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Résolution 1938 (2013) Version finale

La promotion d’alternatives à l’emprisonnement

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Texte adopté par la Commission permanente, agissant au nom de l’Assemblée, le 31 mai 2013 (voir Doc. 13174, rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, rapporteur: Mme Vučković). Voir également la Recommandation 2018 (2013).

1. L’Assemblée parlementaire, se référant à sa Recommandation 1257 (1995) sur les conditions de détention dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, réaffirme le principe en vertu duquel l’emprisonnement devrait être une mesure prise en dernier ressort. Elle partage le point de vue du Comité des Ministres, qui a constaté, dès sa Résolution (76) 10 sur certaines mesures pénales de substitution aux peines privatives de liberté, une tendance à éviter le plus possible l'application des peines privatives de liberté, en raison de leurs multiples inconvénients et par respect pour les libertés individuelles, convaincu que cette politique pourrait être poursuivie sans mettre en danger la sécurité publique. Les sanctions appliquées dans la communauté devraient représenter la peine choisie en priorité, sauf lorsque la gravité de l’infraction interdit toute peine autre que la privation de liberté.
2. Elle prend note avec un intérêt particulier des données comparatives suivantes, publiées dans les Statistiques pénales annuelles du Conseil de l’Europe (SPACE I – 2010):
2.1. la population carcérale varie considérablement d’un pays européen à l’autre. L’Azerbaïdjan, la Géorgie, la Lettonie, la Fédération de Russie et l’Ukraine dépassent, de plus du double, la moyenne des Etats membres du Conseil de l’Europe de 149 détenus pour 100 000 habitants, tandis qu’Andorre, la Bosnie-Herzégovine, le Danemark, la Finlande, l’Islande, le Liechtenstein, Monaco, les Pays-Bas, la Norvège, Saint-Marin, la Slovénie, la Suède et la Suisse affichent des taux d’emprisonnement correspondant à la moitié ou moins de la moitié de la moyenne européenne. La plupart des pays d’Europe ont enregistré une tendance générale à l’augmentation de ces chiffres au cours des dix dernières années;
2.2. un certain nombre d’Etats membres du Conseil de l’Europe connaissent de graves problèmes de surpopulation carcérale. Vingt et un Etats membres dépassent les 100 détenus pour 100 places de détention. Selon les Statistiques pénales annuelles du Conseil de l’Europe, les six pays où la situation est la pire sont: la Serbie avec 172 détenus, l’Italie avec 153 détenus, Chypre avec 151 détenus, la Grèce avec 123 détenus, la Turquie avec 115 détenus et la France avec 108 détenus pour 100 places;
2.3. le coût de l’emprisonnement est considérable pour les contribuables européens. Il équivaut en moyenne, parmi les Etats membres du Conseil de l’Europe, à 100 euros par détenu et par jour.
3. L’Assemblée juge la surpopulation carcérale inacceptable, tant par principe au regard des droits de l’homme, notamment sur le plan de la protection contre les traitements inhumains et dégradants (article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, STE no 5), que pour les conséquences négatives concrètes de cette surpopulation sur les intéressés et la société en général, qui risque de pâtir de taux de récidive élevés et de la perte de la contribution à la vie économique et sociale des personnes dont la réinsertion est compromise par la surpopulation carcérale.
4. Etant donné le coût élevé de la construction et de l’entretien des nouveaux établissements pénitentiaires, l’Assemblée recommande de concentrer les maigres ressources budgétaires sur l’amélioration des conditions de détention des prisons existantes, plutôt que d’augmenter la capacité du parc pénitentiaire.
5. L’Assemblée observe avec satisfaction que le Royaume-Uni a réussi à introduire et à promouvoir, au cours de ces dernières années, de nouvelles formes de peines non privatives de liberté, qui représentent autant d’alternatives à l’emprisonnement, tout en préservant les besoins légitimes de la société en matière de sécurité.
6. Au vu de ce qui précède, l’Assemblée invite tous les Etats membres à promouvoir énergiquement l’utilisation des peines non privatives de liberté, notamment pour les primo-délinquants, les délinquants qui n’ont commis aucun acte de violence, les jeunes délinquants et les femmes. Elle invite également les Etats membres à promouvoir l’utilisation de mesures de contrôle alternatives à la détention provisoire.
7. Elle souligne que les peines non privatives de liberté devraient être infligées en remplacement des peines d’emprisonnement, sans élargir davantage le champ d’application des sanctions pénales. Il importe aussi que les infractions mineures qui n’étaient jusqu’ici suivies d’aucune sanction pénale ne soient pas non plus sanctionnées par des peines non privatives de liberté.
8. L’Assemblée rappelle que les peines non privatives de liberté, qui sont évidemment préférables aux peines d’emprisonnement dans tous les cas, sauf les plus graves, doivent respecter des exigences élémentaires en matière de droits de l’homme, comme le précisent les Règles minima des Nations Unies pour l'élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo, 1990) et les Règles européennes du Conseil de l’Europe sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté (Recommandation no R (92) 16 du Comité des Ministres), dont:
8.1. le principe de légalité, ce qui signifie que les mesures qui doivent être appliquées, les conditions de leur application et les autorités chargées de leur application doivent être prévues par la loi;
8.2. l’interdiction de toute discrimination dans l’application de mesures non privatives de liberté;
8.3. le respect du principe de proportionnalité entre la gravité de l’infraction et l’intensité du caractère afflictif, et l’ingérence dans les droits du délinquant de la mesure appliquée;
8.4. l’obligation d’obtenir le consentement de l’intéressé lorsque les mesures non privatives de liberté sont appliquées avant ou en lieu et place de la procédure officielle ou d’un procès;
8.5. le droit au contrôle de ces mesures, c’est-à-dire à l’existence de garanties juridictionnelles et de voies de recours;
8.6. le respect des droits des délinquants à la vie privée et à la dignité humaine;
8.7. la protection contre tout risque excessif de dommage physique ou mental.
9. Les peines non privatives de liberté suivantes méritent une attention particulière, à la lumière de l’expérience pratique des pays qui réussissent à faire respecter la loi et à maintenir l’ordre public avec un taux d’emprisonnement comparativement bas:
9.1. les amendes, qu’il convient de calculer proportionnellement au revenu dont dispose le délinquant, afin qu’elles soient comparables à des périodes de détention;
9.2. les peines d’emprisonnement assorties de sursis, que ce soit intégralement ou par rapport à la dernière partie d’une peine privative de liberté;
9.3. la libération anticipée d’un détenu pour raisons humanitaires, en cas d’évolution imprévue concernant sa santé ou sa vie privée;
9.4. les peines purgées de manière intermittente ou les week-ends, qui permettent à un détenu de continuer à mener sa vie professionnelle et familiale, tout en étant privé de liberté pendant son temps libre;
9.5. l’aide et la surveillance des agents de probation, notamment la participation à des «programmes de gestion des comportements délictueux» (alcool au volant, gestion de la colère, violence domestique);
9.6. les mesures de désintoxication et de réinsertion des toxicomanes (prise en charge thérapeutique et ordonnances de mise à l'épreuve);
9.7. les obligations de travaux d’intérêt général et les mesures de «remboursement de la collectivité»;
9.8. les mesures de justice réparatrice qui prennent activement en compte les victimes de la criminalité;
9.9. les programmes innovants de réinsertion des délinquants auxquels participe la société civile, comme le programme des «cercles de soutien» mis en place au Royaume-Uni;
9.10. les heures de rentrée imposées, l’assignation à résidence et les mesures restrictives et d'exclusion, contrôlées par des moyens technologiques.
10. L’Assemblée observe que les dernières avancées technologiques ont élargi les possibilités d’utilisation des appareils de suivi électronique, tels que les bracelets électroniques ou le GPS, et ont amélioré leur rapport coût-efficacité. Elle considère que ces appareils, en particulier lorsqu’ils sont associés à d’autres mesures plus classiques, permettent d’élargir le champ d’application des peines non privatives de liberté aux infractions plus graves, qui étaient jusqu’ici sanctionnées par des peines d’emprisonnement.
11. L’Assemblée encourage par conséquent tous les Etats membres du Conseil de l’Europe:
11.1. à compléter, si besoin est, leur législation pénale pour mettre à la disposition de leurs autorités judiciaires la panoplie complète des sanctions non privatives de liberté, en prévoyant des alternatives viables à l’emprisonnement dans tous les cas où elles seraient pertinentes;
11.2. à élaborer et tester de nouvelles formes et combinaisons de peines non privatives de liberté et de sanctions appliquées dans la communauté, tout en respectant les exigences énoncées au paragraphe 8 en matière de droits de l’homme;
11.3. à échanger des informations sur les réussites et les difficultés qu’ils ont rencontrées, en utilisant les instruments de coopération du Conseil de l’Europe en matière de droit pénal.