient aussi inclure la
préservation des cimetières et des lieux d’enterrement.
104. L'Itinéraire européen du patrimoine juif pourrait aider à
mieux faire connaître la culture et l’histoire juives et créer les
opportunités concrètes et les conditions favorables pour protéger
et préserver les sites du patrimoine juif, dont les cimetières et
les fosses communes.
105. L’Assemblée parlementaire pourrait également recommander l’élaboration
de lignes directrices spécifiques pour la protection et la préservation
de divers types de cimetières juifs mais aussi ceux d'autres communautés
religieuses (à savoir les cimetières chrétiens et musulmans des
pays du sud-est de l’Europe – les pays de l’ex-Yougoslavie, Turquie,
Grèce, Chypre – et les pays du Caucase), conformément aux pratiques religieuses
et aux principes de conservation du patrimoine.
106. Les lignes directrices pourraient traiter de questions précises,
communes à différents types d’éléments patrimoniaux, notamment:
les cimetières d’importance historique qui font partie du patrimoine
culturel «classé»; les cimetières de victimes de la guerre ou de
la terreur (y compris les fosses communes); les tombes de chefs
religieux et d’autres dignitaires; les tombes anonymes; les édifices
religieux comme les synagogues, les pierres tombales et les autres
éléments religieux qui font partie d’un site d’inhumation particulier.
Une attention particulière devrait aussi être accordée à l’état
actuel du patrimoine (sites abandonnés, transformés ou toujours
en fonction). De plus, les lignes directrices devraient englober
les aspects suivants: la préservation et la rénovation matérielles;
la préservation historique, qui passe par la collecte de données
historiques dans les musées, dans les archives et sur les sites
web; et la préservation religieuse, qui passe par le respect des rites
religieux.
107. Compte tenu de l'apport historique des communautés juives
à la construction socioculturelle et économique de l’Europe, il
faudrait laisser une large place aux initiatives d’éducation et
de sensibilisation qui visent à faire connaître l’histoire let le
patrimoine culturel locaux, à faire prendre conscience de l’urgence
de protéger et de préserver les lieux de sépulture menacés de profanation,
de dégradation ou de disparition, et à rendre ces sites plus visibles,
au moyen de bibliothèques virtuelles rassemblant cartes, photos
et témoignages. En outre, il est nécessaire d’encourager les projets
pilotes consistant à faire participer des établissements scolaires
et des associations locales à la construction d’un mur d’enceinte,
à l’entretien d’un cimetière, à la consultation des archives locales
ou à «l’adoption» d’un cimetière, par exemple.
108. Par ailleurs, les Etats membres devraient être invités à traiter
un certain nombre de questions juridiques ou techniques, ou relatives
à la gestion, qui concernent directement les acteurs locaux de la
protection et de la conservation des sites du patrimoine, dont les
questions suivantes: mécanismes de partenariat; questions de propriété;
urbanisme, exigences spécifiques liées à la conservation; contrôle
effectif des projets de développement locaux; programmes visant
à localiser des sites d’inhumation par des techniques non invasives (géoradar,
par exemple); soutien technique aux investigations et à l’identification;
ou réglementation de l’accès aux lieux de sépulture.
109. Dans ce domaine, l’on pourrait envisager des formes de coopération
avec l’Union européenne et d’autres institutions. Au Kosovo
,
par exemple, le Conseil de l'Europe propose son aide pour améliorer
le cadre juridique et les mécanismes concrets permettant de protéger
le patrimoine et de le mettre en valeur. Depuis 2004, ces activités
sont gérées dans le cadre d’un programme conjoint avec l’Union européenne
intitulé «Soutien de l'Union européenne et du Conseil de l'Europe
à la promotion de la diversité culturelle au Kosovo», par le biais
de la commission pour la mise en œuvre de la reconstruction. Ce
programme vise à développer les initiatives de réhabilitation du
patrimoine culturel en coopération avec toutes les institutions
pertinentes, en utilisant le patrimoine culturel comme outil de
réconciliation et de dialogue entre les communautés.