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Résolution 1947 (2013) Version finale
Manifestations et menaces pour la liberté de réunion, la liberté des médias et la liberté d'expression
1. De nombreux pays européens (et
non européens) ont connu des mouvements de protestation populaire ces
derniers temps. Des manifestations se déroulent souvent de façon
non organisée; les participants se coordonnent au moyen des médias
sociaux. Le droit des individus de manifester contre leur gouvernement démocratiquement
élu est aussi légitime que le droit des gouvernements concernés
de ne pas changer leur politique face à la contestation.
2. Des manifestations de ce type se sont déroulées dans plusieurs
villes et pays d’Europe au cours de l’année 2013. Dans tous les
cas, les protestations ont été tout d’abord pacifiques, même si,
parfois, de petites minorités se sont livrées à des violences. Dans
certains cas, les réactions des autorités publiques et l’action des
forces de l’ordre ont été disproportionnées.
3. Comme exemples de manifestations pacifiques dégénérant en
affrontements violents avec la police au cours des derniers mois
en Europe, mentionnons notamment les suivantes:
3.1. plusieurs manifestations contre
le mariage entre personnes de même sexe, organisées à Paris entre
le 24 mars et le 27 mai 2013 («Manif pour tous»), impliquant plus
de 2 millions de personnes, ont déclenché l’intervention des forces
de l’ordre; celles-ci ont, notamment, eu recours aux gaz lacrymogènes
(gaz poivre) à l’encontre de manifestants pacifiques. Quatre personnes
ont été blessées et plusieurs centaines ont été arrêtées;
3.2. des émeutes qui ont eu lieu dans la banlieue de Stockholm
du 20 au 24 mai 2013 lorsque des personnes ont manifesté contre
le meurtre d’un immigrant par la police et contre les politiques d’immigration
et d’intégration en général. Il n’y aurait pas eu de blessé et la
police a arrêté 29 personnes;
3.3. récemment, le 31 mai 2013, une manifestation pacifique
organisée par des opposants à un projet de rénovation urbaine à
Istanbul a débouché sur une intervention musclée des forces de l’ordre
et provoqué un mouvement de protestation populaire sans précédent
en Turquie. Dans des dizaines de villes du pays, des centaines de
milliers de personnes ont exprimé leur désaccord avec l’attitude
des autorités et pris part à des manifestations. Dans de nombreuses
villes, ces manifestations ont donné lieu à des confrontations violentes
avec les forces de l’ordre, marquées par le recours systématique
au gaz lacrymogène, aux canons à eau et, dans certains cas, aux
tirs de balles en caoutchouc. L’Assemblée parlementaire déplore
que le bilan s’élève à quatre morts, dont un policier, et presque
4 000 blessés.
4. L’Assemblée soutient la déclaration du Secrétaire Général
du Conseil de l’Europe du 25 juin 2013, et insiste sur la nécessité
de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme
sur l’utilisation de la force contre les manifestants.
5. L’Assemblée rappelle que la liberté de réunion et d’association,
y compris lors de manifestations non organisées et non autorisées,
est un droit essentiel dans une démocratie, garanti par l’article 11
de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5),
et évoqué de manière constante par la Cour européenne des droits
de l’homme dans sa jurisprudence. Toute restriction de ce droit
doit être prévue par la loi et être nécessaire dans une société
démocratique. Il appartient aux autorités d’assurer l’exercice du
droit à la liberté d’expression et de manifestation.
6. De ce fait, face à des manifestations, le rôle des forces
de l’ordre est de protéger les droits des manifestants, leur liberté
d’association et d’expression, tout en protégeant les autres, ainsi
que les biens publics et privés. Aussi est-il essentiel qu’elles
puissent s’appuyer sur des normes et lignes directrices, suivant les
instructions d’une hiérarchie responsable.
7. L’Assemblée déplore les récents cas de recours excessif à
la force pour disperser les manifestants et réitère son appel aux
autorités de veiller à ce que l’action de la police, si elle est
nécessaire, reste proportionnée. Rappelant la position du Comité
européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements
inhumains ou dégradants (CPT) et la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’homme, elle insiste sur les conséquences graves
sur la santé de l’usage de gaz lacrymogène.
8. L’Assemblée rappelle que les citoyens ont droit à une information
objective et complète, et qu’il appartient aux autorités de garantir
des conditions favorables à l’exercice effectif de la liberté des
médias et d’expression, conformément à la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l’homme. Elle souligne en particulier la
nécessité de clarifier les questions de propriété et d’indépendance
des médias.
9. En conséquence, l’Assemblée appelle instamment les Etats membres
du Conseil de l'Europe, le cas échéant, à prendre les mesures nécessaires
pour mettre leur législation en conformité avec les normes du Conseil
de l’Europe et la jurisprudence de la Cour européenne des droits
de l’homme, notamment en matière de liberté d’expression, de liberté
des médias et de liberté de réunion, et les invite:
9.1. à garantir la liberté de réunion
et de manifestation, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’homme, et à en assurer l’exercice effectif;
9.2. à mener des enquêtes diligentes concernant le recours
excessif ou disproportionné à la force par des membres des forces
de l’ordre, et à en sanctionner les responsables;
9.3. à renforcer les programmes de formation aux droits de
l’homme à destination des membres des forces de l’ordre ainsi que
des juges et des procureurs, en partenariat avec le Conseil de l’Europe;
9.4. à élaborer des directives claires relatives à l’usage
de gaz lacrymogène et à interdire son usage dans des espaces confinés;
9.5. à assurer la liberté des médias, à mettre un terme au
harcèlement et à l’arrestation des journalistes et à la perquisition
de leurs locaux, et à s’abstenir d’infliger des sanctions aux médias
qui couvrent les manifestations, conformément à la Résolution 1920 (2013) sur
l'état de la liberté des médias en Europe;
9.6. à réformer le Code pénal et le Code de procédure pénale
ainsi que les lois antiterroristes et le Code administratif dans
tous les cas où les dispositions concernées ne sont pas conformes
aux normes du Conseil de l’Europe ou à la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l’homme;
9.7. à examiner les moyens de consulter la population ou de
l’associer à la gestion des affaires publiques, tant au niveau national
que local, en s’inspirant des normes européennes pertinentes et
des bonnes pratiques, et en conformité avec la Résolution 1746 (2010) «Démocratie
en Europe: crises et perspectives»;
9.8. à s’abstenir d’imposer des obstacles administratifs et
organisationnels inutiles au travail des organisations de la société
civile en leur infligeant des contrôles, des amendes et des sanctions.
De tels excès contribuent à alimenter le mécontentement de la population
et peuvent conduire à intensifier encore les protestations populaires.
10. Enfin, l’Assemblée invite le Secrétaire Général du Conseil
de l’Europe à envisager l’élaboration de lignes directrices sur
le respect des droits de l’homme dans le cadre des interventions
des forces de l’ordre lors de manifestations.