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Résolution 1925 (2013) Version finale

Dialogue postsuivi avec la Turquie

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 23 avril 2013 (12e séance) (voir Doc. 13160, rapport de la commission pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l'Europe (commission de suivi), rapporteure: Mme Durrieu). Texte adopté par l’Assemblée le 23 avril 2013 (12e séance).

1. En 2004, l’Assemblée parlementaire avait décidé de clore la procédure de suivi avec la Turquie et d’ouvrir un dialogue postsuivi. Elle avait exprimé sa confiance aux autorités turques pour poursuivre le processus des réformes et mettre en œuvre celles qui avaient été adoptées. La Résolution 1710 (2010) sur le mandat des corapporteurs de la commission de suivi requiert désormais que l’Assemblée débatte en plénière de la mise en œuvre de la Résolution 1380 (2004) sur le respect des obligations et engagements de la Turquie.
2. Une coopération s’est donc établie avec la Turquie dans le cadre du dialogue postsuivi pour vérifier la mise en œuvre des 12 points contenus dans le paragraphe 23 de la Résolution 1380 (2004), à savoir: la refonte de la Constitution de 1982; l’abaissement du seuil électoral de 10 %; la reconnaissance du droit à l’objection de conscience; la création de l’institution de médiateur; la ratification de la Convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime (STE no 141), de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (STE no 157), de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (STE no 148) et de la Charte sociale européenne révisée (STE no 163), ainsi que l’acceptation des dispositions de la Charte sociale qui ne sont pas encore acceptées; l’achèvement de la révision du Code pénal (en particulier le respect des impératifs de proportionnalité posés par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour») en matière de liberté d’expression et d’association); l’examen des lois datant de l’époque de l’état d’urgence; la mise en œuvre de la réforme de l’administration locale et régionale, et la décentralisation; la gestion du retour des personnes déplacées à la suite du conflit des années 1990; la formation des juges et des procureurs, ainsi que de la police et de la gendarmerie; la levée de la réserve géographique à la Convention de Genève relative au statut des réfugiés; la poursuite d’une politique visant à reconnaître l’existence des minorités nationales vivant en Turquie et l’octroi du droit de maintenir, de développer et d’exprimer leur identité, et de le mettre en œuvre concrètement; et la poursuite de la lutte contre l’analphabétisme des femmes et contre toutes les formes de violence à l’égard des femmes.
3. L’Assemblée tient à préciser que le processus de réformes importantes a été engagé dans un contexte particulièrement complexe tant sur le plan intérieur qu’extérieur. Depuis dix ans et l’arrivée du Parti pour la justice et le développement (AKP) au pouvoir, la Turquie est entrée dans une période de transition politique, marquée par la redéfinition du rôle de l’armée, le repositionnement des différents pouvoirs (comme la justice), l’ouverture de grands procès (Ergenekon, Balyoz, «Union des communautés du Kurdistan» (KCK)) qui touchent profondément la société et les acteurs essentiels de la vie politique, militaire et civile, ainsi que la question kurde en Turquie et le conflit entre l'Etat turc et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) qui a fait plus de 40 000 victimes. L’Assemblée note également que, dans un Moyen-Orient instable, le conflit syrien a des répercussions profondes en Turquie. Le pays a accueilli, avec une solidarité remarquable, plus de 220 000 réfugiés depuis 2011.
4. L’Assemblée rappelle que les négociations d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne ont commencé en 2005. Elle salue la relance des discussions et l’ouverture possible de nouveaux chapitres des négociations en 2013, en particulier le chapitre 22 sur la politique régionale et la coordination des instruments structurels. Elle considère que l’ouverture de chapitres additionnels, en particulier les chapitres 23 (appareil judiciaire et droits fondamentaux) et 24 (justice, liberté et sécurité), permettrait de consolider le processus de réforme et de conforter l’action du Conseil de l’Europe.
5. L’Assemblée insiste sur les résultats économiques remarquables enregistrés dans un contexte de crise mondiale. Ces résultats confortent le positionnement de la Turquie comme puissance régionale, avec un ancrage multilatéral et un rôle stratégique et énergétique essentiel. Autant de considérations qui rendent la stabilité de la Turquie indispensable à l’ensemble de la partie orientale de la Méditerranée.
6. L’Assemblée note aussi, avec intérêt, que les révolutions dites des «printemps arabes» ont touché pratiquement tous les pays musulmans de la rive Sud de la Méditerranée. Mais, aujourd’hui, pour ces Etats en pleine instabilité, la Turquie est «le pays de référence». D’où l’importance particulière de la poursuite des réformes attendues et de leur aboutissement effectif.
7. L’Assemblée précise que, dans la phase initiale du dialogue postsuivi (2004-2010), de nombreuses réformes ont été engagées, mais elles ne répondaient que partiellement à quelques-uns des 12 points de la Résolution 1380 (2004). L’Assemblée retient à cet égard les avancées suivantes:
7.1. la réforme ad hoc de certains articles du Code pénal en 2005, et notamment l’amendement de l’article 301 punissant les atteintes à «l'identité et la nation turques» dont il est demandé la suppression totale;
7.2. le lancement de programmes de formation des juges et des procureurs portant notamment sur le Code pénal de 2005;
7.3. la réforme constitutionnelle de 2007, ouvrant la voie de l’élection du Président de la République au suffrage universel direct à partir de 2014;
7.4. l’adoption, depuis 2007, de mesures visant à lutter contre la torture et les traitements dégradants, et à former les forces de sécurité;
7.5. le renforcement des dispositions du Code pénal relatives à la lutte contre la violence à l’égard des femmes, le développement de programmes de formation depuis 2006 ainsi que l’adoption de la loi sur la protection de la famille en 2007;
7.6. l’adoption d’une loi relative aux fondations, entrée en vigueur en février 2008;
7.7. l’adoption de la loi sur l'indemnisation des dommages résultant du terrorisme et de la lutte contre le terrorisme, entrée en vigueur en mars 2008, et le lancement de programmes de retour des personnes déplacées et de plusieurs programmes de développement socio-économique de la région du sud-est de la Turquie;
7.8. le lancement de l’initiative «ouverture démocratique» envers la communauté kurde en 2009, qui a notamment ouvert les débats sur la question kurde, élargi l’usage de la langue kurde dans les médias et les campagnes électorales, et permis l’enseignement du kurde à l’université;
7.9. l’organisation d’un référendum constitutionnel en septembre 2010, qui a abouti à l’ouverture des procès des responsables du coup d’Etat du 12 septembre 1980; la réforme des procédures de comparution des militaires, y compris les officiers, et des personnes accusées de crimes contre la sécurité de l’Etat ou l’ordre constitutionnel, devant les tribunaux civils; l’élargissement de la composition de la Cour constitutionnelle et du Conseil supérieur des juges et des procureurs; l’adoption du principe de la création de l'institution du médiateur; l’institution du droit de recours individuel devant la Cour constitutionnelle dans les matières relevant de la Convention européenne des droits de l'homme (STE no 5); et l’élargissement de la portée et du contenu des droits syndicaux et du droit d’association;
7.10. la ratification de la Charte sociale européenne révisée en 2007.
8. L’Assemblée tient à souligner que toutes les mesures prises doivent trouver maintenant une mise en œuvre complète et rapide.
9. L’Assemblée entend donc faire le point précis sur la mise en œuvre de la Résolution 1380 (2004) en analysant toutes les réformes effectuées durant la période suivante (2010-2013) et les réformes annoncées.
10. S’agissant de la refonte de la Constitution, le seuil électoral et le vote des citoyens turcs vivant à l’étranger:
10.1. l’Assemblée prend acte de la mise en place par le parlement, le 19 octobre 2011, d’une commission dite «de conciliation» de 12 membres issus en nombre égal des quatre partis représentés au parlement. Cette commission est présidée par le Président de la Grande Assemblée nationale, M. Cemil Çiçek. Son objectif est de réviser la Constitution inspirée par les militaires après le coup d’Etat de 1980. L’Assemblée souligne tout particulièrement l’exemplarité de la composition de cette commission et la règle du consensus adoptée pour la prise de décision. Elle salue aussi la procédure de consultation de toutes les forces vives de la société turque lancée par la commission de conciliation; elle note cependant la difficulté à concilier des positions différentes sur certains principes fondamentaux, comme la citoyenneté ou certaines questions politiques essentielles, comme la décentralisation. L’intention et la volonté initiale étaient louables, l’exercice est cependant difficile. L’Assemblée s’attend à ce que la réforme de la Constitution soit conforme aux normes établies par le Conseil de l’Europe;
10.2. il appartiendra aux institutions et aux citoyens de la Turquie de définir le futur système démocratique et le type de gouvernance du pays. L’Assemblée invite cependant les autorités turques à s’appuyer sur l’expertise de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) avant la finalisation du projet de Constitution. Il est essentiel de garantir l’équilibre institutionnel des pouvoirs et l’indépendance du système judiciaire, de préciser la nature des contre-pouvoirs, d’affirmer le respect des droits fondamentaux et des libertés individuelles, et de veiller à leur conformité avec les normes du Conseil de l’Europe;
10.3. l’Assemblée réitère sa demande aux autorités turques afin que soient prises en compte des recommandations de la Commission de Venise concernant l’abaissement du seuil électoral de 10 % – de loin le plus élevé de ceux pratiqués dans les 47 Etats membres du Conseil de l’Europe – afin d’élargir, au sein du parlement, la participation des partis politiques, acteurs essentiels de la démocratie;
10.4. l’Assemblée salue le fait que les autorités turques ont pris les mesures nécessaires pour mettre en œuvre la décision du parlement de mai 2012 et permettre aux électeurs turcs vivant à l’étranger de voter lors de l’élection présidentielle de 2014 et des élections législatives de 2015, et lors des élections futures.
11. S’agissant de l’achèvement de la révision du Code pénal (en particulier le respect des impératifs de proportionnalité posés par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en matière de liberté d’expression et d’association), de l’examen des lois datant de l’époque de l’état d’urgence et de la formation des juges et des procureurs, ainsi que de la police et de la gendarmerie:
11.1. l’Assemblée souligne que des réformes judiciaires ont été entreprises par la Turquie pour mettre sa législation en conformité avec la Convention européenne des droits de l’homme, en particulier avec l’adoption du «3e paquet de réformes judiciaires» en juillet 2012 et du «4e paquet» en avril 2013. Ces réformes devaient notamment renforcer la présomption d’innocence et limiter la détention provisoire. Force est de constater que, malgré des mises en liberté conditionnelle et les mesures de contrôle juridictionnel, les résultats immédiats ne sont pas à la hauteur des attentes. Le taux de personnes en détention provisoire, y compris des membres élus du parlement, représente toujours 23 % des détentions;
11.2. l’Assemblée se réjouit par ailleurs de la ratification, en septembre 2011, du Protocole facultatif à la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (OPCAT) et invite la Turquie à mettre en place un mécanisme national de prévention de la torture;
11.3. si l’Assemblée note l’engagement de réformes en matière de justice des mineurs, elle est cependant dans l’attente des conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) relatives au traitement et aux conditions de détention de ces mineurs. L’Assemblée exhorte aussi les autorités à améliorer les conditions dans toutes les prisons turques, conformément aux normes et pratiques du Conseil de l’Europe;
11.4. en matière de liberté d’expression, un sujet très crucial, tout en soulignant les réformes entreprises dans le cadre du «3e paquet» pour assouplir les restrictions, l’Assemblée se réfère à la Résolution 1920 (2013) sur l'état de la liberté des médias en Europe. Elle réitère la demande expresse faite à la Turquie de procéder à un examen approfondi des dispositions juridiques et des mesures administratives relatives notamment aux dispositions du Code pénal et de la loi anti-terroriste. De même, la législation relative à internet doit également être clarifiée, de manière à vérifier sa compatibilité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme;
11.5. l’Assemblée salue l’adoption du «4e paquet de réformes judiciaires» le 11 avril 2013. Les amendements, notamment du Code pénal et de la loi anti-terrorisme, devraient contribuer à mettre en conformité la législation turque avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme comme cela était demandé. Ils devraient aussi contribuer à clarifier la distinction entre liberté d’expression et propagande terroriste, comme attendu. L’Assemblée renouvelle sa demande de suppression de l’article 301 du Code pénal, ainsi que de l'article 125 du Code pénal qui érige la diffamation en crime. L'Assemblée appelle également à réexaminer les définitions juridiques des infractions relatives au terrorisme et à l'appartenance à une organisation criminelle conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme;
11.6. l’Assemblée note que l’adoption du «4e paquet de réformes judiciaires» devrait permettre d’abolir la prescription concernant les affaires de torture et la réouverture des procès pour les affaires dans lesquelles la Cour européenne des droits de l’homme a constaté l’absence d’enquêtes effectives, en violation de la Convention européenne des droits de l’homme;
11.7. l’Assemblée invite également la Turquie à poursuivre les réformes engagées pour protéger toutes les libertés fondamentales et individuelles afin que la protection de l’individu soit remise au cœur de son dispositif des droits de l’homme;
11.8. l’Assemblée note que la réforme de l’éducation, dite «4 + 4 + 4», allonge la durée de la scolarité obligatoire, ce qui est positif. Une certaine inquiétude s’exprime cependant quant à l’introduction de cours de religion dès le collège, puisque des sections dites «écoles Imam Hatip» y sont recréées. Cette démarche semble s’éloigner du principe de laïcité fondé sur le respect de toutes les religions, principe soutenu par le Premier ministre. L’Assemblée suivra la mise en œuvre de ce nouveau système;
11.9. pour ce qui concerne le respect des droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transsexuelles (LGBT), l’Assemblée demande à la Turquie de prendre toutes les mesures, y compris les mesures éducatives, pour lutter contre toutes les formes de discrimination et d’adopter des dispositions législatives et constitutionnelles adaptées. L’Assemblée souhaite que soit assurée la mise en œuvre effective de ces réformes tenant à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre, suivant la Recommandation CM/Rec(2010)5 du Comité des Ministres sur des mesures visant à combattre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre;
11.10. l’Assemblée est forcée de constater que plusieurs questions relatives aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales posent encore problème:
11.10.1. l’Assemblée déplore le fait que la détention provisoire de nombreux parlementaires, maires et élus locaux n’ait toujours pas trouvé d’issue légale. Cette situation entrave à l’évidence l’exercice des mandats confiés à ces élus par les citoyens et appelle une solution législative urgente;
11.10.2. l’Assemblée invite la Turquie à respecter pleinement les droits de la défense au cours des grands procès (Ergenekon, Balyoz, KCK) conduits par des juridictions à compétences spéciales. Ces procès touchent à la fois des élus, des militaires, des universitaires, des étudiants, des journalistes et des Kurdes. L’Assemblée est préoccupée par le grand nombre de ces procès;
11.10.3. par ailleurs, l’Assemblée note que les arrestations et les détentions provisoires, notamment de journalistes, de jeunes et d’étudiants, suscitent des inquiétudes graves. Elle exhorte la Turquie à adopter, sans délai, la législation nécessaire pour garantir la liberté d’expression et le droit de manifestation, et à veiller à ce que le recours à l’action de la police, s’il est nécessaire, reste proportionné;
11.11. pour ce qui concerne la dissolution des partis politiques, l’Assemblée invite la Turquie, suivant les recommandations de 2009 de la Commission de Venise, à relancer, dans le cadre des travaux de réforme constitutionnelle, l’instauration d’une procédure correctement élaborée sur la base de critères stricts, tels que l’apologie ou l’incitation à la violence ou des menaces claires contre les valeurs fondamentales de la démocratie;
11.12. en matière de droits syndicaux, l’Assemblée prend note de la loi sur les syndicats adoptée le 19 octobre 2012. Elle constate le faible nombre de salariés syndiqués (moins de 10 %), soit 1 million pour 10 millions de salariés. Elle attire l’attention sur le seuil élevé fixé à plus de 3 % de salariés syndiqués pour les entreprises de plus de 30 salariés, afin qu’un syndicat puisse engager des négociations collectives. Ce seuil, aujourd’hui, n’autoriserait qu’environ la moitié des syndicats à engager des négociations. Cette mesure, cependant, semble progressive et ne devrait s’appliquer pleinement qu’en 2018. L’Assemblée invite par conséquent la Turquie à s’assurer que cette nouvelle législation syndicale garantit réellement l'exercice du droit de négocier collectivement. Elle encourage la Turquie à poursuivre ses discussions avec les partenaires socio-économiques et syndicaux pour lever les réserves faites aux articles 2.3, 4.1, 5 et 6 de la Charte sociale européenne révisée;
11.13. l’Assemblée souligne la nécessité évidente de former les juges et les procureurs. Elle encourage les autorités à poursuivre et à intensifier les programmes de formation obligatoire et continue des agents des forces de l’ordre. C’est une condition essentielle pour assurer la mise en œuvre effective et efficace des nouvelles mesures législatives et la prise en compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. La formation des professionnels de la justice et des forces de l’ordre doit s’accompagner de l’évolution absolument nécessaire des mentalités. L’Assemblée encourage vivement la Turquie à poursuivre la collaboration établie avec le Conseil de l’Europe dans ces domaines.
12. S’agissant de l’institution du médiateur, de la reconnaissance du droit à l’objection de conscience et de la création d’un service civil alternatif:
12.1. l'Assemblée se félicite de la mise en place du médiateur, à la suite du référendum constitutionnel du 12 septembre 2010 et de l’adoption de la loi du 14 juin 2012, honorant ainsi une demande précise de l’Assemblée figurant dans les 12 points. Elle invite toutefois le Parlement turc à réévaluer les critères de sélection et d’élection du médiateur et de ses adjoints pour garantir la crédibilité et l’efficacité de cette institution nouvellement mise en place, et son financement;
12.2. l’Assemblée se réjouit par ailleurs que le ministère de la Justice veille, avec détermination, à assurer une meilleure prise en compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, à améliorer le contrôle de la mise en œuvre des arrêts de la Cour et à prévenir les violations répétitives des articles de la Convention. Elle salue en particulier la création d’un mécanisme de compensation de la durée excessive des détentions et des procédures, ainsi que la prise en compte du respect de la jurisprudence de la Cour dans la promotion des juges;
12.3. l’Assemblée salue la possibilité de recours individuel devant la Cour constitutionnelle pour la violation des droits couverts par la Convention européenne des droits de l'homme, ouverte par la révision constitutionnelle de 2010 et mise en œuvre depuis septembre 2012;
12.4. l’Assemblée regrette, par contre, puisqu’il s’agissait de l’un des 12 points, qu’aucune mesure n’ait été prise pour donner un cadre législatif à l’objection de conscience et au service civil alternatif afin de se conformer ainsi à la jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de l’homme en la matière.
13. S’agissant de la mise en œuvre de la réforme de l’administration locale et régionale ainsi que de la décentralisation et du retour des personnes déplacées:
13.1. l’Assemblée est convaincue que la poursuite et le renforcement de la décentralisation seront un élément essentiel de la stratégie de développement de la Turquie, ainsi qu’une réponse possible à la résolution de la question kurde. A cet égard, elle invite instamment la Turquie à mettre en œuvre la Recommandation 301 (2011) adoptée par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux le 24 mars 2011 et à poursuivre les réformes dans le domaine de la décentralisation, conformément à la Charte européenne de l’autonomie locale (STE no 122), ratifiée par la Turquie en 1992;
13.2. l’Assemblée note avec satisfaction l’entrée en vigueur en mars 2008 de la loi no 5233 sur l'indemnisation des dommages résultant du terrorisme et de la lutte contre le terrorisme. Elle encourage la Turquie à poursuivre ses programmes sociaux et économiques de retour durable des personnes déplacées, comme prévu dans les 12 points.
14. S’agissant des instruments juridiques internationaux cités dans la Résolution 1380 (2004):
14.1. l'Assemblée salue la ratification par la Turquie de la Convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime le 6 octobre 2004, et de la Charte sociale européenne révisée le 27 juin 2007, conformément à la Résolution 1380 (2004);
14.2. l’Assemblée note que la Turquie n'a ni signé, ni ratifié la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales et la Charte des langues régionales ou minoritaires, comme demandé par l’Assemblée en 2004. Elle encourage la Turquie à envisager dès à présent la signature de ces instruments juridiques;
14.3. l’Assemblée salue l'adoption des circulaires de mars 2010 visant à améliorer l'accès aux procédures d'asile, à assurer une meilleure protection des groupes vulnérables et un meilleur accès des demandeurs d'asile au marché du travail. Par ailleurs, l’Assemblée salue l’adoption, le 4 avril 2013, de la loi sur les étrangers et la protection internationale, qui constitue une avancée importante dans la protection des droits des étrangers, quel que soit leur statut. Elle invite la Turquie à poursuivre sa coopération avec le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et réitère son appel à lever la limitation géographique à la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés. Elle invite par ailleurs la communauté internationale à soutenir les efforts de la Turquie pour améliorer l’accueil et l’intégration des réfugiés;
14.4. l’Assemblée note avec satisfaction la ratification, le 23 mars 2012, de la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme (STCE no 196). Elle réitère aussi à cette occasion sa condamnation totale de tous les actes de violence et de terrorisme. Pour ce qui concerne les actes de terrorisme liés au PKK, l’Assemblée réaffirme que la question kurde doit trouver une solution politique, et elle appelle à l’arrêt de toutes les violences – condition préalable à toute négociation.
15. S’agissant de la politique visant à reconnaître l’existence des minorités nationales vivant en Turquie et l’octroi aux personnes appartenant à ces minorités du droit de maintenir, de développer et d’exprimer leur identité, et de la mettre en œuvre concrètement:
15.1. l’Assemblée rappelle que, en matière de minorités, la Turquie se réfère à la définition figurant dans le Traité de Lausanne du 24 juillet 1923, qui considère comme minorités «les ressortissants turcs appartenant aux minorités non musulmanes». Au demeurant, l’Assemblée note que la Turquie reconnaît dans les faits, pour seules minorités, les communautés religieuses juives, arméniennes et grecques orthodoxes;
15.2. l’Assemblée se félicite du dialogue renforcé instauré avec les communautés religieuses et salue les mesures récentes visant à éliminer les problèmes rencontrés par les minorités non musulmanes. L’Assemblée note également la contribution des minorités aux travaux de révision de la Constitution, qui devra assurer, en droit et en fait, l’égalité de tous les citoyens turcs, quelle que soit leur religion;
15.3. l’Assemblée salue la modification de la loi sur les fondations en date du 27 août 2011 visant à faciliter l’enregistrement des biens immobiliers. Elle invite les autorités turques à finaliser la procédure de restitution des biens aux communautés religieuses;
15.4. rappelant l’avis de la Commission de Venise de mars 2010 portant sur le statut juridique des communautés religieuses en Turquie et le droit du Patriarcat orthodoxe d'Istanbul d’utiliser l'adjectif «œcuménique», l’Assemblée prend note, avec satisfaction, des discussions en cours pour la réouverture du séminaire orthodoxe Halki sur l'île d'Heybeliada;
15.5. tout en reconnaissant que les récentes réformes de la législation turque ont amélioré les relations avec les communautés religieuses non musulmanes, l'Assemblée demande néanmoins instamment à la Turquie de mettre en œuvre les exigences du paragraphe 19.2 de la Résolution 1704 (2010) de l’Assemblée sur la liberté de religion et autres droits de l’homme des minorités non musulmanes en Turquie et de la minorité musulmane en Thrace (Grèce orientale) ainsi que les recommandations de la Commission de Venise figurant dans l'Avis no 535/2009, adopté en mars 2010, afin de garantir le droit fondamental de la liberté de religion, notamment à travers la reconnaissance de la personnalité juridique des communautés religieuses non musulmanes, ce qui leur assurerait l'accès à la justice et la protection des droits de propriété;
15.6. à cet égard, l’Assemblée appelle instamment à l’ouverture d'un dialogue concluant avec la communauté alévie, en particulier pour ce qui concerne la reconnaissance du statut légal des lieux de culte alévis (Cemevleri), l’enseignement du fait religieux alévi à l’école et les enquêtes sur les déclarations au sujet de biens confisqués;
15.7. l’Assemblée se réjouit par ailleurs des progrès importants réalisés depuis 2004 en matière de promotion des droits culturels et linguistiques des Kurdes, entre autres l’usage d’autres langues que le turc dans l’enseignement, les médias et pendant les campagnes électorales depuis 2011, et la possibilité de choisir sa langue pour assurer sa défense devant les tribunaux depuis 2012. Rappelant sa dénonciation sans ambiguïté des faits de terrorisme, l’Assemblée note cependant que l’incarcération de milliers de Kurdes – y compris des élus locaux et des journalistes – pour des faits supposés de terrorisme pèse sur le règlement de la question kurde. L’Assemblée forme le vœu que les réformes judiciaires et constitutionnelles en cours permettront de trouver une issue politique à cette question;
15.8. l’Assemblée salue la reprise officielle des pourparlers initiés en décembre 2012 par les autorités turques avec le leader du PKK. Elle se félicite aussi du processus de paix qu’elle considère à l’évidence comme la voie vers l’arrêt des violences et l’instauration d’un cadre pacifié pour le règlement de la question kurde. L’Assemblée sait que ce processus est fragile et devrait s’accompagner du retrait des activistes du PKK de Turquie. Un «comité des sages» composé de 63 personnes a été créé. L’Assemblée souhaite qu’il soit représentatif de tous les acteurs de la société et des différentes forces politiques pour soutenir l’aboutissement de cette initiative;
15.9. tout en reconnaissant l'importance des écoles des minorités pour la préservation de l'identité des minorités nationales, l'Assemblée regrette néanmoins que la loi de 2007 relative aux établissements d'enseignement privés ne réponde pas aux exigences énoncées au paragraphe 19.14 de la Résolution 1704 (2010) de l'Assemblée. En conséquence, l'Assemblée demande instamment à la Turquie de faire évoluer la législation afin de permettre aux enfants issus de minorités non musulmanes, mais n’ayant pas la nationalité turque, d’accéder aux écoles des minorités. A cet égard, l'Assemblée, tout en tenant compte de la pratique de réciprocité appliquée dans certains cas, note que les solutions ad hoc ne suffisent pas à résoudre le problème;
15.10. l'Assemblée note que la Turquie n'a pas envoyé de réponse à la Résolution 1704 (2010). Elle invite la Turquie à envoyer une réponse aux questions en suspens dans les deux mois.
16. S’agissant de la poursuite des efforts visant à lutter contre l’analphabétisme des femmes et contre toutes les formes de violence à l’égard des femmes:
16.1. l’Assemblée se réjouit des avancées législatives réalisées depuis 2005 et de la réforme du Code pénal concernant la lutte contre la violence à l’égard des femmes, à savoir le dispositif législatif et les actions de sensibilisation. Elle salue l’action de la Turquie dans l’élaboration de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul, STCE no 210). L’Assemblée note que la Turquie a été le premier pays à la ratifier en mars 2012 sans aucune réserve et à adopter une loi en la matière. Force est de constater cependant que la violence faite aux femmes reste une réalité;
16.2. l’Assemblée souligne donc la nécessité d’assurer la mise en œuvre effective de ces législations, en particulier par la formation des professionnels de santé, des policiers, des procureurs et des magistrats, et de sanctionner les manquements ou le manque de diligence des institutions;
16.3. l’Assemblée encourage la Turquie à poursuivre ses efforts pour lutter contre l’analphabétisme des femmes, qui constitue un obstacle majeur à leur participation à la vie publique et économique, et un risque accru d’exposition des filles aux violences physiques, psychologiques et sexuelles. A cet égard, l’Assemblée invite la Turquie à lutter contre les mariages précoces et les mariages d’enfants, suivant la Résolution 1468 (2005) de l’Assemblée sur les mariages forcés et les mariages d'enfants. Elle incite aussi à beaucoup de vigilance pour maintenir le droit à l’avortement acquis par les femmes;
16.4. l’Assemblée forme le vœu que la Turquie réaffirme son attachement au renforcement de l’égalité de fait entre les femmes et les hommes. Elle salue l’inscription de la discrimination positive en faveur des femmes dans les amendements constitutionnels de 2010. L’Assemblée forme le vœu que la Turquie consacre pleinement, dans sa future Constitution, l’égalité entre les femmes et les hommes, et qu’elle continue à être un pays de référence dans la région.
17. En conclusion, l’Assemblée rappelle que la Turquie est actuellement dans une phase d’évolution politique et que le contexte géopolitique est particulièrement délicat. L’Assemblée constate, cependant, que le processus de réformes législatives et d’évolution institutionnelle est en cours mais qu’il reste inachevé concernant des points essentiels de la Résolution 1380 (2004). Ce processus pourrait également conduire à la rédaction d’une nouvelle Constitution et à la définition d’un nouveau régime politique, que l’Assemblée évaluera le moment venu. Au demeurant, elle assure à la Turquie tout son soutien dans l’approfondissement de ces réformes démocratiques.
18. Prenant en compte les élections locales de 2014, la première élection du Président de la République au suffrage direct en 2014 ainsi que les élections législatives de 2015, l’Assemblée décide de suivre les évolutions en Turquie et de présenter, à l’issue de ces échéances, un rapport complet sur le dialogue postsuivi. Elle réitère la disponibilité du Conseil de l’Europe, en particulier la Commission de Venise, pour soutenir les efforts des autorités turques.