1. Introduction
1. La proposition de résolution intitulée «Droits de
l’homme et tribunaux des affaires familiales» (
Doc. 11742) a été renvoyée pour rapport à la commission des questions
juridiques et des droits de l’homme le 28 septembre 2009. Le 16
novembre 2009, la commission a nommé M. Paul Rowen (Royaume-Uni,
ADLE) rapporteur. Puis, M. Rowen ayant quitté l’Assemblée parlementaire,
la commission m’a nommé rapporteur lors de sa réunion du 8 mars
2011 et a décidé de demander au Bureau une prolongation du mandat
jusqu’au 30 juin 2012, ce que le Bureau a accepté le 15 avril 2011.
2. Le 21 mai 2012, la commission a procédé à un échange de vues
avec la participation:
- de Mme Judith
Masson, professeur d’études sociales et juridiques, faculté de droit
de l’université de Bristol (Royaume-Uni);
- du juge Daniel Pical, président de la section européenne
de l’Association internationale des magistrats de la jeunesse et
de la famille, président honoraire de chambre à la cour d’appel
de Versailles (France).
3. La proposition de résolution précitée se focalise sur la protection
de l’enfant intégrée dans le cadre plus global de la protection
des droits de l’homme. Les enfants constituent une catégorie particulièrement vulnérable,
et ceux et celles qui sont chargés de les protéger doivent assumer
la responsabilité des actions qu’ils mènent dans ce domaine et agir
de manière à protéger les droits de l’homme de tous ceux et celles
à qui ils/elles ont affaire – y compris les droits des parents.
Les procédures judiciaires liées à des affaires familiales peuvent
soulever des questions non seulement sous l’angle de l’article 8
de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5,
«la Convention»), qui protège le droit au respect de la vie privée et
familiale, mais aussi dans les domaines couverts par l’article 6
(droit à un procès équitable) et l’article 13 (droit à un recours
effectif).
4. La proposition de résolution se réfère notamment à quelques
cas préoccupants concernant le fonctionnement des tribunaux des
affaires familiales en Croatie, au Portugal et au Royaume-Uni, et
demande une enquête approfondie sur la situation dans ces Etats
membres du Conseil de l’Europe. Le texte de la proposition rappelle
l’arrêt rendu en 2008 par la Cour européenne des droits de l’homme
(«la Cour») dans l’affaire
X. c. Croatie , dans lequel la Cour
a conclu à une violation de l’article 8 de la Convention, en raison
de l’exclusion de la requérante de la procédure judiciaire ayant
abouti à l’adoption de sa fille. De plus, les auteurs de la proposition
de résolution s’inquiètent d’éventuelles violations, commises par
le Royaume-Uni, des articles 6, 8 et 13 de la Convention dans certaines
affaires portées devant les tribunaux des affaires familiales, ainsi que
du système d’adoption «forcée» au Portugal – système qui permet
l’adoption d’enfants contre la volonté de leurs parents. De plus,
comme le montrent certaines études récentes, de trop nombreux enfants
sont séparés de leur famille biologique et placés en établissement.
Par exemple, selon l’UNICEF, le nombre d’enfants vivant en établissement
en Europe centrale et orientale et dans la Communauté d’Etats indépendants
est le plus élevé au monde – plus de 626 000 enfants pour les 22
pays de cette région
, et le taux d’enfants placés en établissement
s’accroît
.
Signalons par ailleurs que la situation en Europe occidentale est
également loin d’être parfaite; en France, par exemple, sur 15 millions
d’enfants, près de 148 000 ne vivent pas avec leurs parents biologiques.
Parmi ces derniers, 48 600 sont placés en établissement
. En Angleterre, le nombre d’enfants
placés a récemment augmenté
.
5. C’est pourquoi le présent rapport étudiera le fonctionnement
des systèmes de justice familiale dans le contexte de la protection
des droits de l’homme notamment dans les pays précédemment mentionnés.
Un rappel des normes juridiques internationales en vigueur concernant
les droits de l’enfant et un examen plus détaillé de la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l’homme au cours des vingt dernières
années relative à l’adoption ou au placement d’enfants seront utiles
pour identifier toute faille ou lacune en ce domaine. Des exemples
concernant d’autres Etats membres seront également pris en compte.
Quant aux préoccupations que suscite le fonctionnement des tribunaux
des affaires familiales dans mon pays natal, à l’origine de la proposition
de résolution précitée, j’appuierai mes travaux sur la précieuse
contribution du professeur Masson à l’audition organisée par la
commission en mai 2012.
2. Droits
de l’enfant dans les textes juridiques internationaux
2.1. La Convention relative
aux droits de l’enfant
6. Comme tout être humain, les enfants jouissent de
droits fondamentaux garantis par des traités internationaux. Toutefois,
comme il s’agit d’une population particulièrement vulnérable, certains
droits ont pour eux été ajoutés ou renforcés dans la Convention
des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, adoptée à New
York le 20 novembre 1989 («la CDE»)
. La CDE a été ratifiée par la quasi-totalité
des Etats (à l’exception de la Somalie et des Etats-Unis)
.
7. Les obligations découlant de la CDE sont de nature plutôt
générale et requièrent des mesures d’application (législatives,
administratives et autres) au niveau national. Tout en faisant obligation
aux Etats parties de reconnaître divers droits de l’enfant, la CDE
leur impose également de respecter les droits et devoirs des parents
(article 5). La séparation des enfants de leurs parents biologiques
doit être une mesure exceptionnelle. Aux termes de l’article 20,
tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu
familial, ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans
ce milieu, a droit à une protection et une aide spéciales de l’Etat
(paragraphe 1) et à une protection de remplacement (paragraphe 2).
L’adoption n’est admise que dans l’intérêt supérieur de l’enfant,
avec l’autorisation des autorités compétentes, et assortie de garanties
appropriées pour l’enfant et les parents (articles 9 et 21). La
CDE réaffirme que les parents ont une responsabilité commune pour
ce qui est d’élever l’enfant et que l’Etat doit leur accorder l’aide
appropriée dans l’exercice de cette responsabilité (article 18).
Les Etats parties adoptent ainsi les mesures appropriées, compte tenu
des conditions nationales et dans la mesure de leurs moyens, pour
aider les parents à offrir à leur enfant un niveau de vie suffisant,
et fournissent en cas de besoin une assistance matérielle et des
programmes d’appui, notamment en ce qui concerne l’alimentation,
le vêtement et le logement (article 27, paragraphes 1 et 3).
8. La CDE et son protocole facultatif de 2000 concernant la vente
d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant
en scène des enfants
contiennent diverses dispositions
relatives à l’évolution vers ce que l’on appelle une «justice adaptée
aux enfants». Cette notion recouvre l’idée que les tribunaux peuvent constituer
un instrument efficace pour influer positivement sur la vie des
enfants tout en reconnaissant que, dans les faits, les contacts
avec le système judiciaire sont trop souvent pour les enfants une
source de traumatismes supplémentaires plutôt qu’un secours
. Aussi faut-il que les décideurs
élaborent des politiques pour régler la situation précaire des enfants
au sein du système judiciaire. Certains grands principes concernant
une justice adaptée aux enfants figurent dans les dispositions de
la CDE, en particulier:
a. l’intérêt
supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale (article
3);
b. l’enfant ne peut être séparé de ses parents contre leur
gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve
de révision judiciaire, que cette séparation est nécessaire dans
l’intérêt supérieur de l’enfant (article 9);
c. un enfant capable de discernement a le droit d’exprimer
librement son opinion sur toute question l’intéressant, dans toute
procédure judiciaire ou administrative (article 12);
d. les Etats doivent prendre toutes les mesures appropriées
pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte
ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence,
etc. (article 19).
9. Les dispositions de l’article 12 de la CDE relatives aux droits
de l’enfant d’être entendu ont été développées dans l’Observation
générale no 12 du Comité des droits de
l’enfant sur le droit de l’enfant d’être entendu, datée du 1er juillet
2009
. Le Comité y a souligné ceci: « Un
enfant ne peut se faire entendre efficacement si le contexte est
intimidant, hostile, peu réceptif ou inadapté à son âge. La procédure
doit être à la fois accessible et adaptée à l’enfant. Il faut veiller
en particulier à offrir à l’enfant des informations qui lui sont adaptées
et à l’aider à défendre sa cause, et prêter attention à la mise
à disposition d’un personnel spécialement formé, à l’apparence des
salles d’audience, à l’habillement des juges et des avocats, et
à la présence de paravents et de salles d’attente séparées.
»
2.2. Activités du Conseil
de l’Europe en matière de protection de l’enfance
10. Diverses initiatives de promotion des droits de l’enfant
et de protection de l’enfance en général ont également été prises
sous l’égide du Conseil de l’Europe
. Le Conseil de l’Europe
a notamment été à l’origine de l’adoption de plusieurs conventions
en ce domaine
; malheureusement, certaines d’entre
elles n’ont été ratifiées que par quelques Etats membres (en particulier,
la Convention européenne en matière d’adoption des enfants (révisée)
(STCE no 202)
et la Convention européenne sur l’exercice
des droits des enfants (STE no 160)
).
Le Comité des Ministres a adopté une série de recommandations et
de résolutions sur divers aspects du bien-être et de la protection
de l’enfant
, y compris sur des questions telles
que le placement
et les responsabilités
parentales
.
11. Ces dernières années, l’Assemblée a adopté plusieurs rapports,
résolutions et recommandations concernant les droits des enfants,
et plus particulièrement les droits des enfants témoins de violences familiales,
les enfants placés, et la garantie du droit à l’éducation pour les
enfants malades ou handicapés
. Cependant, le présent rapport n’a
pas pour but de décrire l’ensemble des activités du Conseil de l’Europe
en matière de bien-être de l’enfant.
12. Le Conseil de l’Europe a également conçu un certain nombre
de règles relatives à une justice adaptée aux enfants. Le 17 novembre
2010, le Comité des Ministres a adopté ses Lignes directrices sur
une justice adaptée aux enfants
, en se référant au programme du Conseil
de l’Europe «Construire une Europe pour et avec les enfants». Ces
lignes directrices sont les premières normes régionales en leur
genre. Elles devraient s’appliquer dans tous les domaines – civil,
administratif ou pénal – et ne sont pas seulement une déclaration de
principes, mais aspirent à être un guide pratique pour la mise en
œuvre des normes internationales, reconnues et contraignantes, dans
les procédures judiciaires et non judiciaires
. Elles visent à faire en sorte que, dans
toute procédure impliquant des enfants, tous les droits de ceux-ci
(notamment le droit à l’information, à la représentation, à la participation
et à la protection) soient pleinement respectés, en tenant dûment
compte du niveau de maturité et de compréhension de l’enfant, ainsi
que des circonstances de l’espèce. Cependant, respecter les droits
des enfants ne devrait pas léser les droits des autres parties concernées
(partie I. Champ d’application et finalité). L’existence des Lignes
directrices ne doit pas empêcher les Etats membres d’adopter ou
d’appliquer des normes supérieures ou des mesures plus favorables
.
13. Du point de vue des procédures des tribunaux des affaires
familiales, il est important que les Lignes directrices soulignent
que l’intérêt supérieur de l’enfant doit primer sur toute autre
considération dans toutes les affaires concernant directement ou
indirectement des enfants (partie III.B. Intérêt supérieur de l’enfant, paragraphe 1).
Elles se concentrent également sur la protection des données à caractère
personnel des enfants (partie IV.A.2. Protection de la vie privée
et familiale, paragraphes 6-10). Elles préconisent des procédures
à huis clos: en vertu du paragraphe 9, «[l]es auditions et témoignages
d’enfants dans des procédures judiciaires, non judiciaires ou dans
d’autres actions devraient de préférence, quand cela est possible,
avoir lieu à huis clos»; elles sont également en faveur d’une approche
multidisciplinaire réunissant des professionnels travaillant avec
ou pour des enfants (avocats, psychologues, médecins, policiers, fonctionnaires
de l’immigration, travailleurs sociaux et médiateurs). Les Lignes
directrices insistent par ailleurs sur la nécessité pour les tribunaux
de faire preuve d’une diligence exceptionnelle dans les affaires
relevant du droit de la famille afin d’éviter de faire peser des
conséquences dommageables et souvent irréparables sur les relations
familiales (partie IV.D.4. Eviter les retards injustifiés, paragraphes 50-53).
3. Le droit au respect
de la vie familiale (article 8 de la Convention) dans la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l’homme
3.1. Questions relatives
à l’adoption et au placement de l’enfant
14. En vertu de l’article 8 de la Convention, les Etats
ont l’obligation positive de réunir parents et enfants. Il ressort
de la jurisprudence de la Cour que les mesures visant à priver définitivement
les parents de tout contact avec leurs enfants ou de leur droit
de garde doivent rester exceptionnelles et ne peuvent se justifier
que par l’exigence prioritaire de protéger l’intérêt supérieur de
l’enfant, comme indiqué dans l’arrêt
Johansen
c. Norvège . L’intérêt
supérieur de l’enfant demeure pour la Cour le principal critère,
bien qu’il ne figure pas dans la Convention européenne des droits
de l’homme. Les droits de l’enfant englobent deux éléments distincts:
le droit à une prise en charge au sein de la famille et le droit
à des soins adaptés
.
15. Etant donné le caractère éventuellement irréversible des décisions
des tribunaux et autres autorités chargées de traiter les affaires
familiales, la Cour a également établi que certains droits étaient
implicitement inscrits dans la notion de «droit au respect de la
vie familiale» garanti par l’article 8 de la Convention. Les parents
et, le cas échéant, d’autres membres de la famille doivent être
autorisés à participer à toute décision concernant leurs enfants,
à un niveau qui permette de protéger comme il se doit l’intérêt
de l’enfant
. Par conséquent,
les autorités compétentes doivent faire preuve d’une diligence particulière
dans tous les cas où un retard des procédures peut porter atteinte,
de manière irréversible, à la vie familiale des parties concernées
. Etant
donné que les obligations que l’article 8 de la Convention fixe
aux Etats sont entre autres d’ordre procédural, la Cour, lorsqu’elle
examine d’éventuels dysfonctionnements dans une affaire familiale,
se réfère à cet article plutôt qu’à l’article 6 de la Convention,
qui garantit le droit à un procès équitable
. L’article 8 est de
portée plus générale que l’article 6 en ce qui concerne les affaires
familiales; en effet, il inclut non seulement les procédures judiciaires,
mais aussi les décisions prises avant qu’un tribunal soit saisi
de l’affaire et après, lors de l’exécution des décisions de justice.
Cependant, dans certains cas, la Cour a pu conclure également à
une violation de l’article 13 (droit à un recours effectif), si
les requérants n’ont pas été en mesure d’interjeter un appel effectif,
au niveau national, pour défendre leur droit au respect de la vie
familiale
.
16. L’article 8 de la Convention couvre les questions de fond
et de procédure liées à l’autorisation d’adoption et/ou la privation
des droits parentaux. A plusieurs reprises, la Cour a statué au
sujet de carences procédurales; il s’agit de cas où l’enfant a été
retiré trop rapidement à ses parents biologiques
, où l’adoption a été décidée
de manière trop rapide ou bien que l’enfant a été placé trop rapidement
dans une famille d’accueil
, où les parents biologiques n’ont pas été
suffisamment associés au processus ou bien que l’adoption a été
décidée sans leur consentement
,
où le père biologique n’a pas bénéficié de la capacité d’ester lors
de la procédure d’adoption
ou
que la procédure qui doit permettre l’accès des parents biologiques à
leur enfant ou conduire au placement de l’enfant dans une institution
publique a été trop longue
. Cependant, la Cour
ne confère aucun droit à l’adoption
, bien qu’ayant conclu à
des violations de l’article 8 en raison de défaillances de tribunaux
nationaux dans le cadre de procédures d’adoption
. Dans les affaires d’adoption, la Cour
doit toujours trouver un équilibre entre les droits des parents
biologiques et des parents adoptifs; les liens de l’enfant avec
sa famille biologique ne peuvent être rompus que dans des circonstances exceptionnelles
.
17. La Cour s’est également penchée sur de nombreuses affaires
relatives à des enfants placés
, en appréciant la proportionnalité
des mesures prises par les autorités locales; lorsque des parents
n’avaient pas été suffisamment associés au processus décisionnel,
la Cour a conclu à des violations de l’article 8
. Selon la Cour, la décision
de la prise en charge d’un enfant ne met pas fin aux relations avec
la famille biologique. Les parents biologiques peuvent conserver
un droit de visite qui fait partie de la vie familiale et l’Etat
doit prendre les mesures nécessaires pour réunir la famille en offrant
aux parents et aux enfants la possibilité de se retrouver et de
maintenir ou de rétablir des liens étroits
.
Il est clair que la Cour attache une grande importance au maintien
de contacts entre parents et enfants lorsqu’un enfant est placé
sous tutelle; toute limitation de ces contacts doit être en rapport
avec les objectifs recherchés
.
3.2. Jurisprudence récente
de la Cour concernant certains Etats parties à la Convention
3.2.1. Croatie
18. Dans l’arrêt
X. c. Croatie,
la Cour s’est élevée contre l’argument d’«incapacité mentale» invoqué
par les autorités croates pour empêcher une personne de prendre
part à l’avenir de ses enfants. Dans cette affaire, la fille de
la requérante a fait l’objet d’une procédure d’adoption sans que
la requérante en ait été informée, ou y ait consenti ou participé,
et ce, alors que la requérante n’avait jamais été officiellement
privée de ses droits parentaux. La requérante a été jugée dans l’incapacité
d’agir en raison de troubles mentaux et de problèmes d’addiction.
La Cour a contesté le point de vue des autorités croates selon lesquelles
toute personne jugée incapable d’agir doit être automatiquement
privée de toute participation à la procédure d’adoption de son enfant;
sur cette base, elle a conclu à une violation de l’article 8 de
la Convention. La Cour a jugé que la requérante aurait dû être entendue
et en mesure d’exprimer son point de vue au sujet d’une éventuelle adoption
de sa fille
. Cette affaire est en cours d’examen
par le Comité des Ministres, qui supervise l’exécution par la Croatie
de l’arrêt en question
.
19. La Cour examine actuellement une affaire similaire
(
A.K.
et L.K. c. Croatie)
, dans laquelle
les requérants – une mère souffrant de légers troubles mentaux et
son fils – considèrent qu’il y a eu violation de leur droit au respect
de la vie familiale, par la privation de la première requérante
(la mère) de ses droits parentaux vis-à-vis de son fils, et l’adoption
du second requérant (le fils) sans l’accord de la mère, et sans même
que celle-ci en ait été informée.
3.2.2. Portugal
20. Au Portugal, certains éléments tendent à prouver
le caractère arbitraire, voire discriminatoire, du processus d’adoption.
Dans l’affaire
Salgueiero da Silva Mouta
c. Portugal ,
il a été établi que la cour d’appel avait pris sa décision d’accorder
à l’ex-épouse la responsabilité parentale de sa fille au seul motif
de l’orientation homosexuelle du requérant. La Cour a conclu à une
violation de l’article 8 combiné avec l’article 14 de la Convention.
Après une large diffusion de cet arrêt auprès des autorités concernées
et le réexamen de la question de la responsabilité parentale, le
Comité des Ministres a clos le processus de supervision de l’exécution
de l’arrêt en question
. Dans
deux affaires récentes,
Santos Nunes
c. Portugal et
Pontes
c. Portugal , la
Cour a conclu à des violations de l’article 8. Dans la première
affaire, la violation était due à la lenteur présumée de la part
des autorités, en particulier de la police, dans l’exécution de
la décision d’accorder au requérant la garde de son enfant, confié
aux soins d’un autre couple. Dans la deuxième affaire, l’un des enfants
des requérants leur avait été retiré et avait finalement été adopté,
et ils avaient été déchus de l’autorité parentale. La Cour a conclu
que les autorités n’avaient pas pris de mesures permettant aux requérants d’entretenir
des contacts réguliers avec leur fils et que la décision de le placer
en vue de l’adoption n’était pas fondée sur des raisons pertinentes
et suffisantes (deux violations de l’article 8). D’autre part, dans
l’affaire
Assunção Chaves c. Portugal , dans laquelle le requérant,
un ressortissant brésilien, se plaignait du placement de sa fille
dans une institution après sa naissance dans un hôpital et de la
déchéance de ses droits parentaux, la Cour n’a pas constaté de violation
de l’article 8
, mais seulement
de son droit d’accès à un tribunal (article 6, paragraphe 1), le
requérant n’ayant pas été dûment informé de ses droits procéduraux.
21. Eu égard au calendrier et à la nature des affaires, il serait
prématuré de tirer des conclusions généralisées sur le fonctionnement
des tribunaux des affaires familiales dans ce pays. De nombreux
autres arrêts rendus par la Cour contre le Portugal révèlent certaines
failles et certains retards dans le fonctionnement de la justice
en général (violations de l’article 6); leur exécution est suivie
de près par le Comité des Ministres
. Le rapport du médiateur français de
2011 cite le Portugal comme exemple de bonnes pratiques à la suite
de la publication de lignes directrices pour les personnes travaillant
avec des enfants placés en établissement
. C’est pourquoi il conviendrait d’analyser
le problème du fonctionnement des tribunaux des affaires familiales dans
un contexte plus large.
3.2.3. Royaume-Uni
22. Dans un certain nombre d’affaires portées contre
le Royaume-Uni, la Cour a considéré que l’action des services publics
britanniques n’était pas adaptée à la situation, et donc contraire
aux dispositions de la Convention. Par exemple, en révélant les
problèmes que pouvaient poser le caractère irréversible des ordonnances
d’adoption et l’absence de recherches, par les autorités, de solutions
autres que le retrait d’un enfant à ses parents biologiques, l’affaire
P., C. et S. c. Royaume-Uni a soulevé
une véritable polémique
.
Sur
la base de ces deux dysfonctionnements, la Cour a conclu à une violation
de
l’article 8 de la Convention. Sept
ans auparavant, l’affaire
McMichael c.
Royaume-Uni ,
dont les faits étaient similaires, avait connu la même issue
.
23. De même, en ce qui concerne l’affaire
A.D.
et O.D. c. Royaume-Uni ,
la Cour a conclu à une violation du droit des requérants (une mère
et son fils) au respect de leur vie privée et familiale, en raison
des erreurs des services sociaux locaux. Le constat de violation
reposait sur les éléments suivants: le fils nouveau-né souffrant
de blessures inexpliquées, la requérante et son partenaire avaient
été déplacés vers un centre familial où ils sont restés près de
trois mois. L’enfant avait été placé dans un foyer d’accueil pendant
quatre mois, faute d’une évaluation correcte de la situation par
les pouvoirs locaux. Après évaluation, le retour de l’enfant – souffrant
selon les médecins d’une maladie osseuse rare – dans sa famille
d’origine avait pris plus de temps qu’il n’était raisonnable. La
Cour a considéré que, si «des mesures de protection étaient pertinentes et
raisonnablement justifiées, les dysfonctionnements constatés par
la suite ont prolongé et aggravé l’atteinte au droit des requérants
au respect de leur vie familiale et n’étaient pas proportionnés
au but légitime de protection des requérants
».
24. Dans l’affaire
R.K. et A.K. c.
Royaume-Uni , la Cour a conclu à une violation
de l’article 13 de la Convention, dans la mesure où les requérants
n’avaient pas eu de recours effectif pour pouvoir établir la responsabilité
des autorités locales concernant le préjudice subi du fait du placement
de leur fille en garde à court terme. De la même manière, dans l’affaire
T.P. et K.M. c. Royaume-Uni , la
Cour a conclu à une violation de l’article 13 du fait qu’une mère
(T.P.) n’avait pas pu suffisamment participer à la décision et avait
été privée de tout recours approprié pour remettre en question la
garde de sa fille: la Cour a considéré que la requérante ne disposait
pas d’un recours effectif. Toutefois, il faut noter que, de l’avis
du Comité des Ministres – qui supervise l’exécution des arrêts de
la Cour – le problème a été résolu grâce à l’entrée en vigueur du
Human Rights Act, le 2 février 2000
.
25. A l’heure actuelle, la Cour examine une nouvelle requête d’une
ressortissante britannique: cette dernière, qui présente des troubles
d’apprentissage importants, a porté plainte, en invoquant l’article
8 de la Convention, contre la décision de placer sa fille sous la
tutelle des autorités locales et de la faire adopter (affaire
R.P et autres c. Royaume-Uni)
. La requérante a également
invoqué l’article 6 de la Convention, en faisant valoir que, du
fait de la nomination de l’
Official Solicitor,
elle n’avait pas été en mesure de porter son affaire devant les
tribunaux en vue de remettre en cause la position des pouvoirs locaux.
La requérante n’avait, en particulier, pas eu la possibilité de
remettre en cause le rapport du psychologue.
3.2.4. Autres Etats parties
à la Convention
26. Après examen d’un certain nombre de plaintes contre
d’autres Etats membres, on peut affirmer que le système d’adoption/de
placement pourrait également être défectueux dans d’autres Etats
membres – notamment en Allemagne et en République tchèque où des
cas particulièrement choquants ont été rapportés.
27. Dans l’affaire
Görgülü c. Allemagne , dans laquelle la mère
du fils du requérant (le père biologique) a confié l’enfant à l’adoption
sans le consentement du requérant, les autorités ont dénié à celui-ci
le droit d’accès à son fils et le droit de garde, alors que sa capacité
et sa volonté n’avaient pas été mises en cause. La Cour a considéré
que les droits des parents d’accueil avaient été placés, sans justification
aucune, au-dessus des droits du requérant. En conséquence, la Cour
a conclu à une violation de l’article 8 de la Convention
. Dans l’affaire
Kutzner c. Allemagne , l’enfant a été placé
en famille d’accueil du fait que l’on a considéré les parents comme
intellectuellement déficients – ce qui a constitué également une
violation de l’article 8 de la Convention
. Ces deux affaires ont été closes par le
Comité des Ministres à la suite de l’adoption de mesures à la fois
individuelles et générales. Dans l’affaire
Haase
c. Allemagne ,
les requérants se sont vu retirer leurs enfants – y compris un nouveau-né
(de sexe féminin) – dans le cadre d’une décision non conforme aux exigences
de l’article 8 de la Convention. L’examen de cette affaire a été
clos par le Comité des Ministres après que des contacts ont été
rétablis entre les requérants et leurs enfants
. Enfin, plus récemment,
la Cour a également conclu à des violations de l’article 8 dans
deux affaires dans lesquelles les requérants (les pères, en l’occurrence)
se sont vu refuser l’accès à leurs enfants biologiques (
Anayo c. Allemagne et
Schneider c. Allemagne ).
28. En République tchèque, l’affaire
Wallowa
et Walla c. République tchèque a
permis de réaffirmer l’obligation des pouvoirs locaux de respecter
le droit à la vie familiale. Les enfants des requérants leur ont
été retirés en raison de la pauvreté du foyer familial. La précarité
en matière d’hébergement était totale, et les parents n’étaient
guère en mesure d’améliorer les choses sur le plan financier (le
père n’avait pas d’emploi stable, la mère était au chômage, et aucun
des deux parents n’avait procédé aux formalités qui leur auraient permis
de toucher des allocations sociales)
. Les
enfants ont été séparés de leurs parents pendant cinq ans – les
deux enfants les plus jeunes ayant été placés au sein d’une autre
famille. La Cour a établi que ces enfants avaient été retirés à
leurs parents pour des raisons matérielles, mais qu’il aurait fallu
remédier à cette situation autrement que par le placement des enfants
dans des familles d’accueil. Les parents auraient dû être informés en
temps opportun de leurs droits à la sécurité sociale, de l’existence
de logements sociaux et autres moyens qui auraient pu améliorer
leur situation. La Cour a conclu que, en dépit de la légitimité
des préoccupations des services sociaux, les circonstances particulières
de cette affaire ne justifiaient pas une ingérence dans le droit garanti
par l’article 8. Dans une affaire assez semblable –
Havelka et autres c. République tchèque,
la Cour a conclu à une violation de l’article 8
. Ces deux affaires sont
en attente d’exécution devant le Comité des Ministres.
4. Les tribunaux des
affaires familiales en Europe
4.1. L’exemple du Royaume-Uni
29. La proposition de résolution se concentrant sur le
fonctionnement des tribunaux des affaires familiales au Royaume-Uni,
il est nécessaire d’examiner plus avant ce point. Dans ce pays,
les questions relatives à la protection de l’enfance sont essentiellement
régies par la loi sur l’enfance (
Children
Act) de 1989
.
30. Comme il est dit dans la proposition de résolution précitée,
certains aspects du fonctionnement des tribunaux des affaires familiales
anglais et gallois sont préoccupants. En Angleterre et au pays de
Galles, il y aurait eu apparemment de nombreux cas dans lesquels
une instance publique (l’«
Official Solicitor»)
s’est substituée à un parent dans une procédure susceptible d’aboutir
à l’adoption d’un ou plusieurs de ses enfants. Des mères se sont
vu retirer leurs enfants parce qu’elles étaient victimes de violences
domestiques, ou pour des raisons médicales, sans qu’un deuxième
avis ait été sollicité. Certaines plaintes avaient également trait
au fait que, dans les affaires familiales, les tribunaux anglais
prononcent généralement leur jugement à huis clos (ce qui peut constituer
une violation de l’article 6 de la Convention; en effet, s’il peut
être justifié de préserver l’anonymat des parties concernées, le
secret ne doit pas s’appliquer à l’argumentation du tribunal, qui
échappe sinon à tout contrôle). En outre, la proposition de résolution
se montre critique vis-à-vis du fonctionnement du Cafcass (
Children and Family Court Advisory and Support
Service/Service de conseil et de soutien des tribunaux
des affaires familiales) qui désigne des tuteurs
ad litem dans les affaires de garde
d’enfants en Angleterre et au pays de Galles (le Cafcass Cymru fonctionne
au pays de Galles)
.
En 2008, l’OFSTED (
Office for Standards
in Education/Agence pour l’application et le maintien
de normes dans l’éducation) est devenu l’autorité de surveillance
du Cafcass. Depuis lors, cet organisme a publié des rapports au
sujet des normes appliquées par le Cafcass
.
31. Comme l’a souligné la professeure Masson lors de l’audition
de mai 2012, en Angleterre, les procédures relatives à la protection
de l’enfance concernent annuellement environ 3 enfants de moins
de 16 ans pour 1 000 et les affaires portées devant la justice sont
– de par leur nature – exceptionnelles. Parmi les enfants faisant
l’objet d’une action judiciaire destinée à assurer leur protection,
un peu moins de la moitié font l’objet d’une ordonnance instaurant
une garde partagée entre les parents et l’Etat («ordonnances de
placement»). Les autres emménagent chez d’autres membres de la famille
ou, plus rarement, restent avec le parent qui en avait la charge
au début de la procédure
.
Des ordonnances de placement auprès de personnes non apparentées
et/ou des programmes d’adoption ne sont imposés que lorsqu’aucun
membre de la famille ne peut s’occuper de l’enfant. Habituellement,
les tribunaux prévoient des arrangements pour le maintien des contacts
avec les enfants faisant l’objet d’une procédure de garde, non seulement
pendant le déroulement de la procédure, mais aussi lorsque la décision
finale est rendue; cette obligation est définie par la loi
. Des programmes
d’adoption sont mis sur pied pour environ un quart des enfants faisant
l’objet d’une ordonnance de placement
.
32. Concernant l’Official Solicitor, qui
officie en Angleterre et au pays de Galles, il/elle est un fonctionnaire et
un juriste qualifié, qui n’intervient que dans des affaires où il/elle
estime que le parent est inapte, et requiert généralement des éléments
de preuve auprès d’un psychiatre consultant pour établir cette inaptitude.
En toute hypothèse, toute intervention obligatoire de protection
d’un enfant nécessite d’obtenir une décision du tribunal des affaires
familiales.
33. Cependant, selon la professeure Masson, la violence domestique
demeure un problème
qui peut conduire à imposer
des interventions obligatoires de protection de l’enfance
;
contester des preuves médicales dans de telles affaires n’entraîne
pas de «droit à un deuxième avis» à la lumière de l’article 8 de
la Convention. Bien que les décisions sur les expertises, nécessaires
pour statuer sur une affaire, soient officiellement du ressort du
juge, les parties ont à cet égard une influence considérable par
l’intermédiaire de leurs représentants légaux. Ces décisions peuvent
également être contestées. Dans plus de 90 % des affaires de protection
de l’enfance portées devant les tribunaux anglais, il est fait appel
au témoignage d’experts indépendants. Le coût occasionné aux parents
ou aux enfants par les experts est pris en charge par le fonds d’aide
judiciaire.
34. Entre 2006 et 2010, la question de la «transparence judiciaire»,
et tout spécialement de l’accès des médias aux tribunaux et de la
publication des arrêts, a fait l’objet d’un examen de la part des
services gouvernementaux et d’un débat public en Angleterre et au
pays de Galles
. Malgré la levée de certaines restrictions
à l’accès de la presse aux tribunaux, de strictes restrictions demeurent
concernant la communication d’informations. Par conséquent, la présence
de la presse dans les tribunaux des affaires familiales est extrêmement
rare et se limite généralement aux affaires impliquant des «célébrités».
Les reportages de presse ne constituent pas un moyen efficace d’assurer
la transparence; dans les procédures familiales, les preuves incontestées
ne sont pas fournies oralement, mais seulement par écrit, et les
affaires ne sont pas examinées en continu, mais en une série de
brèves audiences. Le fait qu’il n’y ait pas de jugement public ne
signifie pas que les
raisons
l’ayant motivé ne sont pas communiquées aux parties. Tout tribunal
ayant à connaître d’affaires familiales fournit les raisons de ses
décisions. Dans l’affaire
B et P c. Royaume-Uni ,
la Cour a estimé que la pratique consistant à juger certaines affaires
familiales en chambre à huis clos (en excluant ainsi le public et
la presse) n’était pas contraire à l’article 6 de la Convention
et que la nature des procédures familiales, et en particulier la
vie privée des enfants, justifiaient des audiences à huis clos dans
les affaires familiales.
35. Quant aux fonctionnaires du Cafcass en Angleterre et au pays
de Galles
, c’est devant les tribunaux, et
non devant leur employeur qu’ils assument la responsabilité du jugement
professionnel qu’ils ont porté dans leurs affaires. Ils fournissent
également des rapports sociaux dans des conflits parentaux devant
les tribunaux des affaires familiales. Selon la professeure Masson,
étant donné que le Cafcass ne fournit de rapports sociaux que dans
les cas les plus litigieux, soit environ 10 % des affaires, il n’est
pas surprenant qu’il ne se prononce que rarement contre l’opportunité
d’une décision de justice. En juillet 2011, le Commission de la
justice de la Chambre des communes
a fortement critiqué le Cafcass,
à qui il reprochait de ne pas accorder assez d’attention à l’intérêt
supérieur de l’enfant. Il a notamment appelé à un changement dans
sa gestion, afin de permettre à son personnel de passer plus de
temps avec les enfants
.
36. En Angleterre et au pays de Galles, les tribunaux des affaires
familiales et les pratiques en matière de protection de l’enfance
ont fait l’objet d’une série de contrôles au cours de ces dernières
années
. Plus récemment, le comité de réexamen
de la justice familiale (
Family Justice
Review panel) a produit un rapport en novembre 2011
, et les idées exposées dans le bilan
sur la protection de l’enfance du professeur Eileen Munro
– concernant le renforcement des
compétences et pratiques en matière de travail social – sont actuellement
mises en œuvre. Le rapport du comité de réexamen de la justice familiale
a notamment critiqué les retards dans les procédures devant les
tribunaux des affaires familiales (notamment celles où des enfants sont
retirés à leurs familles durent plus d’un an). Le gouvernement a
en outre annoncé une nouvelle loi portant sur la création d’un seul
et unique tribunal des affaires familiales en Angleterre et au pays
de Galles
, afin d’accélérer
le traitement des affaires de garde devant la justice
.
4.2. Aperçu général
37. Comme l’a souligné la professeure Masson lors de
l’audition, il n’y a pas de modèle unique pour rendre la justice
familiale en Europe; à chaque Etat son propre système pour statuer
en ce domaine. Un tribunal des affaires familiales unique peut avoir
compétence pour statuer sur toutes les affaires, comme ce sera le
cas en Angleterre et au pays de Galles après l’adoption du projet
de loi sur la criminalité et les tribunaux de 2012 (
Crime and Courts Bill). Mais ailleurs
en Europe, il est courant que les affaires relatives aux enfants
soient instruites séparément des affaires relatives aux biens familiaux
et que les affaires de prise en charge d’enfants et de protection
de l’enfance (dans lesquelles interviennent des organismes publics)
soient confiées aux tribunaux administratifs plutôt qu’aux tribunaux
civils ou des affaires familiales. Les pratiques diffèrent par exemple
sur les points suivants: représentation des enfants, existence de
juridictions spécialisées, autorisation donnée aux mères de ne pas
dévoiler leur identité et de confier leurs enfants à l’adoption
anonymement, obligation de rendre des comptes pour les personnes
travaillant avec les familles (organismes publics), etc. Comme l’a
souligné le juge Pical lors de l’audition, l’institution de l’accouchement
sous X, qui permet aux mères de donner naissance anonymement, est
un exemple de conflit d’intérêts entre la mère biologique, qui souhaiterait
conserver l’anonymat, et l’enfant, qui souhaiterait connaître ses
origines
.
L’accouchement sous X ne se pratiquant que dans une poignée d’Etats
membres du Conseil de l’Europe
, il illustre bien l’absence de
dénominateur européen commun sur la question
. Les réalités de l’adoption
dans les Etats membres peuvent être un autre exemple de la grande
diversité des systèmes. Comme cela est indiqué dans le document thématique
d’avril 2011 du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de
l’Europe, alors que l’adoption est une pratique bien établie dans
certains pays, elle reste relativement méconnue dans d’autres. Certains Etats
autorisent l’adoption des enfants à l’étranger, d’autres non
.
38. La professeure Masson a également souligné que le recours
à des mesures obligatoires constitue l’exception et ne se pratique
que dans les affaires de sévices à enfants et de défaut de soins.
En dépit de la diversité des politiques et des pratiques en Europe,
la principale approche adoptée par tous les Etats consiste, chaque
fois que possible, à rechercher une coopération avec les parents
pour prodiguer aux enfants les meilleurs soins qui soient. En conséquence,
les tribunaux ne sont saisis que quand des mesures volontaires sont
inefficaces, ou considérées comme telles.
5. Conclusions
39. Il est malheureux qu’en raison de troubles mentaux,
d’une incapacité ou d’autres circonstances, certains parents ne
soient pas à même de s’occuper correctement de leurs enfants. En
pareil cas, les services de protection de l’enfance sont tenus par
le droit international et le droit interne de veiller au bien-être
de ces enfants, en gardant à l’esprit que c’est à la naissance et
dans la petite enfance qu’ils sont les plus vulnérables. L’adoption
et le placement sous tutelle sont des options drastiques, dans la
mesure où elles se concrétisent par la séparation des enfants de
leurs parents. Par conséquent, ces mesures doivent être appliquées
avec toutes les précautions requises et en dernier recours, en conformité
avec l’interprétation de la Cour concernant l’article 8 de la Convention
européenne des droits de l’homme et avec la Convention des Nations
Unies relative aux droits de l’enfant. Le placement en établissement
devrait être évité dans toute la mesure du possible, car c’est le
milieu familial qui offre en principe les meilleures conditions
de développement et de bien-être de l’enfant. Comme l’a souligné
le Commissaire aux droits de l’homme, la crise économique actuelle
ne doit pas remettre en cause l’aide aux enfants à risque
. Eu égard
au coût exorbitant d’une prise en charge correcte dans un établissement,
une aide concrète accordée aux familles dans le besoin pour leur
permettre de s’occuper de leurs enfants pourrait se révéler non
seulement plus respectueuse du rôle fondamental de la famille, mais
aussi plus économique que le placement de l’enfant en établissement.
40. Bien que la proposition de résolution mette en lumière certains
dysfonctionnements des systèmes de justice familiale en Croatie,
au Portugal et au Royaume-Uni, il serait prématuré de tirer des
conclusions générales critiques sur le fonctionnement des tribunaux
des affaires familiales dans ces pays en se fondant sur des exemples
tirés de la jurisprudence de la Cour, lesquels peuvent ne donner
qu’un tableau fragmentaire de la situation. Le cas du Royaume-Uni
prouve qu’il est très difficile de se faire une idée claire du fonctionnement
global des tribunaux des affaires familiales dans un pays et qu’une
évaluation objective n’est possible qu’en s’appuyant sur des études
approfondies. De plus, le tour d’horizon de la jurisprudence de
la Cour a montré qu’il pouvait en effet y avoir certains dysfonctionnements,
pas uniquement dans les trois Etats membres susmentionnés, mais
aussi ailleurs. Certains arrêts de la Cour sanctionnant l’Allemagne
et la République tchèque font également apparaître des problèmes
très préoccupants en matière de placement d’enfants en établissement
ou dans des familles d’accueil contre la volonté des parents biologiques.
41. La grande diversité des approches en matière familiale au
sein des Etats membres reflète aussi la diversité des histoires,
des cultures et des traditions religieuses; c’est pourquoi la Convention
et la Cour ne fixent en réalité que des normes minimales pour la
protection des droits de l’homme en ce domaine. Quels que soient
les arrangements pris, les processus décisionnels relatifs à la
«vie familiale» doivent être compatibles avec les normes de la Convention.
42. Prenant en considération l’important travail effectué par
les organes du Conseil de l’Europe en matière de protection de l’enfance,
il n’est nul besoin de multiplier les initiatives et activités.
Il importe néanmoins d’encourager les Etats membres à signer et/ou
à ratifier, s’ils ne l’ont pas encore fait, les conventions pertinentes
adoptées sous l’égide du Conseil de l’Europe en ce domaine, et à
promouvoir et mettre en œuvre les Lignes directrices du Comité des
Ministres sur une justice adaptée aux enfants.