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Rapport | Doc. 13086 | 04 janvier 2013

La traite des travailleurs migrants à des fins de travail forcé

Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées

Rapporteure : Mme Annette GROTH, Allemagne, GUE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12411, Renvoi 3736 du 24 janvier 2011. 2013 - Première partie de session

Résumé

La traite des êtres humains continue de s’aggraver à grande échelle. Elle peut être considérée comme la forme de criminalité organisée qui se développe le plus vite et la source de profit la plus importante provenant de trafics transnationaux. La quasi-totalité des pays seraient affectés que ce soit comme pays d’origine, de transit et/ou de destination.

Il importe non seulement de mettre l’accent sur la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle, mais aussi d’appréhender la dimension plus large du problème que constitue la traite à des fins de travail forcé, qui touche l’«industrie du sexe», le secteur agricole, le bâtiment, l’industrie textile, l’hôtellerie et la restauration, l’industrie manufacturière, l’esclavage et la servitude domestiques (y compris dans des ménages de diplomates) et la mendicité forcée. Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), au moins 20,9 millions de personnes – trois sur 1 000 – sont réduites à un travail forcé dans le monde et 44 % d’entre elles (9,1 millions) sont des victimes de la traite.

Interpol estime que les autorités n’ont connaissance que de 5 à 10 % des cas et que la proportion des victimes de la traite qui sont identifiées est encore plus faible. Les femmes et les jeunes filles sont les victimes les plus nombreuses et 90% des victimes sont exploitées dans le secteur privé.

Bien que les autorités soient de plus en plus conscientes du problème, cette activité criminelle présente peu de risques pour une rentabilité élevée. Elle attire les réseaux criminels et les individus, et il est rare que les auteurs de la traite et les utilisateurs finaux de ce type d’exploitation soient identifiés et traduits en justice.

Les autorités considèrent en général que les affaires de traite à des fins de travail forcé ayant des migrants comme victimes relèvent du trafic illicite et de la violation du droit de l’immigration ou du droit du travail. Cette approche erronée, qui place les victimes en position de criminels, se trompe de cible et fait obstacle à une lutte efficace contre les trafiquants et la traite. C’est pourquoi les Etats membres sont encouragés à s’attaquer au phénomène sous l’angle de la traite tout en tenant compte de la vulnérabilité particulière des personnes concernées. Ils sont également invités à revoir leurs politiques d’immigration et de retour pour s’assurer que les personnes victimes de la traite à des fins de travail forcé sont traitées d’abord comme des victimes qui ont besoin d’être protégées plutôt que comme des personnes ayant violé le contrôle des migrations.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 27 novembre
2012.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire est préoccupée par l’ampleur de la traite des êtres humains. Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), au moins 20,9 millions de personnes – trois sur 1 000 – sont réduites à un travail forcé dans le monde et 44 % d’entre elles (9,1 millions) sont des victimes de la traite. La traite des êtres humains peut être considérée comme l’activité criminelle organisée qui se développe le plus vite et qui est la source de profit la plus importante provenant des trafics transnationaux. La quasi-totalité des pays seraient touchés que ce soit comme pays d’origine, de transit et/ou de destination.
2. Il importe non seulement de mettre l’accent sur la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle, mais aussi d’appréhender la dimension plus large du problème que constitue la traite à des fins de travail forcé, qui touche l’«industrie du sexe», le secteur agricole, le bâtiment, l’industrie textile, l’hôtellerie et la restauration, l’industrie manufacturière, l’esclavage et la servitude domestiques (y compris dans des ménages de diplomates), la mendicité et le vol à la tire forcés, et le trafic d’organes.
3. Interpol estime que les autorités n’ont connaissance que de 5 à 10 % des cas et que la proportion des victimes de la traite qui sont identifiées est encore plus faible. Les migrants en situation irrégulière, les personnes déplacées et d’autres catégories comme les Roms sont particulièrement exposés à la traite, y compris à des fins de travail forcé. Les femmes et les jeunes filles sont les victimes les plus nombreuses et 90 % des victimes sont exploitées dans le secteur privé.
4. Cette activité criminelle qui présente peu de risques pour une rentabilité élevée attire à tous les niveaux des réseaux criminels et des individus, qui profitent des lacunes des politiques nationales concernant les migrants et l’emploi. L’Assemblée est préoccupée de constater que les auteurs de la traite et les utilisateurs finaux de ce type d’exploitation sont rarement identifiés et traduits en justice. Peu d’affaires donnent lieu à des poursuites en tant que cas de traite.
5. Les autorités considèrent en général que les affaires de traite à des fins de travail forcé ayant des migrants comme victimes relèvent du trafic illicite et de la violation du droit de l’immigration ou du droit du travail. Cette approche erronée, qui place les victimes en position de criminels, se trompe de cible et fait obstacle à une lutte efficace contre les trafiquants et la traite.
6. L’Assemblée reconnaît qu’il est essentiel de s’attaquer aux racines de la traite à des fins de travail forcé, notamment la réduction de la pauvreté et la création d’emplois dans les pays d’origine des victimes de la traite. Elle souligne aussi l’importance de l’éducation, de la formation professionnelle et de l’encouragement de l’autonomie des victimes potentielles, en particulier des femmes et des jeunes filles. De plus, il est nécessaire de sensibiliser davantage aux risques de traite à des fins de travail forcé et de faciliter la réintégration effective des victimes au sein de la société.
7. L’Assemblée est parfaitement consciente de l’importance de renforcer la coopération et le partage d’informations (y compris les bonnes pratiques) entre l’ensemble des acteurs de la lutte contre la traite, notamment entre les autorités nationales des pays d’origine, de transit et de destination, les juges, les procureurs, les inspecteurs du travail, les forces de police, les gardes-frontières, les représentants de la société civile et les syndicats.
8. En conséquence, elle recommande aux Etats membres et observateurs du Conseil de l’Europe et aux partenaires de la démocratie:
8.1. de lutter contre le phénomène de traite des travailleurs migrants à des fins de travail forcé, en tenant compte de la vulnérabilité particulière de ces personnes, par les mesures suivantes:
8.1.1. mettre en place un cadre juridique solide pour poursuivre les utilisateurs finaux et les auteurs de la traite, y compris les ménages privés, et veiller à qualifier d’infraction pénale toutes les formes de travail forcé;
8.1.2. encourager des inspections régulières et coordonnées dans les secteurs à risque par les organisations responsables de la régulation de l’emploi, de la santé et de la sécurité, inciter les travailleurs à s’organiser et associer les agences pour l’emploi aux mesures prises pour lutter contre la traite des êtres humains;
8.1.3. renforcer le rôle des inspecteurs du travail et affecter des ressources humaines et financières suffisantes pour leur permettre de réguler effectivement l’emploi, notamment le travail domestique et le fonctionnement des entreprises et lieux de travail informels, où les pratiques de travail forcé prédominent;
8.1.4. prendre des mesures pour décourager la demande de services de personnes victimes de la traite à des fins de travail forcé, en particulier dans les travaux domestiques et dans les secteurs de l’agriculture, de la pêche, de la construction, de l’hôtellerie, des soins et du nettoyage;
8.1.5. combattre la corruption des fonctionnaires impliqués dans des infractions liées à la traite;
8.1.6. veiller à ce que les professionnels compétents, y compris les juges et les procureurs, les inspecteurs du travail, les fonctionnaires de police, les gardes-frontières, les agents des services d’immigration, le personnel qui travaille dans les centres de rétention d’immigrés, les fonctionnaires territoriaux, le personnel diplomatique et consulaire, les professionnels de santé et les travailleurs sociaux reçoivent une formation complète et multidisciplinaire afin de repérer les victimes de la traite à des fins de travail forcé et de les assister et protéger conformément à la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE n° 197);
8.1.7. ratifier et appliquer, si ce n’est pas encore fait, la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains et la Convention de l’Organisation international du travail concernant le travail décent pour les travailleuses et travailleurs domestiques;
8.2. de revoir leurs politiques en matière d’immigration et de retour pour les aligner sur les recommandations du Groupe d’experts sur la traite des êtres humains (GRETA) du Conseil de l’Europe afin de s’assurer que les personnes victimes de la traite à des fins de travail forcé sont traitées d’abord comme des victimes qui ont besoin d’être protégées plutôt que comme des personnes ayant violé le contrôle des migrations, en prenant les mesures suivantes:
8.2.1. préciser clairement les canaux de migration régulière et diffuser des informations précises sur les conditions qui permettent d’entrer et de séjourner régulièrement dans le pays;
8.2.2. intensifier les efforts pour identifier les victimes potentielles de la traite, y compris aux frontières et dans les centres de rétention, en donnant accès aux organes de contrôle et aux organisations spécialisées, y compris les organisations non gouvernementales;
8.2.3. faire en sorte que les victimes potentielles de la traite ne soient pas punies pour des infractions liées à l’immigration au cours de la procédure d’identification;
8.2.4. faciliter la délivrance aux migrants victimes de la traite de permis de séjour temporaires et renouvelables pour des motifs humanitaires, si possible associés à des permis de travail;
8.2.5. garantir le droit des travailleurs domestiques migrants à un statut d’immigré indépendamment de tout employeur;
8.2.6. garantir effectivement aux victimes de la traite une période de rétablissement et de réflexion d’au moins 30 jours pour leur permettre d’être à nouveau en pleine possession de leurs moyens et d’échapper à l’influence des trafiquants;
8.2.7. assurer aux victimes l’accès aux tribunaux et leur garantir un accès effectif à l’aide juridictionnelle et aux services d’interprétation;
8.2.8. offrir une protection effective aux personnes qui participent aux procédures pénales;
8.2.9. considérer les mesures spéciales pour le retour des victimes de la traite comme faisant partie intégrante d’une politique de lutte contre la traite, en garantissant leurs droits, leur sécurité, leur dignité et leur protection contre la possibilité de redevenir une nouvelle fois des victimes de la traite en cas de retour ou de réadmission et en recourant à des programmes de retours volontaires assistés.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet
de recommandation adopté à l’unanimité par la commission le 27 novembre
2012.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire se réfère à sa Résolution …(2013) sur la traite des travailleurs migrants à des fins de travail forcé.
2. L’Assemblée note que la traite des êtres humains, y compris à des fins de travail forcé, est un phénomène d’ampleur mondiale qui affecte tous les Etats membres du Conseil de l'Europe, que ce soit comme pays d’origine, de transit et/ou de destination. Elle s’inquiète du faible nombre de victimes de la traite à des fins de travail forcé qui sont identifiées et du fait que les auteurs de la traite et les utilisateurs finaux de ce type d’exploitation soient rarement identifiés, traduits en justice et condamnés.
3. L’Assemblée se félicite de ce que le Comité des Ministres continue de consentir des efforts dans la lutte contre la traite des êtres humains, y compris à des fins de travail forcé, en soutenant notamment le Groupe d’experts du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA), qui assure le suivi de la mise en œuvre de la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE n° 197).
4. L’Assemblée invite le Comité des Ministres à accorder, dans le cadre de la préparation du programme d’activités pour la période 2014-2015, la priorité à la lutte contre la traite des êtres humains, y compris à des fins de travail forcé. A cet égard, elle invite le Comité des Ministres:
4.1. à étudier le problème de l’obtention de données complètes et cohérentes sur la traite des êtres humains, y compris à des fins de travail forcé, afin de pallier l’absence actuelle de statistiques fiables, en invitant le GRETA à apporter son concours à cette entreprise;
4.2. à réaliser des programmes de formation à l’intention des personnes confrontées à la problématique de la traite, et notamment celles qui identifient et assistent les victimes parmi les travailleurs migrants (les services de police et les autres fonctionnaires, les inspecteurs du travail, les représentants de syndicats et d’organisations d’employeurs, d’organisations non gouvernementales (ONG), etc.). Dans ce projet, le Comité des Ministres est invité à faire participer le GRETA et à étudier la possibilité d’un programme conjoint avec l’Union européenne dans le cadre de sa Stratégie en vue de l’éradication de la traite des êtres humains pour la période 2012-2016;
4.3. à inviter le Groupe d'Etats contre la corruption (GRECO) et le GRETA à examiner le lien entre la corruption et la traite des êtres humains, y compris en menant ou en sous-traitant des recherches sur la question, et en veillant à ce que les accusations de corruption à l’encontre de fonctionnaires fassent l’objet d’enquêtes rapides, approfondies et impartiales.

C. Exposé des motifs, par Mme Groth, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. La traite des êtres humains n’est pas un phénomène nouveau; elle consiste dans une large mesure à exploiter des personnes vulnérables, souvent des travailleurs, qu’il s’agisse de femmes, d’enfants ou d’hommes. La traite des êtres humains est aujourd’hui considérée comme la forme de criminalité organisée qui se développe le plus rapidement et qui assure des profits considérables, alors que la quasi-totalité des pays seraient touchés par ce phénomène. Elle est généralement associée au commerce du sexe, mais la communauté internationale a récemment mis l’accent sur une dimension nettement plus large du problème: le travail forcé 
			(3) 
			Le concept de travail
forcé est utilisé au sens large dans le présent rapport afin de
prendre en compte tous les aspects de ce phénomène qu’est la traite
des travailleurs migrants à des fins d’exploitation par le travail
et d’exploitation sexuelle (voir partie 2.1)..
2. Selon des estimations de l’Organisation internationale du travail (OIT), au moins 20,9 millions de personnes – soit 3 sur 1000 – sont aujourd’hui réduites au travail forcé dans le monde et 44% de ces personnes (environ 9,1 millions) sont des victimes de la traite 
			(4) 
			Organisation
internationale du travail (OIT), Estimation du travail forcé dans
le monde 2012, Résumé, 1er juin 2012. Les
chiffres de l’OIT prennent en compte l’éventail complet des violations
dues à la traite des êtres humains, à l’exception de la traite pour
prélèvement d’organes, mariage forcé et adoption, sauf si ces pratiques
entraînent un travail forcé..
3. La commission s’intéresse à cette question depuis quelques années déjà. En septembre 2010, elle a organisé une audition sur ce thème et a entendu les contributions de plusieurs experts. Convaincue de l’importance du sujet, elle a décidé, à l’issue de cette audition, de rédiger un rapport. J’étais été nommée à mon tour rapporteur en juin 2012 et j’ai eu un échange de vues avec des experts lors d’une réunion en septembre 2012.
4. Il faut reconnaître et combattre résolument ce phénomène de grande ampleur qui sévit au cœur même de l’Europe. Le Président du Groupe d’experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA) du Conseil de l’Europe a déclaré à ce sujet que «l’être humain ne peut être une marchandise» et que «l’Europe doit être la garante de cette règle de société civilisée» 
			(5) 
			GRETA, Journée européenne
de lutte contre la traite: L’être humain ne peut être une marchandise
et l’Europe doit être la garante de cette règle de société civilisée,
18 octobre 2011: <a href='http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/trafficking/docs/news/default_FR.asp?'>www.coe.int/t/dghl/monitoring/trafficking/docs/news/default_FR.asp</a>..
5. Trop souvent, les autorités considèrent que les affaires de traite de migrants à des fins de travail forcé relèvent essentiellement du trafic illicite et de la violation du droit de l’immigration ou du droit du travail. Cette approche erronée, qui place les victimes en position de criminels, se trompe de cible et fait obstacle à une lutte efficace contre les trafiquants et la traite.

2. Reconnaissance de l’ampleur du problème

2.1. Le concept de travail forcé

6. Il est primordial de bien reconnaître l’ampleur du problème. Pendant plusieurs années, les études et travaux relatifs à la traite des êtres humains se sont concentrés sur l’exploitation sexuelle. Or, la traite des êtres humains à des fins de travail forcé prend des formes variables, pas nécessairement de nature sexuelle. Le GRETA insiste dans ses rapports sur la nécessité pour les Etats de ne pas se concentrer uniquement sur la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle mais également sur la traite à des fins d’exploitation par le travail 
			(6) 
			L’expression «exploitation
par le travail» n’a pas de définition précise et a des conséquences
pour le droit pénal et le droit du travail. Elle se distingue d’autres
formes d’exploitation telles que l’exploitation sexuelle et doit
être comprise comme visant, au minimum, le travail et les services
forcés tels que définis dans la Convention du Conseil de l’Europe
sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE n° 197) («Convention
du Conseil de l’Europe contre la traite»). .
7. Le présent rapport examine le phénomène du trafic de travailleurs migrants à des fins de travail forcé, concept qui est utilisé ici au sens large. Cette approche (qui est aussi celle utilisée par l’OIT) ne couvre pas tous les aspects de la traite des êtres humains ou d’autres pratiques d’exploitation 
			(7) 
			Voir note de bas de
page 5., mais elle prend en compte tout l’éventail de la traite des travailleurs migrants à des fins d’exploitation par le travail et d’exploitation sexuelle, notamment l’esclavage et la servitude domestiques.
8. Le Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants («Protocole de Palerme des Nations Unies») et la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains («Convention du Conseil de l’Europe contre la traite») ont une approche différente et utilisent le concept de «travail forcé» dans un sens plus restrictif, le considérant comme une des formes possibles d’exploitation 
			(8) 
			L’article 4.a de la Convention contre la traite
indique explicitement que «[l]’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation
de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle,
le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques
analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes». .
9. L’article 4 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5, «la Convention») interdit le travail forcé sans le définir. Les auteurs de la Convention ont pris la Convention sur le travail forcé comme modèle car elle décrit comme «travail forcé ou obligatoire» «tout travail ou service exigé d’un individu sous la menace d’une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s’est pas offert de plein gré» 
			(9) 
			Article
2 de la Convention de l’OIT concernant le travail forcé ou obligatoire
(Convention n° 29, 29 juin 1930) (Convention sur le travail forcé).
Le travail forcé n’est donc pas défini par la nature du travail
effectué (qui peut être légal ou illégal au regard du droit interne)
mais plutôt par la nature de la relation entre la personne qui effectue
le travail et la personne qui exige le travail. . La Cour européenne des droits de l’homme a fait sienne cette définition dans l’affaire Van der Mussele c. Belgique 
			(10) 
			Van
der Mussele c. Belgique, Requête n° 8979/80, arrêt du
23 novembre 1983, paragraphe 32. et l’a reprise dans les arrêts qu’elle a prononcés dans les affaires Siliadin c. France 
			(11) 
			Siliadin
c. France, Requête n° 73316/01, arrêt du 26 juillet 2005,
paragraphe 116. et C.N. et V. c. France 
			(12) 
			C.N. et V. c. France, Requête n°
67724/09, arrêt du 11 octobre 2012, paragraphe 71..

2.2. Un phénomène d’une ampleur considérable

10. La mondialisation et l’informatique ont profondément changé l’économie et la société. Elles ont, d’une part, stimulé la croissance économique, l’emploi et le développement et, d’autre part, ouvert la voie à des problèmes considérables tels que des disparités grandissantes entre les nantis et les démunis, l’aggravation des inégalités de revenus, la misère, l’économie informelle et le travail non protégé 
			(13) 
			Alliance
contre la traite des êtres humains, Prévenir la traite des êtres
humains à des fins d’exploitation par le travail, Vienne, 20 et
21 juin 2011, p. 4.. Dans ce contexte, la traite des êtres humains continue de se développer et de devenir un phénomène de grande ampleur que certains qualifient d’«esclavage des temps modernes» 
			(14) 
			La traite
des êtres humains est souvent appelée «esclavage des temps modernes»
mais l’utilisation plutôt familière de cette expression confond
les concepts, distincts sur le plan juridique, d’esclavage et de
traite. .
11. Il n’existe pas de données fiables sur le nombre de victimes de la traite des êtres humains à des fins de travail forcé, notamment les travailleurs migrants. Le manque de données statistiques précises est essentiellement dû à la nature «cachée» du phénomène, car les auteurs de la traite sont rarement identifiés, traduits en justice et condamnés pour ce délit. En outre, les méthodes de collecte des données varient selon les pays car certains Etats membres comptent les victimes de toutes les affaires présumées de traite à des fins de travail forcé, d’autres n’incluent que les affaires ayant fait l’objet de poursuites pour ce délit, et d’autres enfin ne prennent en compte que les affaires dans lesquelles les auteurs ont été condamnés. Il existe néanmoins des estimations qui donnent une idée de l’ampleur du phénomène.
12. Selon des estimations publiées en 2012 par l’OIT 
			(15) 
			Organisation internationale
du travail (OIT), Estimation du travail forcé dans le monde 2012,
Résumé, 1er juin 2012., au moins 20,9 millions de personnes – soit trois personnes sur 1 000 – sont aujourd’hui réduites au travail forcé dans le monde. Les femmes et les jeunes filles sont de loin les victimes les plus nombreuses (55 %). 90 % des victimes sont exploitées dans le secteur privé, par des individus ou des entreprises (22 % à des fins d’exploitation sexuelle forcée et 68 % dans des secteurs économiques tels que l’agriculture, la construction, les travaux domestiques ou les usines). L’Union européenne et les pays développés 
			(16) 
			Le
terme «économies développées» englobe généralement les pays d’Europe
de l’Ouest, le Canada, les Etats-Unis d’Amérique et le Japon. compteraient 7 % des victimes de travail forcé (dont 76 % à des fins d’exploitation sexuelle selon la Commission européenne). Il y en aurait 7 % aussi dans les autres pays d’Europe et dans la Communauté des Etats indépendants (CEI). La traite des citoyens de l’Union européenne au sein même de l’Union serait en augmentation.
13. L’OIT estime que 44 % des personnes contraintes au travail forcé sont des victimes de la traite, ce qui représente 9,1 millions de personnes. Les migrants en situation irrégulière et les 42,5 millions de personnes déplacées de force dans le monde sont une proie particulièrement facile pour les trafiquants.
14. La traite des êtres humains constitue la forme de criminalité organisée qui se développe le plus rapidement et la source de profit la plus importante provenant de trafics transnationaux. Les profits ainsi dégagés s’élèveraient à $US 32 milliards par an 
			(17) 
			OIT, Une alliance mondiale
contre le travail forcé, 2005, p. 55..

2.3. Réaction internationale et européenne: un encadrement juridique renforcé

15. Le travail forcé est aujourd’hui interdit par le droit international, le droit européen mais aussi le droit constitutionnel, le droit pénal, le droit du travail ou le droit administratif de la quasi-totalité des pays. Néanmoins, il persiste. Malgré les efforts des gouvernements, des organisations internationales et de la société civile, la traite des êtres humains reste un problème mondial. Face aux préoccupations grandissantes que le phénomène suscite, plusieurs instruments juridiques, internationaux et européens sont venus compléter l’arsenal existant.
16. Au niveau international, on peut citer notamment le Protocole de Palerme des Nations Unies. Ce protocole contient la première définition internationalement reconnue de ce qu’est la traite des personnes. Le Protocole des Nations Unies contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer (additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée), entré en vigueur le 28 janvier 2004, est également pertinent 
			(18) 
			Le Protocole contre
le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, complétant
la Convention contre la criminalité transnationale organisée (Nations
Unies, Recueil des Traités, Vol. 2237,15 novembre 2000)..
17. La Convention du Conseil de l’Europe contre la traite, adoptée en 2005, a été le premier texte complet et juridiquement contraignant sur ce sujet au niveau européen. Cet instrument apporte une dimension nouvelle en mettant l’accent sur les droits de l’homme et la protection des victimes. Il est important de noter que la convention est également ouverte à la ratification par des Etats non-membres du Conseil de l’Europe et par l’Union européenne. A ce jour, elle a été ratifiée par 37 Etats membres.
18. L’Union européenne a également adopté deux directives sur la question, notamment la Directive 2004/81/CE relative au titre de séjour délivré aux ressortissants de pays tiers qui sont victimes de la traite des êtres humains 
			(19) 
			Directive 2004/81/CE
du Conseil du 29 avril 2004 relative au titre de séjour délivré
aux ressortissants de pays tiers qui sont victimes de la traite
des êtres humains ou ont fait l’objet d’une aide à l’immigration
clandestine et qui coopèrent avec les autorités compétentes. et la Directive 2011/36/UE concernant la prévention de la traite des êtres humains et la protection des victimes 
			(20) 
			Directive 2011/36/UE
du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 concernant la
prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce
phénomène ainsi que la protection des victimes et remplaçant la
décision-cadre 2002/629/JAI du Conseil (Directive de l’Union européenne
contre la traite).. La deuxième directive adapte le cadre juridique de l’Union européenne à la plupart des normes inscrites dans la Convention du Conseil de l’Europe contre la traite. Les Etats membres sont tenus de transposer cette directive dans leur droit interne d’ici au 6 avril 2013. En juin 2012, la Commission européenne a présenté la Stratégie de l’Union européenne en vue de l’éradication de la traite des êtres humains (2012-2016) 
			(21) 
			Commission européenne,
Stratégie de l’Union européenne en vue de l’éradication de la traite
des êtres humains pour la période 2012-2016, COM(2012) 286 final,
19 juin 2012. . Parmi les grandes priorités figurent notamment la mise en place d’unités de répression nationales spécialisées dans la lutte contre la traite des êtres humains et la création d’unités communes d’enquête sur des affaires revêtant une dimension transfrontière.

3. Analyse de la traite à des fins de travail forcé

3.1. Formes de traite des êtres humains

19. La traite des êtres humains comprend trois éléments de base: les actes de l’auteur (y compris le recrutement et le transport), les moyens (tels que la menace, l’usage de la force ou d’autres formes de coercition, ou l’abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité), et la finalité (qui est l’exploitation) 
			(22) 
			Selon l’article 3.a du Protocole de Palerme et l’article
4.a de la Convention contre
la traite, l’expression «‘traite des êtres humains’ désigne le recrutement,
le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes,
par la menace de recours ou le recours à la force ou d’autres formes
de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité
ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation
de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne
ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation».. La Cour européenne des droits de l’homme a noté que la traite des êtres humains, par sa nature même et son but, qui est l’exploitation, considère les êtres humains comme des marchandises à acheter ou à vendre, que l’on force à travailler, et implique l’usage de la violence et de menaces contre les victimes, qui vivent et travaillent dans des conditions déplorables 
			(23) 
			Rantsev
c. Chypre et Russie, Requête n° 25965/04, arrêt du 7
janvier 2010, paragraphe 281..
20. Ainsi, la traite des êtres humains ne se limite pas au déplacement organisé de personnes à des fins de profit. Alors que l’objet du trafic illicite de migrants est le transport volontaire et illégal de personnes par-delà les frontières afin d’en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel, le but de la traite des êtres humains est leur exploitation. 
			(24) 
			Rapport explicatif
sur la Convention contre la traite, paragraphe 7. Néanmoins, de nombreuses victimes de la traite contactent des trafiquants tout en connaissant la réalité de la vie ou du «travail» promis avant d’atteindre une destination. Pour autant, de nombreux migrants faisant l’objet d’un tel trafic se retrouvent dans des situations d’exploitation aggravée sans avoir été attirés initialement par de fausses promesses. En conséquence, «[u]n individu peut être l’objet d’un trafic illicite un jour et d’une traite le jour suivant» 
			(25) 
			Anne T. Gallagher, The International Law of Human Trafficking,
Cambridge University Press, octobre 2010, p. 52..
21. La traite des travailleurs migrants répond principalement à un schéma en trois phases: le recrutement, le transport et l’exploitation.
22. Pendant la phase de recrutement, les trafiquants recourent à la contrainte, à la tromperie et parfois même à l’enlèvement. L’élément de tromperie, notamment, est important car c’est lui qui permet de distinguer les victimes de la traite des êtres humains à des fins de travail forcé des personnes qui travaillent simplement dans de mauvaises conditions.
23. La phase de transport peut impliquer des infractions pénales telles que la falsification de documents, la corruption de fonctionnaires, la violation de la législation sur l’immigration et le contrôle aux frontières, ainsi que des actes de coercition à l’encontre des victimes, de détention illégale et la confiscation des papiers d’identité.
24. Bien qu’il n’y ait pas d’interprétation qui fasse autorité du terme «exploitation» au niveau international, la phase d’exploitation se caractérise généralement par les aspects suivants: rémunération faible, voire inexistante; horaires de travail longs/excessifs; absence de congés payés/de congés de maladie/de pauses; dispositifs de sécurité quasi inexistants et conditions de travail dangereuses; logements ne répondant pas aux normes; discrimination, menaces physiques et psychologiques, intimidation, isolement, etc.

3.2. Secteurs d’activités

25. Plusieurs secteurs sont particulièrement affectés par ce phénomène qui touche l’«industrie du sexe», le secteur agricole, le bâtiment, l’industrie textile, l’hôtellerie et la restauration, l’industrie manufacturière, l’esclavage et la servitude domestiques (y compris dans des ménages de diplomates) et la mendicité forcée.
26. Ainsi que l’affirme Maria Grazia Giammarinaro, Représentante spéciale et Coordinatrice à l’OSCE pour la lutte contre la traite des êtres humains, à propos de l’esclavage et de la servitude domestique, «La traite à des fins d’exploitation par le travail est communément perçue comme moins intrusive et moins préjudiciable que la traite à des fins d’exploitation sexuelle. Alors que dans certains cas cela peut être vrai, la traite à des fins de servitude domestique est une expérience tout aussi dévastatrice, et dont les conséquences sont graves et se font sentir à long terme. (…) Cette exploitation invisible doit devenir notre préoccupation à tous. Elle peut exister juste à côté de chez nous, dans notre propre environnement social» 
			(26) 
			Organisation pour la
sécurité et la coopération en Europe (OSCE), Le travail non protégé,
exploitation invisible: la traite pour la servitude domestique,
2010..
27. La traite à des fins d’exploitation domestique, qui existe partout dans le monde, touche principalement des femmes et des jeunes filles, migrantes ou au pair. Comme toutes les formes d’exploitation, l’esclavage et la servitude domestiques sont difficiles à repérer. Le fait que la personne exploitée se trouve généralement dans un foyer privé rend la détection du crime encore plus improbable. La victime vit généralement au domicile même de la famille qui l’exploite, et se trouve ainsi à sa disposition et à sa merci jour et nuit et dans un état de dépendance totale. Des faits troublants montrent que des diplomates étrangers abusent de leur immunité pour maintenir des travailleurs domestiques dans des conditions que l’on peut assimiler à de l’esclavage 
			(27) 
			Daily Telegraph, «Foreign diplomats
abusing immunity to keep domestic slaves in Britain», Heidi Blake,
30 août 2010. Voir aussi Doc.
10144, rapport de la commission sur l’égalité des chances
pour les femmes et les hommes intitulé «Esclavage domestique: servitude,
personnes au pair et épouses achetées par correspondance» (rapporteur:
M. Giuseppe Gaburro), paragraphe 14.. Les victimes doivent s’acquitter des corvées de ménage, de repassage ou de cuisine ou encore s’occuper des enfants. La rémunération est souvent presque nulle, voire inexistante et les horaires de travail indécents, les papiers d’identité des victimes sont confisqués et les victimes n’ont, dans le meilleur des cas, que très peu de liberté de mouvement. Beaucoup d’entre elles subissent des pressions psychologiques, des critiques et des humiliations incessantes et d’autres font l’objet de mauvais traitements. Elles ne connaissent ni vacances, ni vie privée.
28. La lutte contre l’esclavage et la servitude domestiques doit faire face à une difficulté particulière: l’absence de définition commune du travail domestique et une acceptation variable de ce phénomène en fonction du contexte culturel. Peu d’Etats ont régulé ce secteur d’activité, souvent liée au contexte familial, qui est habituellement exclu du cadre juridique existant. Le fait que le travail domestique soit rarement reconnu comme un travail à part entière contribue à rendre ce secteur d’activité particulièrement vulnérable à l’exploitation. Par ailleurs, le travail domestique se faisant chez des particuliers, les inspecteurs du travail n’y ont de fait pas accès. Enfin, les rares cas d’esclavage domestique poursuivis devant les tribunaux ne retiennent presque jamais la qualification de traite des êtres humains, mais plutôt l’abus de vulnérabilité, le travail au noir ou la confiscation de papiers d’identité.
29. La nouvelle Convention de l’OIT concernant le travail décent pour les travailleuses et travailleurs domestiques (Convention de l’OIT sur les travailleuses et travailleurs domestiques) 
			(28) 
			Convention de l’OIT
concernant le travail décent pour les travailleuses et travailleurs
domestiques (n° 189, 16 juin 2011). Elle a été ratifiée par l’Ile
Maurice, les Philippines et l’Uruguay. établit les droits fondamentaux des travailleurs domestiques et les normes de travail leur étant applicables, en particulier les périodes de repos journalier et hebdomadaire, le droit à un salaire minimum et celui de choisir le lieu où ils souhaitent habiter et passer leurs congés. Les Etats parties doivent aussi prendre des mesures de protection contre toutes les formes de violence et imposer un âge minimum. Par ailleurs, les travailleurs ont droit à une information claire sur les termes et conditions de leur embauche, information qui en cas de recrutement à l’étranger, doit leur être communiquée avant leur immigration. La convention a été adoptée en juin 2011 et entrera en vigueur en 2013 après avoir été ratifiée par les Philippines en août 2012.

3.3. Pays européens les plus touchés 
			(29) 
			Office
des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), Trafficking
in Persons: Global Patterns [Tendances mondiales de la traite des
personnes], p. 90-93. Les pays sont classés par ordre alphabétique.

Principaux pays d’origine

Principaux pays de transit

Principaux pays de destination

Albanie

Albanie

Autriche

Arménie

Allemagne

Allemagne

Bélarus

Belgique

Belgique

Bulgarie

Bulgarie

Bosnie-Herzégovine

Estonie

France

Danemark

Fédération de Russie

Grèce

Espagne

Géorgie

Hongrie

France

Hongrie

Italie

Grèce

Lettonie

Pologne

Italie

Lituanie

République slovaque

Pays-Bas

Pologne

République tchèque

Pologne

République de Moldova

Turquie

République tchèque

Roumanie

Ukraine

Royaume-Uni

République slovaque

 

Suisse

République tchèque

 

Turquie

Ukraine

   

3.4. Itinéraires et moyens de recrutement

30. Europol constate que les itinéraires empruntés par les trafiquants sont extrêmement fluctuants et qu’ils s’adaptent rapidement à l’évolution de la demande et aux nouveaux obstacles éventuels.
31. Quand les victimes sont originaires de pays non européens, les trafiquants semblent recourir de préférence au voyage par avion en utilisant des papiers falsifiés. Europol indique que les organisations criminelles chinoises et nigérianes sont expertes en falsification de papiers d’identité. Les trafiquants font souvent rester les victimes au-delà de la période autorisée par leur visa. Ils abusent parfois du système d’asile pour faire entrer les victimes dans le pays. Les victimes sont invitées à demander l’asile dès leur entrée sur le territoire, puis à s’échapper des centres d’accueil pour les réfugiés et demandeurs d’asile afin de rencontrer leur(s) exploitant(s) comme prévu 
			(30) 
			Europol, Traite des
êtres humains dans l’Union européenne, 1er septembre
2011, p. 10-11..
32. On constate une augmentation rapide de l’usage d’internet pour recruter les victimes.

3.5. Exemples de cas

33. La liste ci-après d’exemples de cas où des travailleurs migrants ont été victimes de la traite à des fins de travail forcé est loin d’être exhaustive. La plupart des cas ne sont pas signalés, les victimes, muselées par des conditions indignes, n’ont pas accès à la justice ou ont peur de représailles.
34. En 2009, un réseau exploitant plus de 700 travailleurs migrants originaires de Bosnie-Herzégovine, de Serbie et de «l’ex-République yougoslave de Macédoine» sur des chantiers de construction a été démantelé en Azerbaïdjan.
35. Plusieurs rapports décrivent les abus massifs commis à l’encontre de travailleurs slovaques et asiatiques dans des exploitations forestières de la République tchèque en 2009 et 2010. Là encore, les contrats de travail étaient mensongers, les conditions de logement déplorables, la faim omniprésente et les salaires insignifiants voire inexistants 
			(31) 
			Martina Křížková/Marek
Čaněk, Czech state forestry and exploitation of migrant workers,
février 2011..
36. Selon le rapport du GRETA de 2011, la traite des êtres humains à des fins de travail forcé s’aggrave aussi à Chypre, notamment dans les secteurs de l’agriculture et du travail domestique.
37. Jusqu’en août 2009, plus de 1 000 travailleurs chinois ont été victimes d’un réseau de traite qui les faisait passer en Allemagne en tant que «cuisiniers spécialisés». Les travailleurs devaient payer des frais de recrutement pouvant atteindre 10 000 € pour obtenir un visa. Dès leur arrivée en Allemagne, leurs passeports étaient confisqués et ils étaient placés dans une situation de servitude qui les empêchait de partir tant qu’ils n’avaient pas remboursé cette lourde dette. Par ailleurs, des déductions étaient illégalement faites pour payer leur logement insalubre, la nourriture et le transport, sans compter que les salaires étaient bien inférieurs à ce qui était spécifié dans leurs contrats 
			(32) 
			Neue Presse, «Chinesische Köche
ausgebeutet: Trio vor Gericht» [Exploitation de cuisiniers chinois:
trois hommes face à la justice], Sigrun Stock, 12 avril 2010: <a href='http://www.neuepresse.de/Hannover/Meine-Stadt/Chinesische-Koeche-ausgebeutet-Trio-vor-Gericht'>www.neuepresse.de/Hannover/Meine-Stadt/Chinesische-Koeche-ausgebeutet-Trio-vor-Gericht</a>..
38. Aux Pays-Bas, une productrice d’asperges a été arrêtée en 2010 pour la traite et l’exploitation économique de 40 personnes, principalement des Roumains, qui travaillaient dans des conditions déplorables sur son exploitation. La confédération néerlandaise de syndicats FNV a souligné que cette affaire n’avait rien d’exceptionnel 
			(33) 
			Edo van der Goot, «Aanhouding
voor uitbuiting Roemeense werknemers» [Arrestation pour exploitation
de travailleurs roumains], 21 janvier 2010: <a href='http://www.fnvbondgenoten.nl/nieuws/acties_en_campagnes/gewoon_goed_werk/nieuws/34070_aanhouding_voor_uitbuiting/'>www.fnvbondgenoten.nl/nieuws/acties_en_campagnes/gewoon_goed_werk/nieuws/34070_aanhouding_voor_uitbuiting/.</a>.
39. En 2007, plus d’une soixantaine de migrants tadjiks ont été recrutés par une agence locale pour l’emploi afin de travailler pour une société du bâtiment en Pologne. Une fois arrivés à destination, les ouvriers ont dû réaliser un travail bien différent de celui pour lequel ils avaient été embauchés et ils n’ont jamais été payés. La plainte que le Bureau des droits de l’homme a déposée contre l’agence auprès du procureur n’a pas donné de résultats 
			(34) 
			Commission européenne,
Trafficking in human beings – Labour exploitation in Poland, 10
février 2010, élaboré par Veronika Madler..
40. Selon un rapport de l’OIT, une étude menée en 2008 en République de Moldova a révélé que 40% des Moldaves migrants ont été victimes d’exploitation dans le pays de destination, et près de 8% de l’ensemble des migrants ont été victimes de la traite des êtres humains à des fins de travail forcé 
			(35) 
			OIT,
Le coût de la coercition, 2009, p. 14-15..
41. Même si ce phénomène y est moins accentué, les pays scandinaves n’en sont pas exempts. Plusieurs secteurs ont été identifiés comme présentant un risque d’exploitation de travailleurs migrants en situation irrégulière, notamment la construction, la restauration, le travail domestique ou la cueillette des baies 
			(36) 
			Ibid.,
p. 22..
42. Dans son rapport 2011 sur la République slovaque, le GRETA a relevé que la plupart des 57 et 41 victimes repérées en 2008 et en 2009 avaient fait l’objet de la traite transnationale à des fins de travail forcé, en particulier l’exploitation sexuelle, l’esclavage domestique et la mendicité forcée.
43. Au cours du premier semestre de 2011, six ressortissants étrangers ont été recensés comme victimes d’exploitation sexuelle et de travail forcé dans le secteur agricole en Roumanie. Le rapport 2012 du GRETA sur ce pays souligne que les ressortissants roumains, y compris des mineurs, ont représenté la plupart des victimes et ont fait l’objet d’une traite transnationale vers d’autres pays européens.
44. En octobre 2012, plus de 30 travailleurs lituaniens qui auraient fait l’objet d’un trafic à destination du Royaume-Uni ont été libérés. Selon certaines informations, une bande organisée les obligeait à travailler dans des fermes avicoles du pays pour payer leurs dettes. Transportés jusqu’aux exploitations situées partout dans le pays, ils étaient contraints d’y travailler jusqu’à 17 heures par jour et ne couchaient souvent que dans des camionnettes. Certaines semaines, ils n’étaient pas payés et des «hommes de main» lituaniens les maintenaient sous contrôle en les menaçant de violence et parfois en les agressant physiquement 
			(37) 
			The Guardian, «Workers who collected
Freedom Food chickens ‘were trafficked and beaten’», Felicity Lawrence, 29 octobre
2012: <a href='http://www.guardian.co.uk/law/2012/oct/29/workers-chickens-allegedly-trafficked-beaten'>www.guardian.co.uk/law/2012/oct/29/workers-chickens-allegedly-trafficked-beaten</a>..
45. En Fédération de Russie et en Ukraine, l’OIT a constaté une augmentation des cas de traite à des fins d’exploitation par le travail 
			(38) 
			OIT, Le
coût de la coercition, 2009, p. 20-21.. En 2008, la police russe avait libéré 49 migrants ouzbeks en situation irrégulière et exploités dans un centre de triage d’oignons situé dans un village à l’extérieur de Moscou. Ils n’étaient pas payés, travaillaient 14 heures par jour et leurs passeports avaient été confisqués.

4. Prévention de la traite et protection des victimes

4.1. Qui sont les victimes?

46. Comme nous l’avons constaté plus haut, les trafiquants utilisent des méthodes et des réseaux variés pour tromper leurs victimes. Cependant, nous ne sommes pas sans défense face à cette activité criminelle. Nous avons le devoir, en tant que législateurs, de mettre en place des mesures et des mécanismes qui permettront de prévenir la traite des êtres humains et d’en protéger les victimes.
47. En premier lieu, il est absolument essentiel d’identifier les victimes, qui forment un groupe complexe et hétérogène. Il est clair que la nature même du crime ne rend pas la tâche facile. C’est d’autant plus vrai que selon Interpol, les autorités n’ont connaissance que de 5 à 10% des cas et que la proportion des victimes de la traite qui sont identifiées est encore plus faible.
48. Le Département d’Etat américain estime qu’en 2011, les autorités ont identifié 41 210 victimes de la traite des êtres humains dans le monde et 10 185 victimes en Europe 
			(39) 
			Département d’Etat
américain, Trafficking in Persons Report, juin 2012, p. 44 et 55..
49. Selon Europol, au sein de l’Union européenne le travail forcé est liée en grande partie au marché du travail au noir et aux communautés de migrants. Les migrants en situation irrégulière et les personnes déplacées sont particulièrement vulnérables à l’exploitation. La majorité des victimes sont des femmes et des enfants.
50. Le grand public et les autorités sont de plus en plus sensibilisés à ce phénomène, mais la crise économique et les mesures d’austérité appliquées dans les pays d’Europe ont créé des conditions favorables à la traite à des fins de travail forcé, qui semble se développer au sein de l’Union européenne elle-même. Europol constate que les affaires dans ce domaine concernent non seulement des Polonais, des Lituaniens et des Bulgares, mais aussi des ressortissants britanniques et portugais 
			(40) 
			Europol,
Traite des êtres humains dans l’Union européenne, 1er septembre
2011..
51. Les Roms, essentiellement les femmes et les enfants, sont particulièrement vulnérables à l’exploitation, notamment du fait que les pouvoirs publics se désintéressent souvent de leur sort dans plusieurs Etats européens. Les enfants roms exploités sont souvent contraints de mendier. J’ai déjà abordé cette question dans mon rapport sur les migrants Roms en Europe (Doc. 12950). Dans la Recommandation 2003 (2012) adoptée sur la base de ce rapport, l’Assemblée a appelé le Comité des Ministres à «analyser la législation et les pratiques des Etats membres qui visent à criminaliser la mendicité et d’en évaluer les conséquences sur les Roms et les implications au titre de la Convention européenne des droits de l’homme, de la Charte sociale européenne révisée et d’autres normes du Conseil de l’Europe». Il est regrettable que les pouvoirs publics considèrent souvent les mendiants plus comme un problème que comme des personnes qui ont besoin d’aide 
			(41) 
			OSCE,
Combating Trafficking as Modern-Day Slavery: A Matter of Rights,
Freedoms and Security, Rapport annuel 2010 de la Représentante spéciale
et Coordinatrice de l’OSCE pour la lutte contre la traite des êtres
humains: <a href='http://www.osce.org/cthb/74730'>www.osce.org/cthb/74730</a>..
52. Un nombre inconnu de Chinois sont victimes de travail forcé en Europe. Ils travaillent pour l’essentiel dans la restauration ou dans des «boutiques» ou petites usines de textile. Les Nigérians représentent également un groupe de victimes de la traite à des fins de travail forcé, souvent pour payer leurs dettes pour l’organisation de leur entrée en Europe.
53. Dans beaucoup d’affaires de traite potentielle de migrants à des fins de travail forcé, les mesures de contrôle des migrations prévalent sur les mesures visant à restreindre l’exploitation par le travail. Bien que les victimes de la traite ne soient pas nécessairement des migrants sans papiers, celles qui sont exploitées rechignent souvent à s’identifier, de peur d’être renvoyées dans leur pays d’origine. Ainsi, lorsque des conducteurs de cars néerlandais contactèrent la police parce qu’ils suspectaient de transporter des victimes de la traite, un certain nombre de migrantes furent arrêtées avant d’être expulsées. La question du travail forcé ne donna jamais lieu à des investigations 
			(42) 
			Joanne
van der Leun, «Can the public help fighting human trafficking?»,
12 septembre 2012: <a href='http://leidenlawblog.nl/articles/can-the-public-help-fighting-human-trafficking'>http://leidenlawblog.nl/articles/can-the-public-help-fighting-human-trafficking#.UF8Yp1F4BLs</a>..
54. Pourtant, dans la plupart des pays européens, les travailleurs sans papiers peuvent avoir accès aux tribunaux et ces derniers ne sont pas tenus de dénoncer les migrants en situation irrégulière. Mais le risque qu’une telle démarche puisse conduire à l’expulsion de la victime n’est que trop réel. La Convention sur la lutte contre la traite prévoit d’ailleurs qu’un délai de rétablissement et de réflexion d’au moins 30 jours doit être introduit dans la législation nationale pour permettre aux victimes de récupérer et d’échapper à l’influence des trafiquants. La victime peut ainsi prendre, en connaissance de cause, une décision quant à sa coopération avec les autorités compétentes. La convention précise que, pendant ce délai, aucune mesure d’éloignement ne peut être exécutée à son égard.
55. En ce qui concerne la protection des victimes, très souvent des migrants en situation irrégulière, la question se pose de savoir si le statut de victimes de la traite peut leur ouvrir un droit légitime à rester sur le territoire du pays d’accueil. Alors que la coopération des victimes dans les enquêtes contre les trafiquants leur donne généralement un droit de résidence temporaire dans le pays d’accueil, ce droit n’a plus lieu d’être à l’issue de l’enquête et elles risquent alors la déportation. Il est important de prendre en compte les multiples raisons qui font que les victimes peuvent avoir des raisons légitimes de craindre de retourner dans leur pays d’origine, notamment la peur de représailles de la part de membres des groupes criminels de trafiquants.
56. La coopération des victimes est indispensable à l’efficacité de la lutte contre la traite des êtres humains aux fins de travail forcé. C’est pourquoi il faut tout mettre en œuvre pour que les victimes soient bien considérées comme telles et avec respect et non comme des migrants en situation irrégulière. Leur accès à la justice doit être facilité et non conditionné par la coopération avec les enquêtes criminelles.

4.2. Politique de l’emploi

57. La réglementation, la mise en place de permis, le suivi et l’établissement de dispositifs de contrôle de l’activité de recrutement sont indispensables pour protéger les travailleurs contre les pratiques frauduleuses et abusives pouvant mener à la traite. Le fait de sanctionner le seul employeur en cas de pratiques de travaux forcés laisse le réseau de la traite, composé de recruteurs et d’auxiliaires, intact.
58. Une législation et d’autres mesures appropriées sont requises pour que tous les types de recruteurs et d’auxiliaires puissent être surveillés et poursuivis en justice.
59. Il convient bien évidemment de promouvoir le travail décent, mais aussi l’auto-organisation et la représentation des travailleurs. A cet effet, il faut fournir des informations sur les droits des travailleurs, ainsi que des mécanismes permettant de faire état des abus et des cas suspects de travail forcé. Un engagement beaucoup plus ferme et actif est requis pour garantir la pleine liberté d’association, et faciliter l’établissement de procédures de plainte disponibles et accessibles pour tous les travailleurs, quel que soit leur statut. Les inspecteurs du travail jouent un rôle essentiel dans la détection des cas de traite et d’exploitation. Ils ont d’ailleurs à leur disposition des moyens qui dépassent ceux des forces de police, notamment parce qu’ils peuvent accéder à tout moment et sans notification préalable à tous les lieux de travail en vue d’une inspection. Par ailleurs, les agences pour l’emploi doivent être associées aux mesures et actions visant à lutter contre la traite des êtres humains. Les syndicats sont également des acteurs clés de la détection et des poursuites judiciaires dans les cas de traite de migrants à des fins d’exploitation du travail.

4.3. Politique migratoire

60. Si les politiques migratoires en place sont restrictives et que les candidats à l’immigration ne sont pas bien informés sur les voies légales d’immigration et les possibilités de travailler à l’étranger, ils deviennent des proies faciles pour les trafiquants. Les migrants, notamment les femmes, occupent souvent des emplois peu qualifiés dans des secteurs peu réglementés, particulièrement vulnérables aux abus et à l’exploitation.
61. Par ailleurs, la politique qui consiste à ériger en infraction pénale l’immigration clandestine en Europe dissuade les victimes de coopérer avec les autorités car, outre la peur d’une expulsion, elles craignent d’être poursuivies en justice. Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a exprimé ses préoccupations concernant la tendance à utiliser une «terminologie de la criminalisation» et des sanctions pénales infligées aux personnes physiques et morales qui s’engagent en faveur de migrants en situation irrégulière 
			(43) 
			Commissaire aux droits
de l’homme du Conseil de l’Europe, La criminalisation des migrations
en Europe: quelles incidences pour les droits de l’homme, Document
thématique, 4 février 2010.. Cela valide et renforce l’image négative des immigrés clandestins, qui sont considérés comme des délinquants du simple fait d’être en situation irrégulière.
62. Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’homme des migrants va plus loin en dénonçant le fait que les politiques de prévention de l’immigration irrégulière peuvent avoir pour effet collatéral d’encourager l’expansion des réseaux de traite et de trafiquants.

4.4. Aide et inclusion sociales des victimes

63. Pour l’heure, la disposition de la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains aux termes de laquelle «l’assistance à une victime n’est pas subordonnée à sa volonté de témoigner» n’est que rarement appliquée lorsque le statut migratoire est en jeu. Les rapports d’évaluation du GRETA exhortent généralement les autorités à s’assurer que les mesures d’assistance prévues par la loi ne sont pas subordonnées, dans la pratique, à la volonté des victimes de coopérer avec les organismes chargés de faire appliquer la loi 
			(44) 
			Voir, par
exemple: GRETA, Second Rapport Général sur les activités du GRETA,
GRETA(2012)13, 4 octobre 2012, paragraphes 54-57..
64. Le rapatriement de la victime à l’issue du procès pénal (même dans les cas où la victime a entrepris une procédure ou une réinsertion et a coopéré avec les autorités judiciaires) n’encourage pas les victimes à se présenter et à dénoncer leurs exploiteurs, et peut donc entraîner au final la reprise de la traite.
65. Dans la plupart des pays, les victimes de la traite ne sont quasiment pas prises en charge, qu’il s’agisse de soins médicaux, de logement, de transport, d’interprètes ou d’activités de conseils et d’aide juridique. Lorsque de tels services existent, ils sont généralement adaptés aux victimes de la traite à des fins d’exploitation sexuelle.
66. Dans de nombreux pays, l’inspection du travail est limitée, voire inexistante, dans le secteur agricole. Même lorsque des lieux de travail font l’objet de visites régulières, les inspecteurs ne parlent pas toujours la langue appropriée pour communiquer avec les travailleurs ou ces derniers n’ont à aucun moment la possibilité de parler en privé avec l’inspecteur. Dans le cadre de leurs activités, les inspecteurs du travail sont bien placés pour identifier les victimes et pour leur apporter une aide directe ou indirecte.

4.5. Exemples de bonnes pratiques en matière de prévention de la traite des êtres humains et de protection des victimes

67. Les exemples ci-après, qui présentent des mesures prises par les autorités, les syndicats et les ONG peuvent être qualifiés de bonnes pratiques en matière de prévention de la traite des êtres humains et de protection des victimes 
			(45) 
			De nombreux autres
exemples de bonnes pratiques figurent dans le document «Best practices in trafficking prevention in
Europe and Eurasia», publié par l’USAID en janvier 2009..
68. La Belgique et l’Italie sont des modèles dans ce domaine, car ces deux pays reconnaissent le statut de victimes aux migrants qui ont subi la traite des êtres humains et ils leur délivrent des permis de séjour temporaires afin de leur permettre de porter plainte contre ceux qui les ont exploités 
			(46) 
			La législation italienne
est plus souple et plus généreuse que celle de la Belgique dans
ce domaine, car elle autorise même la délivrance d’un permis de
travail aux victimes.. Les migrants peuvent aussi obtenir un permis de séjour à long terme – qui n’est pas subordonné à leur coopération avec les autorités judiciaires – si leur sécurité en tant que victimes est menacée.
69. L’agence nationale contre la traite des êtres humains a publié un guide pratique sur la conduite des campagnes de prévention et organisé en 2011 plus de 1 250 manifestations dans des établissements éducatifs de Roumanie pour sensibiliser la population à la traite des êtres humains 
			(47) 
			Pour de
plus amples détails sur les mesures de sensibilisation prises par
les autorités roumaines et des exemples de projets, consulter le
rapport du GRETA sur la Roumanie publié en 2012, paragraphes 91-100..
70. La Confédération arménienne des syndicats a réalisé une brochure sur le thème: «Méfiez-vous des propositions tentantes», contenant des renseignements de base pour ceux qui envisagent de migrer afin de trouver du travail 
			(48) 
			<a href='http://www.hamk.am/download/trafficking.pdf'>www.hamk.am/download/trafficking.pdf.</a>. La Confédération espagnole des syndicats a pris plusieurs mesures pour défendre les droits des migrants, en particulier en ouvrant des centres d’information où les travailleurs migrants peuvent notamment recevoir des conseils juridiques et des cours de langue. Les travailleurs sans papiers peuvent également se rendre dans ces centres et avoir accès à leurs services. Au Royaume-Uni, le syndicat Trades Union Congress (TUC) informe les travailleurs migrants de leurs droits dans une brochure intitulée: «Travailler au Royaume-Uni, vos droits», disponible en plusieurs langues 
			(49) 
			<a href='http://www.tuc.org.uk/tuc/workingintheuk.pdf'>www.tuc.org.uk/tuc/workingintheuk.pdf.</a>. Il a lancé un site internet en polonais, où figurent ces renseignements pour les migrants potentiels au Royaume-Uni 
			(50) 
			<a href='http://www.pracawbrytanii.org/'>www.pracawbrytanii.org/.</a>. La Confédération internationale des syndicats a publié à l’intention des syndicats un manuel de bonnes pratiques intitulé: «Comment combattre le travail forcé et la traite» 
			(51) 
			<a href='http://www.ituc-csi.org/IMG/pdf/TU_Guide_Forced_labour_EN.pdf'>www.ituc-csi.org/IMG/pdf/TU_Guide_Forced_labour_EN.pdf.</a>.
71. Le centre irlandais des droits des migrants (IMRC) a publié une brochure sur les «Faits concernant les travailleurs migrants en Irlande» afin de donner des renseignements précis à la société et de combattre les préjugés. L’association ORCA (organisation pour des migrants en situation irrégulière) publie un guide en plusieurs langues sur les droits des travailleurs migrants en Belgique 
			(52) 
			<a href='http://www.orcasite.be/?id=55'>www.orcasite.be/?id=55.</a>. L’ONG belge Payoke contribue à aider les victimes de la traite. De même que les ONG Pag-asa et Sürya, elle informe les victimes sur leur statut et elle est autorisée à demander des permis de séjour pour les victimes et à les assister dans la procédure judiciaire 
			(53) 
			<a href='http://www.payoke.be/index - english.htm'>www.payoke.be/index%20-%20english.htm.</a>.

5. Poursuites judiciaires

5.1. Qui sont les auteurs?

72. Selon Europol, la traite étant l’une des activités criminelles les plus lucratives, les groupes criminels qui s’y adonnent sont variés. On trouve des criminels de petite envergure mais aussi de grands réseaux internationaux du crime organisé. Certaines activités liées à la traite en Europe impliquent en grande partie des gangs russes et albanais, ou encore la mafia italienne 
			(54) 
			Rapport du Groupe d’action
financière (GAFI), Risques de blanchiment de capitaux provenant
de la traite d’êtres humains et de migrants, juillet 2011, p. 12., mais aussi des Roms, des Nigérians, des Roumains, des Chinois, des Hongrois, des Bulgares et des Turcs 
			(55) 
			Europol, Traite des
êtres humains au sein de l’Union européenne, 1er septembre
2011, p. 11.. De plus, un nombre croissant de femmes interviennent au sein des réseaux pratiquant la traite.
73. La plupart du temps, la traite des êtres humains n’est pas l’activité exclusive de ces groupes qui ont tendance à diversifier leurs activités criminelles, y compris dans le trafic d’armes et de stupéfiants 
			(56) 
			Office
des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), Trafficking
in persons: Global patterns, avril 2006, p. 68-71.. Les groupes criminels organisés qui se livrent à la traite des êtres humains collaborent avec des bandes d’autres pays.
74. Les criminels, ou groupes de criminels, ont des rôles diversifiés. Certains assurent le recrutement, d’autres le transport, la falsification des documents, la corruption des autorités en charge des contrôles, la gestion des «logements», ou encore la collecte et la distribution des gains. Selon Europol, leurs méthodes sont devenues moins violentes que par le passé.
75. Ces réseaux criminels, ou ces individus, abusent des lacunes des politiques migratoires nationales, mêlant les activités légales et illégales. Malgré une prise de conscience accrue de la réalité de la traite à des fins de travail forcé, cette activité reste une entreprise criminelle peu risquée avec de juteux profits à la clé.
76. Outre la nécessité de durcir les poursuites et les peines pour les trafiquants, il importe de toucher les utilisateurs finaux de la traite qui emploient et exploitent les travailleurs migrants. La traite ne prospérerait pas s’il n’y avait pas de demande. Il arrive que les auteurs de crime de traite et d’exploitation soient des individus isolés, comme c’est souvent le cas pour l’esclavage et la servitude domestiques.
77. Il est important de souligner que les trafiquants ne seraient pas aussi «efficaces» dans leur entreprise sans l’appui systématique de fonctionnaires corrompus (par exemple au contrôle des frontières, mais aussi dans le contexte des programmes de protection des victimes pendant les enquêtes criminelles). La Représentante spéciale et coordinatrice de l’OSCE pour la lutte contre la traite des êtres humains considère à juste titre dans son rapport annuel de 2010 que cet aspect a été sous-estimé et fait clairement le lien entre les pays les plus corrompus (sur l’échelle publiée par Transparency International) et les pays les plus pourvoyeurs de victimes de la traite. Le lien entre la corruption et la traite devrait faire l’objet d’études afin d’appréhender l’importance du rôle qu’il joue dans cette activité criminelle. Des mesures doivent en outre être prises à l’encontre des fonctionnaires impliqués.

5.2. L’obligation positive d’enquêter et de poursuivre en justice

78. La Convention contre la traite vise à ériger en infractions pénales la traite des êtres humains, le recours en connaissance de cause aux services d’une victime de la traite ainsi que les actes relatifs aux documents de voyage ou aux pièces d’identité. Elle prévoit également des sanctions qui soient «efficaces, proportionnées et dissuasives» 
			(57) 
			Articles
18-20, 23 et 26 de la Convention contre la traite. .
79. Il importe de noter que la convention contient une obligation de prévoir la possibilité de ne pas infliger de sanctions aux victimes pour avoir pris part à des activités illicites (disposition de non-sanction) et permet aux autorités d’enquêter sur les infractions et de poursuivre leurs auteurs, conformément à ladite convention, en l’absence de plainte officielle de la part de la victime. En outre, les autorités doivent prendre les mesures nécessaires pour assurer une protection effective et appropriée aux victimes (notamment au cours des poursuites judiciaires), aux personnes qui collaborent avec les autorités judiciaires, aux témoins et aux membres des familles de ces personnes 
			(58) 
			Articles 26-28 et 30
de la Convention contre la traite.. Ces principes ont été également inscrits dans la Directive de l’Union européenne contre la traite, qui déclare clairement que les victimes de la traite ne doivent pas être poursuivies 
			(59) 
			Article 8 de la Directive
de l’Union européenne contre la traite..
80. La Cour européenne des droits de l’homme, dans sa jurisprudence, va un cran plus loin et ses décisions dans ce domaine jouent un rôle crucial dans la mise en œuvre d’une stratégie globale de lutte contre la traite en Europe. Dans les arrêts qu’elle a prononcés dans les affaires Siliadin c. France et Rantsev c. Chypre et la Russie, la Cour a estimé que les Etats membres avaient en vertu de l’article 4 une obligation positive de mettre en place un cadre législatif et administratif pour sanctionner et poursuivre efficacement la servitude et le travail forcé, et mener une enquête effective dans les cas d’exploitation potentielle une fois que la question a été portée à l’attention des autorités 
			(60) 
			Siliadin c. France, Requête n° 73316/01,
arrêt du 26 juillet 2005, paragraphes 89 et 112, et, mutatis mutandis, Rantsev c. Chypre et Russie, Requête
n° 25965/04, arrêt du 7 janvier 2010, paragraphe 288.. Cette approche a été confirmée dans le récent jugement prononcé dans l’affaire C.N. et V. c. France 
			(61) 
			C.N.
et V. c. France, Requête n° 67724/09, arrêts du 11 octobre
2012, paragraphe 104..

5.3. Statistiques sur les poursuites judiciaires

81. Alors que les profits retirés de la traite des êtres humains sont considérables, il est rare que les auteurs soient identifiés et donc condamnés.
82. Le Département d’Etat américain estime que 7 206 poursuites ont été engagées et 4 239 condamnations ont été prononcées dans le monde en 2011 pour traite d’êtres humains, contre 508 poursuites et 320 condamnations pour traite d’êtres humains à des fins de travail forcé. En Europe, les chiffres étaient respectivement de 3 162 poursuites et 1 601 condamnations pour traite d’êtres humains, et de 271 poursuites et 81 condamnations pour traite d’êtres humains à des fins de travail forcé 
			(62) 
			Département
d’Etat américain, Trafficking in Persons Report, juin 2012, p. 44
et 55. Voir aussi le discours liminaire du rapporteur spécial de
l’OSCE, <a href='http://www.osce.org/cthb/79029'>www.osce.org/cthb/79029</a>..
83. Le nombre assez faible de poursuites et de condamnations pour traite d’êtres humains à des fins de travail forcé semble en contradiction avec le nombre considérable de victimes estimées. L’un des problèmes vient du fait que la traite des êtres humains est souvent «cachée» derrière d’autres activités criminelles, telles que la prostitution, l’immigration clandestine, etc. qui font que beaucoup de cas, même identifiés, ne font pas l’objet de poursuites judiciaires sous la qualification de traite.
84. En revanche, en l’absence de lignes directrices normalisées concernant la collecte des données aux niveaux européen et international, il n’existe pas de statistiques mondiales sur les poursuites pour cause de traite de migrants 
			(63) 
			Ibid..

5.4. Exemples de bonnes pratiques dans le domaine des poursuites judiciaires

85. Les exemples de bonnes pratiques ci-après montrent des actions réalisées par les autorités et les ONG pour poursuivre les auteurs d’infractions liées à la traite et assurer l’accès des victimes à une indemnisation.
86. On peut citer, à titre d’exemple, la condamnation d’un couple de chinois par les tribunaux belges pour l’exploitation et la traite de deux travailleurs migrants chinois sur le site de construction de leur futur restaurant et de deux personnes pour avoir exploité économiquement dans leur boulangerie un migrant turc en situation irrégulière 
			(64) 
			Cour d’appel de Liège,
jugement n° 2007/245 du 24 janvier 2007, et Cour pénale de Verviers,
jugement n° 69.98.954/06 du 15 janvier 2007..
87. L’opération GOLF, menée conjointement par Europol, la police britannique et la police roumaine entre fin 2007 et fin 2010 et cofinancée par l’Union européenne, a abouti à l’arrestation de 126 personnes pour traite et exploitation d’enfants roumains roms. 272 victimes ont été identifiées.
88. En Russie, suite à une révision du Code pénal pour y interdire la traite tant pour l’exploitation dans le commerce sexuel que pour le travail forcé, on a constaté une augmentation des poursuites et des condamnations (en 2007, 139 investigations ont été menées sur des cas de traite, dont 35 sur des cas de travail forcé). On note la même tendance en Ukraine (trois enquêtes en 2006, 23 en 2007).
89. En Roumanie, un système national intégré de surveillance et d’évaluation de la traite des personnes a été mis en place. L’Agence nationale de lutte contre la traite des personnes a créé à l’intention des forces de police une base de données contenant des informations sur les victimes. De plus, les trafiquants ont davantage été condamnés en 2011, ce qui montre aux victimes et aux auteurs que ces derniers ne sont pas intouchables.
90. En 2010, les ONG Strada International et Anti-Slavery International ont lancé dans 14 Etats européens un projet qui vise à améliorer l’accès des victimes de la traite à une indemnisation 
			(65) 
			<a href='http://www.compactproject.org/'>www.compactproject.org/.</a>.

6. Conclusion

91. La traite des êtres humains est devenue une véritable pandémie qui affecte quasiment tous les pays dans le monde, que ce soit comme pays d’origine, de transit ou de destination.
92. La communauté internationale et les Etats ont reconnu ces dernières années l’ampleur du problème de la traite à des fins de travail forcé. De nombreux textes législatifs ont été adoptés et les juges et procureurs se sont familiarisés avec ce crime.
93. Mais le problème persiste et s’aggrave. Les profits considérables engrangés par les trafiquants et les exploitants sont en soi une motivation suffisante pour courir le risque et faire preuve de flexibilité pour s’adapter aux nouveaux obstacles. Les acteurs, les sources et les victimes sont nombreux et variés et la demande est forte.
94. L’abolition effective du travail forcé reste un défi pour l’Europe. La crise économique renforce la vulnérabilité déjà considérable des migrants en situation irrégulière et génère encore plus de candidats à ce type de migration. Ils sont la proie idéale de trafiquants sans scrupules qui les font payer pour entrer illégalement en Europe et les livrent, à leur arrivée, à des exploiteurs.
95. Nous ne devons pas être naïfs, ni nier la réalité. Nos propres Etats sont concernés. Les exemples cités dans ce rapport, qui sont loin d’être exhaustifs, en attestent.
96. La lutte contre la traite des êtres humains ne pourra être gagnée que collectivement, et pas seulement en Europe, en faisant preuve d’une approche holistique et volontariste. Le président du GRETA a souligné l’importance des stratégies de renforcement de l’autonomie des victimes pour gagner la guerre contre la traite 
			(66) 
			GRETA, sixième journée
européenne contre la traite des êtres humains: «Nous ne gagnerons
jamais la guerre contre la traite si nous ne renforçons pas l’autonomie
des victimes», 18 octobre 2012: <a href='http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/trafficking/Docs/News/6th_Eur_Anti_THB_day_fr.asp'>www.coe.int/t/dghl/monitoring/trafficking/Docs/News/6th_Eur_Anti_THB_day_fr.asp</a>.. La clé réside aussi dans une réelle capacité à constamment évaluer et réévaluer les défis auxquels nous devons faire face, notamment en évaluant l’impact des politiques migratoires et du travail sur la protection des victimes de la traite et sur la prévention de ce phénomène.
97. Alors que de nombreux Etats ont adopté des plans d’action contre la traite et ont mis en place des unités spécialisées à cet effet, il existe des failles évidentes dans cette lutte. On manque encore cruellement d’informations sur la nature de la traite, sur ses victimes, sur ses auteurs et sur leurs modes opératoires qui sont en évolution perpétuelle. Une meilleure compréhension nous permettrait de développer des méthodes nouvelles et plus adaptées de prévention, de poursuites et de protection.
98. Il faut aussi que nous prenions des mesures afin de promouvoir un travail décent pour tous et de renforcer les droits des travailleurs, tant dans les pays d’origine que dans les pays de destination. Un travailleur migrant est trop souvent en situation de vulnérabilité et dépendant de son employeur. Plus il est dépendant, plus il est exposé à l’exploitation. C’est le cas en particulier des victimes d’esclavage et de servitude domestiques.
99. Notre principal défi est de gérer les migrations de façon humaine de sorte à empêcher l’exploitation. A cette fin, nous devons prendre les actions suivantes: continuer de nous attaquer aux principales causes de la migration, y compris la migration en situation irrégulière, que sont la pauvreté, la guerre ou les situations de conflit armé et de violence généralisée; informer correctement les migrants potentiels; prendre en compte la dimension hommes/femmes dans l’assistance aux victimes; renforcer le rôle des inspecteurs du travail et des syndicats dans les secteurs susceptibles de recourir au travail forcé; et intensifier la coopération, y compris transfrontalière, entre les forces de l’ordre.