1. Introduction
«Vos enfants ne sont
pas vos enfants.
Ils sont les fils et les filles
de l’appel de la Vie à la Vie,
Ils viennent à travers vous
mais non de vous.
Et bien qu’ils soient avec vous,
ils ne vous appartiennent pas.»
Khalil Gibran, «Les enfants»
1. La question traitée par le présent rapport s’inscrit
notamment dans un cadre international de vaste portée en matière
de droits humains concernant le droit de l’enfant à une protection
spéciale et le droit humain à la santé, plus spécifique, droits
énoncés respectivement par la Convention des Nations Unies relative
aux droits de l’enfants (CNUDE) de 1989 et par la Constitution de
l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) telle que modifiée en
2005.
2. La Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant
dispose que, dans toutes les décisions qui concernent les enfants,
au sens de toute personne âgée de moins de 18 ans, qu’elles soient
le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale,
des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs,
l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale;
elle demande par conséquent aux Etats de prendre «toutes les mesures
(...) appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence,
atteintes ou brutalités physiques ou mentales, (...) pendant qu’il
est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses
représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié» (article
3). Elle prévoit également que les «Etats parties prennent toutes
les mesures efficaces appropriées en vue d’abolir les pratiques
traditionnelles préjudiciables à la santé des enfants» (article 24,
paragraphe 3).
3. Quant au droit à la santé, l’Organisation mondiale de la Santé
déclare en préambule à sa Constitution que le droit de jouir du
«meilleur état de santé susceptible d’être atteint» est l’un des
droits fondamentaux de tout être humain.
4. Malgré ce cadre juridique très clair, qui a été transposé
dans la législation nationale de nombreux pays, l’intégrité physique
des enfants continue d’être menacée de multiples manières en Europe.
Ces menaces peuvent intervenir dans pratiquement tous les environnements
où les enfants passent quotidiennement du temps – famille, école,
associations de loisirs, communautés religieuses, services sociaux
ou autres.
5. L’atteinte à l’intégrité physique est infligée aux enfants
avec différentes intentions: parfois, elle est pratiquée de mauvaise
foi, par exemple dans les cas d’abus, de maltraitance ou de négligence
d’un enfant. Dans d’autres cas, comme dans le contexte des châtiments
corporels dans les familles ou à l’école, elle est censée être dans
l’intérêt de l’enfant, mais elle est souvent pratiquée sans que
l’auteur ait suffisamment connaissance ou conscience des conséquences
dramatiques à court et à long terme qu’elle peut avoir sur la santé
physique et mentale et le développement de l’enfant. Dans une autre
catégorie de cas encore, les préjudices corporels peuvent être infligés
aux enfants sur la base d’intentions très positives, parfois motivées par
des traditions culturelles ou religieuses, mais qui vont souvent
à l’encontre de l’intérêt supérieur de l’enfant tel que protégé
par les normes internationales susmentionnées et selon des critères
plus objectifs.
6. En ma qualité de rapporteure du présent rapport, je suis particulièrement
préoccupée par la dernière catégorie d’atteintes spécifiques à l’intégrité
physique des enfants, (bien) intentionnées, socialement acceptées
mais très souvent médicalement injustifiées. Les enfants eux-mêmes
ne peuvent pas être ou ne sont pas consultés car ils sont trop jeunes
pour comprendre pleinement l’intervention ou ses conséquences, ou
pour donner leur consentement libre et éclairé. Je suis particulièrement
inquiète concernant les cas où ces actes sont pratiqués sans intervention
de personnels médicaux qualifiés, du seul fait de la volonté exprimée
et du consentement donné par des parents qui ne sont pas pleinement
conscients des risques inhérents à ce type d’intervention.
7. A cet égard, j’aimerais plus particulièrement examiner les
situations suivantes qui pourraient avoir des conséquences sur l’intégrité
physique des enfants: la circoncision des jeunes garçons dans certaines
religions, les interventions médicales dans le cas d’enfants intersexués,
les mutilations génitales féminines (dans certaines cultures), la
soumission forcée d’enfants à des piercings, tatouages ou opérations
de chirurgie plastique, et le refus de soigner des enfants atteints
de certaines pathologies (dans certaines communautés religieuses).
8. De récents débats politiques, tel celui sur la circoncision
des garçons dans mon propre pays, l’Allemagne, ont fait clairement
ressortir que tout travail sur cette question doit prendre en considération
les droits de l’enfant, les droits parentaux ainsi que les libertés
religieuses et culturelles. En particulier, les droits des parents
(et leurs possibles limites) doivent être examinés de près, car
ce sont généralement les parents qui donnent leur consentement aux
interventions en question. Certaines questions centrales à examiner
à ce sujet sont: dans quelles circonstances peut-il être justifié
de porter atteinte à l’intégrité physique d’un enfant et dans quelles
conditions? Par quels moyens (politiques ou juridiques) ces conditions
peuvent-elles être garanties? Autrement dit, faut-il limiter par
la loi les possibilités pour les parents de décider au nom de leurs enfants,
et comment pourrait-on sensibiliser les parents aux risques et alternatives
par d’autres moyens?
9. Plusieurs experts ont déjà été entendus pour compléter l’examen
des écrits et des articles de presse consacrés à ce sujet: Dr Ilhan
Ilkilic (professeur agrégé au Département de l’histoire de la médecine
et d’éthique, université d’Istanbul, faculté de médecine, Turquie),
M. Victor Schonfeld (producteur de films documentaires, Londres,
Royaume-Uni) et Dr Matthias Schreiber (chirurgien pédiatrique, Département
de chirurgie pédiatrique, clinique d’Esslingen, Allemagne) ont présenté
des exposés à la commission des questions sociales, de la santé
et du développement durable sur la pratique courante de la circoncision masculine
. Mme Irmingard Schewe-Gerigk (présidente
du conseil exécutif de l’organisation «Terre des Femmes», Allemagne)
a été entendue lors d’une réunion ultérieure de la commission, en
particulier sur les mutilations génitales féminines
.
J’aimerais remercier tous les experts pour leur disponibilité et
pour leurs précieuses contributions au présent rapport.
10. Je suis convaincue que l’Assemblée parlementaire devrait appeler
les Etats membres à prendre des mesures politiques fermes par le
biais de campagnes de sensibilisation pour favoriser la plus grande protection,
en toutes circonstances, de l’intégrité physique des enfants, ainsi
que pour examiner de nouvelles mesures juridiques et politiques
nécessaires en la matière. Par principe, toute nouvelle mesure au
niveau national ne doit pas être prise pour incriminer les familles
ou les professionnels agissant de bonne foi pour des atteintes mineures,
mais pour ériger les atteintes majeures en infractions pénales.
11. Le présent rapport entend établir certains des critères permettant
d’assurer une meilleure protection de l’enfant dans notre monde
moderne et de garantir l’intérêt supérieur de l’enfant tout en équilibrant
droits de l’enfant, droits parentaux et libertés culturelles et
religieuses.
2. Menaces
à l’intégrité physique des enfants en Europe aujourd’hui
12. Plusieurs catégories de pratiques relèvent de la
notion proposée comme «atteintes spécifiques, (bien) intentionnées,
socialement acceptées, mais souvent médicalement injustifiées»,
bien qu’elles varient certainement quant à leur irréversibilité,
à leur gravité et à leurs réelles conséquences pour l’enfant. Ci-après, différents types d’atteintes
(et leurs conséquences) à la santé physique et mentale, au bien-être
et au développement des enfants sont décrits, examinés et qualifiés
des manières les plus différentes possibles, notamment par rapport
au milieu culturel dans lequel elles interviennent.
2.1. Circoncision des
jeunes garçons
13. La circoncision est l’ablation chirurgicale partielle
ou totale du prépuce du pénis
. Il s’agit sans doute de l’acte
chirurgical facultatif le plus anciennement identifié et le plus
fréquemment pratiqué sur les hommes à travers le monde. La circoncision
néonatale ou circoncision sur les jeunes garçons peut être pratiquée
pour des raisons médicales, culturelles ou religieuses. C’est une
pratique religieuse largement observée et quasiment universelle
dans les communautés juives et musulmanes
.
14. Toutefois, cette pratique est de plus en plus remise en cause
et sa perception change à la lumière d’une prise de conscience grandissante
des droits de l’enfant. Même au sein de communautés religieuses,
de plus en plus de personnes ont commencé à s’interroger sur des
pratiques traditionnelles mais néfastes et à rechercher des alternatives.
Ayant exploré cette question en profondeur lors du récent débat
législatif dans mon pays, l’Allemagne, j’aimerais montrer pourquoi
la circoncision des jeunes garçons est manifestement une violation
des droits humains à l’encontre des enfants, alors même qu’elle
est si largement pratiquée tant dans le cadre médical que religieux.
2.1.1. Histoire et prévalence
de la circoncision
15. La circoncision rituelle se pratique en Afrique de
l’Ouest depuis plus de 5 000 ans et au Proche et au Moyen-Orient
depuis au moins 3 000 ans. La transformation de ce rituel ancestral
en opération médicale de routine s’est amorcée à la fin du XIXe siècle,
alors qu’elle était préconisée pour des raisons (pseudo)médicales sans
cesse plus nombreuses, notamment comme moyen de lutter contre la
masturbation, les maux de tête, le strabisme, le prolapsus rectal,
l’asthme, l’énurésie et la goutte. Les taux de circoncision ont
commencé à chuter au XXe siècle, lorsque
des systèmes de santé de plus en plus nationalisés ont analysé les
coûts par rapport aux avantages
.
16. En 2006, l’Organisation mondiale de la Santé estimait qu’environ
30 % de la gente masculine dans le monde, soit quelque 665 millions
d’hommes, étaient circoncis
. Ils sont largement concentrés aux
Etats-Unis, au Canada, dans les pays du Proche et du Moyen-Orient
et de l’Asie à populations musulmanes, ainsi que dans de grandes
parties de l’Afrique. De plus, selon l’OMS, la prévalence de la
circoncision a continué de décliner en Europe pour atteindre aujourd’hui
moins de 20 % dans la majorité des pays. En Europe, la circoncision
néonatale est par conséquent essentiellement liée à des communautés
religieuses musulmanes ou juives, à des indications médicales ou
à l’immigration en provenance de pays où se pratique la circoncision
.
17. A l’heure actuelle, les musulmans continuent de considérer
la circoncision rituelle comme un rite pubère de passage à l’âge
adulte pour les garçons. Quant à la communauté juive, elle circoncit
généralement les nourrissons de sexe masculin au 8e jour
de leur naissance lors d’une cérémonie appelée «Brit milah», considérée
comme un rite d’initiation pour les bébés et un pacte avec Dieu
. La circoncision pratiquée pour raisons
médicales varie d’un pays à l’autre. Si la circoncision est vue
d’un œil critique et cède du terrain à des alternatives dans les
pays européens, elle continue d’être promue aux Etats-Unis.
2.1.2. Arguments fréquemment
invoqués en faveur de la circoncision et de son autorisation légale
18. Selon l’évaluation du Groupe de travail de l’
American Academy of Pediatrics (AAP)
sur la circoncision en 2012, les avantages sanitaires de la circoncision
des nouveau-nés l’emportent sur les risques. Parmi les avantages,
est citée la prévention contre les infections de l’appareil urinaire,
contre l’acquisition du VIH, contre la transmission de certaines
infections sexuellement transmissibles et contre le cancer pénien.
En conséquence, les Etats-Unis demeurent dans le monde occidental
parmi les pays où se pratiquent la plupart des circoncisions néonatales
(vers la fin du XXe siècle, jusqu’à 80 %
des garçons selon des facteurs géographiques, ethniques et socio-économiques,
bien que ce pourcentage ait nettement baissé ces dernières années)
.
19. Une évaluation tout aussi positive, bien que pour d’autres
raisons, est effectuée par l’OMS, qui voit une preuve incontestable
du fait que la circoncision réduit le risque d’infection VIH acquise
chez les hommes hétérosexuels d’environ 60 % et, par conséquent,
préconise la circoncision comme l’un des éléments d’un ensemble
de mesures de prévention contre le VIH (parmi d’autres mesures,
telles que l’utilisation correcte et régulière de préservatifs par
les travailleurs du sexe)
. L’OMS voit aussi dans la circoncision
un avantage sanitaire indirect pour les femmes – en particulier
pour réduire le risque d’exposition au VIH et à d’autres infections
sexuellement transmissibles, ainsi que les taux de cancer cervical
. Mais, de plus en plus, des experts
médicaux commencent à remettre en question les évaluations positives
de la circoncision comme facteur de réduction du risque d’infections
VIH
.
20. Dans le cadre religieux, la circoncision des jeunes garçons
est considérée comme partie intégrante et indispensable des rituels
religieux; elle est, depuis des siècles, perçue comme absolument
sans préjudice grave pour la santé des enfants si elle est pratiquée
selon les normes médicales et hygiéniques les plus rigoureuses.
De plus, la croyance (erronée) reste encore largement répandue,
également chez les communautés religieuses qui conservent leurs
rituels traditionnels, que les très jeunes enfants ne sont pas encore
aussi sensibles à la douleur que ceux plus âgés ou que les adultes,
et que leur douleur peut être atténuée par des crèmes anesthésiques.
21. Face aux arguments de ceux qui défendent le droit des enfants
à l’intégrité physique, les représentants religieux tendent généralement
à interpréter «l’intérêt supérieur de l’enfant» d’une matière plus
large, en tenant aussi compte des droits et pratiques en matière
de religion. Selon ce point de vue, il est jugé dans l’intérêt supérieur
de l’enfant de ne pas être discriminé ou marginalisé au sein de
sa propre communauté religieuse. Face aux efforts déployés pour
restreindre légalement la circoncision dans le cadre religieux – comme, récemment,
dans mon propre pays, l’Allemagne –, des communautés religieuses
mettent souvent en garde contre le «tourisme de la circoncision»
pratiqué par des parents qui se rendent dans des pays où ce type d’opération
est plus facilement accessible, mais pas toujours dans les conditions
les plus sécurisées pour l’enfant
. De mon point de vue de militante pour
les droits de l’enfant, ce sont là des arguments servant simplement
les adultes qui souhaitent éviter une confrontation avec la «face
sombre» de leurs propres religions, traditions et, finalement, identité.
Ces arguments font fi aussi bien des connaissances médicales actuelles
sur l’absence de nécessité et sur les conséquences de la circoncision,
que du fait que les enfants sont des sujets de droit et ne doivent
plus être ni objets ni victimes de pratiques nocives imposées par
des adultes.
2.1.3. Arguments contre
la circoncision en tant que pratique régulière
22. Déjà en 1949, le
British
Medical Journal concluait qu’il n’existait pas de justification
médicale à la circoncision néonatale régulière
. Du point de vue éthique, que je
tiens à soutenir avec le présent rapport, la circoncision infantile
pratiquée de manière régulière est de plus en plus considérée comme
une violation des droits humains de l’enfant, en particulier si
elle est effectuée par des personnes sans formation médicale et
en environnement non stérile (à la maison, dans un édifice religieux,
etc.), comme c’est souvent le cas dans le cadre religieux.
23. Des experts médicaux qualifiés ayant eux-mêmes pratiqué de
nombreuses circoncisions soulignent souvent qu’il ne faut sous-estimer
la fonction protectrice du prépuce, que toute circoncision est une
intervention gravissime qui implique toujours des coupures autour
de tout le pénis (comme le nom latin, «
circumcisio», l’indique)
et qui nécessite une anesthésie générale (pour les enfants plus
âgés ou les adultes). Il est prouvé que des circoncisions non professionnelles
peuvent provoquer des infections, des déviations d’organes, des perforations
de l’urètre et, finalement, des opérations supplémentaires, et que
même des bandages mal appliqués peuvent avoir des conséquences graves
– par exemple, tissus nécrosés et autres lésions irréversibles.
Certaines des complications sont souvent fatales. Bien entendu,
toutes les conséquences ou effets secondaires ne sont pas toujours
bien connus étant donné que ni le personnel médical ni les patients (ou
leurs familles) n’aiment guère parler des complications. Néanmoins,
en 2013, 38 professeurs a travers l’Europe et le Canada ont officiellement
contesté le nouveau «policy statement» publié par l’APP en 2012
(voir note de page 12)
.
24. De leur côté, les chirurgiens pédiatriques reconnus rétorqueront
qu’il ne faut pas surestimer les bienfaits de la circoncision néonatale:
certes, les nourrissons circoncis souffrent dix fois moins d’infections
urologiques durant leur première année, mais ce type d’infections
est généralement si rare – il faut 100 circoncisions pour prévenir
une seule infection – que, d’un point de vue statistique, elles
sont relativement négligeables. En outre, il est scientifiquement
prouvé que le système de suppression de la douleur chez les enfants
ne fonctionne pas avant quelques mois après la naissance, et que
le nouveau-né sent davantage la douleur qu’un adulte
. Des études médicales ont montré
que le traitement analgésique proposé aux petits enfants (trop jeunes
pour une anesthésie générale) ne produit généralement pas les effets
désirés et que, de toute façon, il est déconseillé chez les enfants
de moins de 12 ans.
La perception
accrue de la douleur chez les jeunes enfants et l’absence de traitement
efficace contre la douleur chez les nourrissons comptent, selon
moi, parmi les principaux arguments contre la circoncision chez
le jeune garçon, car il peut en résulter un traumatisme pour l’enfant.
25. Même dans le cadre religieux, l’on entend de plus en plus
de voix critiques. Ainsi celle de Victor Schonfeld, réalisateur
britannique et juif lui-même, qui a commencé d’adopter un point
de vue critique alors qu’on s’attendait à ce que son propre fils
se fasse circonscrire. Dans son célèbre film documentaire télévisé «
It’s a Boy» (c’est un garçon) – produit
au Royaume-Uni pour la chaîne de télévision Channel 4 en 1995 –, Victor
Schonfeld montre la souffrance d’un bébé juif, Joshua, qui est circoncis
selon le rituel juif traditionnel, c’est-à-dire sans anesthésie,
par un rabbin qui n’est pas médecin, dans des conditions non antiseptiques,
dont l’utilisation d’un ongle aiguisé et de la bouche du rabbin
. Le film montre aussi l’infection
grave qui atteint l’enfant quelques jours plus tard à la suite de
l’opération, et l’extrême pression sociale exercée sur les parents: tandis
que le père avait essayé, vainement, de s’opposer à l’opération,
la présence de la mère n’avait pas été autorisée, ni durant l’opération
elle-même ni pour les soins de suite apportés à son fils. Le documentaire présente
également l’interview d’une jeune mère dont le fils est mort à la
suite de l’opération quelques jours après la naissance.
26. Sans cesse plus conscients des risques sous-estimés de telles
interventions – surtout lorsqu’elles sont menées sans professionnels
médicaux –, du fait que la circoncision des nouveau-nés n’est pas
médicalement nécessaire et de la pression qui leur est imposée,
de plus en plus de familles juives semblent aujourd’hui remettre
en question le rituel traditionnel de la circoncision.
Ainsi des initiatives telles que
le
Jewish Circumcision Resource Center,
créé par des juifs qui remettent en cause la circoncision rituelle
et «qui, en général, évaluent une idée non seulement en fonction
de sa conformité à la Torah, mais aussi de son accord avec la raison
et l’expérience». Ils appellent ouvertement les juifs à écouter
et à sentir la douleur intense des enfants, et la douleur niée par
les adultes qu’ils deviennent, afin de comprendre que la circoncision
ne sert pas nécessairement l’intérêt supérieur de l’enfant ou de
la communauté des juifs
.
27. Le débat est de nature légèrement différente dans la communauté
musulmane où les garçons sont généralement circoncis à un âge plus
élevé, par des professionnels médicaux et dans des conditions sanitaires plus
acceptables y compris avec des anesthésies adéquates. Néanmoins,
la tradition est aussi de plus en plus mise en cause par les membres
de la communauté musulmane, et les conséquences à long-terme physiques et
psychologiques pour les garçons et les hommes ayant été soumis à
cette atteinte à leur intégrité physique, sont certainement les
mêmes que dans d’autres contextes. Des musulmans critiques précisent
régulièrement qu’aucune sourate du Coran n’indique une obligation
à la circoncision, mais que la référence principale sont les
hadiths, provenant des paroles de
prophètes qui mentionnent la circoncision comme «une obligation
à imiter». Cependant, jusqu’à aujourd’hui, les scientifiques islamistes
sont divisés concernant la question de savoir si la circoncision
est réellement une obligation ou une simple recommandation
.
28. Tout cela montre qu’aussi bien des professionnels médicaux
que des communautés religieuses sont de plus en plus conscientes
du tort considérable infligé aux enfants par la pratique de la circoncision,
notamment lorsqu’appliquée de manière traditionnelle et régulière.
La société doit lancer de nouveaux projets de recherche sur la nécessité
de la circoncision en tant qu’intervention médicale, et engager
un réel dialogue avec les communautés religieuses pour sensibiliser
à ce que signifie vraiment la circoncision pour l’intégrité physique
et la vie des garçons et des hommes, ainsi que pour favoriser le
développement d’alternatives qui, dans bien des cas et des contextes,
existent bel et bien.
2.1.4. Existence d’alternatives
29. En réalité, c’est souvent à la famille de décider
au nom de son fils qui, lui, ne peut encore s’exprimer, si une circoncision
doit avoir lieu. D’où l’importance évidente d’apporter aux familles
des arguments «pour et contre la circoncision» de manière aussi
complète et transparente que possible et de les accompagner dans un
choix difficile, que ce soit dans le cadre médical ou religieux.
30. Dans le cadre médical, l’on constate de plus en plus que l’opération
est souvent appliquée trop rapidement sans suffisamment envisager
d’alternatives. Parmi ces alternatives et pour différents problèmes urologiques
(tels que le phimosis), on peut, par exemple, trouver des traitements
par stéroïdes topiques et des types d’opérations du prépuce sans
ablation totale du prépuce. Les pédiatres et les urologues doivent
donc recevoir une formation adéquate sur les pathologies pouvant
indiquer une circoncision; par exemple, lorsqu’il s’agit de distinguer
entre phimosis physiologique – prévalent chez plus de 90 % des garçons
nouveau-nés et très souvent guéri dès l’âge de trois ans avec un
traitement spécifique – et phimosis pathologique, pouvant exiger
des mesures plus importantes mais pas nécessairement dès la naissance
.
31. Dans le cadre religieux, des rituels alternatifs sont déjà
souvent envisagés. Ils peuvent prévoir d’autres éléments cérémoniels
plus respectueux de l’enfant et de la communauté. Un rituel alternatif,
parfois appelé «cérémonie de nomination» ou «
bris
shalom», peut être ou non mené par un rabbin. Pour souligner l’acceptabilité
de tels rituels, des juifs critiques rappellent que, bien souvent
déjà, les circoncisions juives ne respectent pas les principes religieux
si elles sont effectuées en milieu hospitalier. En outre, le rituel
religieux devrait être pratiqué avec la mentalité qui convient.
Or, tel n’est pas le cas si la circoncision se déroule dans un climat
émotionnel de conflit où affleurent réticence et regret. Enfin,
le recours à un rituel alternatif offre un autre avantage pour lequel
on constate un intérêt grandissant de la part des communautés juives:
il peut servir à tous les enfants, garçons et filles confondus
.
2.1.5. Diverses conditions
et actions nécessaires autour de la circoncision
32. Dans certains pays, l’on s’accorde largement sur
la nécessité de normes minimales garantissant que la circoncision
est pratiquée dans de bonnes conditions sanitaires. Même les partisans
radicaux de l’opération –tels
l’American
Academy of Pediatrics (AAP, voir plus haut) – exigent
généralement une formation adéquate des praticiens de la circoncision,
l’emploi de techniques de stérilisation et l’application de techniques
efficaces de gestion de la douleur
. De surcroît,
l’AAP recommande vivement de développer des normes et des formations
médicales en ce qui concerne la circoncision, d’élaborer du matériel
pédagogique à l’intention des professionnels et des parents (des
enfants circoncis ou non circoncis), mais aussi que les médecins conseillent,
en toute impartialité, les familles sur les avantages et les risques
potentiels et les informent sur le caractère facultatif de l’intervention
pour laquelle il existe aujourd’hui de multiples alternatives
.
33. En tant que rapporteure, je suis au regret d’avoir à dire
que de telles mesures ne sont pas encore systématiquement appliquées
dans mon propre pays, l’Allemagne. Aujourd’hui, il arrive que la
circoncision en tant que rituel religieux se déroule entièrement
en dehors du système médical, à la maison ou dans des édifices religieux.
Selon la toute dernière révision de la loi civile allemande telle
que modifiée le 20 décembre 2012, la circoncision des nourrissons
est à présent expressément autorisée si elle ne met pas en péril
le bien-être de l’enfant et si elle est pratiquée «dans les règles
de l’art médical». Au cours des six premiers mois suivant la naissance
d’un enfant, la circoncision peut être pratiquée par des représentants
religieux qualifiés mais non médecins
. Une proposition alternative déposée
par moi-même et un groupe de parlementaires, recommandant qu’avant
l’opération l’enfant ait atteint l’âge de 14 ans, donné son consentement
et que la circoncision soit toujours effectuée par un chirurgien
pédiatrique ou un urologue, n’a malheureusement pas été approuvée
par une majorité au Parlement allemand (Bundestag).
34. Des faits présentés ci-dessus, pour ou contre la circoncision
des jeunes garçons, j’aimerais conclure que – dans l’état actuel
des connaissances médicales – l’opération n’est pas aussi inoffensive
que beaucoup le pensaient ou continuent de le croire, mais peut
avoir de graves conséquences à court et long terme sur la santé et
le bien-être des garçons et des hommes. Bien qu’elle se pratique
depuis des milliers d’années, la circoncision doit donc être aujourd’hui
sérieusement remise en question, tant dans le cadre médical que religieux.
Il existe bel et bien des alternatives, qu’il faut promouvoir chaque
fois que possible: si la circoncision paraît indiquée pour des raisons
médicales, sa nécessité doit être soigneusement examinée au cas
par cas; dans le cadre religieux, les familles doivent être systématiquement
et pleinement informées sur les risques de l’opération et sur toutes
les alternatives.
2.2. Mutilations génitales
féminines (MGF)
35. Selon les normes européennes, telles que la «Convention
d’Istanbul» du Conseil de l’Europe (Convention sur la prévention
et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence
domestique, STCE n° 210) et les défenseurs des droits humains de
toute l’Europe, les mutilations génitales féminines (MGF) figurent
parmi les plus graves violations des droits humains des filles et
des femmes, au même titre que la violence domestique, les abus sexuels,
l’avortement de fœtus de sexe féminin pour des raisons culturelles, les crimes
dits «d’honneur», ou encore la traite des êtres humains. De nombreuses
organisations non gouvernementales (ONG), comme
Terre des Femmes dans mon pays,
l’Allemagne, viennent en aide aux filles et aux femmes pour veiller
à ce qu’elles soient protégées contre la violence, qu’elles puissent
décider par elles-mêmes quant à leur sexualité et la reproduction
et avant tout pour les protéger de mutilations physiques graves non
justifiées d’un point de vue médical
.
36. Les mutilations génitales féminines, selon la définition de
l’OMS, recouvrent toutes les interventions incluant l’ablation partielle
ou totale des organes génitaux de la femme ou autre lésion des organes
génitaux féminins pratiquées pour des raisons non médicales. Le
terme employé par l’Unicef, plus large, inclut également la notion
d’«excision» pour désigner la «mutilation génitale féminine/excision
(MGF/E)». Cette définition tient compte du fait que des approches
communautaires et, par conséquent, des notions qui portent moins
à juger s’imposent parfois
. Pour le présent rapport,
je m’en tiendrai à la notion plus restrictive mais qui qualifie
clairement les MGF de violation de l’intégrité physique et des droits
humains des filles.
37. L’OMS fait actuellement la distinction entre quatre grands
types de MGF:
- clitoridectomie:
ablation partielle ou totale du clitoris (petite partie sensible
et érectile des organes génitaux féminins) et, plus rarement, seulement
du prépuce (repli de peau qui entoure le clitoris);
- excision: ablation partielle ou totale du clitoris et
des petites lèvres, avec ou sans excision des grandes lèvres (qui
entourent le vagin);
- infibulation: rétrécissement de l’orifice vaginal par
la création d’une fermeture réalisée en coupant et en repositionnant
les lèvres intérieures (ou extérieures), avec ou sans ablation du
clitoris;
- autres: toutes les autres interventions néfastes au niveau
des organes génitaux féminins à des fins non médicales, par exemple,
piquer, percer, inciser, racler et cautériser la zone génitale .
38. Les MGF sont pratiquées, en particulier, dans certaines parties
de l’Afrique, de l’Asie et du Proche et du Moyen-Orient. Environ
140 millions de jeunes filles et de femmes dans le monde vivraient
actuellement avec les séquelles de ces mutilations sexuelles, dont
92 millions de jeunes filles âgées de dix ans et plus dans la seule
Afrique. Les MGF se rencontrent de plus en plus également en Europe.
Dans ce cas, en général, les filles et les femmes sont emmenées
dans leurs pays d’origine durant les congés scolaires et y sont
confrontées à la pression de l’excision. Le Parlement européen estime
que 500 000 jeunes filles et femmes vivant en Europe souffrent toute
leur vie des séquelles de mutilations génitales féminines
. Toujours à propos de l’Allemagne,
Terre des Femmes estime que plus
de 20 000 migrants sont concernés et que plus de 5 000 filles risquent
actuellement de subir des MGF dans un avenir proche, alors que 43 %
des gynécologues en Allemagne ont déjà examiné une femme concernée
.
39. Selon l’OMS, les MGF sont le produit de divers facteurs culturels,
religieux et sociaux au sein des familles et des communautés. Là
où les MGF relèvent d’une convention sociale, la pression sociale
qui incite à se conformer à ce que font ou ont fait les autres constitue
une forte motivation pour perpétuer cette pratique. Les mutilations
sexuelles féminines sont souvent considérées comme faisant partie
de la nécessaire éducation d’une jeune fille et de sa préparation
à l’âge adulte et au mariage. Les MGF sont souvent motivées par
des croyances relatives à ce qui est considéré comme un comportement
sexuel approprié, c’est-à-dire que ces pratiques ont à voir avec
la virginité prénuptiale et la fidélité conjugale. Selon les croyances
de nombreuses communautés, les MGF réduiraient la libido féminine,
ce qui aiderait les femmes à résister aux actes sexuels «illicites».
Bien qu’aucun texte religieux ne prescrive cette intervention, les
praticiens pensent souvent qu’elle a un fondement religieux
.
40. Les MGF, qui, dans certains contextes culturels, sont pratiquées
le plus souvent sur des jeunes filles entre l’enfance et l’âge de
15 ans, ne présentent absolument aucun avantage pour la santé, mais
sont connues pour avoir des conséquences physiques et psychologiques
sur les jeunes filles et femmes concernées
. Parmi
les conséquences immédiates, citons de graves hémorragies, des problèmes
urinaires ou, parfois même, la mort de la jeune fille mutilée
.
Quant aux effets à long terme, ils comprennent douleurs chroniques, infections
pelviennes, abcès et ulcères génitaux, formation excessive de tissus
cicatriciels, infections du système reproducteur, diminution du
plaisir sexuel et rapports sexuels douloureux. Les séquelles sur
la santé perdurent, par conséquent, durant toute la vie de la femme,
produisant souvent des traumatismes répétés lorsque celle-ci est
sur le point d’accoucher. Par ailleurs, les mutilations génitales
féminines sont manifestement liées à une plus forte mortalité maternelle
et infantile
. Du fait de ces conséquences graves, les
MGF sont largement reconnues comme une violation des droits humains.
41. Dans la grande majorité des cas (environ 80 %), les jeunes
filles et les femmes sont excisées dans des conditions d’hygiène
médiocres par un praticien traditionnel, catégorie qui inclut des
spécialistes locales (exciseuses), des accoucheuses traditionnelles
et, le plus souvent, des membres plus âgés de la communauté (généralement
des femmes). Dans presque tous les pays, le personnel médical (médecins,
infirmières et sages-femmes qualifiées) n’est guère impliqué dans
la pratique, bien que la «médicalisation» des MGF, où les excisions
sont effectuées par un personnel formé, semble progresser. D’après
l’Unicef, cette tendance pourrait refléter l’impact des campagnes
qui mettent l’accent sur les risques sanitaires associés à la pratique,
mais qui ne parviennent pas à influer sur les motivations culturelles
sous-jacentes qui la perpétuent
.
42. La plupart des MGF étant encore pratiquées par des femmes,
celles-ci sont aussi des acteurs clés dès lors qu’il s’agit de sensibiliser
à la nécessité de protéger l’intégrité physique des jeunes filles
et d’abolir ces pratiques traditionnelles néfastes que, elles-mêmes,
elles ont subies dans l’enfance et qu’elles perpétuent sur leurs
propres filles. L’âge moyen auquel les filles sont soumises à des
mutilations génitales féminines semble être en baisse, peut-être
parce qu’il est souvent plus facile de cacher une pratique aujourd’hui
illégale dans un nombre croissant de pays.
43. La pratique cruelle des MGF viole un certain nombre de droits
humains:
droit à l’intégrité
physique et mentale; droit au meilleur état de santé susceptible
d’être atteint; droit de ne subir aucune forme de discrimination
à l’encontre des femmes (y compris la violence à l’égard des femmes);
droit de ne pas être soumis à la torture ni à des peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants; droits de l’enfant; et, dans des
cas extrêmes, droit à la vie. De nombreuses organisations internationales
et agences de protection de l’enfant, dont l’Union européenne, des
organismes des Nations Unies et de multiples ONG, ont commencé à agir
contre les mutilations génitales féminines. Amnesty International
a lancé la campagne européenne «END FGM» (Halte aux mutilations
génitales féminines) en 2009 pour assurer que l’Union européenne
et ses gouvernements nationaux agissent aujourd’hui pour mettre
fin à cette pratique et pour protéger les femmes et les jeunes filles
.
44. L’Assemblée parlementaire a adopté son premier rapport sur
les mutilations génitales féminines en 2001, les condamnant sans
équivoque comme torture et traitement inhumain et barbare des jeunes
filles et des femmes et comme violation des droits humains et de
l’intégrité corporelle, invitant ainsi les gouvernements des Etats
membres du Conseil de l’Europe, dans sa
Résolution 1247 (2001), à prendre des mesures fermes contre ces mutilations
à différents niveaux (législatif, judiciaire, politique, éducatif,
etc.). A l’heure actuelle, l’Assemblée poursuit son action contre
les mutilations génitales féminines dans le cadre de ses activités
visant à promouvoir la Convention du Conseil de l’Europe sur la
prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et
la violence domestique (Convention d’Istanbul) qui condamne clairement
les mutilations génitales féminines et qui établit une législation
extraterritoriale pour ce type de délit. La Convention d’Istanbul,
ouverte à la signature le 5 mai 2011 (mais pas encore entrée en
vigueur), condamne sans équivoque les mutilations génitales féminines
dans son article 38, en pénalisant cette pratique ou tout comportement
incitant à cette pratique ou contraignant une fille à la subir.
Le 6 février 2013, une déclaration commune en l’honneur de la Journée
internationale de tolérance zéro face aux mutilations génitales
féminines a été publiée par José Mendes Bota (Portugal, PPE/DC),
rapporteur général sur la violence à l’égard des femmes, et par
moi-même, en tant que rapporteure générale sur les enfants pour
l’Assemblée parlementaire.
45. Juan E. Méndez, Rapporteur spécial des Nations Unies sur la
torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
souligne régulièrement que les MGF/E équivalent à la torture et
à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants tels
qu’énoncés aux articles 1 et 16 de la Convention des Nations Unies
contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants (CAT). Selon lui, de nombreux Etats où sont pratiquées
les mutilations génitales féminines, notamment ceux où vivent des communautés
immigrées, ont adopté des lois interdisant spécifiquement cette
pratique, ou appliquent des dispositions générales de leur code
pénal
.
46. Il n’en demeure pas moins que la pratique et l’acceptation
sociale des mutilations génitales féminines persistent dans de nombreux
pays, et que les mécanismes permettant de faire appliquer l’interdiction
font souvent défaut. Ainsi une interdiction officielle des MGF par
voie législative ne suffit pas pour conclure à une protection effective
par l’Etat. Les Etats se voient contraints de prendre des mesures
effectives et adéquates pour éradiquer les MGF – par exemple, interdiction
par voie législative, renforcée par des sanctions, de toutes les
formes de MGF, à tous les niveaux d’administration, y compris des
installations médicales.
47. Non seulement les Etats doivent veiller à ce que les auteurs
soient dûment poursuivis en justice et sanctionnés, mais il leur
faut aussi sensibiliser et mobiliser l’opinion publique contre les
MGF, en particulier dans les communautés où cette pratique reste
monnaie courante. Les Etats doivent aussi veiller à ce que les victimes
de torture ou autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants obtiennent réparation, reçoivent une indemnisation juste
et adéquate et, enfin, bénéficient d’une réadaptation spécialisée
(sociale, psychologique, médicale et autre) appropriée
.
48. Ce n’est pas parce que les mutilations génitales féminines
sont essentiellement pratiquées sur d’autres continents que l’Europe,
que les responsables européens ne doivent pas se sentir concernés
par la question. Les faits montrent que, face à un monde globalisé
et à des flux migratoires accrus, les jeunes filles se trouvent confrontées
à cette violation des droits humains dans de nombreux pays, même
si l’opération elle-même a parfois lieu à l’étranger, dans les pays
d’origine des familles. En outre, l’excision des organes génitaux
féminins semble prendre des proportions accrues en Europe et elle
est ouvertement promue par certains médias. En particulier, la réduction
des petites lèvres et le rétrécissement de l’ouverture vaginale
sont régulièrement présentés comme des interventions aux résultats
bénéfiques en termes d’esthétique et de sexualité. Les jeunes filles
doivent être informées, par le biais d’une éducation sexuelle dans
la famille ou à l’école que, serait-il à la mode, ce type d’opération
peut avoir des conséquences graves et irréversibles sur leur santé
.
En ce qui concerne les mutilations génitales féminines, les familles
migrantes et les femmes en particulier doivent être convaincues
à épargner leurs filles de telles procédures et mutilations douloureuses
et inutiles.
2.3. Opérations d’assignation
sexuelle sur des enfants intersexués
49. Le terme «intersexué» désigne des caractéristiques
sexuelles anatomiques internes et/ou externes atypiques, les fonctions
habituellement considérées comme masculines ou féminines pouvant
se trouver plus ou moins combinées. Il s’agit d’une variation survenant
naturellement chez l’être humain et non d’un état de santé. Elle
est à distinguer de la transsexualité, phénomène par lequel un individu
(femme ou homme) a un sexe évident, mais a le sentiment d’appartenir
à l’autre sexe et, par conséquent, est disposé à subir une intervention
médicale modifiant son sexe naturel. La notion d’intersexué, en
revanche, ne permet pas d’établir s’il faut parler d’un troisième
sexe (situé entre les deux autres), ou renoncer simplement à l’indication
claire d’un sexe ou de l’autre.
50. Depuis la fin des années 1950, d’abord aux Etats-Unis, les
nourrissons et les enfants intersexués étaient de plus en plus soumis
à des chirurgies esthétiques visant à assurer que leur apparence
génitale et leurs gonades internes étaient conformes au genre attribué,
interventions accompagnées d’un traitement hormonal. Ce type de
traitement se justifiait par l’hypothèse que les enfants et/ou les
adultes intersexués auraient à faire face à des comportements discriminatoires
du fait de leurs différences corporelles, ce qui n’était pas nécessairement
vrai car les différences ne sont pas toujours évidentes ou visibles
.
51. Au début des années 1990, de nombreux adultes intersexués
ont dit haut et fort que ces pratiques médicales leur avaient été
extrêmement néfastes, tant sur le plan physique que psychologique.
Ce débat public a été engagé à une époque où les personnes intersexuées
se sont regroupées pour la première fois au sein de l’
Intersex Society of North America (INSA)
en 1990. Aujourd’hui, les organisations de défense pertinentes recommandent
fortement d’éviter les opérations génitales et d’autres formes de
traitement tant que l’enfant n’est pas en mesure de pleinement participer
à la prise de décision
. A la fois
pour des raisons légales et éthiques, il convient de différer la
détermination du sexe jusqu'à un âge où les individus concernés
peuvent prendre eux-mêmes des décisions en toute connaissance de
cause.
52. En Allemagne, le ministère de l’Education et de la Recherche
et celui de la Santé ont, conjointement, chargé le Conseil d’éthique
allemand (Deutscher Ethikrat)
en 2010 d’examiner la situation des personnes intersexuées sur la
base d’une invitation du Comité des Nations Unies pour l’élimination
de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), qui avait prié
les autorités allemandes de prendre les mesures indiquées pour protéger
les droits humains des personnes intersexuées. Les opérations de
conversion sexuelle réalisées sans le consentement de la personne
concernée sont en particulier de plus en plus perçues comme une
violation des droits individuels étant donné que ceux-ci couvrent
le droit de vivre sa vie selon l’identité sexuelle subjectivement
perçue.
53. Les organisations de défense critiquent par ailleurs la perception
d’un état intersexué en tant que pathologie et plaident pour qu’elle
soit perçue comme une variation sexuelle individuelle et une situation médicalement
complexe. La terminologie employée fait apparaître des perceptions
différentes: parmi les personnes intersexuées elles-mêmes, cette
notion même est controversée, tandis qu’aujourd’hui de nombreux experts
utilisent la notion internationalement reconnue de DSD, qui signifiait
initialement «troubles du développement sexuel» mais qui est actuellement
de plus en plus comprise dans le sens de «différences» ou de «variations
du développement sexuel». Sans examiner de manière approfondie la
question des différentiations médicales et des manifestations de
caractéristiques intersexuées quelles qu’elles soient, on peut juste
dire que ces termes englobent de manière générale des troubles endocriniens
et métaboliques d’une part, et des malformations congénitales et
des anomalies chromosomiques d’autre part. Notamment, le terme englobe
également ce qu’il convient d’appeler le syndrome adrénogénital
(SAG) qui touche les filles et les femmes et se traduit par des
aspects masculins de leurs organes génitaux externes, bien qu’elles
soient des femmes sur le plan génétique. Selon la principale organisation
de personnes intersexuées en Europe, l’Organisation Internationale
des Intersexués (OII), «intersexe ou intersexué» sont les meilleures
manières qui soient, les plus simples et les moins stigmatisantes,
de décrire des caractéristiques sexuelles atypiques
.
54. Il ressort de plusieurs études empiriques réalisées en Allemagne
que, jusqu’à présent, 96 % de l’ensemble des personnes intersexuées
relevant de différentes catégories avaient reçu un traitement hormonal.
64 % des personnes concernées avaient subi une gonadectomie, 38 %
une réduction de leur clitoris, 33 % des opérations vaginales et
13 % une correction de leurs voies urinaires. Un grand nombre d’entre
elles avaient subi toute une série d’opérations et avaient été confrontées
à des complications postopératoires. Le traitement qui leur était
infligé était traumatisant et comprenait souvent des interventions humiliantes
comme le fait d’être exposées devant d’importants groupes de professionnels
de la médecine et d’étudiants s’intéressant à ce curieux phénomène.
Pour de nombreuses personnes concernées, les interventions liées
à leur syndrome ont eu des conséquences à long terme sur leur santé
mentale et leur bien-être
.
55. Certains peuvent se demander pourquoi, face au nombre relativement
peu élevé d’enfants concernés par ce phénomène, il suscite autant
l’attention du grand public. Il est vrai que, d’un point de vue
statistique, peu de personnes sont concernées par les conditions
intersexuées
. Pour la Suisse par exemple, la
Commission consultative nationale d’éthique biomédicale, dans son
avis n° 20/2012 sur le «Traitement des variations du développement
sexuel», estime qu’entre 20 et 30 enfants par an sont nés sans assignation
sexuelle évidente
. Des estimations de l’organisation OII
Europe indiquent que le phénomène d’intersexe concerne entre 1 %
et 2 % de la population
. Quoi
qu’il en soit, lorsque ces conditions apparaissent, elles ont une incidence
considérable sur la vie de la personne, notamment si des opérations
de conversion sexuelle sont entreprises dès son jeune âge et sans
son consentement. Outre des complications médicales et des souffrances
ultérieures, il arrive que le «mauvais» sexe, qui ne correspond
pas à leur ressenti, ait été assigné à de jeunes enfants.
56. Il ressort des enquêtes empiriques susmentionnées que certaines
personnes touchées par le syndrome adrénogénital considèrent qu’il
peut être utile de réaliser des opérations dès le plus jeune âge,
alors que la plupart des personnes présentant d’autres caractéristiques
intersexuées estiment qu’il est important que les opérations soient
réalisées à un âge où les enfants peuvent donner leur consentement.
Aussi convient-il de combler des vides juridiques dans la majorité
des pays, maintenant que sont disponibles des connaissances médicales
plus complètes sur le phénomène, et notamment de faire la distinction
entre les rares cas dans lesquels des opérations dès le plus jeune
âge sont acceptables ou indiquées et le grand nombre de cas dans lesquels
les enfants concernés doivent participer aux décisions concernant
leur sexe afin d’être entendus sur leurs perceptions et sentiments
personnels. Enfin, des informations et des formations spécifiques
doivent être destinées aux familles d’enfants intersexués, aux professionnels
de la médecine de différentes catégories et au personnel chargé
de la garde des enfants, pour leur permettre de gérer la situation
des enfants intersexués de la manière la plus adaptée.
2.4. Autres violations
de l’intégrité physique des enfants
57. Les interventions mentionnées plus haut comptent
certainement parmi les atteintes les plus importantes à l’intégrité
physique des enfants, même si leur degré de gravité varie selon
leur expression spécifique et le contexte dans lequel elles se produisent.
Beaucoup d’entre elles sont le fait de familles qui n’ont jamais
connu autre chose que ces pratiques, qui ont de bonnes intentions
en principe ou qui ne sont pas suffisamment informées des risques
liés aux pratiques décrites.
58. D’autres violations de l’intégrité physique des enfants, la
plupart ayant une incidence mineure, peuvent survenir en dehors
de ces principales catégories, par exemple les piercings et tatouages,
ainsi que la chirurgie esthétique, pratiquées sur des enfants de
manière irresponsable, ou autorisés par des parents sans que les enfants
aient été informés des risques encourus.
59. En Allemagne, une affaire récente a attiré l’attention sur
la responsabilité des parents même en cas de petites interventions
comme le perçage des oreilles: une petite fille de 3 ans qui s’était
fait percer les oreilles dans un salon de tatouage à Berlin avait
souffert pendant plusieurs jours après l’intervention. Lorsque les parents
ont attaqué le propriétaire du salon en justice (lequel a finalement
été condamné à verser des indemnités d’un montant de 70 euros),
les juges se sont plutôt demandé si les parents avaient agi de manière responsable.
Le débat que cette affaire a suscité montre que même des interventions
mineures de ce genre sont loin de faire l’unanimité. Alors que les
personnes qui proposent des services de perçage des oreilles, y compris
sur des enfants, considèrent qu’il s’agit d’une intervention mineure,
les experts médicaux consultés dans ce contexte ont affirmé que
des boucles d’oreilles portées par de petits enfants portaient atteinte
à leur intégrité physique, qu’elles sont surtout censées faire plaisir
aux parents et que les enfants devraient décider eux-mêmes de tels
ornements ou modifications physiques à l’âge auquel ils deviennent
juridiquement responsables (c’est‑à-dire 14 ans en Allemagne)
.
60. De même, la chirurgie plastique pratiquée sur les enfants
a fait l’objet de débats controversés ces dernières années. Dans
ce contexte, il sera tout d’abord important de faire la différence
entre des opérations médicalement ou psychologiquement indiquées,
comme la réparation de lésions corporelles après des accidents graves
ou la correction d’oreilles proéminentes, et des opérations pratiquées
pour des raisons purement esthétiques ou pour échapper à des brimades
à l’école, comme une augmentation mammaire sur des mineures ou des
tatouages importants
. Il sera ensuite essentiel de protéger
les mineurs de décisions irresponsables prises par leurs parents
dans ce contexte et de sensibiliser le personnel médical et les prestataires
de services pour qu’ils ne pratiquent pas ces interventions sur
de jeunes enfants
.
61. Enfin, des communautés religieuses isolées, telles que les
Témoins de Jéhovah, préconisent l’omission de certains traitements
médicaux, en particulier les transfusions sanguines, ce qui peut
représenter de graves risques sanitaires chez les enfants ayant
besoin de ces traitements. Compte tenu des critères appliqués ici, cette
situation doit aussi être perçue comme une atteinte abusive à l’intégrité
physique des enfants qui jouissent du plein droit au meilleur état
de santé susceptible d’être atteint, au même titre que n’importe
quel autre être humain. Il s’agit d’une situation complexe qui devrait
être considérée au cas par cas. Une affaire qui s’est récemment
produite au Royaume-Uni a démontré que ce ne sont pas toujours les
parents qui décident de s’opposer à ces interventions mais les enfants
eux‑mêmes, sous l’influence des croyances sectaires que leurs parents
leur ont inculquées: en 2010, un adolescent Témoin de Jéhovah a
refusé la transfusion sanguine conseillée par les médecins et, sa
famille ne s’étant pas opposée à son choix, il est finalement décédé
à l’âge de 15 ans
.
62. Ces cas créent une situation juridique complexe: alors qu’un
médecin pourrait être assigné en justice pour non-assistance à personne
en danger, les médecins qui administrent du sang malgré le refus
d’un patient pourraient aussi être jugés comme agissant illégalement.
Certains ont déjà été amenés à comparaître devant un tribunal pour
obtenir la permission d’administrer du sang à des enfants contre
la volonté des parents qui sont Témoins de Jéhovah. Eu égard à cette
complexité éthique et juridique, il est donc de la plus haute importance,
dans le contexte national, de sensibiliser l’opinion publique à
cette violation spécifique des droits humains qui porte atteinte
au droit le plus fondamental des enfants à la vie.
3. Conflit et équilibre
entre différentes catégories de droits humains
63. Nous l’avons vu, les réponses politiques et juridiques
apportées aux situations susmentionnées sont très complexes et varient
d’un pays à l’autre. Toutes les situations nationales ont leurs
propres règles et leur propre complexité, dont il convient de tenir
compte lors de l’élaboration de stratégies nationales de protection
de l’intégrité physique des enfants.
64. En qualité de rapporteure du présent rapport, je considère
que les plus hautes normes en matière de protection de l’enfance,
de droits humains à la vie, à la sécurité et au «meilleur état de
santé susceptible d’être atteint», sont bien évidemment les priorités
et les «critères» applicables universellement dès lors qu’il s’agit
de la question du droit de l’enfant à l’intégrité physique. Elles
sont clairement énoncées dans la Convention des Nations Unies relative
aux droits de l’enfant (CNUDE), dans la Déclaration universelle
des droits de l’homme de 1948, ainsi qu’en préambule à la Constitution
de l’Organisation mondiale de la santé, comme indiqué dans l’introduction.
65. Toutefois, je n’ignore pas qu’il pourrait y avoir des catégories
de droits humains qui soient contradictoires avec celles susmentionnées:
ainsi le droit au respect de la vie privée et familiale ou le droit
à la liberté de pensée, de conscience et de religion, tels que respectivement
établis par les articles 8 et 9 de la Convention européenne des
droits de l’homme (STE n° 5). Les deux articles prévoient respectivement
qu’«il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice
(du droit au respect de la vie privée et familiale), et que «le droit
à la liberté de pensée, de conscience et de religion (…) ne peut
faire l’objet d’autres restrictions que celles qui (…) constituent
des mesures nécessaires (…) à la protection des droits et des libertés
d’autrui».
66. En d’autres termes, cela signifie que le droit parental à
une vie privée et familiale et le droit des parents à la liberté
de pensée, de conscience et de religion peuvent être limités dans
la mesure où la protection des droits des enfants l’exige. Même
si nous ne devons pas établir une hiérarchie abstraite des droits
humains jugeant «l’intérêt supérieur de l’enfant» indépendamment
d’une situation spécifique, j’aimerais insister sur le fait que
l’intégrité physique des enfants est une valeur qui ne devrait pas
être minimisée trop facilement. Chaque adulte qui a, d’une manière
ou d’une autre, du pouvoir ou une influence sur l’intégrité physique
d’un enfant, que ce soit en tant que parent, médecin ou représentant
religieux, devrait tout d’abord se sentir responsable pour protéger
l’enfant contre des atteintes physiques et morales. Tout particulièrement
à la lumière de la connaissance actuelle des conséquences des pratiques
mentionnées, telles que la circoncision médicalement injustifiée,
les MGF ou les opérations de détermination sexuelle sur des enfants
intersexués, les adultes devraient sérieusement se demander si leur
liberté de pensée, de conscience et de religion doit valoir davantage
que l’intégrité physique et le bien-être de leur propre enfant.
67. Néanmoins, je comprends aussi tout à fait que les familles
puissent subir une pression sociale dans leurs propres cadres culturels
et religieux qui, tout simplement, ne leur permet pas de renoncer
à des rituels très anciens du jour au lendemain ou qui les conduit
à prendre des décisions au nom de leur enfant qu’elles pensent être
dans son intérêt supérieur. Dans ce type de situations, les parents
doivent disposer d’une quantité maximale d’informations, recevoir
conseils et soutien, et se voir proposer des solutions alternatives
leur permettant de protéger leurs enfants contre toute atteinte
physique et conséquences définitives sur la santé. Je suis convaincue
que, si on leur donnait le choix, les enfants décideraient de ne
pas subir une intervention médicale qui ne leur soit pas entièrement
bénéfique. Aussi leurs parents doivent-ils se faire les porte-parole
de leurs enfants, exprimer ce que leurs enfants souhaiteraient pour
leur propre développement.
4. Conclusions
et recommandations
68. Grâce aux multiples efforts et années d’engagement
des militants pour la protection de l’enfance, ainsi qu’à la reconnaissance
générale de la vulnérabilité des enfants et de leurs besoins de
protection spéciaux, les droits de l’enfant se trouvent aujourd’hui
déjà garantis dans maintes situations et de multiples manières partout en
Europe. Toutefois, les enfants sont encore victimes de violence
et d’abus dans différents cadres, c’est pourquoi il est de la plus
haute importance de poursuivre et de renforcer l’action juridique
et politique.
69. Dans cette perspective, nous devons faire la distinction entre
certaines des pratiques concernant l’intégrité physique des enfants
décrites précédemment. A n’en pas douter, il faut établir une démarcation
nette entre la circoncision, qui peut présenter certains avantages
médicaux pour les garçons et les hommes, et les mutilations génitales
féminines (MGF) qui, à l’évidence, n’ont absolument aucun avantage
médical mais sont une pratique visant à contrôler le comportement
sexuel des jeunes filles et des femmes tout au long de leur vie.
70. Dès lors qu’il s’agit de protéger l’intégrité physique des
enfants, le cadre juridique de référence est très clair: la Déclaration
universelle des droits de l’homme détermine que «tout individu a
droit à la vie, à la liberté et la sûreté de sa personne» (article
3) et que «nul ne sera soumis à (…) des traitements dégradants (…)» (article
5), tandis que l’article 24, paragraphe 3 de la CNUDE prévoit que
«les Etats parties prennent toutes les mesures efficaces appropriées
en vue d’abolir les pratiques traditionnelles préjudiciables à la
santé des enfants».
71. Il est largement reconnu – le Conseil de l’Europe défend d’ailleurs
cette idée depuis de nombreuses années – que «les enfants ne sont
pas des mini-êtres humains dotés de mini-droits» mais jouissent
de tous les droits humains au même titre que les adultes, et que,
en outre, ils ont droit à une protection spéciale et au soutien
de leur développement, comme le prévoient diverses normes internationales
et législations nationales. Reste un problème: assurer la mise en
œuvre de ces normes.
72. C’est pourquoi j’invite l’Assemblée parlementaire et mes collègues
parlementaires ici représentés, à lancer un appel pour sensibiliser
davantage à la nécessité de protéger les enfants contre les divers
types d’atteintes physiques et leurs conséquences sur l’intégrité
physique et mentale et le bien-être des enfants, ainsi que décrit
dans ce rapport.
73. Des actions à court et long termes s’imposent pour protéger
efficacement les enfants. A court terme, il convient de combler
les vides juridiques les plus flagrants – par exemple en prescrivant
que seul un personnel médical qualifié soit autorisé à réaliser
certaines opérations, telles que les circoncisions, dans des conditions stériles.
Des informations complètes et compréhensibles doivent être fournies
aux familles plus systématiquement, pour permettre à celles-ci de
connaître les risques de certaines opérations. A long terme, il
importe de faire prendre conscience du droit de l’enfant à l’intégrité
physique en tant que droit humain fondamental, en vue de changer
des pratiques culturelles et religieuses profondément ancrées et
non contestées, mais très souvent néfastes.
74. Dans ce contexte général, l’Assemblée devrait en particulier
formuler des recommandations claires aux Etats membres en leur demandant
entre autres:
- d’examiner attentivement
la prévalence des différentes opérations et interventions ayant
une incidence sur l’intégrité physique des enfants dans leurs pays
respectifs, ainsi que les pratiques actuelles, en fonction des catégories
présentées dans le présent rapport et eu égard à l’intérêt supérieur
de l’enfant afin de déterminer dans quels domaines une action est
immédiatement requise;
- d’introduire et de proposer notamment des mesures de sensibilisation
concernant les violations de l’intégrité physique des enfants, à
mettre en œuvre dans différents contextes où les informations peuvent
être communiquées aux familles, comme le secteur médical (hôpitaux
et médecins indépendants), les écoles ou les communautés religieuses;
- de dispenser une formation spécifique à différentes catégories
de professionnels concernés, notamment le personnel médical et éducatif,
mais également, sur une base volontaire, aux représentants religieux, portant
par exemple sur les risques que présentent certaines opérations
et les alternatives à ces dernières, ainsi que les raisons médicales
et les conditions qui doivent être remplies pour que ces interventions
soient réalisées;
- d’engager un débat public visant à obtenir un large consensus
sur la fixation des limites absolues concernant des interventions
portant atteinte à l’intégrité physique des enfants en fonction
des normes des droits humains;
- de condamner publiquement les interventions les plus néfastes,
comme les mutilations génitales féminines (MGF), et d’adopter la
législation les interdisant, dotant ainsi les pouvoirs publics des mécanismes
de prévention et de lutte contre ces pratiques;
- de définir clairement, pour les pratiques qui peuvent
être jugées acceptables dans certaines circonstances et dans certains
contextes, comme la circoncision de jeunes garçons ou les opérations de
conversion sexuelle de jeunes enfants dans certains cas, également
par voie législative, les conditions et procédures médicales et
autres selon lesquelles les opérations correspondantes doivent être
réalisées, y compris dans le contexte religieux, et de mettre en
place des procédures et des structures qui permettent à toutes les
familles d’accéder à ces opérations en toute légalité;
- de faciliter et de promouvoir un dialogue interdisciplinaire
entre les experts et les représentants de différents milieux professionnels,
y compris des médecins et des représentants religieux, de sorte
à combattre certaines des croyances traditionnelles dominantes qui
ne tiennent pas compte de l’intérêt supérieur de l’enfant et des
techniques médicales les plus modernes, et de s’assurer que tous
les enfants puissent bénéficier des dernières connaissances scientifiques
et des normes médicales les plus élevées pour toute opération réalisée
sur eux;
- de mener des actions de sensibilisation, notamment, sur
la nécessité de veiller à ce que les enfants participent aux décisions
concernant leur intégrité physique lorsque cela est indiqué et possible,
et d’adopter des dispositions juridiques spécifiques pour s’assurer
que certaines opérations ne seront pas réalisées avant qu’un enfant
soit suffisamment âgé pour être consulté.