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Résolution 1954 (2013) Version finale

La sécurité nationale et l'accès à l’information

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 2 octobre 2013 (32e séance) (voir Doc. 13293, rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, rapporteur: M. Díaz Tejera; et Doc. 13315, avis de la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias, rapporteur: M. Franken). Texte adopté par l’Assemblée le 2 octobre 2013 (32e séance).Voir également la Recommandation 2024 (2013).

1. L’Assemblée parlementaire rappelle l’importance du principe de transparence, notamment l’accès à l’information détenue par les autorités publiques, pour la démocratie et la bonne gouvernance en général, et pour la lutte contre la corruption en particulier.
2. Elle note avec satisfaction que le Conseil de l’Europe a été la première organisation intergouvernementale à élaborer un instrument juridique international sur l’accès à l’information, à savoir la Convention du Conseil de l'Europe sur l'accès aux documents publics (STCE n° 205), et rappelle son Avis 270 (2008) sur le projet de convention dans lequel l’Assemblée avait encouragé le Comité des Ministres à améliorer le texte en vue d’assurer une transparence encore plus grande. La convention doit encore obtenir quatre ratifications pour entrer en vigueur.
3. L’Assemblée considère les intérêts de sécurité nationale légitimes et clairement définis comme des raisons suffisantes pour retenir l’information détenue par les autorités publiques. En même temps, l’accès à l’information représente une composante essentielle de la sécurité nationale, en favorisant la participation démocratique, l’élaboration de politiques solides et le droit de regard du public sur l’action de l’Etat.
4. Rappelant les Principes de Syracuse concernant les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui autorisent des restrictions ou des dérogations, l’Assemblée confirme avec force que la violation systématique des droits de l’homme compromet la sécurité nationale et peut mettre en péril la paix et la sécurité internationales. L’Etat responsable de pareille violation n’invoquera pas la sécurité nationale comme justification.
5. Rappelant sa Résolution 1838 (2011) sur les recours abusifs au secret d’Etat et à la sécurité nationale: obstacles au contrôle parlementaire et judiciaire des violations des droits de l’homme et sa Résolution 1675 (2009) sur la situation des droits de l’homme en Europe: la nécessité d’éradiquer l’impunité, l’Assemblée souligne la nécessité de fixer des limites raisonnables à l’invocation de la sécurité nationale pour justifier des restrictions de l’accès à l’information.
6. En particulier, l’Assemblée confirme sa position, exprimée au paragraphe 4 de sa Résolution 1838 (2011), selon laquelle des informations concernant la responsabilité d’agents de l’Etat ayant commis de graves violations des droits de l’homme, comme des assassinats, des disparitions forcées, des actes de torture ou des enlèvements, ne sont pas des secrets dignes d’être protégés. Le «secret d’Etat» ne doit pas être invoqué pour soustraire de telles informations à un contrôle judiciaire ou parlementaire.
7. L’Assemblée se félicite de l’adoption, le 12 juin 2013, par une large assemblée d’experts d’organisations internationales et de la société civile, d’universitaires et de praticiens de la sécurité nationale, des «Principes globaux sur la sécurité nationale et le droit à l’information» (ci-après «les Principes de Tshwane»), qui sont basés sur les normes existantes et les bonnes pratiques des Etats et des institutions internationales. Les Principes de Tshwane visent à fournir des orientations aux législateurs et aux responsables concernés dans le monde entier en vue de parvenir à un juste équilibre entre l’intérêt public en matière de sécurité nationale et en termes d’accès à l’information.
8. L’Assemblée adhère aux Principes de Tshwane et demande aux autorités compétentes de l’ensemble des Etats membres du Conseil de l’Europe de les prendre en compte en modernisant leur législation et leur pratique concernant l’accès à l’information.
9. L’Assemblée souhaite insister, en particulier, sur les principes suivants.
9.1. En règle générale, l’ensemble des informations détenues par les autorités publiques doivent être librement accessibles; de plus, les entreprises, notamment les sociétés privées de services militaires ou de sécurité, ont la responsabilité de divulguer l’information sur des situations, activités ou pratiques dont il y a raisonnablement lieu de croire qu’elles ont un effet sur l’exercice des droits de l’homme.
9.2. Les exceptions à la règle de libre accès à l’information qui sont basées sur la sécurité nationale, ou d’autres intérêts publics d’égale importance, doivent être prévues par la loi, poursuivre un but légitime et être nécessaires dans une société démocratique.
9.3. Les limitations à la règle du libre accès à l’information, y compris la règle de la neutralité d’internet, doivent être interprétées de manière restrictive. La charge de prouver la légitimité de toute restriction incombe à l’autorité publique qui souhaite retenir l’information.
9.4. Les règles sur la procédure de classification et de déclassification de l’information, et la désignation des personnes autorisées à exécuter ces tâches doivent être claires et publiquement accessibles. L’information peut être retenue pour des raisons liées à la sécurité nationale uniquement pendant le temps nécessaire pour protéger un intérêt légitime de sécurité nationale. Un réexamen des archives publiques contenant des informations secrètes devrait être effectué périodiquement afin de voir si la confidentialité reste légitime pour des raisons liées à la sécurité nationale.
9.5. En tant que correctif par rapport aux exceptions trop générales, l’accès à l’information doit être accordé même s’il fait en principe l’objet d’une exception légitime, dès lors que l'intérêt général que commande la communication de cette information revêt une importance supérieure à la défense des intérêts qui conduisent l’administration à la tenir secrète. Cet intérêt général prime habituellement lorsque la publication de l’information en question:
9.5.1. apporte d’importants éléments de réflexion à un débat public en cours;
9.5.2. favorise la participation des citoyens au débat politique;
9.5.3. fait état de graves abus, notamment de violations des droits de l’homme, d’autres infractions pénales, d’abus de fonctions publiques et de dissimulation intentionnelle d’actes répréhensibles graves;
9.5.4. renforce l’obligation de rendre des comptes dans la gestion des affaires publiques en général et dans l’utilisation des fonds publics en particulier;
9.5.5. présente un avantage pour la santé publique ou la sécurité publique.
9.6. L’information concernant des violations graves des droits de l’homme ou du droit humanitaire ne doit en aucun cas être retenue pour des raisons de sécurité nationale.
9.7. Toute personne qui signale des abus dans l’intérêt général (donneur d’alerte) doit être protégée de tout type de représailles, dans la mesure où il ou elle a agi de bonne foi et a suivi les procédures applicables.
9.8. Les demandes d’accès à l’information doivent être traitées dans un délai raisonnable. Les décisions de refuser l’accès doivent être dûment motivées, susceptibles de recours devant une instance nationale indépendante et soumises en dernier ressort à un contrôle juridictionnel. Dès réception d’une demande d’information, une autorité publique doit en principe confirmer ou infirmer qu’elle détient l’information demandée.
9.9. Les instances publiques de surveillance chargées de contrôler les activités des services de sécurité doivent être indépendantes du pouvoir exécutif et disposer de compétences pertinentes, de solides pouvoirs d’investigation et du plein accès aux informations protégées.
10. La neutralité d’internet exige que les pouvoirs publics, les fournisseurs d’accès internet et d’autres s’abstiennent de recourir à des techniques d’écoute portant atteinte à la vie privée comme l’inspection des paquets en profondeur ou de s’immiscer dans le trafic de données des utilisateurs d’internet.
11. Rappelant la Recommandation n° R (2000) 7 du Comité des Ministres sur le droit des journalistes de ne pas révéler leurs sources d’information, l’Assemblée réaffirme que les mesures ci-après ne devraient pas être appliquées si elles visent à contourner le droit des journalistes de ne pas divulguer des informations identifiant leurs sources:
11.1. les décisions ou mesures d’interception concernant les communications ou la correspondance des journalistes ou de leurs employeurs;
11.2. les décisions ou mesures de surveillance concernant les journalistes, leurs contacts ou leurs employeurs;
11.3. les décisions ou mesures de perquisition ou de saisie concernant le domicile ou le lieu de travail, les effets personnels ou la correspondance des journalistes ou de leurs employeurs, ou des données personnelles ayant un lien avec leurs activités professionnelles.
12. L’Assemblée encourage tous les Etats membres du Conseil de l’Europe qui ne l’ont pas encore fait à signer et à ratifier la Convention du Conseil de l’Europe sur l’accès aux documents publics et à la mettre en œuvre et, en temps utile, à l’améliorer dans l’esprit des Principes de Tshwane.
13. L’Assemblée s’inquiète des récentes révélations concernant une surveillance des communications de grande ampleur par les services secrets et décide de suivre cette importante question en temps utile.