1. Introduction
1. Malgré l’amélioration continue du traitement, le
virus de l’immunodéficience humaine (VIH) reste une des maladies
transmissibles les plus dangereuses en Europe, en plus d’être associée
à une réduction considérable de l’espérance de vie et de la qualité
de vie et à des coûts de traitement élevés. Les migrants sont souvent
accusés de «propager le SIDA». Mais qu’en est-il en réalité? Dans
quelle mesure les migrations influent-elles sur la prévalence globale
du VIH en Europe? Quelles mesures les Etats membres et les institutions
doivent-ils prendre pour mieux comprendre la réalité du phénomène
et mieux y répondre? Quels sont les mécanismes qui peuvent être
mis en place pour encourager les conseils et le dépistage volontaire parmi
les migrants – plus particulièrement chez les femmes qui sont affectées
de manière disproportionnée par le virus – et leur assurer, en cas
de séropositivité, l’accès non discriminatoire aux soins de santé?
2. Le présent rapport s’efforce de répondre à ces questions et
d’évaluer si les réponses apportées par les Etats membres du Conseil
de l’Europe et d’autres pays sont appropriées et suffisamment coordonnées.
Dans le présent rapport, le terme «migrants» renvoie à tous les
groupes de migrants, y compris les réfugiés, les demandeurs d’asile
et les migrants sans papiers, sauf indication contraire.
3. Le présent rapport a été établi avec l’aide du réseau international
de Médecins du Monde. Je les remercie pour leur contribution très
utile. Au cours de l’élaboration du présent rapport, j’ai également
effectué deux visites d’information au Portugal et en Ukraine pour
étudier la situation sur le terrain. Je tiens à remercier les délégations
parlementaires et les autorités de ces pays pour leur aide et les
informations fournies au cours de mes visites.
2. Informations
générales sur le VIH/SIDA et les migrations en Europe
4. D’une manière générale, les informations relatives
à la santé des migrants font défaut dans la plupart des pays européens.
Cela limite les possibilités pour contrôler et comparer les inégalités
en matière de santé, d’accessibilité aux soins de santé et pour
évaluer quelles sont les mesures les plus efficaces pour améliorer
la santé des migrants
.
En raison du manque de données et d’éléments concrets sur la prévalence
du VIH parmi les migrants en Europe, les informations contenues
dans le présent rapport doivent être traitées avec prudence. Les
comparaisons transnationales sont également difficiles car il n’existe
aucune définition commune du terme «migrant» dans la collecte de
données épidémiologiques
. Néanmoins,
des données laissent à penser que les migrants originaires de pays
où la prévalence du VIH/SIDA est élevée, particulièrement en Afrique
subsaharienne, sont affectés de manière disproportionnée par le
VIH
.
5. En raison de l’insuffisance de données précises, un questionnaire
a été envoyé via le réseau du Centre européen de recherche et de
documentation parlementaires (CERDP) à l’ensemble des parlements
des Etats membres du Conseil de l’Europe pour obtenir des informations
plus détaillées sur la lutte contre le VIH/SIDA auprès des migrants
et des réfugiés. Trente Etats membres du Conseil de l’Europe ont
répondu au questionnaire et leurs réponses ont permis d’illustrer,
avec des faits et des chiffres concrets, les principales tendances
de la situation des migrants affectés par le VIH/SIDA en Europe.
2.1. Facteurs de vulnérabilité
spécifiques aux migrants
6. Les migrants sont confrontés à de nombreux obstacles
pour accéder aux services de prévention et de traitement du VIH,
que ce soit sur le plan juridique, politique ou pratique. Par exemple,
dans la pratique, la barrière de la langue peut empêcher les migrants
d’accéder à des informations générales sur le VIH et rendre la communication
difficile avec les professionnels de la santé. En outre, les migrants
donnent la priorité à l’emploi et de ce fait il est rare qu’ils
consacrent du temps ou de l’argent aux soins de santé, et encore
moins aux soins de santé préventifs.
7. Il ressort d’une étude européenne que la perception élevée
du risque et la peur de la mort et de la maladie chez les migrants
africains constituent un obstacle au dépistage du VIH, surtout pour
ceux qui ne peuvent pas accéder aux soins du VIH, que ce soit dans
leur pays d’origine ou en Europe
.
Dans de nombreux pays d’origine, le VIH est synonyme de mort en
raison de l’absence de traitement disponible et de la croyance répandue
que le VIH entraîne également la perte de la faculté de procréer.
Dans de nombreux contextes africains, le fait de ne pas avoir d’enfants
conduit à l’exclusion sociale et à la marginalisation, car le rôle
sociétal des hommes, et encore plus celui des femmes, est souvent
lié à leur capacité de reproduction.
8. Le Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies
(ECDC) a identifié les groupes suivants comme étant les groupes
de migrants les plus vulnérables à l’infection par le VIH: les femmes migrantes,
les hommes migrants ayant des rapports sexuels avec des hommes,
les migrants hétérosexuels qui ont un comportement à haut risque
(commerce du sexe, consommation de drogues, mais également partenaires
multiples) ainsi que les détenus
.
Au cours de la dernière décennie, on a pu constater une féminisation
de l’infection par le VIH chez les migrants. Les femmes sont plus
vulnérables au virus, tant sur le plan biologique que social. Les
raisons sociales en sont notamment les suivantes: elles subissent
une pression pour procréer et avoir des rapports sexuels non protégés,
elles sont exposées à la violence sexuelle et elles n’ont pas accès
à des services de prévention du VIH qui tiennent compte de leurs
besoins particuliers. En ce qui concerne les hommes migrants qui
ont des rapports sexuels avec des hommes, ce groupe est en grande partie
«invisible» en raison de la stigmatisation qui y est associée.
9. Comme cela est le cas pour d’autres groupes vulnérables, de
nombreux migrants manquent de connaissances générales sur le VIH
et d’autres infections sexuellement transmissibles (IST). Ils ne connaissent
pas suffisamment les modes de transmission et les stratégies de
prévention. Nombreux sont ceux qui ne savent pas comment accéder
aux services de santé préventifs et curatifs disponibles dans leur
pays de résidence. Bon nombre de migrants sans papiers ne disposent
que de peu de connaissances sur les services disponibles concernant
le VIH. Il ressort d’une enquête internationale réalisée par Médecins
du Monde (2008) que seulement 35,4 % de tous les patients sans papiers
interrogés étaient informés de la possibilité de passer un test
de dépistage gratuit du VIH. En outre, 50,1 % ont indiqué ne pas
savoir si le dépistage était gratuit ou non et 12,9 % ont affirmé
(à tort) que les tests de dépistage étaient payants
.
10. Lorsqu’une personne est diagnostiquée séropositive, des examens
cliniques plus approfondis permettent de déterminer le laps de temps
qui s’est écoulé entre l’infection et le diagnostic. Il a été démontré que
les diagnostics tardifs avaient une incidence directe sur les décès
liés au SIDA. La majorité des infections chez les migrants sont
diagnostiquées pour la première fois en Europe. En 2012, parmi les
migrants qui se sont rendus dans des centres de soins de Médecins
du Monde en France, 67 % ne connaissaient pas leur statut sérologique
.
2.2. Données épidémiologiques
sur le VIH et les migrations
11. En raison du manque de données disponibles et de
difficultés méthodologiques, il est difficile de déterminer avec
exactitude dans quelle mesure les migrations influent sur la prévalence
globale du VIH/SIDA en Europe. Trente Etats membres ont répondu
au questionnaire élaboré aux fins d’établir le présent rapport. Sur
les 30 Etats, seuls sept ont indiqué communiquer des données sur
le nombre estimé de migrants en situation régulière et irrégulière
vivant avec le VIH dans leur pays. Cependant, il ressort clairement
des données de nombreux pays que les migrants originaires de pays
où l’épidémie de VIH est généralisée, surtout en Afrique sub-saharienne,
sont affectés de manière disproportionnée par le VIH, par rapport
à la population native des pays d’accueil. Par ailleurs, lorsque
l’on compare les migrants à la population native de leur pays d’origine
(où la prévalence du VIH/SIDA est élevée), la proportion de migrants
infectés par le VIH/SIDA est généralement plus faible, ce qui peut
s’expliquer par «l’effet du migrant en bonne santé» (voir paragraphe
73). En 2011, pour les pays d’Europe de l’Est et pour certains pays
d’Europe centrale, la proportion de migrants parmi la population
infectée par le VIH était inférieure à 10 % de la totalité des infections.
Pour la plupart des pays d’Europe du Nord, elle était supérieure
à 40 %. Pour la majorité des pays d’Europe occidentale, la proportion
de migrants parmi les personnes infectées par le VIH se situait
entre 20 % et 40 %
.
12. La question de savoir si les migrants contractent majoritairement
le VIH dans leur pays d’origine ou après avoir migré pourrait alimenter
un discours xénophobe. Cependant, la réponse est importante pour déterminer
quelles politiques de santé publique sont susceptibles d’être les
plus efficaces pour lutter contre le VIH/SIDA.
13. Cependant, l’état actuel de la recherche épidémiologique en
Europe ne permet pas de répondre à cette question avec certitude.
Une étude menée récemment par l’ECDC (2013)
a révélé des différences importantes entre
les pays de destination en ce qui concerne la proportion d’infections
post-migratoires: cette proportion s’élève à 2 % pour les Africains
sub-sahariens en Suisse alors qu’elle atteint 62 % chez les hommes noirs
caribéens ayant des rapports sexuels avec des hommes au Royaume-Uni.
Selon l’Aide suisse contre le SIDA, quelque 62 %
des migrants séropositifs originaires
de pays à forte prévalence diagnostiqués en Suisse ont déclaré avoir
contracté le virus dans leur pays d’origine. Environ 11 % seulement
des migrants séropositifs ont déclaré avoir été infectés en Suisse
.
14. Les travailleurs migrants qui vivent seuls, loin de leur conjoint
ou de leur partenaire sexuel habituel, peuvent être davantage exposés
au virus. Cela serait dû au fait qu’ils cherchent d’autres partenaires occasionnels,
augmentant leur propre risque d’exposition au VIH et celui de leurs
partenaires sexuels.
15. Pour conclure, les migrants sont plus touchés par le VIH/SIDA
que l’ensemble de la population, surtout en Europe du Nord et en
Europe occidentale, en raison de la situation épidémiologique dans
leur pays d’origine mais aussi de leur vulnérabilité accrue dans
les pays de destination européens.
3. Obstacles à la
prévention et au traitement du VIH/SIDA chez les migrants en Europe
16. Les services de prévention et de traitement ne sont
pas toujours adaptés et accessibles aux migrants. Conjugués aux
politiques migratoires restrictives, les vulnérabilités des migrants
et les obstacles aux services forment une interaction complexe qui
constitue une menace pour la santé publique.
3.1. Politiques nationales
restrictives en matière de migration et de santé
17. Ainsi que l’ont fait observer de nombreuses organisations
internationales compétentes telles que l’ONUSIDA (Programme commun
des Nations Unies sur le VIH/SIDA), l’Organisation mondiale de la
santé (OMS) Europe ou encore l’ECDC, une législation restrictive
en matière d’accès aux soins de santé des migrants sans papiers
nuit à l’efficacité de la prévention et du traitement du VIH/SIDA.
En outre, les politiques migratoires font naître chez les migrants
sans papiers la crainte d’être expulsés ou dénoncés, créant de ce
fait des obstacles supplémentaires considérables aux soins de santé.
Il peut en résulter une multiplication du nombre d’infections et
des diagnostics tardifs constituant une menace directe pour la santé
publique. En outre, le fait d’exclure les migrants d’un traitement
antirétroviral revient à une condamnation à mort presque certaine. D’autres
Etats membres permettent en théorie aux migrants d’accéder aux soins
de santé, mais ils ont créé des contraintes administratives ou financières
complexes qui se traduisent par des conséquences inverses pour les
migrants sans papiers.
18. Je regrette de devoir dire que des pays tels que l’Allemagne,
la Grèce, la Suède et mon propre pays, la Suisse, offrent les pires
conditions législatives en ce qui concerne l’accès aux soins de
santé des migrants sans papiers. Cependant, dans chacun de ces pays,
des professionnels de la santé passent outre ces lois pour des raisons
humanitaires et éthiques et prennent en charge un traitement antirétroviral
coûteux et de longue durée sans aucun remboursement de l’Etat.
19. En Suisse, les migrants
sans papiers – à l’instar des ressortissants suisses – ont l’obligation
de souscrire une assurance maladie privée très coûteuse pour pouvoir
bénéficier des soins de santé de base (plus de 250 € par mois).
Une procédure de recours judiciaire est engagée lorsque les primes
ne sont pas payées en temps voulu. Il faut présenter une pièce d’identité
et un justificatif de domicile pour pouvoir souscrire une assurance.
Les services de l’immigration risquent également d’être alertés
lorsqu’un migrant souscrit une assurance maladie. En général, la
politique d’assurance maladie en Suisse, avec son système complexe
de primes mensuelles, de franchise (le montant que l’assuré choisit
de payer avant que l’assurance maladie prenne en charge les coûts)
et de quote-part (un montant maximal dont l’assuré doit s’acquitter
pour les frais médicaux) constitue un obstacle considérable à l’accès
et, dans la pratique, ces obstacles rendent le plus souvent le traitement
inaccessible.
20. En Suède, les migrants
sans papiers étaient explicitement exclus des soins de santé (y
compris les soins d’urgence) à moins qu’ils ne s’acquittaient de
la totalité des coûts. Je me félicite du fait qu’en juillet 2013, une
nouvelle loi a été adoptée pour permettre aux migrants adultes sans
papiers de bénéficier du même type d’accès aux soins de santé que
les demandeurs d’asile. Les enfants des migrants sans papiers auront
les mêmes droits que les enfants suédois. Mais les demandeurs d’asile
ont uniquement accès aux «soins qui ne peuvent pas être reportés»
(à savoir les soins ante et postnataux, la planification familiale,
l’avortement, les soins dentaires urgents). Les professionnels suédois
de la santé ne savent pas encore clairement dans quelle mesure les
migrants sans papiers pourront bénéficier des services de prévention
et de traitement du VIH.
21. Dans la Fédération de Russie,
les migrants sans papiers ne peuvent pas accéder aux soins de santé car
ceux-ci font partie du système d’assurance sociale.
22. En Grèce, les migrants
sans papiers n’ont aucun accès aux soins de santé, à l’exception
des soins d’urgence, et ce uniquement jusqu’à ce que l’état de santé
du patient se soit stabilisé. Bien que le VIH soit considéré comme
une urgence, on ne sait pas très bien ce que «stabilisation» signifie
dans ce contexte. C’est le professionnel de la santé qui décide
si un migrant sans papiers peut ou non continuer de bénéficier du traitement
antirétroviral. Les réfugiés et les demandeurs d’asile ont accès
au traitement, mais il est très difficile de demander l’asile en
Grèce. En outre, la crise économique et financière met le système
de santé grec à rude épreuve. Selon les professionnels de la santé
et les organisations de la société civile grecs, dans la pratique, les
migrants n’ont plus accès aux services de santé publique.
23. En Allemagne, le dépistage
du VIH et de l’hépatite est généralement accessible à tous et anonyme
(de jure et de facto), la
plupart des centres de santé communaux disposent d’unités de dépistage.
Cependant, pour tout traitement médical autre qu’un traitement d’urgence,
y compris le traitement du VIH, les migrants sans papiers doivent
demander un Krankenschein (certificat
de maladie) afin de pouvoir bénéficier d’aides publiques du bureau
de protection sociale. Les bureaux de protection sociale ont l’obligation
de signaler les migrants sans papiers à la police de l’immigration,
ce qui les empêche en réalité d’accéder aux soins de santé.
24. Certains pays européens disposent de procédures particulières
de dépistage du VIH pour les étrangers qui entrent dans le pays.
Ces procédures ne sont pas obligatoires, mais systématiquement proposées
dans les circonstances suivantes: test de dépistage volontaire du
VIH proposé au cours de l’examen médical des étrangers qui demandent
un titre de séjour (Luxembourg), test de dépistage volontaire du
VIH proposé aux demandeurs d’asile et aux réfugiés selon le pays
d’origine (Finlande). Ces différentes procédures doivent être considérées
avec prudence car elles pourraient créer des obstacles pour accéder
à un statut juridique selon les modalités de mise en œuvre.
3.2. Obstacles sociaux
et administratifs
25. Pour les migrants, le fait de rencontrer des difficultés
pour accéder à un logement ou au marché de l’emploi constitue un
obstacle supplémentaire alors qu’ils doivent déjà accepter le diagnostic
du VIH, faire face aux préjugés qui y sont associés et suivre un
traitement médical. Certains migrants séropositifs doivent également
surmonter des traumatismes psychologiques ou d’autres troubles mentaux
(par exemple les réfugiés qui ont été infectés par le VIH lors d’un
viol). Les demandeurs d’asile qui sont hébergés dans des centres
d’accueil ont souvent des difficultés à conserver et/ou à prendre
leurs médicaments antirétroviraux en toute sécurité, sans se faire
remarquer des autres (stigmatisation). Bien souvent, les migrants
atteints du VIH/SIDA ne bénéficient d’aucun accompagnement social
et les interventions psychologiques tenant compte des spécificités
sociales et culturelles des communautés de migrants sont rares.
Enfin, il existe très peu d’études européennes sur les conditions
de vie des migrants atteints du VIH/SIDA.
26. Si l’on passe en revue les réponses nationales au VIH/SIDA
en Europe, nous avons la confirmation que la langue est une barrière
importante à la prévention du VIH et à l’accès aux soins de santé
des migrants. Il existe relativement peu de campagnes adaptées qui
encouragent les migrants à utiliser les services de dépistage ou
à participer à des programmes d’éducation sexuelle (par exemple
supports disponibles dans d’autres langues, mise à disposition de
supports visuels pour les personnes qui ne savent pas lire ou écrire, médiateurs
interculturels faisant partie de la communauté ou autres programmes
fondés sur la communauté). En outre, le VIH/SIDA est toujours considéré
comme un sujet tabou par certains professionnels de la santé, ce qui
est exacerbé par le fait que les déterminants sociaux de la santé
et les obstacles aux soins de santé ne font partie d’aucune formation
professionnelle.
3.3. Contraintes financières
27. Lorsqu’aucune restriction légale ne s’applique, la
principale contrainte est souvent d’ordre financier. Dans certains
pays européens, les services de traitement du VIH ne sont pas gratuits
pour les migrants, même lorsqu’ils sont munis d’un titre de séjour.
La Suisse prévoit un accès gratuit au traitement du VIH et des infections
sexuellement transmissibles uniquement lorsqu’il est considéré comme
«urgent»; dans le cas contraire, le dépistage doit être payé ou
devra être pris en charge par un régime d’assurance maladie.
28. Comme nous l’avons déjà indiqué, plusieurs obstacles dissuadent
les migrants de se faire dépister. Ils n’ont donc pas connaissance
de leur statut sérologique et ne reçoivent pas de traitement en
temps voulu. Cela se traduit par une prévalence plus élevée du VIH
parmi la population, qui entraîne à son tour des coûts de santé plus
élevés, à la fois pour les patients et pour les systèmes de santé
nationaux.
4. Préoccupations
en matière de droits de l’homme pour les migrants atteints du VIH/SIDA
29. Les droits de l’homme sont inextricablement liés
à la propagation du VIH et à son incidence. Les principales préoccupations
en matière de droits de l’homme en ce qui concerne les questions
de protection liées aux migrants ont été soulevées par le Haut-commissariat
des Nations Unies pour les réfugiés dans son Plan stratégique pour
la lutte contre le VIH et le SIDA (2008-2012) et dans d’autres documents
connexes
.
4.1. Discrimination
et mesures juridiques de lutte contre la discrimination
30. Les migrants sont souvent victimes de discrimination
et de stigmatisation. Ils ont souvent moins accès aux soins de santé
que la population native. Ainsi que l’ancien Commissaire aux droits
de l’homme du Conseil de l’Europe l’a affirmé à juste titre: «Le
refus d’un traitement essentiel peut porter atteinte au droit à
la vie garanti par la CEDH; dans le contexte extrême d’une maladie
terminale, comme le sida, le renvoi vers un pays où le traitement
n’est pas disponible pourrait porter atteinte au droit d’être protégé
contre des traitements inhumains et dégradants. De la même façon,
dans les pays où la prise en charge des femmes enceintes est normalement
gratuite, le fait d’exiger un paiement lorsqu’il s’agit de migrantes
en situation irrégulière soulève des questions de discrimination
dans l’exercice du droit à la vie, à une protection contre les traitements inhumains
et à la vie familiale.
»
31. Les personnes atteintes du VIH font aussi souvent l’objet
de discrimination et de stigmatisation, lorsqu’il est question de
logement, de marché de l’emploi ou de l’accès aux soins de santé
et de leur qualité. De ce fait, les migrants séropositifs sont souvent
victimes d’une double discrimination. Comme indiqué ci-dessus, certains
groupes de migrants vulnérables peuvent même être confrontés à une
exclusion multiple: ne pas avoir de titre de séjour, être une femme,
un professionnel du sexe, un homme ayant des rapports sexuels avec
des hommes, etc.
32. Selon le Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de
l’homme
: «Là où prévaut un environnement
ouvert et favorable aux personnes infectées par le VIH; là où elles
sont protégées de toute discrimination, traitées avec dignité, et
reçoivent un accès au traitement, aux soins et à un soutien; et
là où le SIDA ne fait l’objet d’aucune stigmatisation; les individus
ont plus de chances de se faire dépister afin de connaître leur
statut sérologique. Pour leur part, les personnes qui sont séropositives
peuvent surmonter leur statut plus efficacement, en se faisant soigner
et en recevant un soutien psychologique, et en prenant des mesures
pour éviter de transmettre le virus aux autres, réduisant de ce
fait l’incidence du VIH sur eux-mêmes et sur les autres dans la
société.» (traduction non officielle)
4.2. Lois et règlements
relatifs à l’entrée et au séjour en Europe
33. Au-delà du fait qu’elles constituent une violation
intentionnelle des droits de l’homme (y compris de la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l’homme), les experts internationaux
s’accordent à reconnaître que les restrictions de déplacement liées
au VIH ne sont ni efficaces ni effectives. Au contraire, elles nuisent
à la santé publique du pays d’accueil, en obligeant les migrants
à éviter de passer un test de dépistage du VIH de peur d’être renvoyés
et en faisant croire à la population locale qu’elle est en sécurité
en laissant entendre que le VIH/SIDA est un «problème étranger».
34. S’il est vrai que 41 Etats membres du Conseil de l’Europe
n’appliquent pas de restrictions concernant l’entrée et le séjour
en fonction du statut sérologique, ce n’est pas le cas de quelques
autres Etats membres
s’agissant de séjours de longue
durée.
35. En Andorre, les étrangers
vivant avec le VIH qui demandent des titres de séjour de longue
durée n’obtiendront pas de visa.
36. A Chypre, les étrangers
qui demandent un titre de séjour pour travailler ou étudier doivent
subir un examen médical demandé par le ministère de la Santé pour
exclure toute infection par le VIH. Les autorités ne délivreront
pas de titre de séjour si le résultat au test est positif. Les réfugiés
et les demandeurs d’asile subissent les mêmes tests mais si les
résultats sont positifs, ils peuvent bénéficier d’un traitement
et d’un conseil gratuits.
37. En Bavière, en Allemagne,
les étrangers ayant l’intention de rester plus de 180 jours peuvent
être invités à passer un test de dépistage du VIH. Les demandeurs
d’asile sont systématiquement dépistés pour le VIH, mais ils sont
seulement informés du test lorsque celui-ci se révèle positif.
38. Dans la République de Moldova,
le dépistage du VIH est obligatoire pour les titres de séjour au-delà de
trois mois. Les personnes atteintes du SIDA n’obtiendront pas de
titre de séjour et peuvent être expulsées.
39. Dans la
Fédération de Russie, un
résultat négatif au test de dépistage du VIH est exigé pour les
séjours de longue durée (plus de trois mois), pour les étudiants
et les travailleurs étrangers. En outre, selon la loi fédérale sur
la prévention de la propagation dans la Fédération de Russie de
la maladie causée par infection au VIH, les étrangers fichés comme
séropositifs doivent être expulsés de la Fédération de Russie
.
40. En République slovaque,
les étrangers qui demandent un titre de séjour sont tenus de présenter
un certificat attestant que le demandeur n’est pas atteint d’une
maladie transmissible. Aucun titre de séjour ne sera délivré à des
personnes atteintes du VIH/SIDA.
4.3. Accès à l’information
et à l’éducation en matière de prévention et de traitement du VIH
41. Comme nous l’avons déjà indiqué, il est important
d’adopter des approches spécifiques aux migrants en matière de prévention
du VIH. Pour élaborer des programmes efficaces de prévention du
VIH en faveur des migrants, il sera essentiel d’impliquer la communauté.
4.4. Accès au dépistage
volontaire et anonyme et aux soins
42. Malgré un taux de dépistage élevé du VIH en Europe,
un grand nombre de patients séropositifs commencent leur traitement
tardivement et bon nombre d’entre eux ignorent qu’ils sont porteurs
du virus au moment du diagnostic. Selon l’ECDC
, «de nombreux faits concourent à indiquer
qu’un diagnostic précoce d’une infection par le VIH, suivi d’un
traitement, peut conduire à une nette amélioration du pronostic
pour l’individu qui peut espérer une faible morbidité, une bonne
qualité de vie, et une espérance de vie quasi-normale» (traduction
non officielle).
43. Les experts internationaux reconnaissent que le dépistage
devrait toujours être volontaire. Il ne s’agit pas seulement d’un
outil épidémiologique qui permet de contrôler la propagation du
VIH. C’est également un outil de prévention en soi, qui permet à
un professionnel de la santé de discuter des comportements à risque avec
le patient lors d’une séance de conseil qui précède ou qui suit
un test de dépistage. Si l’on veut diminuer le comportement à risque,
il est fondamental d’établir une relation de confiance, relation
qui ne peut être établie lorsqu’un test est obligatoire. En outre,
les tests obligatoires parmi les «groupes à haut risque» (les migrants mais
aussi les toxicomanes, les professionnels du sexe, les hommes ayant
des rapports sexuels avec des hommes) ont un effet stigmatisant;
les personnes visées se détournent du dépistage et le reste de la
population a l’impression d’être en sécurité. En réalité, chacun
devrait connaître les risques et les modes de transmission du VIH.
4.5. Accès aux procédures
de demande d’asile
44. Les demandeurs d’asile sont considérés comme des
personnes particulièrement vulnérables au VIH pour trois raisons
principales: ils peuvent avoir été exposés à des situations de risque
dans des régions où la prévalence du VIH est élevée; ils peuvent
avoir été contraints de migrer car ils ont enduré des épreuves telles que
la détention, la violence, la torture, le viol, des agressions et
du harcèlement sexuels; et le fait de devenir un demandeur d’asile
ou un réfugié peut entraîner des conditions de vie déplorables,
une malnutrition, une protection insuffisante et une détresse qui
peuvent renforcer leur vulnérabilité à l’exploitation sexuelle.
4.6. Protéger les migrants
gravement malades contre l’expulsion
45. S’il est vrai que les personnes vivant avec le VIH
peuvent espérer une qualité de vie élevée, elles doivent bénéficier
de soins médicaux spécialisés (y compris des analyses sanguines
régulières nécessitant des techniques de laboratoire perfectionnées)
et, dans la plupart des cas, doivent suivre un traitement antirétroviral jusqu’à
la fin de leur vie. En outre, il est fréquent que les patients aient
besoin de prendre d’autres médicaments pendant leur traitement (par
exemple pour traiter d’autres pathologies auxquelles les patients
séropositifs sont particulièrement vulnérables). Le fait d’arrêter
le traitement ou de le prendre de manière irrégulière se traduit presque
toujours par une aggravation de leur état de santé impliquant un
risque de décès immédiat ou une diminution importante de l’espérance
de vie, ainsi que le développement d’une résistance au traitement
du VIH.
46. Dans certains pays, les réfugiés et les demandeurs d’asile
peuvent être renvoyés ou
«refoulés» malgré leur
séropositivité. Par exemple, dans mon pays, la Suisse, le statut
de séropositivité en soi n’est pas considéré comme un motif suffisant
pour que le renvoi soit jugé déraisonnable. En plus d’être diagnostiquée
séropositive, la personne qui s’est vu refuser l’asile doit déjà
bénéficier d’un traitement antirétroviral en Suisse. Elle doit également
démontrer qu’elle n’a pas la possibilité de recevoir un traitement
dans son pays d’origine. Très souvent, il est impossible de fournir
de tels éléments de preuve car les ministères de la Santé des pays d’origine
dressent un tableau de la situation plus positif qu’il ne l’est
en réalité
.
47. Certains migrants sans papiers qui sont gravement malades
ou qui ont des enfants gravement malades refusent d’aller à l’hôpital
pour se faire soigner par crainte d’être renvoyés dans leur pays
du fait de leur statut. Le renvoi d’une personne séropositive dans
un pays où elle ne peut pas accéder aux soins nécessaires peut effectivement
être comparé à une condamnation à mort, hors de vue, décidée par
l’administration!
48. Les critères de protection des migrants gravement malades
sont loin d’être cohérents et varient considérablement d’un Etat
membre à l’autre, malgré le fait que les Etats membres ont tous
ratifié la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5,
«la Convention») et que l’expulsion des migrants séropositifs peut
constituer un traitement inhumain ou dégradant, soulevant de ce
fait un problème au regard de l’article 3 de la Convention. Certains
Etats membres ont adopté une législation pour protéger les étrangers gravement
malades qui n’ont pas accès aux soins de santé dans leur pays d’origine
contre la détention et l’expulsion. Dans la pratique cependant,
les organisations de la société civile en Europe
ont constaté que le traitement
et les soins sont souvent jugés «accessibles» sur la base d’éléments
partiels uniquement. Mais le fait que des traitements antirétroviraux
sont uniquement disponibles à un prix très élevé et dans une zone
bien délimitée d’un pays d’origine ne signifie pas que les soins
du VIH sont accessibles à tous.
49. Je suis convaincue que la législation internationale et nationale
devrait garantir aux migrants séropositifs une protection juridique
contre l’expulsion. Dans ce contexte, l’accessibilité aux soins
de santé dans le pays d’origine devrait être évaluée selon la disponibilité
géographique et financière du traitement pour la personne concernée
dans l’Etat donné. Il convient d’accorder une attention particulière
à l’accessibilité d’un traitement continu et de soins de suivi spécialisés
(par exemple disponibilité suffisante, tant sur le plan de la quantité
que de la qualité, de médecins et de structures de soins spécialisés
dans le traitement du VIH ainsi que les analyses sanguines et autres
équipements nécessaires). L’absence ou l’existence d’un traitement
doit également être évaluée compte tenu de l’état de santé particulier
du demandeur (progression de la maladie, complications).
4.7. Protection contre
la détention arbitraire
50. Le fait de détenir une personne en raison de sa séropositivité
est arbitraire et illégal, même pour les personnes qui séjournent
illégalement dans le pays. Les organisations internationales, y
compris l’ONUSIDA, l’OMS, et le Haut-commissariat des Nations Unies
aux droits de l’homme, ont toutes dénoncé le dépistage obligatoire
du VIH et l’isolement des personnes séropositives comme étant incompatibles
avec les normes relatives aux droits de l’homme.
51. Pour autant que je sache, la Grèce est le seul pays européen
à avoir mis en place des mesures de détention visant spécifiquement
les personnes séropositives. Le règlement sanitaire n° GY/39A «Modifications concernant
la restriction de la transmission des maladies infectieuses» dispose
que des examens de santé obligatoires seront requis, ainsi que l’isolement
et un traitement obligatoire, pour les maladies importantes au regard
de la santé publique. Ce règlement dispose que certains groupes
doivent passer un test de dépistage en priorité, y compris les migrants
sans papiers originaires de pays où ces maladies sont endémiques.
4.8. Protection des
groupes vulnérables
52. Les groupes vulnérables parmi les migrants nécessitent
une attention particulière en ce qui concerne l’accès à la prévention,
au dépistage du VIH et aux services VIH. Les femmes sont davantage
exposées à une infection par le VIH car elles sont plus souvent
victimes de violence et d’exploitation sexuelles. Les inégalités entre
les sexes concernent également les femmes séropositives qui peuvent
être davantage exposées à la violence de leurs partenaires ou de
leur famille. La protection des enfants touchés par le VIH (directement
ou qu’il s’agisse d’un des membres de leur famille) pourrait également
être renforcée pour garantir l’accès à l’éducation et aux soins
de santé et prévenir la violence. Les professionnels du sexe – surtout
dans les pays où leur activité est criminalisée ou dans lesquels
les politiques locales les empêchent de s’adresser aux forces de
l’ordre – nécessitent une protection particulière en raison du risque
élevé de subir des violences sexuelles, de subir une pression pour
avoir des rapports sexuels non protégés et d’être ensuite infectés
par le VIH ou d’autres ISM. Les hommes migrants qui ont des rapports
sexuels avec des hommes et les toxicomanes migrants sont souvent
invisibles en raison de la stigmatisation qui est associée à ces
comportements à haut risque. Souvent, les détenus n’ont pas accès
aux services de prévention et de traitement du VIH – les détenus issus
de l’immigration sont extrêmement vulnérables.
5. Réponse des pays
européens au problème de la prévention et du traitement du VHI/SIDA
chez les migrants
5.1. Test de dépistage
du VIH : pratiques positives et pratiques négatives
53. En général, des informations concernant le VIH et
le dépistage du VIH sont communiquées aux migrants dès leur arrivée
dans le pays (Allemagne, Italie, Lituanie, Monténégro, Pologne,
Roumanie, Slovénie, Espagne et Suisse). Les médecins donnent également
des informations sur le dépistage du VIH lors de visites médicales
pour les migrants et les demandeurs d’asile (Norvège, Serbie, Suède
et Suisse). A cet égard, une campagne suisse d’information préventive
qui encourage le dépistage volontaire du VIH pour les migrants pourrait
être un excellent modèle pour d’autres pays. En Suisse, l’organisation
frontalière de services médicaux fournit des supports audiovisuels
en 28 langues pour informer et conseiller les demandeurs d’asile.
Ils portent sur le système de santé suisse, la tuberculose, et le
choix de plusieurs vaccinations. Les demandeurs d’asile visionnent
une vidéo de 12 minutes sur le VIH, le SIDA et un comportement sans
risques. Cette vidéo est disponible en 16 langues.
54. En Ukraine, selon la loi relative à la lutte contre la propagation
des maladies dues au VIH et à la protection juridique et sociale
des personnes atteintes du VIH, les migrants, les réfugiés et les
demandeurs d’asile peuvent passer un test de dépistage gratuit du
VIH/SIDA. Au cours des six premiers mois de 2013, 1 818 citoyens
étrangers ont passé des tests de dépistage du VIH, dont 18 se sont
révélés positifs. Les organisations non gouvernementales (ONG),
telles que l’International HIV/AIDS Alliance en Ukraine, proposent
aux migrants un dépistage volontaire et ont entrepris une étude
du comportement des migrants, en surveillant la prévalence du VIH
parmi les travailleurs migrants ukrainiens.
55. S’il est vrai que la plupart des pays considèrent que les
migrants et les minorités ethniques ont davantage de risque d’être
infectés par le VIH, tous les pays ne recommandent pas explicitement
un dépistage volontaire du VIH pour ces populations
.
56. En Islande et en Pologne, un dépistage du VIH est proposé
à tous les migrants avant leur entrée dans le cadre d’un examen
de santé général. Au Danemark, on recommande de proposer un test
de dépistage aux migrants lors de leur premier contact avec les
services sanitaires, quel que soit le motif de recours. En France, les
recommandations officielles préconisent un test de dépistage annuel
pour les personnes originaires des pays subsahariens ou des Caraïbes.
57. Dans certains pays, le dépistage est obligatoire pour une
certaine catégorie de migrants (Chypre, Russie et République slovaque).
A Chypre, par exemple, le dépistage est obligatoire pour les migrants originaires
de pays où il existe une forte prévalence du VIH. En Russie, le
dépistage est obligatoire pour les travailleurs migrants qui doivent
fournir un certificat médical attestant de leur séronégativité pour
pouvoir obtenir un titre de séjour temporaire ou permanent. En République
slovaque, les ressortissants de pays tiers sont obligés de se soumettre
à un examen médical.
58. Il n’y a pas de dépistage obligatoire en Suisse. Le dépistage
obligatoire et/ou le dépistage sans le consentement de la personne
sont en contradiction avec la stratégie de prévention de la Suisse
dans ce domaine.
59. Il convient de noter que les femmes ont plus souvent accès
aux tests de dépistage du VIH car elles doivent subir des examens
pendant leur grossesse. Un test de dépistage du VIH est systématiquement proposé
aux femmes enceintes (migrantes ou non) afin d’éviter une transmission
de la mère à l’enfant. Les femmes passent donc plus souvent des
tests de dépistage du VIH. Dans certaines circonstances, les femmes migrantes
ne savent pas qu’elles ont été dépistées pour le VIH en raison du
manque d’information de la part des médecins ou de la barrière de
la langue. Cette situation est inacceptable car un test de dépistage
ne doit pas être réalisé sans le consentement des femmes.
5.2. Bonnes pratiques
des pays européens en matière de prévention et de traitement du
VIH/SIDA chez les migrants
60. En ce qui concerne l’accès aux soins de santé des
migrants en situation régulière, plusieurs pays européens proposent
un traitement gratuit du VIH et des IST. En Lettonie, seuls les
citoyens de l’Union européenne peuvent bénéficier d’un dépistage
et d’un traitement gratuits du VIH.
61. En outre, plusieurs pays proposent un dépistage du VIH aux
migrants sans papiers. Selon les réponses à notre questionnaire,
le dépistage et le traitement du VIH sont gratuits dans certains
pays (Belgique, Croatie, France, Italie, Lituanie, Estonie, Pologne,
Espagne et Russie), même si les migrants rencontrent souvent les obstacles
administratifs susmentionnés. Le principal problème réside dans
le fait que les migrants en situation irrégulière n’ont pas accès
à une assurance de santé. En effet, dans certains pays le dépistage
et le traitement du VIH dépendent de l’accès aux soins de santé
en général (Finlande, Lettonie, Pays-Bas, Roumanie et Suisse).
62. Le Portugal dispose d’une législation très élaborée en ce
qui concerne la non-discrimination des migrants et leur accès aux
soins de santé. Le parlement prête une attention particulière au
problème du VIH; un groupe de travail permanent pour les problèmes
du VIH/SIDA a été créé au Parlement portugais pour examiner ce problème.
Les médicaments antirétroviraux sont considérés d’une importance
telle qu’ils sont immédiatement mis à disposition de toutes les
personnes infectées, y compris les migrants sans papiers.
63. En 2012, après avoir évalué les coûts du traitement restrictif
sur une période de huit ans, le Gouvernement britannique a décidé
que toute personne diagnostiquée séropositive en Angleterre pourrait bénéficier
d’un traitement gratuit, qu’elles bénéficient ou non des soins du
Service national de santé (National Health Service).
64. En Ukraine, un Programme national de prévention de l’infection
par le VIH, le traitement, les soins et l’aide aux patients atteints
par le VIH/SIDA a été élaboré pour 2009-2013. Les migrants sont
considérés comme faisant partie des groupes vulnérables et sont
inclus dans les principaux volets de ce programme. Grâce à ce dernier,
92 % des personnes atteintes du VIH/SIDA reçoivent une aide de l’Etat
pour le traitement et les soins médicaux. Néanmoins, le gouvernement
devrait consacrer davantage de ressources aux mesures préventives
et à l’aide sociale aux groupes vulnérables.
65. Les organisations de la société civile jouent un rôle important
lorsqu’il s’agit de mobiliser des ressources pour le traitement
des personnes atteintes du VIH/SIDA en Europe. De nombreuses initiatives,
plus ou moins importantes, sont prises et apportent toutes leur
contribution. A cet égard, je tiens à saluer, à titre d’exemple, l’initiative
lancée en Italie par l’organisation ukrainienne de migrants intitulée
«Les femmes pour la paix, la culture et le développement», qui a
permis de recueillir € 2 200 pour le traitement des enfants séropositifs
au cours d’un concert caritatif organisé à Rome.
66. Pour résumer, les politiques relatives à la prévention et
au traitement du VIH chez les migrants diffèrent considérablement
selon les pays. Bien que de nombreux pays aient mis en place des
interventions et des bonnes pratiques tenant spécifiquement compte
des besoins des migrants, des mesures supplémentaires pourraient
être prises pour garantir un accès universel à la prévention et
au traitement.
5.3. Programmes de prévention
et de traitement du VIH/SIDA mis en œuvre par les organisations internationales
en Europe
67. Plusieurs organisations internationales ont uni leurs
efforts pour apporter une réponse humanitaire au danger de la prolifération
du VIH/SIDA en Europe. L’ONUSIDA, l’OMS, le HCR, l’Organisation
internationale pour les migrations (OIM), l’Organisation Internationale
du Travail (OIT) et l’UNESCO ont élaboré des plans stratégiques
et différents programmes de coopération pour les migrants et leur
accès à la protection, à la prévention, au traitement, aux soins
et aux interventions d’appui en matière de VIH.
68. Le HCR, par exemple, a élaboré un Plan stratégique pour la
lutte contre le VIH et le SIDA 2008-2012
. Il
décrit les objectifs généraux et les principales stratégies pour
lutter contre le VIH et le SIDA dans le contexte du mandat de protection
des réfugiés, des personnes déplacées dans leur pays et des autres
personnes relevant de la compétence du HCR. En coopération avec
l’ONUSIDA, cette organisation a également mis en place des activités
visant à encourager les pays à lever les restrictions de voyage
liées au VIH
. L’organisation renforce
également les capacités des acteurs nationaux pour garantir l’intégration
du VIH dans les plans de préparation au niveau des régions présentant
un risque de catastrophe. A cette fin, des formations et des campagnes
de sensibilisation ont été organisées sur les principes de la programmation
en matière de VIH dans les situations d’urgence, en coordination
avec des commissions nationales sur le SIDA, des unités gouvernementales
de gestion des catastrophes et des ONG.
69. L’OMS a adopté le Plan d’action européen en matière de VIH/SIDA
2012-2015, avec notamment pour objectif de «réduire de moitié le
nombre de nouvelles infections par le VIH par voie sexuelle, y compris
chez les hommes ayant des rapports sexuels avec les hommes, dans
le contexte du travail sexuel et parmi les migrants»
.
70. La Commission européenne a également mis en œuvre un Plan
d’action pour lutter contre le VIH/SIDA pour la période 2009-2013.
Elle définit comme prioritaires les régions comprenant les pays
d’Europe de l’Est qui font l’objet de la politique européenne de
voisinage, et les migrants originaires de pays avec un taux élevé de
personnes infectées par le VIH sont identifiés comme l’un des trois
principaux groupes concernés. Dans le cadre de ce plan, une série
de cinq rapports a été produite sur les thèmes de l’épidémiologie
du VIH et du SIDA; l’accès à la prévention, au traitement et aux
soins du VIH et le dépistage du VIH chez les migrants et les conseils;
les problèmes liés aux maladies infectieuses, y compris le VIH et
les migrants; et l’amélioration de la comparabilité des données
et des définitions du terme migrants utilisées dans l’UE/l’EEE/l’AELE
.
71. En ce qui concerne les pays de l’UE/l’EEE, le Centre européen
pour la prévention et le contrôle des maladies a récemment publié
un document intitulé «Suivi de la mise en œuvre de la Déclaration
de Dublin sur le partenariat pour lutter contre le VIH/SIDA en Europe
et en Asie Centrale: rapport d’avancement 2012» dans laquelle il
demande une amélioration de la disponibilité des données sur la
prévalence du VIH parmi les communautés de migrants, des services
et des programmes en nombre suffisant pour les communautés de migrants
particulièrement touchées par le VIH, et des mesures supplémentaires
pour lever les obstacles et les difficultés qui empêchent les migrants
(notamment les migrants sans papiers) d’accéder aux services du
VIH.
5.4. Politique de développement
internationale
72. Il y a eu une nette amélioration de l’accès au traitement
antirétroviral dans les pays à faible et à moyen revenu, surtout
dans les pays d’Afrique sub-saharienne, depuis l’an 2000 environ:
selon l’ONUSIDA, le taux de couverture du traitement antirétroviral
est passé de 0 à 50 %. Le traitement antirétroviral est de plus
en plus accessible et de moins en moins coûteux dans ces pays. Mais
cela signifie qu’environ 50 % des personnes ayant besoin d’un traitement
ne peuvent toujours pas accéder au traitement antirétroviral, ce
qui a abouti à 1,6 million de décès dus au SIDA en 2012!
73. Ces progrès considérables ont pu être réalisés grâce aux fonds
de pays à revenu élevé – y compris la plupart des Etats membres
du Conseil de l’Europe. Les mécanismes de financement internationaux
de la lutte contre le VIH/SIDA doivent être considérés comme un
instrument efficace pour promouvoir un accès universel au traitement
du VIH/SIDA dans les pays à faible revenu. Compte tenu de l’ampleur
de l’épidémie dans certains de ces pays – surtout dans les pays
d’Afrique sub-saharienne – la lutte contre le VIH/SIDA est aussi une
façon efficace d’atténuer les inégalités économiques et sociales
qui sont un important facteur d’incitation à la migration.
74. A cet égard, il convient de mentionner que le coût annuel
moyen du traitement antirétroviral dans les pays en développement
est estimé à environ $US 100 par personne. Même si la totalité
ou une partie des frais est à la charge des patients, ce coût annuel
est inférieur au prix d’un billet d’avion à destination de l’Europe.
75. Les Etats membres devraient consacrer des fonds supplémentaires
aux services VIH/SIDA dans les pays à faible et à moyen revenu afin
de garantir un accès universel effectif au traitement pour les personnes séropositives
dans ces pays.
6. Lutter contre les
craintes et les préjugés de la société à l’égard du VIH/SIDA et
des migrants
6.1. Le mythe du tourisme
de la santé
76. Certains responsables politiques et professionnels
de la santé pensent intuitivement que des politiques de santé restrictives
peuvent contribuer à mettre en œuvre des politiques migratoires
restrictives, même si toutes les données sociologiques donnent à
entendre le contraire. Cette conviction est étroitement liée à l’idée du
«tourisme médical» (qui consiste à se rendre dans d’autres pays
pour recevoir des soins de santé extrêmement spécialisés ou moins
coûteux). De peur qu’un meilleur accès aux soins de santé ne représente un
facteur d’attraction pour les migrants, la question du VIH/SIDA
est parfois utilisée dans ce débat.
77. Plusieurs études montrent que le nombre de «réfugiés médicaux»
– les personnes qui quittent leur pays d’origine en raison de l’absence
de soins de santé – est très faible
. Seulement 1,6 % des répondants à
une enquête réalisée en 2012 par Médecins du Monde dans sept pays
de l’Union européenne ont cité la santé comme étant une des raisons
de migration
.
En outre, comme nous le savons, l’un des principaux obstacles aux
soins de santé pour les migrants dans les pays d’accueil est la
méconnaissance du système de santé et d’assurance. On peut donc
supposer que les migrants qui viennent de pays en développement
ne tiennent pas compte du niveau d’accessibilité des soins de santé
dans une région donnée. Le processus qui conduit les migrants à
prendre une décision concernant leur destination est plutôt complexe,
il est guidé par l’économie informelle locale (à savoir l’offre
d’emplois) et la présence de membres appartenant à la même communauté (capital
social et processus de la migration en chaîne) parmi d’autres considérations.
De nombreux migrants ne connaissent pas leur destination finale
lorsqu’ils commencent leur voyage.
78. En d’autres termes, lorsqu’on examine ces données, il est
évident que l’accès aux soins de santé ne représente pas un facteur
d’attraction. Les migrants ne tiennent pas compte des restrictions
d’accès aux soins lorsqu’ils décident de s’installer dans tel ou
tel pays. En outre, les taux de VIH parmi les migrants qui se rendent en
Europe sont en général nettement inférieurs aux taux de VIH dans
leur pays d’origine. Ce phénomène peut s’expliquer par ce que les
spécialistes des migrations appellent «l’effet du migrant en bonne
santé» – un processus de sélection naturelle selon lequel seules
les personnes en bonne santé dans une société émigrent.
79. Pour conclure, on peut dire qu’aucun élément ne permet de
confirmer la thèse du «tourisme de la santé». En outre, le fait
de faire bénéficier les migrants et les réfugiés d’un accès gratuit
aux services de santé ne semble pas ouvrir la voie à ce phénomène
de «tourisme de la santé».
6.2. Conséquences de
la crise financière mondiale
80. L’Europe traverse l’une des crises financières les
plus graves de son histoire. La charge de la dette publique et les
contraintes budgétaires pèsent plus lourd dans les pays du Sud de
l’Europe. Cette situation se traduit par des ressources plus limitées
en général et par des restrictions budgétaires nationales, y compris
en ce qui concerne les systèmes de soins de santé. Nous sommes confrontés
au risque que certains grands progrès accomplis dans la lutte globale
contre le VIH/SIDA au cours des dix dernières années en Europe soient réduits
à néant par des politiques de réduction des coûts à court terme.
7. Conclusions
81. Bien que l’on manque généralement de données épidémiologiques
précises sur la santé des migrants en Europe, les informations disponibles
dans de nombreux pays laissent à penser que les migrants sont affectés
de manière disproportionnée par le VIH. Cela est dû à la forte prévalence
du VIH dans leur pays d’origine ou à l’absence de prévention, de
dépistage et de traitement accessibles dans leur pays d’accueil.
Les Etats membres du Conseil de l’Europe peuvent directement améliorer
le taux d’infection élevé chez les communautés de migrants en Europe
en prenant des mesures législatives, politiques et sociales spécifiques.
82. Dans un premier temps, les pays européens devraient améliorer
la disponibilité de données quantitatives et qualitatives sur le
VIH parmi les communautés de migrants en établissant des partenariats avec
des organisations internationales telles que l’OMS Europe, l’ECDC
et l’ONUSIDA. Il est nécessaire d’obtenir plus d’informations sur
les groupes de migrants particulièrement vulnérables, y compris
les femmes et les enfants, les professionnel(le)s du sexe, les hommes
ayant des rapports sexuels avec des hommes, les toxicomanes, les
détenus et enfin les migrants ayant un statut de séjour précaire
ou irrégulier (demandeurs d’asile, migrants sans papiers et réfugiés).
83. Dans un second temps, il est important de s’assurer que les
migrants bénéficient dans une mesure suffisante des services de
prévention et de traitement du VIH et que ces services sont financièrement accessibles,
surtout pour les groupes de migrants particulièrement vulnérables.
Il convient de mentionner tout particulièrement la situation des
migrants sans papiers vivant avec le VIH/SIDA qui n’ont pas d’accès
effectif aux soins de santé dans leur pays d’origine et/ou leur
pays de résidence. Ils devraient pouvoir accéder gratuitement au
traitement en Europe et obtenir la garantie d’une protection juridique
contre l’expulsion et la détention, qui constituent de graves violations
des droits de l’homme. Les pays européens devraient réviser leur
législation dans le but d’alléger toutes les dispositions administratives
et juridiques qui entravent une prévention et un traitement effectifs
du VIH/SIDA chez les migrants (y compris les demandeurs d’asile
et les migrants sans papiers). Des mesures devraient également être
prises pour éliminer les obstacles linguistiques, sociaux et financiers
aux services. Un dépistage volontaire et anonyme du VIH, des conseils,
un traitement financièrement accessible, ainsi que des programmes
d’éducation sexuelle et de sensibilisation devraient être accessibles
à tous.
84. En outre, les Etats membres devraient interdire toutes les
restrictions d’entrée et de séjour ainsi que les pratiques de détention
spécifiquement liées au VIH: elles sont considérées comme étant
inefficaces, ineffectives, voire dangereuses pour la santé publique
par les experts internationaux et elles constituent une grave violation
des droits de l’homme.
85. Des mesures spécifiques peuvent être prises pour protéger
les migrants vivant avec le VIH/SIDA contre la discrimination et
la stigmatisation. Les Etats membres peuvent introduire des mesures
pour garantir un accès effectif au marché de l’emploi, à un logement,
à l’éducation et aux soins de santé pour les migrants vivant avec
le VIH (et leurs familles).
86. Les Etats membres devraient examiner la nécessité d’adopter
un plan national (cadre stratégique) pour lutter contre le VIH/SIDA,
intégrant une partie spécifique sur les migrants et les groupes
de migrants vulnérables mentionnés ci-dessus, avec la contribution
des migrants vivant avec le VIH/SIDA et des organisations de la
société civile.
87. Enfin, les pays européens peuvent contribuer à améliorer la
couverture insuffisante du traitement antirétroviral dans les pays
en développement par le biais de programmes de financement internationaux
en tant que stratégie à long terme.