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Rapport | Doc. 13302 | 13 septembre 2013

La sécurité alimentaire, un défi permanent qui nous concerne tous

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteur : M. Fernand BODEN, Luxembourg, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12442, Renvoi 3738 du 24 janvier 2011. 2013 - Quatrième partie de session

Résumé

L’alimentation – notre besoin et notre droit le plus fondamental – n’est pas en pénurie sur la planète, mais un milliard d’êtres humains ont toujours faim ou sont sous-alimentés. Dans le même temps, deux milliards d’hommes et de femmes mangent trop, mettant leur santé en péril. De plus en plus de nourriture est produite dans le monde – et perdue ou gaspillée. Avec le boom démographique, les inégalités sociales croissantes et les ressources naturelles davantage sous pression, l’insécurité alimentaire affectera toujours plus de personnes démunies. S’attaquer aux déséquilibres et aux problèmes de gouvernance existants reste un défi de taille pour les générations actuelles et futures.

Pour accroître l’accessibilité économique des aliments, ainsi que leur qualité et leur sécurité sanitaire, les Etats membres du Conseil de l’Europe doivent renforcer les mécanismes de solidarité, les contrôles alimentaires et les exigences d’étiquetage, les réglementations et la recherche sur les nouveaux risques alimentaires. En vue de garantir une offre durable, ils doivent assurer une consommation alimentaire plus responsable, investir dans l’agriculture durable et lutter plus efficacement contre le changement climatique et la pollution chimique.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 9 septembre
2013.

(open)
1. Sur une planète habitée par sept milliards de personnes et aux ressources naturelles abondantes, un milliard d’êtres humains souffrent de la faim ou de malnutrition alors que deux milliards sont en surpoids ou frappés d’obésité. Dans le monde, une personne meurt de faim chaque seconde, et un enfant toutes les cinq secondes, des conséquences de la malnutrition. Etant donné la crise économique, l’insécurité alimentaire affecte toujours davantage les personnes démunies, même en Europe. Il est capital de surmonter les déséquilibres existants pour offrir une alimentation suffisante et adéquate, ainsi que des conditions de vie décentes à l’ensemble des êtres humains.
2. L’alimentation est notre besoin et notre droit le plus fondamental. Si nous ne réussissons pas à garantir aux générations présentes et futures un accès à une alimentation suffisante, saine et nutritive, notre santé, le développement et les droits fondamentaux seront remis en cause. Cependant, alors que la nourriture ne manque pas à l’échelle mondiale, nous sommes sans cesse confrontés à des crises alimentaires causées surtout par l’homme. Celles-ci ne feront que s’aggraver si l’on ne règle pas les problèmes de gouvernance. L’Assemblée parlementaire considère la sécurité alimentaire comme l’un des plus grands défis du XXIe siècle. Ce défi nous concerne tous et les problèmes ne pourront être résolus que si la volonté politique et l’engagement des citoyens sont suffisants.
3. Alors que les inégalités sociales ne cessent d’empirer d’un pays à l’autre et en leur sein même, plus de solidarité est nécessaire pour renforcer la sécurité alimentaire par des politiques et des stratégies de développement, en particulier s’agissant des objectifs du Millénaire pour le développement, des objectifs de développement durable, des négociations relatives au commerce international et des consultations sur le cadre de gouvernance de l’après-2015. Etant donné que l’approvisionnement alimentaire durable est menacé de plus en plus par des facteurs démographiques, environnementaux et de marché, nos choix politiques collectifs qui concernent les systèmes alimentaires doivent établir un meilleur équilibre entre les besoins et les ressources.
4. L’Assemblée est profondément préoccupée par l’ampleur du gaspillage de denrées alimentaires et son impact sur nos conditions de vie. En effet, entre 30 % et 50 % des denrées alimentaires produites dans le monde sont gaspillées. Près de la moitié des denrées alimentaires convenant encore à l’alimentation humaine sont jetées dans les pays développés, alors qu’elles pourraient, si elles étaient récupérées, sauver de la famine et de la malnutrition près de 870 millions de personnes démunies dans le monde. La population toute entière doit faire des choix de consommation en meilleure connaissance de cause.
5. L’essor démographique et les modifications de régime alimentaire aggravent les pressions exercées sur l’environnement et en fin de compte sur l’offre de denrées alimentaires. Le changement climatique, l’exploitation abusive des terres, la pollution chimique et l’épuisement des ressources naturelles nuisent à la qualité et à la quantité de la production alimentaire. L’agriculture restera essentielle pour assurer la sécurité alimentaire, mais elle doit adopter des pratiques plus durables.
6. Le commerce de denrées alimentaires est devenu un lien capital entre producteurs et consommateurs. Cependant, certaines aberrations du système d’échanges mondiaux, telles que la spéculation, la captation des flux d’échanges par des sociétés privées et la fraude, aggravent la volatilité et le niveau des prix et nuisent à la diversité et la qualité des denrées alimentaires. Cela appelle une meilleure régulation des marchés et des contrôles des denrées alimentaires plus efficaces aux niveaux national et international, ainsi que des mesures pour garantir des revenus suffisants aux agriculteurs. L’Assemblée salue également les initiatives de commerce équitable offrant des garanties sociales et écologiques aux producteurs et aux consommateurs.
7. On ne peut surestimer l’importance de la sécurité sanitaire des aliments en tant qu’aspect essentiel de la sécurité alimentaire. Les scandales alimentaires à répétition – dans le monde et en Europe – montrent que les produits frelatés, contaminés ou non conformes aux normes non seulement nuisent à la santé, mais peuvent aussi tuer. Pour accroître la sécurité sanitaire des aliments et réduire les risques sanitaires auxquels s’exposent notamment les groupes les plus vulnérables (tels qu’enfants, femmes enceintes, personnes malades ou allergiques), les normes de référence et les exigences d’étiquetage pour les aliments transformés doivent être renforcées.
8. Au vu des considérations qui précèdent, l’Assemblée recommande vivement aux Etats membres:
8.1. s’agissant de la production durable de denrées alimentaires,
8.1.1. d’intensifier la lutte contre le changement climatique – notamment par la conclusion d’un accord mondial Kyoto-2 d’ici 2015 – et contre la pollution chimique afin de mieux concilier la quantité et la qualité des disponibilités alimentaires;
8.1.2. d’investir dans une agriculture durable (notamment l’agriculture «écologiquement intensive» et l’agriculture biologique), y compris par le biais de mesures fiscales et réglementaires;
8.1.3. d’accélérer le développement d’agrocarburants de deuxième génération à partir de déchets de la biomasse ou de végétaux non alimentaires et, entre-temps, de réduire l’utilisation de cultures vivrières pour la production de biocarburants;
8.2. s’agissant d’une consommation plus responsable de nourriture,
8.2.1. de diminuer les pertes et le gaspillage à tous les niveaux des systèmes de production, de distribution et de commercialisation des aliments;
8.2.2. de mener des campagnes de sensibilisation sur les effets nuisibles du gaspillage pour la sécurité alimentaire;
8.2.3. de dispenser au public une éducation alimentaire adéquate afin de promouvoir l’acquisition d’habitudes alimentaires saines et de résorber le problème de surpoids et d’obésité, qui ne cesse de gagner du terrain;
8.3. s’agissant du renforcement de la sécurité sanitaire des aliments,
8.3.1. d’intensifier les contrôles alimentaires pour mieux détecter les fraudes ayant une motivation économique et les substances illicites entrant dans la composition de denrées alimentaires;
8.3.2. de veiller à ce que les denrées alimentaires soient étiquetées de façon transparente, claire et objective;
8.3.3. d’accroître le soutien à la recherche indépendante sur les nouveaux risques alimentaires pour la santé humaine liés à une exposition à faible dose, mais prolongée, notamment aux organismes génétiquement modifiés (OGM), aux perturbateurs endocriniens, aux nanotechnologies et aux effets cocktail de résidus chimiques présents dans les aliments, en vue d’ajuster les normes de référence en vigueur;
8.3.4. de veiller à ce que l’utilisation commerciale de nouvelles technologies et substances chimiques dans le secteur alimentaire fasse l’objet d’un examen scientifique rigoureux afin de définir les dispositions réglementaires requises;
8.4. s’agissant de l’accessibilité économique aux aliments,
8.4.1. de consolider les mécanismes de solidarité pour lutter contre la pauvreté, qui entrave l’accès des populations concernées à la nourriture;
8.4.2. d’accroître l’aide au développement consacrée à l’agriculture et à une meilleure conservation des aliments, et d’honorer les engagements pris en la matière;
8.4.3. de favoriser la sécurité alimentaire dans les pays fragiles, en particulier en Afrique sub-saharienne et en Asie du Sud, en améliorant la capacité de résistance des petites exploitations agricoles et les moyens de subsistance en milieu rural, en contribuant à la bonne gouvernance régionale en matière de politiques agricoles et alimentaires et en renforçant l’aide aux populations vulnérables;
8.4.4. de soutenir les principes minimaux, au regard des droits de l’homme, applicables aux acquisitions ou locations de terres à grande échelle qui ont été définis par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, et de s’employer à étendre le plus possible leur champ d’application géographique au moyen de programmes de coopération au développement et d’accords commerciaux internationaux;
8.4.5. de promouvoir la sécurité alimentaire par l’établissement d’un nouveau cadre universel pour l’après-2015 intégrant les objectifs du Millénaire pour le développement et les objectifs de développement durable;
8.5. s’agissant des réglementations,
8.5.1. de garantir la mise en œuvre pleine et entière du droit fondamental à une alimentation appropriée en reconnaissant, dans leur législation, le caractère exécutoire de ce droit, ainsi que du droit fondamental à une eau salubre;
8.5.2. de s’employer à harmoniser, dans toute l’Europe et au-delà, l’application du principe de précaution aux disponibilités alimentaires, en vue d’assurer une protection adéquate de la santé publique;
8.5.3. de soutenir les efforts des agences des Nations Unies, de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour protéger les denrées alimentaires contre la spéculation financière, contenir la volatilité des prix des aliments de base et encourager la constitution de réserves alimentaires au niveau national ou régional, selon le cas;
8.5.4. de supprimer progressivement les subventions aux exportations de produits agricoles qui faussent le marché et de faire progresser les négociations de l’OMC sur le cycle de Doha en vue d’améliorer la sécurité alimentaire dans les pays en développement;
8.5.5. de veiller à ce qu’un accord international sur le changement climatique en 2015 reconnaisse les risques pour la sécurité alimentaire et souligne l’importance de valoriser le capital naturel dans la poursuite des objectifs énoncés dans la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques.

B. Exposé des motifs, par M. Boden, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. L’alimentation 
			(2) 
			L’alimentation
comprend principalement des produits fournis par l’agriculture et
la pêche. est un besoin fondamental de l’homme. La nourriture est essentielle à la vie et au développement, et la sécurité alimentaire est donc à la base de tous nos droits. Comme l’ont déclaré les participants au Sommet mondial de l’alimentation de 1996, la sécurité alimentaire existe seulement «lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de mener une vie saine et active». Le besoin de se nourrir étant commun à tous, l’assurance de la sécurité alimentaire et d’une production durable de nourriture devrait figurer parmi les premières priorités politiques de tous les pouvoirs publics.
2. Notre planète pourrait fournir assez de nourriture pour tout le monde. Pourtant, près d’un milliard de personnes souffrent de faim ou de malnutrition, principalement dans le monde en développement, où 100 millions d’enfants présentent une insuffisance pondérale 
			(3) 
			«L’état de l’insécurité
alimentaire dans le monde 2012», FAO; «Levels
and Trends in Child Mortality», UNICEF, 2011. tandis que, dans le même temps, environ deux milliards d’hommes et de femmes sont en surpoids ou souffrent d’obésité 
			(4) 
			Données de l’Organisation
mondiale de la santé pour 2008. . Plus de six millions d’enfants meurent chaque année des conséquences de la malnutrition – un enfant toutes les cinq secondes – et la famine fait une victime par seconde dans le monde. Avec la crise économique, l’insécurité alimentaire touche de plus en plus de personnes dans le besoin, même en Europe. Alors que la population mondiale a passé la barre des 7 milliards d’habitants en 2011 et devrait passer celle des 9 milliards en 2050, les décennies à venir seront cruciales afin de fournir à tous les êtres humains une nourriture adaptée à leurs besoins et des conditions de vie décentes.
3. Le monde a un besoin urgent de changement, et pourtant, la sécurité alimentaire ne progresse que trop lentement. Alors qu’approche l’échéance de 2015 pour la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), il est quasi certain que, dans beaucoup de régions défavorisées, l’objectif de réduire de moitié le nombre de personnes souffrant de la faim ne sera pas atteint. L’absence d’améliorations notables en matière de sécurité alimentaire est un frein au développement humain et à la réalisation des autres OMD. Il faut concevoir de nouvelles approches pour intégrer les questions de sécurité alimentaire dans les politiques, par la voie de consultations sur la gouvernance dans l’après-2015 
			(5) 
			La commission des questions
sociales, de la santé et du développement durable prépare un rapport
spécifique dans ce domaine, «Le monde au-delà de 2015 – Contribution
de l’Europe dans le cadre de l’après-OMD» (rapporteur: Sir Alan Meale).. Pour mieux comprendre les enjeux globaux de cette situation, nous devons examiner tant la problématique de la quantité que celle de la qualité des aliments et étudier le contexte social, économique et environnemental de la sécurité alimentaire.
4. Comme nous le verrons dans ce rapport 
			(6) 
			J’ai été désigné rapporteur
à la suite de Mme Francine John-Calame (Suisse, SOC) et de M. Bernard
Marquet (Monaco, ADLE), qui ont tous deux quitté l’Assemblée., le monde ne connaît pas de pénurie alimentaire. C’est l’homme qui est en grande partie responsable des crises alimentaires, qui sont généralement la manifestation de problèmes de gouvernance. La question est de savoir si la nourriture que l’on produit est sûre et nutritive, si elle est disponible et économiquement accessible et de quelle façon on la consomme. Ces dernières années, une avalanche de scandales alimentaires a ébranlé notre confiance dans les systèmes qui nous approvisionnent en nourriture. Ces problèmes ne pourront être résolus que si la volonté politique et l’engagement des citoyens sont suffisants. Le présent rapport se fonde sur des auditions de commissions de l’Assemblée parlementaire relatives à la sécurité alimentaire 
			(7) 
			L’audition du 28 novembre
2011, organisée par l’ancienne commission de l’environnement, de
l’agriculture et des questions territoriales, a vu la participation
de M. David Hallam, Directeur de la division du commerce et des
marchés à la FAO; M. Sergio Piazzi, Secrétaire général de l’Assemblée
parlementaire de la Méditerranée (APM); M. Francisco Mombiela, Secrétaire
général du Centre international de hautes études agronomiques méditerranéennes (CIHEAM);
et M. Hans Rudolf Herren, Président de la Fondation Biovision (une
organisation non gouvernementale (ONG) basée en Suisse). Le 3 juin
2013, la commission des questions sociales, de la santé et du développement
durable a étudié la question de la sécurité alimentaire avec M. Eric
Poudelet, Directeur pour la sécurité de la chaîne alimentaire à
la Direction générale Santé et Consommateurs (DG SANCO) de la Commission
européenne, et Mme Anne-Laure Gassin, Directrice de la communication
de l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments). et sur les contributions de nombreux experts. Je suis particulièrement reconnaissant à M. Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, pour ses commentaires écrits.

2. L’alimentation, un droit de l’homme fondamental

5. Le droit à l’alimentation est réalisé, d’après le rapporteur spécial des Nations Unies sur le sujet, lorsque tous les êtres humains disposent d’un accès physique et économique à une nourriture adaptée à leurs besoins. L’accès à une alimentation en quantité suffisante, mais aussi de qualité appropriée, doit être régulier, permanent et libre, soit directement, soit au moyen d’achats monétaires, et assurer une existence digne et épanouissante.
6. Le droit à l’alimentation est aujourd’hui bien ancré dans le droit international des droits de l’homme. Il est consacré dans de grands instruments juridiques internationaux contemporains, notamment:
  • la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (article 25);
  • la Constitution de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) de 1965 (préambule);
  • le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966 (article 11);
  • la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes de 1981 (articles 12 et 14);
  • la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant de 1989 (articles 24 et 27) 
			(8) 
			Le droit à l’alimentation
est aussi consacré à l’échelon régional par les systèmes de protection
des droits de l’homme africain, américain et européen, en particulier
par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de
1981, la Convention américaine des droits de l’homme de 1969 et,
implicitement, la Charte sociale européenne de 1961 (STE n° 35). .
7. Par ailleurs, le droit à l’alimentation est en train de devenir un élément commun des Constitutions nationales. Parmi les 24 Etats qui ont déjà incorporé ce principe dans leur Constitution, citons l’Afrique du Sud, le Bangladesh, le Brésil, l’Inde et l’Ukraine. Les pouvoirs publics et les gouvernements jouent un rôle essentiel dans la mise en œuvre du droit à l’alimentation et dans l’assurance de la sécurité alimentaire. C’est à eux qu’il incombe de faciliter l’accès illimité de leur population à l’alimentation et de la protéger contre les violations de ce droit. Qui plus est, ils ont pour obligation d’aider les personnes dans le besoin qui ne peuvent se procurer de la nourriture par elles-mêmes.
8. D’après les «systèmes de cartographie et d’information sur l’insécurité et la vulnérabilité alimentaire», en place depuis 1996, rien qu’en Asie, dans le Pacifique et en Afrique subsaharienne, quelque 817 millions de personnes continuent de souffrir de faim ou de malnutrition. Leur droit à l’alimentation est bafoué ou insuffisamment protégé. Dans l’intervalle, la FAO a émis 19 recommandations adressées aux Etats, portant sur l’agriculture, les politiques alimentaires et la sécurité alimentaire, la protection du consommateur par des voies légales et au niveau institutionnel, les situations d’urgence et la coopération internationale.
9. Comme l’a clairement établi le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies, les personnes dont le droit à une alimentation adaptée a été violé 
			(9) 
			Par «violation», on
entend toute discrimination dans l’accès à l’alimentation fondée
sur des motifs tels que la race, le sexe, la religion ou les opinions
politiques. Cela signifie en outre que les victimes doivent disposer
de voies de recours judiciaires ou quasi-judiciaires au niveau national
et international leur permettant d’obtenir réparation pour le préjudice subi.
Les violations peuvent découler d’actes ou omissions de l’Etat. peuvent déposer une plainte au titre du Protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qui donne force obligatoire à ce droit et peut offrir une protection en conséquence. C’est précisément ce qui s’est passé en 2001 dans l’affaire Ogoni, dans laquelle la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a conclu que le Nigéria avait porté atteinte au droit à l’alimentation des communautés ogoni.
10. Bien que le droit à l’alimentation soit reconnu à l’échelle internationale, régionale et nationale, les Etats sont encore trop nombreux à refuser de reconnaître son caractère exécutoire. Cela signifie que le droit à l’alimentation est protégé de façon inégale par les pouvoirs publics selon les pays. J’estime que tous les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient reconnaître le caractère exécutoire de ce droit de l’homme fondamental dans leur législation et respecter pleinement les obligations internationales qui leur incombent de le protéger comme il se doit. Or, on signale aujourd’hui en Europe de plus en plus de cas d’enfants tombant d’inanition à l’école et un nombre toujours plus important de sans-emploi venant grossir les files d’attente de l’aide alimentaire, notamment dans des pays qui ont été touchés de plein fouet par la crise économique 
			(10) 
			Voir les conclusions
du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe après
sa visite en Espagne, du 4 au 7 juin 2013, et les articles parus
dans International Herald Tribune – «More children in Greece are going hungry», 17 avril
2013, et «Spain recoils as its hungry
forage trash bins for a next meal», 24 septembre 2012..

3. Menaces pour la sécurité alimentaire

11. Par le passé, les plus grands dangers pour la sécurité alimentaire étaient les guerres, les catastrophes naturelles et les intempéries. C’est encore le cas aujourd’hui, mais les dégâts causés sont d’une ampleur, d’une portée et d’une dimension jamais vues auparavant. Il y a lieu d’affirmer que l’homme est devenu la plus grande menace pour sa propre sécurité alimentaire. Même si le monde produit suffisamment de nourriture de bonne qualité, la disponibilité et l’accessibilité économique des aliments pour les populations pauvres sont loin d’être garanties. La suite du rapport met en lumière les trois principales sources d’insécurité alimentaire que sont les pressions démographiques, l’environnement et les marchés, dont les causes sont locales, mais les conséquences, mondiales.

3.1. Population: combien de personnes à nourrir et comment les nourrir?

12. L’explosion démographique que l’on connaît aujourd’hui et qui persistera dans les décennies à venir, associée à l’amélioration des conditions de vie, érode la sécurité alimentaire. Une partie plus importante de la population mondiale est aujourd’hui en demande d’une alimentation plus diversifiée, en quantité et de qualité suffisantes. La croissance démographique et l’urbanisation ont modifié notre façon de manger tout comme notre façon de gaspiller.

3.1.1. Des modes de consommation en pleine évolution

13. A l’heure où la planète est peuplée de plus en plus, on observe d’importants changements dans les modes de consommation d’une population urbaine plus nombreuse, ainsi que dans les régimes alimentaires. Cela est particulièrement évident pour la consommation de viande, qui a affiché une croissance rapide ces dix dernières années, passant d’environ 37 kg à 42 kg par personne et par an. A ce rythme, plus de 52 kg de viande seront consommés par personne et par an d’ici à 2050. Selon la FAO, près de la moitié de la production céréalière mondiale sert actuellement à l’alimentation animale. Sachant qu’il faut en gros 7 kg de céréales et 5 000 à 15 000 litres d’eau pour produire un kilo de bœuf et à peine moins pour d’autres types de viande, on voit que les répercussions pour l’avenir sont considérables.
14. En dépit de la valeur énergétique de la viande, le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) estime que la perte de calories découlant de l’utilisation de céréales pour nourrir les animaux au lieu de nourrir directement les hommes équivaut aux besoins caloriques annuels de 3,5 milliards de personnes. La réaffectation d’une partie de ces céréales à la consommation humaine pourrait aider à faire reculer la famine et la malnutrition. Cela étant, alors que l’on consomme trop de viande dans les pays développés, une augmentation raisonnable de la consommation de viande pourrait être très bénéfique dans la plupart des pays en développement, en particulier pour la croissance des enfants.
15. Paradoxalement, la suralimentation cause de graves problèmes de santé et entraîne une hausse des taux de mortalité 
			(11) 
			Par exemple, il a été
démontré que la consommation excessive de viande augmentait la prévalence
de troubles tels que le cancer (du colon et de la prostate), les
maladies cardiovasculaires, l’hypercholestérolémie et l’hypertension,
mais aussi l’obésité, l’ostéoporose, le diabète de type 2, les déficiences
cognitives, les calculs biliaires et la polyarthrite rhumatoïde.. Des études de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) font état d’une augmentation alarmante de la prévalence de l’obésité et du surpoids. Le nombre de personnes obèses a plus que doublé entre 1980 et 2008 dans le monde, et environ un adulte de plus de 20 ans sur trois est en surpoids. Les enfants et les jeunes sont également de plus en plus nombreux à être touchés par ce problème 
			(12) 
			Voir la Résolution 1804 (2011) et la Recommandation
1966 (2011) de l’Assemblée sur la protection des enfants et des
jeunes contre l’obésité et le diabète de type 2.. En Europe, plus de la moitié de la population adulte est concernée par les problèmes dus à une surcharge pondérale. L’OMS met en garde contre les risques sanitaires du surpoids, qui accroît l’incidence des troubles métaboliques, des maladies cardiaques, de l’hypertension et de l’hypercholestérolémie, ainsi que de la résistance à l’insuline et des cancers.

3.1.2. Gaspillage alimentaire

16. Nous sommes par ailleurs face à un autre paradoxe: alors que l’on produit davantage de nourriture pour lutter contre la faim, on en gaspille aussi de plus en plus. Entre 30 % et 50 % de la nourriture produite dans le monde est perdue. Selon la FAO, chaque personne en Europe, en Amérique du Nord et en Océanie gaspille 95 à 115 kg de nourriture par an, contre 6 à 11 kg en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud et du Sud-Est. Ce gaspillage se produit à tous les niveaux de la chaîne d’approvisionnement alimentaire, depuis la collecte et la transformation du produit jusqu’à son transport, sa distribution et, au final, sa consommation.
17. Les pays riches ont une responsabilité particulière à cet égard du fait qu’ils jettent de trop grandes quantités d’aliments encore propres à la consommation humaine. Dans les régions développées, près de la moitié de la nourriture finit au rebut, ce qui représente quelque 300 millions de tonnes par an, soit plus que la production alimentaire nette de l’ensemble de l’Afrique subsaharienne. Si cette nourriture pouvait être récupérée, elle suffirait à garantir une meilleure alimentation à près de 870 millions de personnes pauvres et affamées dans le monde.
18. Le gaspillage coûte en outre des millions aux consommateurs et nuit à notre environnement. Les pertes réelles et estimées des produits étant répercutées sur le prix des aliments, les consommateurs sont automatiquement pénalisés par des prix plus élevés, en particulier pour les produits frais (légumes, fruits, lait, viande et poisson). Qui plus est, l’élimination des déchets alimentaires coûte à elle seule entre 55 et 90 euros par tonne en Europe et génère environ 170 millions de tonnes d’émissions de CO2. La réduction des déchets alimentaires permettrait d’accroître la quantité et d’améliorer l’accessibilité économique des aliments disponibles, mais aussi d’optimiser l’utilisation des ressources. Dans un contexte mondial de menaces grandissantes pour la sécurité alimentaire, il est d’autant plus urgent de s’attaquer au problème. Les répercussions du gaspillage de nourriture sur l’environnement sont l’un des tributs que devront payer les générations futures.

3.2. Des limites environnementales à la croissance?

19. La croissance démographique a eu une incidence majeure sur l’environnement, dont la dégradation menace inévitablement la sécurité alimentaire. Ce sont souvent les ressources naturelles et la biodiversité que l’on sacrifie pour répondre à des besoins toujours plus importants et en constante évolution. Les conséquences sont nombreuses: changement climatique, exploitation abusive des terres due à certaines méthodes agricoles et dégradation de la qualité des eaux, de l’air et des sols causée par l’utilisation de produits agrochimiques. Certains dommages pour l’environnement sont irréversibles.

3.2.1. Changement climatique

20. Si les aléas climatiques ont toujours menacé les récoltes, le changement climatique donne une nouvelle dimension à cette menace. Les épisodes extrêmes sont de plus en plus fréquents, qu’il s’agisse de sécheresses, d’inondations, de tornades ou de températures exceptionnellement élevées ou basses qui nuisent aux récoltes et aux rendements agricoles. Depuis quelques décennies, on ne compte plus les exemples de phénomènes naturels dévastateurs pour de grands pays producteurs de denrées alimentaires, notamment les Etats-Unis, la Russie, l’Inde, la Chine et bon nombre de pays africains. Le changement climatique a aussi des répercussions sur la santé animale et végétale, en raison d’une dispersion accrue des maladies, des ravageurs des cultures et des espèces invasives.
21. On sait maintenant que l’agriculture produit à elle seule au moins 13 à 15 % des émissions de gaz à effet de serre responsables du changement climatique à l’échelle planétaire. Ces émissions provoquées par l’homme vont en s’intensifiant tout au long de la chaîne d’approvisionnement alimentaire (transformation, conditionnement, transport et réfrigération), mais aussi en conséquence de la déforestation (responsable à elle seule de 19 % d’émissions supplémentaires) du fait de l’expansion des zones de culture et de pâturage. Les risques climatiques qui en découlent pour la sécurité alimentaire ne cessent de s’amplifier.
22. Le changement climatique menace tout particulièrement les disponibilités alimentaires en Asie et en Afrique, où la sous-nutrition est déjà très répandue. Une hausse des températures moyennes associée à une baisse des précipitations saisonnières commence à avoir des effets dramatiques sur l’agriculture de subsistance dont dépendent tant de personnes dans ces pays. En Europe également, des laboratoires de recherche basés dans la région méditerranéenne ont déjà signalé une baisse des rendements agricoles en raison de légères hausses des températures moyennes. En d’autres termes, nous produisons moins alors même que nous devrions produire plus.

3.2.2. Techniques agricoles et exploitation abusive des terres

23. D’après certaines estimations, la production agricole globale devrait augmenter de 70 % d’ici à 2050 pour assurer la sécurité alimentaire d’une population toujours plus importante. Or, certaines méthodes de culture très intensives épuisent les terres. Paradoxalement, ces techniques agricoles visant l’augmentation du rendement des cultures appauvrissent les sols et accentuent l’érosion, en plus d’exacerber la perte de biodiversité et de diminuer la fertilité – et nuisent, de fait, à la production alimentaire.
24. Les polluants d’origine agricole, par exemple, affectent la production d’aliments de qualité. En dehors de leur impact négatif direct sur la santé humaine et animale, les produits chimiques utilisés par l’agriculture 
			(13) 
			Tels
que les pesticides, les herbicides, les fongicides et certains engrais., l’agro-industrie 
			(14) 
			Par exemple, les additifs
et les colorants bioactifs. et les activités industrielles polluantes ont un effet cumulatif sur l’environnement et sur la biodiversité dont l’impact sur la sécurité alimentaire ne saurait être sous-estimé. Les récoltes diminuent aussi à cause de la disparition progressive des abeilles et d’autres insectes pollinisateurs qui ont été fortement touchés par l’utilisation de certains produits chimiques phytosanitaires.
25. La mauvaise utilisation des produits chimiques, mais aussi la désertification, l’appauvrissement des sols et l’érosion causés par une agriculture agressive et par l’urbanisation, ont entraîné une perte radicale de terres arables. De surcroît, les terres agricoles font l’objet d’une concurrence accrue d’autres secteurs économiques, due à l’expansion des infrastructures, notamment routières et ferroviaires, et des installations industrielles. Certains pays, principalement d’Afrique subsaharienne, sont confrontés à un phénomène de plus en plus répandu de location de longue durée ou d’acquisition de terres à grande échelle par des multinationales et des Etats étrangers. Pour les experts, cette pratique d’accaparement des terres est néfaste pour la sécurité alimentaire des populations concernées, la présence d’entités étrangères profitant généralement aux marchés mondiaux et non aux populations locales.

3.2.3. Agrocarburants

26. Notre enthousiasme pour les biocarburants, que l’on a vantés comme une énergie respectueuse de l’environnement à promouvoir dans le cadre des stratégies de développement durable, n’a fait que nuire davantage à la sécurité alimentaire. L’expansion rapide des agrocarburants ces dernières années a fait naître des doutes quant à leur efficacité. Dès 2009, l’Assemblée mettait en garde contre l’utilisation de cultures vivrières pour produire des biocarburants, qu’elle jugeait dommageable pour la production alimentaire comme pour l’environnement 
			(15) 
			Voir
la Résolution 1667 (2009) «Produire des denrées alimentaires et du carburant».. De son côté, l’Union européenne a dû récemment admettre que l’objectif de porter à 10 % la part des biocarburants dans le bouquet énergétique à l’horizon 2020 avait des répercussions négatives sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre et indirectement sur des changements dans l’affectation des sols 
			(16) 
			Voir
la Directive 2009/28/CE relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie
produite à partir de sources renouvelables. L’Union européenne a
proposé une nouvelle directive concernant la qualité de l’essence
et des carburants diesel (COM(2012)595 final) visant à abaisser
à 5 % l’objectif fixé pour la part des biocarburants produits à
partir de denrées alimentaires dans les sources d’énergie d’ici
à 2020 et à durcir les critères de réduction des émissions de gaz
à effet de serre pour les nouvelles installations..
27. D’une part, l’utilisation croissante des cultures vivrières pour la production de biocarburants a entraîné une baisse de la disponibilité des aliments destinés à la consommation humaine; d’autre part, elle a contribué à une hausse des prix des denrées alimentaires dans le monde entier. D’après un rapport de la Banque mondiale datant de juillet 2008, 75 % de l’augmentation des prix des denrées alimentaires était due aux agrocarburants. Le rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation met en garde contre le mode actuel de production des biocarburants pour les transports; dans l’ensemble, cette filière n’est pas viable et risque d’entraîner des violations du droit à l’alimentation. Il est par conséquent vital d’assurer une transition plus rapide vers la deuxième génération de biocarburants, produits à partir de déchets agricoles et de cultures non vivrières.

3.3. Marchés mondiaux: au service de qui?

28. A l’heure actuelle, la production alimentaire est indissociable de la distribution et des marchés. Même si nous produisons assez de nourriture d’une qualité suffisante pour nourrir tous les êtres humains, trop de personnes n’ont pas accès à la nourriture ou n’ont pas les moyens de s’en procurer en quantité suffisante. Les asymétries dans le système du commerce mondial aggravent la pauvreté et favorisent diverses pratiques abusives, telles que la fraude et la spéculation sur les denrées alimentaires, qui érodent la sécurité alimentaire.

3.3.1. Commerce des denrées alimentaires et spéculation

29. La production agricole et alimentaire étant une source importante de revenu, les conditions des accords commerciaux internationaux sont essentielles pour la sécurité alimentaire nationale. A certains égards, la libéralisation actuelle des échanges commerciaux ouvre de nouvelles perspectives pour les agriculteurs et les producteurs de denrées alimentaires; en revanche, elle les expose à la concurrence mondiale. Beaucoup de pays en développement membres de l’OMC cherchent par conséquent à ajuster les tarifs de produits essentiels afin de protéger l’agriculture de subsistance et de favoriser le développement durable des populations locales. Sans clauses de sauvegarde, les exportations agricoles subventionnées des pays occidentaux risquent de saper la capacité des agriculteurs des pays en développement à faire face à la concurrence internationale et à s’assurer un revenu décent.
30. Le commerce des semences illustre bien cette situation. Les règles commerciales en vigueur et la protection des droits de propriété intellectuelle tendent à servir davantage les intérêts des grandes sociétés des secteurs de l’agrochimie et de la biotechnologie que ceux des nombreux petits exploitants agricoles et des consommateurs. Les agriculteurs locaux doivent lutter pour obtenir une diversité suffisante de semences disponibles sur le marché et une meilleure protection des variétés traditionnelles de semences commercialisées et pour faire valoir leur droit d’accès à des semences non brevetées. Sans cette résistance, la biodiversité est menacée et les multinationales accaparent notre chaîne d’approvisionnement alimentaire 
			(17) 
			Par exemple, la multinationale
Monsanto détient à elle seule les brevets de 36 % des variétés de
tomate, 32 % des variétés de poivron et 49 % des variétés de chou-fleur
enregistrées dans l’Union européenne. En raison d’une croissance rapide
de la demande, la production d’huile de palme évince les autres
types de production locale et donne lieu à une déforestation généralisée
en Asie du sud-est, en Afrique et dans certaines régions d’Amérique
du Sud..
31. La conjoncture économique revêt une grande importance pour l’approvisionnement alimentaire. Le déclenchement de la crise économique et financière mondiale en 2007-2008 a affecté les échanges mondiaux de produits alimentaires, provoquant de fortes hausses des prix et même des crises alimentaires. Selon la FAO, les prix des aliments ont augmenté de 22 % entre janvier et février 2011. De même, la Banque mondiale a conclu dans son rapport de l’été 2011 que le prix des denrées de base, tels que le blé, l’huile de soja et le sucre, avait augmenté, respectivement, de 55 %, 47 % et 62 % par rapport à l’année précédente. Les prix du maïs ont également affiché une hausse de 84 %, due en partie à la demande de biocarburants des Etats-Unis. Il va de soi que les groupes les plus vulnérables et les plus touchés par la spéculation sur les denrées alimentaires sont les pauvres et les chômeurs.
32. Comme il ressort de l’étude des Nations Unies, ces hausses spectaculaires du prix des denrées de base ne peuvent s’expliquer que «par l’apparition d’une bulle spéculative» 
			(18) 
			«La spéculation sur
les denrées alimentaires et les crises des prix alimentaires», note
d’information n° 2, septembre 2010, Olivier de Schutter, rapporteur
spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation.. L’étude souligne l’impact de la libéralisation du marché des contrats de dérivés pour les principales denrées agricoles (riz, blé, maïs, soja) et préconise de prendre des mesures fermes pour améliorer le commerce des denrées alimentaires afin de réduire la volatilité des prix. De plus, il semble urgent de rectifier les mécanismes commerciaux d’intermédiation entre des agriculteurs asphyxiés par des prix d’achat toujours plus faibles et des marchands qui augmentent démesurément leurs marges de profit et des prix de vente aux consommateurs.

3.3.2. Fraude alimentaire

33. Vu les enjeux sur les marchés des denrées alimentaires, il n’est pas étonnant que des produits alimentaires non conformes ou frauduleux fassent leur apparition dans les chaînes d’approvisionnement alimentaire, comme le montrent les données de plus en plus nombreuses dont on dispose à ce sujet. Ces produits représentent une grave menace pour la santé publique dans tous les pays. Les informations publiées par les médias au sujet d’huile d’olive frelatée 
			(19) 
			Le lait, le miel, le
safran, le café, le jus de pomme et le jus d’orange sont les aliments
les plus souvent cités comme étant frelatés., de poulet contaminé à la dioxine, de vins contrefaits et de faux produits bios ont mis en évidence de nombreuses défaillances en matière de sécurité sanitaire des aliments. Le scandale de la viande chevaline maquillée en viande de bœuf (affaire du «horsegate»), qui a éclaté en Europe début 2013, l’importation de denrées contaminées en provenance d’Asie du sud-est, en particulier de la Chine, ou encore l’étiquetage mensonger d’espèces de poisson à l’échelle mondiale, ont révélé les graves problèmes de traçabilité, d’étiquetage et de contrôle qualité qui se posent tout au long de la chaîne d’approvisionnement alimentaire.
34. Par ailleurs, le phénomène de bas coût nuit à la qualité de la nourriture tout comme aux contrôles alimentaires et à notre capacité à détecter la fraude. La crise économique a encore réduit la capacité des services nationaux d’inspection des produits alimentaires, alors que les risques augmentent de façon exponentielle avec la mondialisation des échanges. Lorsque les consommateurs sont trompés au sujet de l’origine exacte ou de la composition des aliments, leur confiance dans les systèmes agroalimentaires vacille; mais lorsque des fraudeurs approvisionnent les marchés avec des aliments dangereux, les conséquences peuvent être dramatiques. En règle générale, quelque 4,5 % des inspections de produits alimentaires effectuées dans l’Union européenne détectent des problèmes de fraude. Certains experts considèrent la fraude alimentaire comme une menace particulière pour la santé publique, dans la mesure où les contaminants sont atypiques et nos systèmes de contrôle ne sont pas adaptés à la recherche d’une multitude de poisons potentiels.

4. L’enjeu de la sécurité sanitaire des aliments: assurer la qualité

35. La sécurité sanitaire des aliments est une composante essentielle de la sécurité alimentaire. On ne soulignera jamais assez son importance. Si la qualité de ce que nous mangeons est compromise, notre santé peut gravement en pâtir, aujourd’hui comme demain. Les aliments altérés, contaminés ou non conformes aux normes peuvent provoquer des maladies et des troubles dégénératifs à l’origine de nouvelles pathologies et d’une résistance accrue aux antibiotiques, et peuvent même causer la mort. Pire encore, ils peuvent perturber le système reproducteur, entraînant des conséquences à long terme sur l’espèce humaine.
36. Au nombre des substances présentant un risque pour la sécurité sanitaire des aliments figurent les produits chimiques contenus dans les pesticides, les herbicides et les fongicides utilisés en agriculture. 
			(20) 
			Par
exemple, mi-juillet 2013, les médias ont rapporté le décès de 23
enfants et des douzaines d’hospitalisations en Inde suite à la consommation,
à l’école, de repas contaminés par des produits chimiques phytosanitaires. Les résidus de métaux lourds, les dioxines et la pollution radioactive empoisonnent également ce que nous mangeons. La contamination microbiologique par des bactéries, des virus et des parasites continue de présenter un risque grave pour nous tous. Aujourd’hui, même les médicaments utilisés dans l’élevage, tels que les antibiotiques et les vaccins, les neuroleptiques et les hormones, peuvent s’avérer néfastes lorsqu’ils sont employés à l’échelle industrielle. Certains experts ajoutent à cette liste les organismes génétiquement modifiés (OGM) et la nanotechnologie 
			(21) 
			Voir
la Recommandation 2017
(2013) de l’Assemblée «Nanotechnologie: la mise en balance
des avantages et des risques pour la santé publique et l’environnement»
(Doc. 13117, rapporteur: M. Valeriy Sudarenkov). Les règlements
en vigueur dans l’Union européenne en matière d’étiquetage exigent
la mention de nano-contenus dans les conditionnements alimentaires
en plastique et pourraient à l’avenir être étendus à d’autres types
d’emballages., au vu des conclusions de certaines études selon lesquelles ils pourraient être cancérigènes ou présenter d’autres dangers pour la santé sur le long terme.
37. Les effets de ces substances sur la santé humaine – même en petites quantités – et des mélanges de ces substances (effets «cocktail») n’ont pas encore été suffisamment étudiés. Les protocoles de recherche standards sur lesquels s’appuient actuellement les scientifiques qui conseillent les autorités européennes de sécurité des aliments limitent les études de toxicité à trois mois et visent à définir les concentrations maximales tolérables de contaminants isolés pour des animaux de laboratoire. Les besoins des personnes plus vulnérables que sont les enfants, les femmes enceintes et les personnes malades ou allergiques, beaucoup plus sensibles aux risques alimentaires que le reste de la population, ne sont pas convenablement pris en compte 
			(22) 
			Voir la Recommandation 1863 (2009) et le Doc. 11788 «Environnement
et santé: pour une meilleure prévention des risques sanitaires liés
à l’environnement», ainsi que les actes d’une conférence sur le
thème «Environnement et santé: pollution intérieure et maladies
multi-systèmes» (Strasbourg, 5 décembre 2008).. Cela remet en question une grande partie des normes de référence en vigueur au niveau européen.
38. A cet égard, citons l’affaire retentissante de contamination alimentaire à la mélamine survenue en Chine en 2008. Une fois ingérée, cette substance toxique ajoutée illégalement à du lait en poudre infantile a provoqué de graves insuffisances rénales, entraînant la mort de plusieurs nourrissons. Des contaminants toxiques, notamment de l’encre, contenus dans des aliments pour bébés ont aussi été détectés à plusieurs reprises dans des pays européens.
39. Par ailleurs, des recherches récentes ont établi la toxicité de certaines substances telles que le bisphénol A 
			(23) 
			Le bisphénol A ou «BPA»
a été critiqué pour la première fois en 1996 en raison de ses effets
toxiques à faible dose sur les animaux. Dans le consensus de Chappel
Hill sur le BPA, qui date de 2007, une quarantaine de scientifiques
ont mis en lumière ses effets, comme la puberté précoce chez les
filles, les perturbations du système neurologique, les troubles
du comportement et les risques de cancers hormonodépendants et de
maladies cardiovasculaires. Dans son rapport de septembre 2010,
la Food and Drug Administration des Etats-Unis a tiré la sonnette
d’alarme au sujet des risques pour les fœtus, les bébés et les jeunes
enfants., perturbateur endocrinien largement présent dans les emballages alimentaires en plastique. Cette substance est particulièrement dangereuse pour les bébés nourris au moyen de biberons contenant du bisphénol A. Le reste de la population n’échappe pas à cette substance que l’on retrouve à l’intérieur d’un grand nombre de boîtes de conserve et de canettes. L’Union européenne, le Canada et les Etats-Unis ont déjà interdit l’utilisation du bisphénol A dans la fabrication des biberons, mais il faut maintenant prendre des mesures concernant ses différentes utilisations dans le secteur alimentaire. Dans l’Union européenne, à compter de 2014, toute présence de substances chimiques pouvant avoir des effets potentiels sur les systèmes endocriniens devra être signalée par l’étiquetage des produits alimentaires et toute nouvelle substance présentant des risques similaires se verra refuser la certification.
40. Les incertitudes qui pèsent sur les OGM sont un autre point inquiétant pour les consommateurs européens. Alors que les dispositions réglementaires européennes exigent le signalement des concentrations d’OGM supérieures à 0,9 % par l’étiquetage des produits alimentaires, les OGM sont présents en quantité massive dans la nourriture des animaux destinés à la consommation humaine – et cela malgré l’absence de preuves scientifiques que la nourriture ainsi produite est suffisamment sûre en cas d’exposition fréquente et prolongée. Ce dernier point a été mis en lumière dans une étude récente qui a établi un lien entre l’alimentation d’animaux de laboratoire à base de maïs OGM sur une longue durée et l’apparition de cancers 
			(24) 
			Voir l’étude «Long-term toxicity of a Roundup herbicide and
a Roundup-tolerant genetically modified maize» (toxicité à
long terme d’un herbicide Roundup et d’un maïs tolérant au Roundup
génétiquement modifié), Gilles-Eric Séralini, Emilie Clair, Robin
Mesnage, Steeve Gress, Nicolas Defarge, Manuela Malatesta, Didier
Hennequin, Joël Spiroux de Vendômois, publiée en 2012 dans la revue Food and Chemical Toxicology, <a href='http://dx.doi.org/10.1016/j.fct.2012.08.005'>http://dx.doi.org/10.1016/j.fct.2012.08.005</a>.. La polémique qui a suivi et la vive inquiétude soulevée dans la communauté scientifique et le grand public ont cependant été de courte durée et la position de l’EFSA sur le sujet se veut plutôt rassurante.
41. A ce jour, la crise alimentaire qui a le plus ému la communauté internationale est celle de l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), plus connue sous le nom de «maladie de la vache folle». Cette maladie cérébrale mortelle des bovins a été diagnostiquée pour la première fois au Royaume-Uni en 1986. Dix ans plus tard, des cas de survenue précoce de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ont été identifiés pour la première fois; le lien entre les deux maladies a été rapidement établi, confirmant qu’il s’agissait de la variante humaine de l’ESB. L’onde de choc provoquée dans la communauté internationale a conduit à prendre conscience que la qualité des aliments importait tout autant, si ce n’est davantage, que leur quantité.
42. Cet épisode marquant est à l’origine de la réforme et du durcissement des réglementations sanitaires. Les conséquences ont été immédiates sur la fréquence des contrôles de la qualité des produits alimentaires. Cela a permis en outre de clarifier les responsabilités de tous les maillons de la chaîne d’approvisionnement alimentaire, de l’agriculteur au consommateur. En revanche, l’épidémie due à la bactérie Escherichia coli, qui a touché l’Europe en 2011 et provoqué de nombreux cas de défaillances rénales graves et même de décès, 
			(25) 
			On
a pensé au départ que la contamination provenait de concombres bio
cultivés en Espagne, mais il a été prouvé par la suite que le problème
venait de graines de fenugrec contaminées importées d’Egypte. Selon
les données de l’EFSA, 3 950 personnes ont été infectées et 53 sont
décédées. a montré que les vérifications et les contrôles effectués le long de la chaîne d’approvisionnement alimentaire demeuraient insuffisants, notamment pour ce qui concerne les contaminations microbiologiques. Le problème de la sécurité sanitaire des aliments «du champ à l’assiette» reste d’actualité et appelle l’adoption de stratégies transversales pour mieux protéger la qualité de ce que l’on mange.
43. Enfin, nous devons être plus attentifs aux effets de la nourriture sur notre santé. Pour ce faire, nous avons besoin d’informations scientifiques indépendantes sur les risques liés à l’alimentation 
			(26) 
			Ce mandat a été confié
à l’EFSA au sein de l’Union européenne. et nous devons encourager la population à adopter de saines habitudes alimentaires. Pour permettre aux consommateurs de faire les meilleurs choix alimentaires en fonction de leurs besoins et de leurs préférences, l’étiquetage des aliments doit être lisible, facile à comprendre et précis. Plusieurs membres de l’Assemblée ont signalé des problèmes réglementaires en lien avec la vente de boissons énergétiques aux enfants en raison des effets nocifs que peuvent avoir ces boissons sur la santé et le comportement 
			(27) 
			Voir
la proposition de résolution (Doc.
13120) déposée par Mme Dangutė Mikutienė et plusieurs de ses
collègues..

5. Stratégies de renforcement de la sécurité alimentaire

44. Comme nous venons de le voir, la sécurité alimentaire est une question transversale qui touche de nombreux domaines, allant de la démographie à l’environnement et aux marchés, en passant par la santé publique. Alors que les pays sont toujours plus interdépendants, les relations internationales jouent un rôle clé pour atténuer les tendances négatives et mieux exploiter de nouvelles possibilités d’amélioration de la sécurité alimentaire.
45. Pour faire face à ces défis multiples, les politiques européennes en matière de sécurité alimentaire mettent l’accent sur les solutions à apporter aux pénuries alimentaires et aux problèmes de qualité des denrées, en les plaçant au cœur des stratégies de réduction de la pauvreté et des risques. Elles tiennent compte par ailleurs des causes profondes de l’insécurité alimentaire, notamment de la dégradation de l’environnement, des défaillances des systèmes de production et du dysfonctionnement des marchés, ainsi que des inégalités sociales. Les risques pour la sécurité alimentaire doivent être évités mais aussi anticipés.

5.1. Mesures visant à améliorer la sécurité sanitaire des aliments

46. En conséquence, c’est le principe général de précaution qui, depuis quelques décennies, régit les stratégies et initiatives européennes visant à protéger la sécurité alimentaire, et en particulier la sécurité sanitaire des aliments. Dans tous les cas où les informations scientifiques concernant la sécurité sanitaire des aliments sont «incomplètes, peu concluantes ou incertaines» et où une évaluation préliminaire indique «qu’il est raisonnable de craindre» des effets potentiellement dangereux pour la santé humaine, animale ou végétale, c’est le principe de précaution qui prévaut 
			(28) 
			Communication de la
Commission européenne sur le recours au principe de précaution,
2 février 2000., afin d’assurer le niveau élevé de protection recherché par l’Union européenne 
			(29) 
			Le principe est apparu
pour la première fois dans le droit positif allemand, avec l’adoption
en 1974 d’une loi sur les pluies acides évoquant le «Vorsorgeprinzip». A l’origine, le
principe s’appliquait uniquement à la protection de l’environnement.
Il avait trait principalement à l’analyse des risques, à l’évaluation,
à la gestion et à la communication. . Si une menace potentielle est avérée, elle est susceptible d’entraîner des restrictions dans les échanges commerciaux des produits alimentaires.
47. Cela étant, si l’Europe évoque fréquemment le principe de précaution, les Etats-Unis privilégient pour leur part une simple analyse des risques. Selon les réglementations européennes 
			(30) 
			Règlement (CE) n° 178/2002
établissant les principes généraux et les prescriptions générales
de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne
de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la
sécurité des denrées alimentaires., toute mesure d’urgence prise par les autorités doit être suivie d’un examen scientifique dans un délai raisonnable. Les Etats-Unis contestent cette méthode, puisque, de leur point de vue, le commerce mondial ne devrait pas être restreint tant qu’il n’y a pas de preuve scientifique de la nocivité d’un produit, comme dans le cas des hormones de croissance données au bétail. Les Etats-Unis considèrent par conséquent l’interdiction de l’Union européenne sur l’importation de viande traitée aux hormones comme un protectionnisme déguisé. De toute évidence, le principe de précaution doit être invoqué avec circonspection.
48. Au niveau de l’Union européenne, les préoccupations liées à la sécurité sanitaire des aliments ont abouti à la création, en 2002, de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et à l’entrée en vigueur, en 2006, du paquet «Hygiène» 
			(31) 
			Le paquet «Hygiène»,
basé sur le Règlement (CE) n° 178/2002, a été complété par la suite
par les règlements 852/2004 et 853/2004.. L’EFSA a pour mission d’évaluer les risques dans le secteur alimentaire et de prodiguer des conseils scientifiques sur le sujet, tandis que le paquet Hygiène a pour objet le maintien de normes sanitaires élevées dans la production alimentaire et l’application de règles spécifiques pour les aliments d’origine animale. Dans l’Union européenne, les agriculteurs et les producteurs agroalimentaires sont tenus d’utiliser des systèmes de contrôle de la qualité 
			(32) 
			Notamment le système
d’analyse des dangers et des points critiques pour leur maîtrise
(HACCP) et les normes de contrôle qualité comme celles de l’Organisation
internationale de normalisation (ISO 9000) et la norme européenne
(ES 29000).. Le cas échéant, le système d’alerte rapide de l’Union européenne peut être déclenché – rien qu’en 2012, 547 alertes ont été lancées et 1 743 cargaisons dangereuses ont été interceptées à la frontière, les pays non membres de l’Union européenne étant eux aussi informés des problèmes qui se posent.
49. Au niveau mondial, le Codex Alimentarius ou «Code alimentaire», créé conjointement par la FAO et l’OMS en 1961, est un recueil de codes d’usages contrôlés ayant pour objet la sécurité alimentaire, la protection des consommateurs et la préservation de l’environnement. Le Codex met en œuvre les dispositions réglementaires liées à la santé des êtres vivants et à la préservation des végétaux au titre de l’Accord sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires (Accord SPS) 
			(33) 
			Cet
accord de l’OMC datant de 1994 énonce les conditions dans lesquelles
les gouvernements peuvent mettre en place des mesures sanitaires
et phytosanitaires susceptibles d’affecter le commerce international.. L’objectif est d’assurer la sécurité alimentaire tout en empêchant que des réglementations trop strictes ne favorisent les producteurs nationaux. La Commission du Codex Alimentarius, organe exécutif de cet instrument, travaille de concert avec les gouvernements, qui peuvent s’inspirer de ses recommandations pour établir leurs propres normes et règles de sécurité, d’étiquetage et d’importation ou d’exportation des aliments. La FAO et l’OMS proposent une assistance spéciale aux pays en développement pour les aider à respecter les règles du Codex et les intégrer pleinement dans le marché mondial des denrées alimentaires.

5.2. Politiques environnementales et agricoles

50. L’économie verte et l’une de ses composantes – l’agriculture et la pêche – sont essentielles au développement durable et à l’éradication de la pauvreté et de la faim, comme l’ont reconnu les participants à la conférence Rio+20, qui s’est tenue en 2012. De même, le rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation plaide en faveur d’une agriculture, ainsi que d’une pêche, plus durables sur le plan environnemental et plus justes sur le plan social. Le système d’approvisionnement alimentaire devrait garantir une nourriture disponible pour tous, accroître les revenus des petits exploitants agricoles et assurer notre capacité à satisfaire les besoins futurs 
			(34) 
			Rapport du 20 décembre
2010 (A/HRC/16/49) du rapporteur spécial des Nations Unies sur le
droit à l’alimentation.. La conduite d’une lutte efficace contre le changement climatique, notamment par la conclusion d’un accord international contraignant sur un protocole Kyoto-2, est un objectif que tous les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient soutenir résolument 
			(35) 
			Une
initiative à cet égard a été lancée par M. John Prescott (Royaume-Uni,
SOC) de la commission des questions sociales, de la santé et du
développement durable (voir Doc.
13224). Le premier Protocole de Kyoto au titre de la Convention-cadre
des Nations Unies sur les changements climatiques a expiré en 2012..
51. Pour faire face au changement climatique de façon plus globale, les solutions à mettre en œuvre au niveau local passent notamment par l’amélioration des pratiques agricoles. Les cultures vivrières, l’utilisation des terres et les techniques d’irrigation devront être adaptées au réchauffement climatique. A cet égard, l’agriculture écologiquement intensive et l’agriculture durable ont un fort potentiel. Le maître-mot est l’optimisation des fonctions naturelles des écosystèmes afin d’obtenir des rendements comparables à ceux de l’agriculture conventionnelle, tout en limitant l’utilisation des produits chimiques et la dégradation environnementale et en améliorant la distribution des produits alimentaires. L’Union européenne s’oriente actuellement vers une agriculture et une pêche durables en vue de mieux intégrer les limites écologiques, économiques et sociales dans son système de production.
52. Au nombre des méthodes alternatives propices à la sécurité alimentaire, citons également l’agriculture biologique. Pour la FAO 
			(36) 
			Comme indiqué
à la Conférence sur l’agriculture biologique et la sécurité alimentaire
qui s’est tenue en mai 2007., ce type d’agriculture peut non seulement contribuer à la sécurité alimentaire, mais aussi réduire la pollution. En effet, la rotation des cultures rend les sols plus fertiles et accroît les rendements, tandis que les produits chimiques sont remplacés par des procédés biologiques. La stabilité accrue des écosystèmes contribue à garantir notre droit à un environnement sain et à une alimentation de meilleure qualité nutritionnelle. En privilégiant des canaux de distribution courts, l’agriculture biologique permet également de réduire les émissions polluantes. Enfin, elle fait appel à plus de main d’œuvre, ce qui permet de créer des emplois et favorise le développement rural. Toutefois, aussi louable soit-elle sur le plan écologique et social, elle ne pourra être une solution universelle tant que les prix de ses produits seront beaucoup plus élevés et les rendements inférieurs à ceux de l’agriculture intensive.
53. Les politiques agricoles sont étroitement liées au commerce et à l’environnement. Les pays membres de l’Union européenne cherchent à réformer leur politique agricole commune pour mieux équilibrer le soutien à l’agriculture et les besoins des consommateurs, les normes de qualité alimentaire et les exigences en matière de protection de l’environnement. Dans l’attente d’un accord mondial à l’OMC sur l’élimination progressive des subventions à l’exportation qui faussent le marché, l’Union européenne a déjà réduit considérablement ses restitutions à l’exportation. La clôture de chapitres clés, tels que l’agriculture, dans le cycle de négociations commerciales de Doha et le renforcement des clauses de sauvegarde pour les pays en développement pourraient donner un nouvel élan à la lutte contre l’insécurité alimentaire 
			(37) 
			Voir la Communication
de la Commission au Conseil et au Parlement européen sur «Un cadre
stratégique de l’UE pour aider les pays en développement à relever
les défis liés à la sécurité», Com(2010)127 final..
54. Dans le même ordre d’idées, nous devons redoubler d’efforts pour atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement, notamment le premier de ces objectifs, à savoir une réduction significative de la pauvreté extrême et de la faim à l’horizon 2015 – et au-delà. En effet, environ 75 % des populations pauvres et touchées par l’insécurité alimentaire vivent en milieu rural et tirent leur subsistance d’une agriculture à petite échelle. Une meilleure organisation des petits exploitants, par exemple dans le cadre de coopératives, permettrait à ces derniers de transformer les denrées qu’ils produisent et d’avoir une meilleure position de négociation sur les marchés alimentaires 
			(38) 
			Voir le rapport de
M. Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations Unies sur
le droit à l’alimentation, au Conseil des droits de l’homme des
Nations Unies, «Le secteur agroalimentaire et le droit à l’alimentation»
(A/HRC/13/33 du 22 décembre 2009, paragraphe 31).. Enfin, nous devons accroître l’aide au développement, surtout pour l’agriculture (qui ne représente actuellement que 4 % de l’aide), et honorer nos engagements en la matière.
55. L’action mondiale pour la sécurité alimentaire vise en outre une meilleure coordination entre les Etats et diverses autorités nationales. C’était précisément le but des ministres de l’agriculture du G20 lorsqu’ils ont lancé, en 2011, le Plan d’action sur la volatilité des prix alimentaires et sur l’agriculture, qui réaffirme le droit de chacun à une alimentation adéquate et l’importance de la sécurité alimentaire nationale. Pour contrer la volatilité des prix des denrées, le plan propose d’accroître la productivité agricole, la transparence des marchés 
			(39) 
			Dans
ce but, le système d’information sur les marchés agricoles (AMIS)
a été mis en place. Il est pleinement opérationnel depuis 2012. et la coordination des politiques et d’améliorer la gestion des risques par les gouvernements, les entreprises et les agriculteurs ainsi que la réglementation des marchés agricoles. Enfin, le rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation a identifié des «principes minimaux», au regard des droits de l’homme, «applicables aux acquisitions et locations de terres à grande échelle» dont la mise en œuvre pourrait être encouragée plus vigoureusement par les Etats européens 
			(40) 
			Voir
son rapport au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies,
décembre 2009..

5.3. Parer aux crises alimentaires, aux urgences et au gaspillage

56. Dans le secteur alimentaire, il est essentiel d’avoir une attitude proactive et de réagir rapidement en cas de crise. Les règlements de l’Union européenne 
			(41) 
			Voir le règlement n°
178/2002 (article 53). permettent l’adoption de mesures d’urgence concernant les importations de produits alimentaires en provenance de pays tiers pour protéger la santé humaine ou l’environnement si le risque ne peut être maîtrisé par les Etats membres eux-mêmes. Toutefois, les Etats ont ensuite la possibilité d’ajuster leur contrôle au niveau qu’ils souhaitent. Cette législation permet en outre d’empêcher l’importation de denrées fortement radioactives. Par exemple, après la catastrophe nucléaire de Fukushima, la Commission européenne 
			(42) 
			Voir le règlement d’application
(UE) n° 297/2011. a imposé des conditions spéciales à l’importation d’aliments et de nourriture animale en provenance du Japon. Pourtant, même avec un tel dispositif, les inspections des produits alimentaires importés ou produits localement doivent être effectuées de façon systématique et rigoureuse.
57. Il faut faire de la lutte contre le gaspillage alimentaire une priorité absolue de l’action pour le renforcement de la sécurité alimentaire. Le lancement d’une campagne mondiale contre le gaspillage de nourriture en janvier 2013 par des organismes spécialisés des Nations Unies (PNUE et FAO) devrait encourager tous les Etats membres du Conseil de l’Europe à mener des campagnes similaires à l’échelon national. L’Union européenne s’est donné pour objectif de réduire de moitié le gaspillage alimentaire à l’horizon 2020. D’autres propositions seront avancées en 2014 sur la viabilité du système d’approvisionnement alimentaire, mettant l’accent sur le problème du gaspillage de nourriture. L’EFSA travaille aussi à une révision des dates limites de vente et des dates limites d’utilisation optimale pour certains types de produits alimentaires.
58. L’une des solutions envisageables pour sortir de l’insécurité alimentaire est de constituer des réserves alimentaires au niveau national ou régional, comme l’a montré la crise alimentaire mondiale de 2007-2008. Cette pratique peut être un moyen efficace de réduire la volatilité des prix des récoltes, de limiter la spéculation et de maintenir le niveau de revenu des agriculteurs, mais aussi d’atténuer les risques naturels, de rendre les aliments plus abordables et d’enrayer la famine. Il existe par ailleurs des programmes mondiaux ciblés, destinés à combattre la famine, comme le Programme thématique de sécurité alimentaire 
			(43) 
			Le
programme vise à identifier les problèmes de fond et place l’agriculture
au cœur du débat international sur le développement. Il concerne
tous les pays en développement et accorde une attention spéciale
aux enfants de moins de cinq ans, aux populations affectées massivement
par des maladies chroniques, aux femmes et aux petits agriculteurs. en faveur des pays les plus pauvres et le programme spécial de la FAO pour la sécurité alimentaire 
			(44) 
			Ce
programme est consacré depuis 1994 à l’amélioration de la sécurité
alimentaire par la création d’emplois et de revenus dans le secteur
agricole et dans d’autres secteurs, tout en favorisant l’accès à
l’alimentation et la coopération Sud-Sud. destiné aux pays à faible revenu et à déficit vivrier. Pour faire face à l’insécurité alimentaire dans les zones de conflit, le rôle de la communauté internationale et, en particulier, le Programme alimentaire mondial des Nations Unies (PAM) demeurent primordiaux.

6. La quête de solutions: conclusions et recommandations

59. Comme nous l’avons vu, la sécurité alimentaire, sous l’angle quantitatif comme sous l’angle qualitatif, ne saurait être tenue pour acquise dans de nombreuses régions du monde, y compris en Europe. Les Etats doivent constamment veiller à ce que les populations aient accès à des approvisionnements adéquats en nourriture et en eau sans compromettre les conditions de vie des générations futures. Nous devons pour cela utiliser les ressources naturelles de façon responsable, adapter nos orientations stratégiques et poursuivre des politiques transversales cohérentes qui permettront de faire reculer la pauvreté, de développer les zones rurales et de gérer intelligemment les chaînes d’approvisionnement alimentaire. Il importe également d’améliorer la mise en œuvre de nos stratégies et instruments.
60. Une série de mesures, précisées dans le projet de la résolution, peuvent être recommandées aux Etats membres au sujet des questions soulevées dans le présent rapport. Nos objectifs clés pour l’avenir sont le développement d’une agriculture durable et la mise en œuvre de mesures de lutte contre la faim et la pauvreté. Il nous faut par conséquent faire face au changement climatique de façon plus efficace, réduire sensiblement le gaspillage alimentaire et faire preuve de plus de solidarité avec les pays les plus pauvres et les groupes de population vulnérables. Il s’avère de plus en plus pertinent d’investir dans la qualité et la sécurité sanitaire des aliments pour préserver la santé publique et assurer la jouissance de l’ensemble des droits fondamentaux de l’homme.