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Rapport | Doc. 13152 | 27 mars 2013

Lutter contre «le tourisme sexuel impliquant des enfants»

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteur : M. Valeriu GHILETCHI, République de Moldova, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12582, Renvoi 3770 du 27 mai 2011. 2013 - Deuxième partie de session

Résumé

L’exploitation sexuelle des enfants dans le tourisme et l’industrie des voyages, ou «tourisme sexuel impliquant des enfants», touche des dizaines de milliers d’enfants dans le monde, en violation de leurs droits fondamentaux et de leur dignité. L’Europe est concernée à double titre, en tant que région d’origine et de destination des «touristes délinquants sexuels».

Les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient protéger les enfants contre toutes les formes d’exploitation sexuelle, à l’intérieur comme à l’extérieur de leurs frontières. Pour lutter efficacement contre le tourisme sexuel impliquant des enfants, les Etats devraient adhérer aux normes régionales et internationales dans le domaine de la protection des enfants contre l’exploitation sexuelle et garantir la conformité de leurs législations nationales avec ces normes (y compris en établissant une compétence judiciaire extraterritoriale).

Les Etats devraient établir des mécanismes empêchant les délinquants sexuels présentant un risque élevé de voyager à l’étranger et renforcer la coopération internationale pour la poursuite des touristes délinquants sexuels afin de lutter contre l’impunité. Les efforts de sensibilisation devraient être poursuivis et le tourisme durable et éthique encouragé. Enfin, davantage de soutien devrait être apporté aux acteurs impliqués dans la lutte contre le tourisme sexuel impliquant des enfants dans les pays de destination.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 15 mars
2013.

(open)
1. L’exploitation sexuelle des enfants dans le tourisme et l’industrie des voyages, ou «tourisme sexuel impliquant des enfants», est une violation des droits fondamentaux des enfants et de leur dignité. Malgré une meilleure prise de conscience, le tourisme sexuel impliquant des enfants s’est considérablement amplifié ces dernières années en raison du développement rapide du tourisme et de l’industrie des voyages, ainsi que de l’utilisation abusive des nouvelles technologies. L’Europe est concernée à double titre, en tant que région d’origine et de destination des «touristes délinquants sexuels».
2. Les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient protéger les enfants contre toutes les formes d’exploitation sexuelle, à l’intérieur comme à l’extérieur de leurs frontières, et ne pas fermer les yeux lorsque leurs ressortissants commettent des infractions pénales et violent les droits fondamentaux des enfants, qui comptent parmi les personnes les plus vulnérables de nos sociétés.
3. C’est pourquoi l’Assemblée parlementaire appelle des mesures juridiques et des politiques engagées pour lutter efficacement contre le tourisme sexuel impliquant des enfants. Elles devraient privilégier la prévention, la poursuite des auteurs, la protection des victimes et le développement de politiques adaptées et de la coopération internationale (approche des «4 P»), et cibler à la fois les pays d’origine des touristes délinquants sexuels et les pays de destination. Cette action devrait être coordonnée et faire intervenir des partenaires des secteurs public, privé et associatif.
4. Plus de signatures et de ratifications des normes internationales et régionales dans le domaine de la protection des enfants contre l’exploitation sexuelle sont nécessaires. Il faut aussi renforcer les législations nationales en la matière en assurant leur conformité à ces normes et leur mise en œuvre effective. Au vu de la nature transfrontière du tourisme sexuel impliquant des enfants, la police et la justice doivent coopérer étroitement à l’échelle internationale.
5. Pour une bonne coopération avec le secteur privé, il convient d’encourager l’industrie du tourisme à adhérer à des pratiques de tourisme durable et éthique.
6. L’Assemblée invite donc les Etats membres du Conseil de l’Europe:
6.1. s’agissant des mesures juridiques:
6.1.1. à signer et ratifier les normes internationales et régionales dans le domaine de la protection des enfants contre l’exploitation sexuelle, notamment la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels (Convention de Lanzarote, STCE no 201), s’ils ne l’ont pas encore fait;
6.1.2. à veiller à ce que leur législation nationale soit conforme avec les normes internationales et régionales dans le domaine de la protection des enfants contre l’exploitation sexuelle, en particulier:
6.1.2.1. en protégeant contre l’exploitation sexuelle les enfants jusqu’à l’âge de 18 ans, indépendamment de l’âge légal du consentement sexuel;
6.1.2.2. en établissant une compétence judiciaire extraterritoriale et en abolissant la règle de la double incrimination dans le cas de l’exploitation sexuelle des enfants;
6.1.3. à développer, à mettre en œuvre et à assurer le suivi des mécanismes empêchant les délinquants sexuels présentant un risque élevé de voyager à l’étranger;
6.1.4. à encourager, tant au niveau national qu’international, les associations caritatives, les établissements scolaires, les orphelinats et autres institutions dans lesquels le personnel est amené à travailler avec des enfants à effectuer systématiquement des contrôles à l’embauche, y compris en demandant aux candidats leur casier judiciaire national;
6.2. s’agissant des politiques à appliquer:
6.2.1. à promouvoir activement un tourisme durable et éthique, respectueux des droits des enfants, et à encourager l’industrie du tourisme à adhérer à des pratiques de tourisme durable et éthique, en adoptant des mesures d’autoréglementation telles que le Code de conduite pour la protection des enfants contre l’exploitation sexuelle dans le tourisme et l’industrie des voyages, et en signalant systématiquement les cas d’exploitation sexuelle des enfants;
6.2.2. à sensibiliser l’opinion au tourisme sexuel impliquant des enfants, en étroite collaboration avec toutes les parties prenantes concernées, à savoir les pouvoirs publics, le secteur privé et les organisations non gouvernementales, notamment par des campagnes d’information expliquant au public les conséquences juridiques et sociales du tourisme sexuel impliquant des enfants et en l’encourageant à signaler les touristes délinquants sexuels et à choisir des professionnels du tourisme qui sont engagés à lutter contre le tourisme sexuel impliquant des enfants;
6.2.3. à renforcer la coopération internationale pour la poursuite des touristes délinquants sexuels, notamment par des accords bilatéraux et multilatéraux et en mettant sur pied des équipes communes d’enquête;
6.2.4. à créer un système de bases de données, fiable et centralisé, permettant l’échange d’informations nationales sur les délinquants sexuels ainsi que la collecte de données sur les affaires de tourisme sexuel impliquant des enfants;
6.2.5. à adopter une démarche globale et à lutter en parallèle contre toutes les formes d’exploitation sexuelle des enfants, notamment en empêchant la diffusion sur l’internet d’images d’abus commis sur des enfants, qui favorise notablement le tourisme sexuel impliquant des enfants;
6.2.6. à soutenir davantage, sur les plans financier, logistique et technique, tous les acteurs impliqués dans la lutte contre le tourisme sexuel impliquant des enfants dans les pays de destination, notamment en les aidant à sensibiliser les enfants et les populations locales à la question de l’exploitation sexuelle des enfants, ainsi qu’à développer:
6.2.6.1. l’éducation et d’autres perspectives d’emploi pour les enfants vulnérables et les enfants victimes du tourisme sexuel;
6.2.6.2. des programmes de formation pour tous les professionnels qui sont susceptibles de travailler au contact d’enfants victimes du tourisme sexuel ou de s’occuper de ces enfants, pour leur permettre de repérer les éventuels abus et d’apporter une réponse appropriée.
7. L’Assemblée invite également les gouvernements et les parlements nationaux et toute autre organisation publique ou privée concernée à se joindre, à apporter leur soutien et à contribuer à la campagne UN sur CINQ du Conseil de l’Europe contre la violence sexuelle à l’égard des enfants.

B. Exposé des motifs, par M. Ghiletchi, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Selon les estimations de l’UNICEF, chaque année, des millions d’enfants de par le monde sont soumis à des pratiques sexuelles à des fins commerciales. Le phénomène du «tourisme sexuel impliquant des enfants», à savoir l’exploitation d’enfants par des individus qui voyagent d’un endroit à un autre et y ont des relations sexuelles avec des mineurs de moins de 18 ans 
			(2) 
			Définition donnée par
Mme Najat Maala M’jid, Rapporteure spéciale
des Nations Unies sur la vente d’enfants, la prostitution des enfants
et la pédopornographie, lors de son exposé présenté au Réseau des
parlementaires de référence contre la violence sexuelle à l’égard
des enfants, dans le cadre de la campagne UN sur CINQ, à Strasbourg,
le 5 octobre 2011., constitue une violation grave des droits fondamentaux des enfants et de leur dignité. Le tourisme sexuel impliquant des enfants favorise d’autres formes d’exploitation sexuelle à but commercial telles que la traite des enfants à des fins sexuelles, la prostitution des enfants et la pédopornographie (ou plus précisément «images d’abus commis sur des enfants»).
2. Malgré une meilleure prise de conscience du problème, le tourisme sexuel impliquant des enfants s’est considérablement amplifié ces dernières années en raison du développement rapide de l’industrie du voyage et du tourisme, facilité par une baisse des prix et la possibilité de voyager sans visa, et des nouvelles technologies qui sont utilisées pour promouvoir ce phénomène. Le tourisme sexuel impliquant des enfants est aujourd’hui un phénomène mondial qui se déplace rapidement et n’épargne personne; aucun pays, aucune destination touristique, n’est à l’abri de cette «épidémie», qui, une fois la répression et la législation renforcées dans tel pays ou telle région du monde, gagne d’autres territoires où la protection est moins efficace 
			(3) 
			<a href='http://prod-euronews.euronews.net/2011/07/07/child-sex-tourism-debated-in-the-network'>http://prod-euronews.euronews.net/2011/07/07/child-sex-tourism-debated-in-the-network</a>.. L’Europe est concernée à double titre, en tant que continent d’origine et de destination de «touristes délinquants sexuels»; l’expression «touristes délinquants sexuels» a généralement la préférence des organismes de protection de l’enfance, car elle reflète mieux le caractère pénal du phénomène.
3. Avec ce rapport, je veux attirer l’attention de l’Assemblée parlementaire sur les mesures qui peuvent et devraient être prises par les Etats membres du Conseil de l’Europe pour mettre un terme aux infractions pénales commises par les touristes délinquants sexuels. Les gouvernements ne devraient pas fermer les yeux lorsque leurs ressortissants commettent des infractions pénales et violent les droits fondamentaux des enfants, qui comptent parmi les plus vulnérables de nos sociétés. Ils devraient au contraire leur demander des comptes même pour les infractions commises à l’étranger.

2. Le tourisme sexuel impliquant des enfants: un phénomène en augmentation dans un monde globalisé 
			(4) 
			Les
informations fournies dans le présent chapitre figurent dans les
documents suivants de l’ECPAT (ECPAT International est un réseau
d'organisations et de personnes œuvrant ensemble pour mettre fin
à la prostitution d'enfants, à la pédopornographie et à la traite
des enfants à des fins sexuelles): «Questions et Réponses au sujet
de l’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales»,
Bangkok, Thaïlande, 2008; «La lutte contre le tourisme sexuel impliquant des
enfants: Questions et réponses», Bangkok, Thaïlande, 2008; une contribution
d’ECPAT International au 3e Congrès mondial
contre l’exploitation sexuelle des enfants et des adolescents, Rio
de Janeiro (Brésil), 25-28 novembre 2008.

4. Le tourisme sexuel impliquant des enfants désigne l’exploitation sexuelle des enfants par des gens qui voyagent d’un endroit à un autre et y ont des rapports sexuels avec des enfants de moins de 18 ans. Cette définition englobe l’exploitation d’enfants par des particuliers qui voyagent à l’étranger ou dans un même pays, ou qui se rendent à l’étranger pour travailler auprès d’enfants, par exemple des bénévoles, des enseignants et des travailleurs sociaux. Le premier groupe a souvent recours à des services touristiques qui facilitent les contacts avec les enfants et les aident à rester anonymes vis-à-vis de la population locale et de leur environnement, alors que les personnes du deuxième groupe profitent de leur position au sein d’une communauté locale pour entrer en contact avec des enfants.
5. Le tourisme sexuel impliquant des enfants est un phénomène d’ampleur mondiale. En tant que bloc régional, l’Europe de l’Est a connu une augmentation massive de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales depuis la dissolution de l’Union soviétique, en particulier sous la forme de la traite d’enfants à des fins sexuelles. Toutefois, avec l’essor rapide du tourisme, les pays de cette région ont été aussi exposés au tourisme sexuel impliquant des enfants. D’après le Centre sur l’exploitation des enfants et la protection en ligne (organe du ministère britannique de l’Intérieur chargé d’enquêter sur les infractions commises contre des enfants à l’étranger), en 2008-2009, les pays européens ont été la cible de 20 % de l’activité des touristes délinquants sexuels britanniques 
			(5) 
			ECPAT
UK, «Off the radar: Protecting Children from British sex offenders
who travel», février 2011.. Les autres régions concernées par le tourisme sexuel impliquant des enfants sont aujourd’hui l’Asie du Sud-Est, l’Amérique latine et l’Afrique. Les touristes délinquants sexuels viennent en majorité d’Europe occidentale, de Russie, d’Amérique du Nord, d’Australie, de Nouvelle-Zélande, du Japon et de Taïwan.
6. Le tourisme sexuel impliquant des enfants se manifeste par l’échange d’argent liquide, de vêtements, de nourriture ou d’autres contreparties avec un enfant ou un tiers (proxénète, propriétaire de maison close, membre de la famille, propriétaire de logement) contre des relations sexuelles. Il se produit dans de multiples lieux, qu’il s’agisse des maisons closes des quartiers chauds, des plages, ou encore des hôtels cinq étoiles, dans des zones urbaines, rurales ou côtières. Il peut se dérouler sur une longue période de temps, un long processus de «mise en confiance» par exemple, pendant lequel l’agresseur se lie d’amitié avec un enfant vulnérable et gagne sa confiance avant de l’exploiter sexuellement.
7. Les touristes délinquants sexuels ne présentent pas un profil unique: ils peuvent être mariés ou célibataires, hommes ou femmes (mais la plupart sont des hommes), des touristes aisés ou des voyageurs à petit budget, issus de milieux socio-économiques élevés ou défavorisés. Très souvent, ils tentent de rationaliser leurs actes en prétendant que les rapports sexuels avec les enfants sont culturellement acceptables dans la région où ils se rendent ou que l’argent ou les biens échangés profitent à l’enfant et à sa communauté. Ou bien, ils sont simplement tentés par un comportement délictueux parce que l’anonymat les protège, qu’il leur est facile de se procurer des enfants ou qu’ils sont libérés des contraintes sociales qui devraient normalement les retenir.
8. Dans la plupart des cas, les touristes délinquants sexuels sont des délinquants «occasionnels», qui préfèrent normalement les relations sexuelles entre adultes, mais qui profitent de leur présence dans un pays étranger pour commettre des abus sexuels sur des enfants. Les «adeptes» du tourisme sexuel impliquant des enfants affichent pour leur part une préférence sexuelle active pour les enfants et recherchent, en règle générale, des enfants pubères ou adolescents. Quant aux pédophiles, ils éprouvent une attirance sexuelle exclusive pour les enfants prépubères. Ces classifications présentent un intérêt majeur, dans la mesure où elles permettent de définir des stratégies de prévention adaptées pour lutter contre ce phénomène.
9. Les enfants concernés sont aussi bien des garçons que des filles de moins de 18 ans. Il semble que les filles soient touchées en majorité, mais le nombre de garçons victimes du tourisme sexuel est probablement largement sous-estimé compte tenu du fait que l’homosexualité est toujours un tabou (et interdite) dans un certain nombre de pays. Une étude récente de l’UNICEF atteste de l’existence d’un marché lucratif en expansion pour le tourisme sexuel impliquant des enfants dans la région des Caraïbes. Cette étude s’appuie sur plusieurs exemples précis, notamment l’existence d’un réseau organisé de pédophiles qui visent expressément les garçons 
			(6) 
			<a href='http://www.unicef.org/infobycountry/files/Child_Sexual_Abuse_in_the_Eastern_Caribbean_Final_9_Nov.pdf'>www.unicef.org/infobycountry/files/Child_Sexual_Abuse_in_the_Eastern_Caribbean_Final_9_Nov.pdf</a>..
10. Les victimes sont souvent issues de milieux socio-économiques défavorisés: enfants peu instruits ou sans instruction, enfants sans domicile, orphelins, enfants travaillant dans la rue, enfants victimes de la traite, enfants appartenant à des minorités ethniques, enfants toxicomanes ou alcooliques, etc. D’autres se tournent vers la prostitution en raison de l’attrait exercé par le matérialisme et le consumérisme, parfois sous l’influence de leurs camarades 
			(7) 
			Voir la note n° 3..
11. Quelles que soient leurs origines, les enfants victimes du tourisme sexuel souffrent tous de graves séquelles affectives, psychologiques et physiques dues à l’exploitation 
			(8) 
			Campagne canadienne
de sensibilisation pour la lutte contre le tourisme sexuel impliquant
des enfants – La lutte contre la lutte contre le tourisme sexuel
impliquant des enfants avec la participation du secteur privé du
tourisme et du voyage et du public canadien, 2009-2010», Bureau
international des droits des enfants.. La violence physique qu’implique l’exploitation sexuelle d’un enfant engendre blessures, douleurs et peur. La souffrance psychologique mène à des sentiments de culpabilité, à la faible estime de soi, à la dépression, et parfois au suicide. Les enfants sont aussi plus vulnérables aux maladies sexuellement transmissibles, notamment au VIH/SIDA.
12. Les enfants victimes de tourisme sexuel sont souvent stigmatisés dans leurs propres communautés et ont du mal à se faire scolariser. Aussi n’évoluent-ils pas comme les autres enfants au sein de la communauté et il leur est plus difficile de subvenir à leurs besoins ou, plus tard, de vivre leur vie d’adulte de façon indépendante. La plupart du temps, ils sont enfermés dans un cercle vicieux et les difficultés économiques qui résultent de la marginalisation ne leur laissent d’autre choix que de continuer à se prostituer.

3. Cadre juridique européen et international relatif au tourisme sexuel impliquant des enfants

13. A l’échelon international, il existe un grand nombre de normes visant à protéger les enfants contre l’exploitation sexuelle. Le tourisme sexuel impliquant des enfants, qui est une forme spécifique d’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales, est aussi indirectement visé par ces normes.
14. La Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant de 1989 (ci-après «la CDE»), principal instrument international dans le domaine de la protection des droits de l’enfant, préconise la mise en place d’un système global de protection des enfants contre la violence et l’exploitation sous ses nombreuses formes, notamment l’exploitation sexuelle. En particulier, aux termes de l’article 34 de la CDE, les Etats parties s’engagent à protéger les enfants contre «toutes les formes d’exploitation sexuelle et de violence sexuelle», y compris la prostitution et la pornographie. De plus, reconnaissant que l’exploitation sexuelle des enfants peut s’exercer par-delà les frontières, la CDE enjoint aux Etats de prendre des mesures non seulement nationales, mais aussi bilatérales et multilatérales pour combattre ce phénomène.
15. Le Protocole facultatif à la CDE, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, qui est entré en vigueur le 18 janvier 2002, est le seul traité de portée universelle qui concerne expressément la question de l’exploitation sexuelle des enfants. En son préambule, ce protocole rappelle la pratique répandue et persistante du tourisme sexuel auquel les enfants sont particulièrement exposés, érige en infraction pénale certains actes liés à la vente d’enfants, à la prostitution des enfants et à la pédopornographie, et encourage le renforcement de la coopération internationale ainsi que l’adoption de législations extraterritoriales pour lutter contre ces crimes.
16. La Convention no 182 concernant l’interdiction des pires formes de travail des enfants et l’action immédiate en vue de leur élimination, adoptée par l’Organisation internationale du travail (OIT), interdit, en son article 3, alinéa b, notamment «l’utilisation, le recrutement ou l’offre d’un enfant à des fins de prostitution, pour la production de matériel pornographique ou de spectacles pornographiques».
17. Au niveau de l’Europe, l’article 17 de la Charte sociale européenne révisée (STE no 163) énonce le droit des enfants et des jeunes à bénéficier d’une protection sociale, juridique et économique appropriée. L’article 17, paragraphe 1, alinéa b, dispose que les gouvernements doivent prendre toutes les mesures nécessaires et appropriées tendant à protéger les enfants et les adolescents contre la négligence, la violence ou l’exploitation. Le Comité européen des droits sociaux a interprété les dispositions de la Charte comme le droit des enfants à être protégés contre toutes les formes d’exploitation sexuelle, en particulier contre leur participation à «l’industrie du sexe».
18. La Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels (Convention de Lanzarote, STCE no 201) est l’instrument le plus complet et le plus évolué de protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels sous toutes leurs formes. En plus des abus sexuels, de la prostitution des enfants, de la pédopornographie et du fait de contraindre des enfants à participer à des spectacles pornographiques, la convention traite de la sollicitation d’enfants à des fins sexuelles et du tourisme sexuel. Dans le but de combattre le tourisme sexuel impliquant des enfants, la convention énonce que des personnes peuvent être poursuivies en justice même lorsque les actes sont commis à l’étranger et élimine en outre le recours à l’habituelle règle de la double incrimination, qui veut que les agissements incriminés soient qualifiés d’infractions pénales dans le pays où ils ont été commis. De plus, aux termes de la Convention de Lanzarote, les Etats Parties «encourage[nt] le secteur privé, notamment les secteurs des technologies de [la] communication et de l’information, l’industrie du tourisme et du voyage et les secteurs bancaires et financiers, ainsi que la société civile, à participer à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques de prévention de l’exploitation et des abus sexuels concernant des enfants, et à mettre en œuvre des normes internes à travers l’autorégulation ou la corégulation».
19. Depuis 2011, l’Assemblée participe activement à la lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants et les abus sexuels sur enfants en développant la dimension parlementaire de la campagne UN sur CINQ du Conseil de l’Europe contre la violence sexuelle à l’égard des enfants, qui vise à promouvoir la Convention de Lanzarote. L’action des parlementaires et des gouvernements dans le cadre de cette campagne a déjà amené un certain nombre d’autres Etats membres à ratifier ce texte. Ils sont aujourd’hui 24 à l’avoir fait sur les 47 que compte l’Organisation 
			(9) 
			En
outre, dans sa Résolution 1099
(1996) sur l’exploitation sexuelle des enfants, l'Assemblée
invite les Etats membres à coopérer étroitement avec les pays étrangers
dont les enfants et les adolescents sont victimes d'exploitation sexuelle
de la part de ressortissants des Etats membres afin de lutter contre
le tourisme sexuel à l'étranger..
20. En outre, la Convention du Conseil de l’Europe sur l’entraide judiciaire en matière pénale (STE no 30) prévoit une assistance mutuelle entre les pays signataires en cas de poursuites contre des touristes délinquants sexuels. Cette entraide est particulièrement utile pour recueillir des éléments de preuve ou auditionner des témoins à l’étranger.
21. Enfin, une directive du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne du 13 décembre 2011 relative à la lutte contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle des enfants, ainsi que la pédopornographie, vise à réduire les écarts de législation entre les Etats membres. Elle encourage en outre ces derniers à renforcer la coopération judiciaire et policière avec les pays tiers et les organisations internationales dans le but de combattre le tourisme sexuel 
			(10) 
			OJ 2011
L 335 du 17 décembre 2011, p. 1-17. A cet égard, voir aussi la Résolution 1834 (2011) de l’Assemblée «Combattre les “images d’abus commis
sur des enfants” par une action engagée, transversale et internationalement coordonnée»..

4. Politiques efficaces de lutte contre le tourisme sexuel impliquant des enfants

22. Depuis le début des années 90, de très nombreuses initiatives ont été prises pour lutter contre le tourisme sexuel impliquant des enfants, notamment par les gouvernements, en collaboration avec le secteur privé, des organisations internationales et de nombreuses organisations non gouvernementales (ONG) actives dans le domaine de la protection de l’enfant. Si ces initiatives ont sans conteste permis de sensibiliser l’opinion, le tourisme sexuel impliquant des enfants n’a pas été éradiqué et de nouvelles destinations apparaissent sans cesse. Le tourisme sexuel impliquant des enfants est un phénomène qui recouvre toute une série d’infractions et fait intervenir une grande diversité d’acteurs et d’intermédiaires. En conséquence, pour aborder le problème de façon globale et prévenir les infractions pénales commises par les touristes délinquants sexuels, il importe d’associer le plus grand nombre possible de ces acteurs et intermédiaires. Une action coordonnée avec des partenaires des secteurs public, privé et associatif est nécessaire pour protéger efficacement les enfants contre de telles infractions commises pour la première fois ou répétées, afin de poursuivre efficacement les délinquants au-delà des frontières nationales et de promouvoir des politiques positives offrant des conditions alternatives de vie aux enfants touchés ou menacés par ces infractions. Il est capital, à l’échelle mondiale, de sensibiliser davantage les enfants, les parents, les éducateurs, les professionnels du tourisme et les délinquants potentiels à la gravité des crimes concernés.

4.1. Le rôle du secteur privé

23. En matière de lutte contre le tourisme sexuel impliquant des enfants, le secteur privé est un partenaire important des pouvoirs publics. Les professionnels de l’industrie du tourisme, qui sont en contact direct avec les touristes, ont un rôle essentiel à jouer dans la protection des enfants contre l’exploitation sexuelle. Ils rappellent aux touristes que l’abus sexuel sur des enfants est inacceptable et illégal, reçoivent les signalements d’autres touristes, distribuent aux clients des documents d’information et signalent les éventuels agissements à la police locale et aux ONG. L’industrie du tourisme peut aussi offrir aux jeunes des perspectives d’éducation et d’emploi et coopérer avec les organismes d’assistance sociale, la police et d’autres institutions à l’élaboration de plans d’action nationaux.
24. Le Code de conduite pour la protection des enfants contre l’exploitation sexuelle dans le tourisme et l’industrie des voyages est un bon exemple d’engagement de l’industrie du tourisme. Lancé en 1998 par ECPAT Suède en coopération avec des voyagistes scandinaves et l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) et élaboré par l’UNICEF, l’OMT et ECPAT International, ce code de conduite est un instrument d’autoréglementation qui offre aux enfants une meilleure protection contre l’exploitation sexuelle dans le tourisme et l’industrie des voyages. Ce code est aujourd’hui appliqué dans le monde entier par plus de 240 voyagistes, hôtels et agents de voyage, ainsi que leurs associations et des syndicats de travailleurs du tourisme dans de nombreux pays d’Europe, d’Asie, d’Amérique du Nord, d’Amérique centrale et d’Amérique latine 
			(11) 
			Site internet officiel
du réseau: <a href='http://www.thecode.org'>www.thecode.org</a>; texte disponible dans ECPAT International, Code of
Conduct for the Protection of Children from Sexual Exploitation
in Travel and Tourism. Background and Implementation Examples (Code de
conduite pour la protection des enfants contre l’exploitation sexuelle
dans le tourisme et l’industrie des voyages). Résumé du projet et
exemples de mise en application), <a href='http://www.ecpat.net/ei/Publications/CST/Code_of_Conduct_ENG.pdf'>www.ecpat.net/ei/Publications/CST/Code_of_Conduct_ENG.pdf</a>. . Il a été signé par de nombreuses entreprises de tourisme, comme Thomas Cook Europe du Nord, le groupe Accord ou Kuoni, et il est déjà possible de constater certains effets positifs de cette démarche conjointe.
25. Les voyagistes et leurs associations, les agences de voyages, les hôtels, les compagnies aériennes, etc. qui signent le code de conduite s’engagent à prévenir l’exploitation sexuelle des enfants en mettant en place une déontologie d’entreprise sur ce sujet, en formant leurs personnels dans le pays d’origine et dans les pays de destination, en informant les voyageurs et les personnes clés au niveau local dans les pays de destination (au moyen de leurs catalogues, de brochures, d’affiches, de films diffusés à bord des avions, des titres de transport, des étiquettes à bagages, de leurs pages internet, etc.) que le tourisme sexuel impliquant des enfants est illégal et a des conséquences désastreuses sur les enfants, en insérant une clause dans les contrats conclus avec leurs fournisseurs dans laquelle ils déclarent leur rejet commun de l’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales et en faisant rapport chaque année sur la mise en œuvre de ces critères.
26. Les Etats ne devraient pas seulement encourager et renforcer ces mesures d’autoréglementation, qui amènent l’industrie du tourisme à adopter des pratiques de tourisme éthique et responsable, mais devraient aussi sensibiliser le public pour l’inciter à choisir des professionnels du tourisme qui sont engagés à lutter contre le tourisme sexuel impliquant des enfants.

4.2. Prévention

27. En ce qui concerne la prévention, il convient, en premier lieu, de prendre des mesures spécifiques dans les pays d’origine des délinquants touristes sexuels. Les voyageurs devraient être largement informés des conséquences juridiques et sociales liées à toute forme d’exploitation sexuelle des enfants, l’objectif étant de les empêcher de devenir des «délinquants occasionnels». Ils devraient être encouragés à rester vigilants et à signaler tout agissement relatif à des abus sexuels sur des enfants dont ils seraient témoins 
			(12) 
			A cet égard, il semble
qu'il y ait une grande réticence de la part des particuliers à signaler
les soupçons d'exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales.
Voir «Child sex tourism, the sexual exploitation of children committed
by Swedes abroad», Research report on the initiative of ECPAT Sweden,
2008.. A cet égard, il importe également de renseigner les voyageurs sur les moyens de signaler ces infractions pénales. Autre élément important: la lutte contre les préjugés, par exemple la conviction que dans certains pays étrangers les gens sont plus tolérants à l’égard des relations sexuelles avec des enfants, ou qu’il y a moins de risque de transmission du VIH avec de très jeunes enfants.
28. Des mécanismes visant à empêcher les «délinquants adeptes» et les pédophiles de se rendre à l’étranger devraient être mis en place. De tels mécanismes existent déjà au Royaume-Uni, où toutes les personnes inscrites au Fichier des délinquants sexuels sont tenues d’avertir la police de leur intention de quitter le pays pendant plus de trois jours (injonction de notification). En outre, l’article 114 de la loi de 2003 sur les infractions sexuelles prévoit une injonction civile et préventive appelée «injonction relative aux voyages à l’étranger» (FTO, Foreign Travel Order). La FTO permet aux tribunaux d’interdire aux auteurs d’un «délit qualifié» (coupables d’un délit sexuel commis contre un enfant de moins de 16 ans, au Royaume-Uni ou à l’étranger) de voyager hors du pays. Si elle est émise, l’injonction interdit au délinquant sexuel de se rendre dans un ou plusieurs pays étrangers donnés ou l’autorise à se rendre dans un pays donné à l’exclusion de tout autre endroit dans le monde 
			(13) 
			Christine Beddoe, ECPAT
UK, dans son exposé à la commission des questions sociales, de la
santé et du développement durable, à Moscou, le 19 novembre 2012.
Pour une analyse critique et détaillée de la législation et de la politique
du Royaume-Uni contre les abus sexuels sur enfants par des citoyens
britanniques voyageant à l’étranger, voir le rapport «The end of
the line for child exploitation», ECPAT UK, 2006..
29. Les contrôles à l’embauche effectués sur la base des casiers judiciaires nationaux et de sources internationales en vue d’évaluer si le candidat réunit les conditions requises pour travailler avec des enfants, devraient être encouragés et facilités, en particulier dans les associations caritatives locales, les écoles et les orphelinats des pays de destination des touristes délinquants sexuels. A ce sujet, ECPAT UK note qu’un grand nombre d’affaires de tourisme sexuel impliquant des enfants portées à son attention concernent aujourd’hui des orphelinats, des foyers pour mineurs et des écoles. En 2006, deux citoyens britanniques ont été poursuivis pour avoir commis des abus sexuels sur des enfants dans un orphelinat fondé en Inde par l’un d’eux. Plus récemment, deux autres hommes britanniques ont été incarcérés pour avoir abusé d’enfants lorsqu’ils étaient employés comme gardiens dans un orphelinat en Albanie 
			(14) 
			Voir
la note n° 6.. Dans le cadre d’une démarche englobant tous les aspects du problème, il convient également d’examiner le traitement des délinquants sexuels.
30. Très souvent, les nouvelles technologies sont utilisées pour promouvoir et faciliter le tourisme sexuel impliquant des enfants. Il est très facile de programmer un voyage à des fins sexuelles et de trouver des enfants ou de se procurer des images pédopornographiques grâce à internet ou aux téléphones portables. Des mesures devraient être prises pour prévenir ces usages abusifs d’internet, comme l’établissement d’une liste de sites web suspects ou la création de «cyberpatrouilles». Par sa Résolution 1834 (2011) «Combattre les “images d’abus commis sur des enfants” par une action engagée, transversale et internationalement coordonnée», l’Assemblée a exprimé ses vives préoccupations à ce sujet 
			(15) 
			Résolution 1834 (2011) «Combattre les “images d’abus commis sur des enfants”
par une action engagée, transversale et internationalement coordonnée»:
«Les images d’abus commis sur des enfants ne sont pas seulement
le résultat et la représentation visuelle d’abus, elles peuvent
aussi inciter à de nouveaux délits, et ainsi devenir un “multiplicateur”
d’abus sexuels sur des enfants et d’exploitation sexuelle de ces
derniers.».
31. Si des mesures sont nécessaires dans les pays d’origine des délinquants sexuels, il faut aussi mener des actions spécifiques dans les pays où les enfants risquent d’être victimes du tourisme sexuel impliquant des enfants, notamment des actions visant les touristes sexuels directement, mais aussi les personnes qui les mettent en contact avec des enfants (chauffeurs de taxi, serveurs, propriétaires, etc.). A cet égard, les campagnes de sensibilisation ciblant les communautés locales sont certes très importantes 
			(16) 
			Aux Philippines, plusieurs
communautés disposent de patrouilles de bénévoles qui contrôlent
la présence d’enfants dans les bars et les maisons closes., mais il faut aussi s’attaquer aux facteurs de risque qui rendent les enfants plus vulnérables; on en citera quelques-uns: la pauvreté, l’exclusion, la maltraitance, les dysfonctionnements familiaux, l’appartenance à une minorité ethnique, la non-scolarisation ou les insuffisances des systèmes nationaux de justice et de répression, par exemple en raison d’un niveau élevé de corruption (qui explique en grande partie pourquoi les professionnels du tourisme et les victimes hésitent à signaler les cas d’abus sexuels). Par ailleurs, l’accès à l’éducation et d’autres perspectives d’emploi devraient être développés pour les jeunes à risque.
32. Il importe en outre de créer un système de bases de données, centralisé et fiable, en vue de bien comprendre l’étendue du problème et de définir des stratégies de prévention appropriées.

4.3. Poursuites judiciaires et coopération internationale

33. Il est essentiel de renforcer les législations nationales relatives à l’exploitation et aux abus sexuels concernant des enfants en assurant leur conformité aux normes internationales, et notamment à la Convention de Lanzarote. Les législations nationales devraient être harmonisées sur la base de définitions communes (âge des enfants, infractions, etc.) 
			(17) 
			Voir
la note n° 3.. Il est fréquent que les législations nationales protègent la dignité humaine ou prohibent toute forme de crime à caractère sexuel de façon générale sans réprimer expressément le tourisme sexuel impliquant des enfants.
34. L’âge du consentement sexuel, qui désigne l’âge à partir duquel une personne est jugée juridiquement en mesure de se livrer à une activité sexuelle, varie selon les pays. Il peut aussi varier selon le sexe (il est généralement plus élevé pour les garçons que pour les filles), voire selon l’orientation sexuelle. Lorsque l’âge du consentement est trop bas, les enfants sont plus vulnérables à l’exploitation sexuelle, en particulier quand il n’existe pas de dispositions juridiques définissant et interdisant l’exploitation sexuelle des enfants à des fins de prostitution et de pornographie. Il est donc important que les lois relatives à l’exploitation sexuelle des enfants protègent tous les enfants jusqu’à l’âge de 18 ans, quel que soit l’âge du consentement sexuel 
			(18) 
			«Questions
et Réponses au sujet de l’exploitation sexuelle des enfants à des
fins commerciales», op. cit..
35. Tous les Etats membres doivent mettre en place et appliquer un cadre législatif qui érige le tourisme sexuel impliquant des enfants en une infraction extraterritoriale. Les lois extraterritoriales permettent de poursuivre des individus dans leur pays d’origine pour des actes commis à l’étranger. L’Allemagne a été le premier pays d’Europe à adopter un tel mécanisme en 1993 
			(19) 
			Article 5-8 du Code
pénal allemand (Strafgesetzbuch).. Par une loi adoptée en 1994 et révisée en 1998, la France a introduit cette possibilité dans son Code pénal 
			(20) 
			Article 227-27-1 du
Code pénal français.. Des chiffres de 2008 indiquent que 44 pays disposent d’une législation extraterritoriale permettant de poursuivre leurs ressortissants pour des actes d’exploitation sexuelle sur enfants commis à l’étranger. Sur ces 44 pays, 22 sont des Etats membres du Conseil de l’Europe 
			(21) 
			«Protecting children
from sexual exploitation in tourism», un kit de formation ECPAT
ressources, 2008. Les 22 Etats membres sont l’Allemagne, l’Andorre,
l’Autriche, la Belgique, la Bulgarie, Chypre, le Danemark, l’Espagne,
la Finlande, la France, l’Irlande, l’Islande, l’Italie, le Luxembourg,
la Norvège, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni, la Slovénie,
la Suède, la Suisse et l’Ukraine.. L’élaboration de ce type de lois devrait être encouragée partout en Europe, et leur mise en œuvre effective devrait faire l’objet d’un suivi. En effet, on constate la plupart du temps que les touristes ayant des rapports sexuels avec des enfants considèrent qu’ils ne seront pas punis, car les poursuites peuvent se révéler extrêmement complexes en cas d’infractions transfrontières. A ce sujet, ECPAT UK note que cinq délinquants britanniques seulement ont été poursuivis au Royaume-Uni pour abus sexuel contre des enfants à l’étranger en vertu des lois extraterritoriales depuis 1997 (année d’adoption desdites lois), et aucun depuis 2005, tandis que l’on recense plus de 65 cas aux Etats-Unis et 28 en Australie 
			(22) 
			ECPAT UK, «Return to
Sender, British child sex offenders abroad – why more must be done?»,
2008.. Les pays doivent montrer qu’ils sont disposés à étendre leur compétence extraterritoriale et à en faire usage. Pour ce faire, il conviendrait de renforcer la coopération internationale et les enquêtes conjointes en matière d’action pénale contre le tourisme sexuel impliquant des enfants et les délits afférents 
			(23) 
			Des agents de la police
fédérale australienne sont présents dans plusieurs pays au titre
d'accords de coopération, avec pour mission précise de travailler
avec leurs homologues des autres pays sur des enquêtes communes.. A noter également l’importance de la coopération de l’ambassade dont relève le suspect 
			(24) 
			Voir
la note no 14..
36. La règle de la double incrimination, qui veut que l’acte concerné soit illégal au regard à la fois de la législation du pays de l’auteur des faits et de la législation du pays où le délit a lieu pour que la législation extraterritoriale soit appliquée, devrait être abolie pour ce qui concerne l’exploitation sexuelle des enfants.

4.4. Protection

37. Pour diverses infractions pénales, notamment la pédopornographie, l’identification des enfants victimes devrait se faire le plus rapidement possible pour leur assurer une meilleure protection. Afin de faciliter l’identification des délinquants sexuels, il importe d’améliorer l’échange international des fichiers de délinquants sexuels condamnés. Des contributions régulières aux bases de données ou d’autres formes de coopération entre les services de police et les organes de contrôle aux frontières sont également souhaitables. La base de données d’Interpol dans le domaine de la pédopornographie pourrait servir d’exemple: la «base de données internationale d’images sur l’exploitation sexuelle des enfants» a été créée en 2009, venant remplacer une version antérieure en vigueur depuis 2001. Un réseau international de policiers spécialisés inspecte l’internet à la recherche de ces images et tente d’identifier les enfants figurant sur les photographies et dans les films en partageant ces données avec leurs collègues du monde entier 
			(25) 
			Identification des
victimes, présentation des actions pertinentes menées par Interpol,
disponible à l’adresse: <a href='http://www.interpol.int/Crime-areas/Crimes-against-children/Victim-identification'>www.interpol.int/Crime-areas/Crimes-against-children/Victim-identification</a>..
38. Il faut donner aux enfants des moyens de communication accessibles pour qu’ils puissent signaler plus facilement les abus dont ils sont victimes. Dans de nombreux pays, les ONG et les pouvoirs publics mettent en place des permanences téléphoniques gratuites et anonymes ainsi que des sites internet (par exemple des permanences téléphoniques et des sites internet ont été mis en place pour signaler le tourisme sexuel impliquant des enfants au Brésil, au Cambodge, en République Dominicaine, en Malaisie et dans plusieurs autres pays) grâce auxquels les enfants (et le public en général) peuvent signaler des cas d’exploitation sexuelle. Ces outils sont d’un grand secours.
39. Compte tenu de la gravité des effets physiques et psychologiques et de la stigmatisation qui résultent de l’exploitation sexuelle, il est capital que les enfants victimes soient pleinement soutenus pour leur éviter de nouveaux traumatismes et les aider à se reconstruire complètement. Indépendamment de l’âge du consentement sexuel et du caractère légal ou illégal de la prostitution, les enfants exploités à des fins sexuelles doivent être considérés comme des victimes et non comme des délinquants s’étant livrés à des activités éventuellement considérées comme illégales 
			(26) 
			ECPAT,
«Exploitation of children in prostitution. Thematic paper», 3e Congrès
mondial contre l’exploitation sexuelle des enfants et des adolescents,
Rio de Janeiro (Brésil), novembre 2008, p. 43: <a href='http://www.ecpat.net/WorldCongressIII/PDF/Publications/Prostitution_of_Children/Thematic_Paper_Prostitution_ENG.pdf'>www.ecpat.net/WorldCongressIII/PDF/Publications/Prostitution_of_Children/Thematic_Paper_Prostitution_ENG.pdf</a>.. Les victimes ainsi que les témoins doivent être protégés contre toute forme de représailles. La confidentialité, la sécurité et l’accès aux soins doivent leur être garantis.
40. La formation professionnelle des enseignants, des éducateurs, des travailleurs sociaux, des policiers, des membres du corps judiciaire et des autres professionnels susceptibles de travailler au contact d’enfants victimes d’exploitation sexuelle ou de s’occuper de ces enfants est essentielle, car ces personnes peuvent jouer un rôle clé dans l’identification et la prise en charge des victimes. Ces professionnels doivent être encouragés à signaler tout soupçon d’exploitation sexuelle.
41. La réadaptation et la réinsertion des victimes à travers l’éducation sont de la plus haute importance pour lutter contre la stigmatisation et offrir aux enfants victimes d’exploitation sexuelle d’autres possibilités – positives – de subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille.

5. Conclusion

42. Il est évident qu’une approche mondiale s’impose pour lutter contre les touristes délinquants sexuels. Un pays ne peut à lui seul prendre des mesures efficaces contre le tourisme sexuel impliquant des enfants, car des mesures limitées à son seul territoire ne sauraient avoir un effet durable. L’action isolée d’un pays, qui, par exemple, durcirait sa législation, ne ferait que déplacer le problème vers les pays voisins, les «touristes sexuels» se tournant alors vers des destinations où les lois dans ce domaine sont plus souples. Le nombre de touristes sexuels (ou d’enfants victimes) à l’échelle mondiale ne s’en trouverait donc pas réduit.
43. Sur le plan juridique, les mesures à prendre concernent notamment la signature et la ratification des normes internationales par de nouveaux pays, suivies d’une mise en œuvre rigoureuse de ces normes. Il est aussi primordial de renforcer les législations nationales relatives à l’exploitation et aux abus sexuels concernant les enfants en assurant leur conformité à ces normes et leur application effective. Enfin, les législations nationales doivent permettre la poursuite des infractions pénales extraterritoriales.
44. Outre les mesures juridiques, des politiques résolues sont nécessaire pour lutter contre les touristes délinquants sexuels dans leur pays d’origine, principalement en menant des campagnes de sensibilisation et en intensifiant la coopération internationale. De nouveaux concepts de tourisme éthique devraient être développés et promus auprès de nouveaux partenaires. Il faudrait procéder à des échanges de bonnes pratiques au niveau international afin de mettre en place des systèmes solides de protection des enfants dans le plus grand nombre de pays possible et d’apporter une protection globale aux enfants victimes des touristes délinquants sexuels, à la fois dans leur propre pays lorsque ces infractions y sont commises et dans les pays où se rendent les touristes délinquants. Les enfants victimes devraient avant tout bénéficier d’un soutien psychologique qui les aide à se reconstruire. Des politiques efficaces de lutte contre le tourisme sexuel impliquant des enfants et les infractions associées devraient être menées pour favoriser et promouvoir de nouvelles conditions de vie pour les enfants, leur famille et leur communauté, où la prostitution d’enfants est parfois perçue comme la seule solution possible pour répondre à une nécessité économique.
45. Les acteurs des secteurs public et privé ainsi que la société civile devraient être associés à ces actions aussi largement que possible. A cet égard, les nouvelles technologies, comme internet et les téléphones portables, qui sont utilisées aujourd’hui de manière abusive pour organiser des actes criminels sur des enfants dans le plus grand anonymat et la plus grande discrétion possible, devraient être employées plus efficacement pour identifier les victimes et les délinquants.