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Rapport | Doc. 13391 | 22 janvier 2014

La lutte contre le sida auprès des migrants et des réfugiés

Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées

Rapporteure : Mme Doris FIALA, Suisse, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12867, Renvoi 3858 du 23 avril 2012. 2014 - Commission permanente de mai

Résumé

Bien que l’on manque généralement de données précises sur la santé des migrants en Europe, il ressort clairement des données présentées par de nombreux pays que les migrants sont affectés de manière disproportionnée par le VIH. Leur taux d’infection élevé est dû à la situation épidémiologique qui prévaut dans leur pays d’origine mais également aux difficultés que les migrants rencontrent pour accéder aux informations concernant le virus et au traitement de ce dernier dans leur pays d’accueil.

Les migrants qui vivent avec le VIH/SIDA sont confrontés à de multiples formes de discrimination et de stigmatisation, y compris le refus d’entrée, ou le refus de renouveler les titres de séjour dans certains pays. Les politiques de plusieurs pays européens, qui exigent un dépistage obligatoire du VIH, ou un dépistage sans le consentement des migrants, soulèvent de graves inquiétudes quant au respect des droits de l’homme.

Les migrants continuent de rencontrer de nombreux obstacles pour accéder à la prévention et au traitement du VIH. Les obstacles sociaux et la barrière de la langue ont pour effet une sensibilisation insuffisante et une stigmatisation. Les obstacles juridiques, administratifs et financiers se traduisent par un diagnostic tardif, la crainte de se faire soigner et une augmentation du taux de morbidité et de mortalité liées au VIH. Parmi les sous-groupes de migrants particulièrement vulnérables figurent les femmes, les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, les professionnels du sexe, les migrants sans papiers et les réfugiés.

Les Etats membres devraient adopter une approche axée sur les droits de l’homme pour lutter contre le VIH/SIDA: ils devraient faire en sorte que tous les migrants, y compris les migrants sans papiers, les demandeurs d’asile et les réfugiés, aient un accès complet à un traitement et des soins du VIH financièrement accessibles ainsi qu’à des stratégies de prévention adaptées. Il convient d’accorder une attention particulière à la notion de protection des étrangers gravement malades dans le contexte des expulsions. S’ils ne peuvent pas bénéficier de soins de santé adaptés une fois de retour dans le pays où les personnes doivent être renvoyées, ils ne devraient pas être expulsés.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 20 novembre 2013.

(open)
1. Les migrants, y compris les demandeurs d’asile et les réfugiés, constituent un groupe particulièrement vulnérable au virus du VIH. Leur taux d’infection élevé est dû à la situation épidémiologique qui prévaut dans leur pays d’origine et aux difficultés que les migrants rencontrent pour accéder aux informations concernant le virus et au traitement de ce dernier une fois qu’ils vivent en Europe.
2. L’Assemblée parlementaire est préoccupée par le fait que les migrants sont confrontés à de multiples formes de discrimination et de stigmatisation lorsqu’ils sont dépistés positifs pour le VIH/SIDA. Certains pays vont jusqu’à leur refuser l’entrée sur leur territoire ou le renouvellement de leur titre de séjour. L’Assemblée est également préoccupée par les politiques qui exigent un dépistage obligatoire du VIH, et les dépistages qui sont effectués sans le consentement des migrants concernés.
3. Divers facteurs dissuadent trop souvent les migrants d’accéder aux services de prévention et de traitement. Ceux-ci peuvent être liés à des obstacles linguistiques, culturels et sociaux et à des difficultés pour accéder au marché de l’emploi, aux services sociaux et à un logement. Les contraintes financières représentent également un facteur important lorsque les Etats font payer le dépistage et le traitement du VIH. En outre, les migrants en situation irrégulière sont confrontés à un autre problème: ils craignent que leur statut vis-à-vis des services d’immigration ne soit signalé s’ils prennent contact avec les autorités sanitaires.
4. L’Assemblée note que la plupart des pays européens ne disposent pas de données et d’informations suffisantes sur la transmission du VIH parmi les migrants. Elle note également une absence de soutien psychologique ainsi qu’une information et une éducation insuffisantes des migrants concernant le dépistage, le traitement et les pratiques sexuelles sans risques. Cela contribue à propager le virus et représente une menace grave pour la santé publique.
5. L’Assemblée est convaincue que toutes les personnes, y compris les migrants en situation régulière et irrégulière, vivant avec le VIH/SIDA dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, devraient bénéficier d’un accès gratuit au traitement. L’Assemblée estime que cette mesure est dans l’intérêt des personnes infectées et du système de santé publique dans son ensemble car elle réduit le risque de transmettre le virus à d’autres ainsi que le coût élevé du traitement d’urgence et d’autres traitements.
6. L’Assemblée considère qu’un migrant infecté ne devrait jamais être expulsé s’il apparaît clairement qu’il ne recevra pas les soins de santé et l’assistance nécessaires dans le pays vers lequel il est renvoyé. Le fait d’expulser cette personne reviendrait à la condamner à mort.
7. L’Assemblée considère que, compte tenu du nombre de migrants, y compris les réfugiés et les demandeurs d’asile, qui vivent en Europe avec le VIH, et des difficultés particulières qu’ils rencontrent, il est nécessaire de prendre un certain nombre de mesures spéciales concernant ce groupe vulnérable.
8. L’Assemblée demande donc aux Etats membres de faire en sorte que les programmes et les services de traitement du VIH à destination des migrants soient assurés dans une mesure appropriée et suffisante, et plus particulièrement:
8.1. en ce qui concerne les mesures législatives:
8.1.1. de revoir et de réviser leur législation dans le but de supprimer les dispositions discriminatoires et les obstacles juridiques qui entravent les mesures préventives et le traitement des migrants atteints du VIH/SIDA;
8.1.2. de retirer les dispositions du droit national qui empêchent les migrants séropositifs d’entrer sur le territoire ou qui prévoient leur expulsion uniquement du fait de leur statut sérologique;
8.1.3. d’inclure dans le droit national la notion de protection des étrangers gravement malades, en leur garantissant une protection contre l’expulsion lorsqu’aucun traitement adapté n’est disponible dans le pays où la personne doit être renvoyée;
8.1.4. de disposer qu’aucune personne ne peut être détenue uniquement en raison de son statut sérologique;
8.1.5. d’adopter des dispositions antidiscriminatoires concernant tous les migrants séropositifs et de veiller à ce que des instances spécialisées s’assurent de leur respect;
8.2. en ce qui concerne l’accès au dépistage, au traitement et aux mesures préventives:
8.2.1. de veiller à ce que des politiques de prévention et de traitement du VIH distinctes selon le sexe soient élaborées au niveau national et international;
8.2.2. de garantir aux migrants un dépistage volontaire et anonyme du VIH;
8.2.3. de faire en sorte que tous les migrants, qu’ils soient en situation régulière ou irrégulière, bénéficient d’un accès gratuit et universel au dépistage du VIH et à des conseils en la matière, ainsi qu’à une éducation sexuelle et des programmes de sensibilisation sur la prévention du VIH/SIDA;
8.2.4. de veiller à ce que les groupes vulnérables parmi les migrants, plus particulièrement les femmes, les enfants, les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, et les professionnels du sexe, qui sont particulièrement exposés à l’infection, reçoivent une attention particulière;
8.2.5. de s’assurer que les besoins des réfugiés et des demandeurs d’asile sont pris en compte, compte tenu des traumatismes qu’ils ont pu vivre et qu’ils continuent de subir;
8.2.6. de faire en sorte que les médicaments et le traitement du VIH soient financièrement accessibles et disponibles pour tous les migrants porteurs du virus et que le secteur privé, y compris les entreprises pharmaceutiques, soient totalement mobilisés pour apporter des réponses effectives dans la lutte contre l’épidémie de VIH.
8.3. en ce qui concerne les mesures politiques:
8.3.1. d’adopter des plans nationaux de lutte contre le VIH/SIDA ou, le cas échéant, de les réviser en y incluant une partie spécifique sur les migrants, avec la contribution des personnes touchées par le virus et en consultation avec les représentants de la société civile;
8.3.2. de consacrer davantage de fonds aux services VIH/SIDA dans les pays à faible et à moyen revenu par le biais des politiques de coopération et de développement des Etats membres;
8.3.3. d’allouer des fonds supplémentaires et de renforcer le soutien aux représentants de la société civile qui travaillent avec les migrants infectés par le VIH/SIDA.

B. Exposé des motifs, par Mme Fiala, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. Malgré l’amélioration continue du traitement, le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) reste une des maladies transmissibles les plus dangereuses en Europe, en plus d’être associée à une réduction considérable de l’espérance de vie et de la qualité de vie et à des coûts de traitement élevés. Les migrants sont souvent accusés de «propager le SIDA». Mais qu’en est-il en réalité? Dans quelle mesure les migrations influent-elles sur la prévalence globale du VIH en Europe? Quelles mesures les Etats membres et les institutions doivent-ils prendre pour mieux comprendre la réalité du phénomène et mieux y répondre? Quels sont les mécanismes qui peuvent être mis en place pour encourager les conseils et le dépistage volontaire parmi les migrants – plus particulièrement chez les femmes qui sont affectées de manière disproportionnée par le virus – et leur assurer, en cas de séropositivité, l’accès non discriminatoire aux soins de santé?
2. Le présent rapport s’efforce de répondre à ces questions et d’évaluer si les réponses apportées par les Etats membres du Conseil de l’Europe et d’autres pays sont appropriées et suffisamment coordonnées. Dans le présent rapport, le terme «migrants» renvoie à tous les groupes de migrants, y compris les réfugiés, les demandeurs d’asile et les migrants sans papiers, sauf indication contraire.
3. Le présent rapport a été établi avec l’aide du réseau international de Médecins du Monde. Je les remercie pour leur contribution très utile. Au cours de l’élaboration du présent rapport, j’ai également effectué deux visites d’information au Portugal et en Ukraine pour étudier la situation sur le terrain. Je tiens à remercier les délégations parlementaires et les autorités de ces pays pour leur aide et les informations fournies au cours de mes visites.

2. Informations générales sur le VIH/SIDA et les migrations en Europe

4. D’une manière générale, les informations relatives à la santé des migrants font défaut dans la plupart des pays européens. Cela limite les possibilités pour contrôler et comparer les inégalités en matière de santé, d’accessibilité aux soins de santé et pour évaluer quelles sont les mesures les plus efficaces pour améliorer la santé des migrants 
			(2) 
			Voir,
par exemple, Rechel B., Mladovsky P., Deville W., Rijks B., Petrova-Benedict
R. et McKee M., Migration and health in the European Union,
Open University Press, Organisation mondiale de la santé 2011 pour
l’Observatoire européen des systèmes et des politiques de santé.. En raison du manque de données et d’éléments concrets sur la prévalence du VIH parmi les migrants en Europe, les informations contenues dans le présent rapport doivent être traitées avec prudence. Les comparaisons transnationales sont également difficiles car il n’existe aucune définition commune du terme «migrant» dans la collecte de données épidémiologiques. Néanmoins, des données laissent à penser que les migrants originaires de pays où la prévalence du VIH/SIDA est élevée, particulièrement en Afrique subsaharienne, sont affectés de manière disproportionnée par le VIH 
			(3) 
			ECDC Evidence
brief: Migrants. Monitoring implementation of the Dublin Declaration
on Partnership to Fight HIV/AIDS in Europe and Central Asia: 2012
progress report, Stockholm, 2013..
5. En raison de l’insuffisance de données précises, un questionnaire a été envoyé via le réseau du Centre européen de recherche et de documentation parlementaires (CERDP) à l’ensemble des parlements des Etats membres du Conseil de l’Europe pour obtenir des informations plus détaillées sur la lutte contre le VIH/SIDA auprès des migrants et des réfugiés. Trente Etats membres du Conseil de l’Europe ont répondu au questionnaire et leurs réponses ont permis d’illustrer, avec des faits et des chiffres concrets, les principales tendances de la situation des migrants affectés par le VIH/SIDA en Europe.

2.1. Facteurs de vulnérabilité spécifiques aux migrants

6. Les migrants sont confrontés à de nombreux obstacles pour accéder aux services de prévention et de traitement du VIH, que ce soit sur le plan juridique, politique ou pratique. Par exemple, dans la pratique, la barrière de la langue peut empêcher les migrants d’accéder à des informations générales sur le VIH et rendre la communication difficile avec les professionnels de la santé. En outre, les migrants donnent la priorité à l’emploi et de ce fait il est rare qu’ils consacrent du temps ou de l’argent aux soins de santé, et encore moins aux soins de santé préventifs.
7. Il ressort d’une étude européenne que la perception élevée du risque et la peur de la mort et de la maladie chez les migrants africains constituent un obstacle au dépistage du VIH, surtout pour ceux qui ne peuvent pas accéder aux soins du VIH, que ce soit dans leur pays d’origine ou en Europe 
			(4) 
			Fakoya I, Reynolds
R, Caswell G, Shiripinda I. Barriers to HIV testing for migrant
black Africans in Western Europe. HIV medicine. 2008;9:23-5.. Dans de nombreux pays d’origine, le VIH est synonyme de mort en raison de l’absence de traitement disponible et de la croyance répandue que le VIH entraîne également la perte de la faculté de procréer. Dans de nombreux contextes africains, le fait de ne pas avoir d’enfants conduit à l’exclusion sociale et à la marginalisation, car le rôle sociétal des hommes, et encore plus celui des femmes, est souvent lié à leur capacité de reproduction.
8. Le Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies (ECDC) a identifié les groupes suivants comme étant les groupes de migrants les plus vulnérables à l’infection par le VIH: les femmes migrantes, les hommes migrants ayant des rapports sexuels avec des hommes, les migrants hétérosexuels qui ont un comportement à haut risque (commerce du sexe, consommation de drogues, mais également partenaires multiples) ainsi que les détenus 
			(5) 
			ECDC, Migrant health:
HIV testing and counselling in migrant populations and ethnic minorities
in EU/EEA/EFTA member States, Stockholm, 2011.. Au cours de la dernière décennie, on a pu constater une féminisation de l’infection par le VIH chez les migrants. Les femmes sont plus vulnérables au virus, tant sur le plan biologique que social. Les raisons sociales en sont notamment les suivantes: elles subissent une pression pour procréer et avoir des rapports sexuels non protégés, elles sont exposées à la violence sexuelle et elles n’ont pas accès à des services de prévention du VIH qui tiennent compte de leurs besoins particuliers. En ce qui concerne les hommes migrants qui ont des rapports sexuels avec des hommes, ce groupe est en grande partie «invisible» en raison de la stigmatisation qui y est associée.
9. Comme cela est le cas pour d’autres groupes vulnérables, de nombreux migrants manquent de connaissances générales sur le VIH et d’autres infections sexuellement transmissibles (IST). Ils ne connaissent pas suffisamment les modes de transmission et les stratégies de prévention. Nombreux sont ceux qui ne savent pas comment accéder aux services de santé préventifs et curatifs disponibles dans leur pays de résidence. Bon nombre de migrants sans papiers ne disposent que de peu de connaissances sur les services disponibles concernant le VIH. Il ressort d’une enquête internationale réalisée par Médecins du Monde (2008) que seulement 35,4 % de tous les patients sans papiers interrogés étaient informés de la possibilité de passer un test de dépistage gratuit du VIH. En outre, 50,1 % ont indiqué ne pas savoir si le dépistage était gratuit ou non et 12,9 % ont affirmé (à tort) que les tests de dépistage étaient payants 
			(6) 
			Chauvin P., Parizot
I. et Simonnot N., Observatoire européen de l’accès aux soins de
santé, Médecins du monde, septembre 2009..
10. Lorsqu’une personne est diagnostiquée séropositive, des examens cliniques plus approfondis permettent de déterminer le laps de temps qui s’est écoulé entre l’infection et le diagnostic. Il a été démontré que les diagnostics tardifs avaient une incidence directe sur les décès liés au SIDA. La majorité des infections chez les migrants sont diagnostiquées pour la première fois en Europe. En 2012, parmi les migrants qui se sont rendus dans des centres de soins de Médecins du Monde en France, 67 % ne connaissaient pas leur statut sérologique 
			(7) 
			Communication personnelle,
Dr Marie-Dominique Pauti, Médecins du Monde France..

2.2. Données épidémiologiques sur le VIH et les migrations

11. En raison du manque de données disponibles et de difficultés méthodologiques, il est difficile de déterminer avec exactitude dans quelle mesure les migrations influent sur la prévalence globale du VIH/SIDA en Europe. Trente Etats membres ont répondu au questionnaire élaboré aux fins d’établir le présent rapport. Sur les 30 Etats, seuls sept ont indiqué communiquer des données sur le nombre estimé de migrants en situation régulière et irrégulière vivant avec le VIH dans leur pays. Cependant, il ressort clairement des données de nombreux pays que les migrants originaires de pays où l’épidémie de VIH est généralisée, surtout en Afrique sub-saharienne, sont affectés de manière disproportionnée par le VIH, par rapport à la population native des pays d’accueil. Par ailleurs, lorsque l’on compare les migrants à la population native de leur pays d’origine (où la prévalence du VIH/SIDA est élevée), la proportion de migrants infectés par le VIH/SIDA est généralement plus faible, ce qui peut s’expliquer par «l’effet du migrant en bonne santé» (voir paragraphe 73). En 2011, pour les pays d’Europe de l’Est et pour certains pays d’Europe centrale, la proportion de migrants parmi la population infectée par le VIH était inférieure à 10 % de la totalité des infections. Pour la plupart des pays d’Europe du Nord, elle était supérieure à 40 %. Pour la majorité des pays d’Europe occidentale, la proportion de migrants parmi les personnes infectées par le VIH se situait entre 20 % et 40 % 
			(8) 
			ECDC
technical report, Migrant health: Epidemiology of HIV and AIDS in
migrant communities and ethnic minorities in EU/EEA countries, Stockholm,
2010..
12. La question de savoir si les migrants contractent majoritairement le VIH dans leur pays d’origine ou après avoir migré pourrait alimenter un discours xénophobe. Cependant, la réponse est importante pour déterminer quelles politiques de santé publique sont susceptibles d’être les plus efficaces pour lutter contre le VIH/SIDA.
13. Cependant, l’état actuel de la recherche épidémiologique en Europe ne permet pas de répondre à cette question avec certitude. Une étude menée récemment par l’ECDC (2013) 
			(9) 
			ECDC technical report,
Migrant health: Sexual transmission of HIV within migrant groups
in the EU/EEA and implications for effective interventions, Stockholm,
2013. a révélé des différences importantes entre les pays de destination en ce qui concerne la proportion d’infections post-migratoires: cette proportion s’élève à 2 % pour les Africains sub-sahariens en Suisse alors qu’elle atteint 62 % chez les hommes noirs caribéens ayant des rapports sexuels avec des hommes au Royaume-Uni. Selon l’Aide suisse contre le SIDA, quelque 62 % des migrants séropositifs originaires de pays à forte prévalence diagnostiqués en Suisse ont déclaré avoir contracté le virus dans leur pays d’origine. Environ 11 % seulement des migrants séropositifs ont déclaré avoir été infectés en Suisse 
			(10) 
			Aide suisse contre
le SIDA, Migration et VIH en Suisse..
14. Les travailleurs migrants qui vivent seuls, loin de leur conjoint ou de leur partenaire sexuel habituel, peuvent être davantage exposés au virus. Cela serait dû au fait qu’ils cherchent d’autres partenaires occasionnels, augmentant leur propre risque d’exposition au VIH et celui de leurs partenaires sexuels.
15. Pour conclure, les migrants sont plus touchés par le VIH/SIDA que l’ensemble de la population, surtout en Europe du Nord et en Europe occidentale, en raison de la situation épidémiologique dans leur pays d’origine mais aussi de leur vulnérabilité accrue dans les pays de destination européens.

3. Obstacles à la prévention et au traitement du VIH/SIDA chez les migrants en Europe

16. Les services de prévention et de traitement ne sont pas toujours adaptés et accessibles aux migrants. Conjugués aux politiques migratoires restrictives, les vulnérabilités des migrants et les obstacles aux services forment une interaction complexe qui constitue une menace pour la santé publique.

3.1. Politiques nationales restrictives en matière de migration et de santé

17. Ainsi que l’ont fait observer de nombreuses organisations internationales compétentes telles que l’ONUSIDA (Programme commun des Nations Unies sur le VIH/SIDA), l’Organisation mondiale de la santé (OMS) Europe ou encore l’ECDC, une législation restrictive en matière d’accès aux soins de santé des migrants sans papiers nuit à l’efficacité de la prévention et du traitement du VIH/SIDA. En outre, les politiques migratoires font naître chez les migrants sans papiers la crainte d’être expulsés ou dénoncés, créant de ce fait des obstacles supplémentaires considérables aux soins de santé. Il peut en résulter une multiplication du nombre d’infections et des diagnostics tardifs constituant une menace directe pour la santé publique. En outre, le fait d’exclure les migrants d’un traitement antirétroviral revient à une condamnation à mort presque certaine. D’autres Etats membres permettent en théorie aux migrants d’accéder aux soins de santé, mais ils ont créé des contraintes administratives ou financières complexes qui se traduisent par des conséquences inverses pour les migrants sans papiers.
18. Je regrette de devoir dire que des pays tels que l’Allemagne, la Grèce, la Suède et mon propre pays, la Suisse, offrent les pires conditions législatives en ce qui concerne l’accès aux soins de santé des migrants sans papiers. Cependant, dans chacun de ces pays, des professionnels de la santé passent outre ces lois pour des raisons humanitaires et éthiques et prennent en charge un traitement antirétroviral coûteux et de longue durée sans aucun remboursement de l’Etat.
19. En Suisse, les migrants sans papiers – à l’instar des ressortissants suisses – ont l’obligation de souscrire une assurance maladie privée très coûteuse pour pouvoir bénéficier des soins de santé de base (plus de 250 € par mois). Une procédure de recours judiciaire est engagée lorsque les primes ne sont pas payées en temps voulu. Il faut présenter une pièce d’identité et un justificatif de domicile pour pouvoir souscrire une assurance. Les services de l’immigration risquent également d’être alertés lorsqu’un migrant souscrit une assurance maladie. En général, la politique d’assurance maladie en Suisse, avec son système complexe de primes mensuelles, de franchise (le montant que l’assuré choisit de payer avant que l’assurance maladie prenne en charge les coûts) et de quote-part (un montant maximal dont l’assuré doit s’acquitter pour les frais médicaux) constitue un obstacle considérable à l’accès et, dans la pratique, ces obstacles rendent le plus souvent le traitement inaccessible.
20. En Suède, les migrants sans papiers étaient explicitement exclus des soins de santé (y compris les soins d’urgence) à moins qu’ils ne s’acquittaient de la totalité des coûts. Je me félicite du fait qu’en juillet 2013, une nouvelle loi a été adoptée pour permettre aux migrants adultes sans papiers de bénéficier du même type d’accès aux soins de santé que les demandeurs d’asile. Les enfants des migrants sans papiers auront les mêmes droits que les enfants suédois. Mais les demandeurs d’asile ont uniquement accès aux «soins qui ne peuvent pas être reportés» (à savoir les soins ante et postnataux, la planification familiale, l’avortement, les soins dentaires urgents). Les professionnels suédois de la santé ne savent pas encore clairement dans quelle mesure les migrants sans papiers pourront bénéficier des services de prévention et de traitement du VIH.
21. Dans la Fédération de Russie, les migrants sans papiers ne peuvent pas accéder aux soins de santé car ceux-ci font partie du système d’assurance sociale.
22. En Grèce, les migrants sans papiers n’ont aucun accès aux soins de santé, à l’exception des soins d’urgence, et ce uniquement jusqu’à ce que l’état de santé du patient se soit stabilisé. Bien que le VIH soit considéré comme une urgence, on ne sait pas très bien ce que «stabilisation» signifie dans ce contexte. C’est le professionnel de la santé qui décide si un migrant sans papiers peut ou non continuer de bénéficier du traitement antirétroviral. Les réfugiés et les demandeurs d’asile ont accès au traitement, mais il est très difficile de demander l’asile en Grèce. En outre, la crise économique et financière met le système de santé grec à rude épreuve. Selon les professionnels de la santé et les organisations de la société civile grecs, dans la pratique, les migrants n’ont plus accès aux services de santé publique.
23. En Allemagne, le dépistage du VIH et de l’hépatite est généralement accessible à tous et anonyme (de jure et de facto), la plupart des centres de santé communaux disposent d’unités de dépistage. Cependant, pour tout traitement médical autre qu’un traitement d’urgence, y compris le traitement du VIH, les migrants sans papiers doivent demander un Krankenschein (certificat de maladie) afin de pouvoir bénéficier d’aides publiques du bureau de protection sociale. Les bureaux de protection sociale ont l’obligation de signaler les migrants sans papiers à la police de l’immigration, ce qui les empêche en réalité d’accéder aux soins de santé.
24. Certains pays européens disposent de procédures particulières de dépistage du VIH pour les étrangers qui entrent dans le pays. Ces procédures ne sont pas obligatoires, mais systématiquement proposées dans les circonstances suivantes: test de dépistage volontaire du VIH proposé au cours de l’examen médical des étrangers qui demandent un titre de séjour (Luxembourg), test de dépistage volontaire du VIH proposé aux demandeurs d’asile et aux réfugiés selon le pays d’origine (Finlande). Ces différentes procédures doivent être considérées avec prudence car elles pourraient créer des obstacles pour accéder à un statut juridique selon les modalités de mise en œuvre.

3.2. Obstacles sociaux et administratifs

25. Pour les migrants, le fait de rencontrer des difficultés pour accéder à un logement ou au marché de l’emploi constitue un obstacle supplémentaire alors qu’ils doivent déjà accepter le diagnostic du VIH, faire face aux préjugés qui y sont associés et suivre un traitement médical. Certains migrants séropositifs doivent également surmonter des traumatismes psychologiques ou d’autres troubles mentaux (par exemple les réfugiés qui ont été infectés par le VIH lors d’un viol). Les demandeurs d’asile qui sont hébergés dans des centres d’accueil ont souvent des difficultés à conserver et/ou à prendre leurs médicaments antirétroviraux en toute sécurité, sans se faire remarquer des autres (stigmatisation). Bien souvent, les migrants atteints du VIH/SIDA ne bénéficient d’aucun accompagnement social et les interventions psychologiques tenant compte des spécificités sociales et culturelles des communautés de migrants sont rares. Enfin, il existe très peu d’études européennes sur les conditions de vie des migrants atteints du VIH/SIDA.
26. Si l’on passe en revue les réponses nationales au VIH/SIDA en Europe, nous avons la confirmation que la langue est une barrière importante à la prévention du VIH et à l’accès aux soins de santé des migrants. Il existe relativement peu de campagnes adaptées qui encouragent les migrants à utiliser les services de dépistage ou à participer à des programmes d’éducation sexuelle (par exemple supports disponibles dans d’autres langues, mise à disposition de supports visuels pour les personnes qui ne savent pas lire ou écrire, médiateurs interculturels faisant partie de la communauté ou autres programmes fondés sur la communauté). En outre, le VIH/SIDA est toujours considéré comme un sujet tabou par certains professionnels de la santé, ce qui est exacerbé par le fait que les déterminants sociaux de la santé et les obstacles aux soins de santé ne font partie d’aucune formation professionnelle.

3.3. Contraintes financières

27. Lorsqu’aucune restriction légale ne s’applique, la principale contrainte est souvent d’ordre financier. Dans certains pays européens, les services de traitement du VIH ne sont pas gratuits pour les migrants, même lorsqu’ils sont munis d’un titre de séjour. La Suisse prévoit un accès gratuit au traitement du VIH et des infections sexuellement transmissibles uniquement lorsqu’il est considéré comme «urgent»; dans le cas contraire, le dépistage doit être payé ou devra être pris en charge par un régime d’assurance maladie.
28. Comme nous l’avons déjà indiqué, plusieurs obstacles dissuadent les migrants de se faire dépister. Ils n’ont donc pas connaissance de leur statut sérologique et ne reçoivent pas de traitement en temps voulu. Cela se traduit par une prévalence plus élevée du VIH parmi la population, qui entraîne à son tour des coûts de santé plus élevés, à la fois pour les patients et pour les systèmes de santé nationaux.

4. Préoccupations en matière de droits de l’homme pour les migrants atteints du VIH/SIDA

29. Les droits de l’homme sont inextricablement liés à la propagation du VIH et à son incidence. Les principales préoccupations en matière de droits de l’homme en ce qui concerne les questions de protection liées aux migrants ont été soulevées par le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés dans son Plan stratégique pour la lutte contre le VIH et le SIDA (2008-2012) et dans d’autres documents connexes 
			(11) 
			Note
sur le VIH/SIDA et la protection des réfugiés, des déplacés internes
et des autres personnes relevant de la compétence du HCR..

4.1. Discrimination et mesures juridiques de lutte contre la discrimination

30. Les migrants sont souvent victimes de discrimination et de stigmatisation. Ils ont souvent moins accès aux soins de santé que la population native. Ainsi que l’ancien Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe l’a affirmé à juste titre: «Le refus d’un traitement essentiel peut porter atteinte au droit à la vie garanti par la CEDH; dans le contexte extrême d’une maladie terminale, comme le sida, le renvoi vers un pays où le traitement n’est pas disponible pourrait porter atteinte au droit d’être protégé contre des traitements inhumains et dégradants. De la même façon, dans les pays où la prise en charge des femmes enceintes est normalement gratuite, le fait d’exiger un paiement lorsqu’il s’agit de migrantes en situation irrégulière soulève des questions de discrimination dans l’exercice du droit à la vie, à une protection contre les traitements inhumains et à la vie familiale. 
			(12) 
			<a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=1237553'>CommDH/IssuePaper(2007)1</a>, 17 décembre 2007.»
31. Les personnes atteintes du VIH font aussi souvent l’objet de discrimination et de stigmatisation, lorsqu’il est question de logement, de marché de l’emploi ou de l’accès aux soins de santé et de leur qualité. De ce fait, les migrants séropositifs sont souvent victimes d’une double discrimination. Comme indiqué ci-dessus, certains groupes de migrants vulnérables peuvent même être confrontés à une exclusion multiple: ne pas avoir de titre de séjour, être une femme, un professionnel du sexe, un homme ayant des rapports sexuels avec des hommes, etc.
32. Selon le Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme 
			(13) 
			<a href='http://www.ohchr.org/EN/Issues/HIV/Pages/HIVIndex.aspx'>www.ohchr.org/EN/Issues/HIV/Pages/HIVIndex.aspx.</a>: «Là où prévaut un environnement ouvert et favorable aux personnes infectées par le VIH; là où elles sont protégées de toute discrimination, traitées avec dignité, et reçoivent un accès au traitement, aux soins et à un soutien; et là où le SIDA ne fait l’objet d’aucune stigmatisation; les individus ont plus de chances de se faire dépister afin de connaître leur statut sérologique. Pour leur part, les personnes qui sont séropositives peuvent surmonter leur statut plus efficacement, en se faisant soigner et en recevant un soutien psychologique, et en prenant des mesures pour éviter de transmettre le virus aux autres, réduisant de ce fait l’incidence du VIH sur eux-mêmes et sur les autres dans la société.» (traduction non officielle)

4.2. Lois et règlements relatifs à l’entrée et au séjour en Europe

33. Au-delà du fait qu’elles constituent une violation intentionnelle des droits de l’homme (y compris de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme), les experts internationaux s’accordent à reconnaître que les restrictions de déplacement liées au VIH ne sont ni efficaces ni effectives. Au contraire, elles nuisent à la santé publique du pays d’accueil, en obligeant les migrants à éviter de passer un test de dépistage du VIH de peur d’être renvoyés et en faisant croire à la population locale qu’elle est en sécurité en laissant entendre que le VIH/SIDA est un «problème étranger».
34. S’il est vrai que 41 Etats membres du Conseil de l’Europe n’appliquent pas de restrictions concernant l’entrée et le séjour en fonction du statut sérologique, ce n’est pas le cas de quelques autres Etats membres 
			(14) 
			La
base de données mondiale sur les restrictions de déplacement liées
au VIH: <a href='http://www.hivtravel.org'>www.hivtravel.org</a>. s’agissant de séjours de longue durée.
35. En Andorre, les étrangers vivant avec le VIH qui demandent des titres de séjour de longue durée n’obtiendront pas de visa.
36. A Chypre, les étrangers qui demandent un titre de séjour pour travailler ou étudier doivent subir un examen médical demandé par le ministère de la Santé pour exclure toute infection par le VIH. Les autorités ne délivreront pas de titre de séjour si le résultat au test est positif. Les réfugiés et les demandeurs d’asile subissent les mêmes tests mais si les résultats sont positifs, ils peuvent bénéficier d’un traitement et d’un conseil gratuits.
37. En Bavière, en Allemagne, les étrangers ayant l’intention de rester plus de 180 jours peuvent être invités à passer un test de dépistage du VIH. Les demandeurs d’asile sont systématiquement dépistés pour le VIH, mais ils sont seulement informés du test lorsque celui-ci se révèle positif.
38. Dans la République de Moldova, le dépistage du VIH est obligatoire pour les titres de séjour au-delà de trois mois. Les personnes atteintes du SIDA n’obtiendront pas de titre de séjour et peuvent être expulsées.
39. Dans la Fédération de Russie, un résultat négatif au test de dépistage du VIH est exigé pour les séjours de longue durée (plus de trois mois), pour les étudiants et les travailleurs étrangers. En outre, selon la loi fédérale sur la prévention de la propagation dans la Fédération de Russie de la maladie causée par infection au VIH, les étrangers fichés comme séropositifs doivent être expulsés de la Fédération de Russie 
			(15) 
			Loi fédérale N 38-FZ
du 30 mars 1995. Réponse au questionnaire fournie par le département
analytique du Conseil de l’Assemblée fédérale de la Fédération de
Russie..
40. En République slovaque, les étrangers qui demandent un titre de séjour sont tenus de présenter un certificat attestant que le demandeur n’est pas atteint d’une maladie transmissible. Aucun titre de séjour ne sera délivré à des personnes atteintes du VIH/SIDA.

4.3. Accès à l’information et à l’éducation en matière de prévention et de traitement du VIH

41. Comme nous l’avons déjà indiqué, il est important d’adopter des approches spécifiques aux migrants en matière de prévention du VIH. Pour élaborer des programmes efficaces de prévention du VIH en faveur des migrants, il sera essentiel d’impliquer la communauté.

4.4. Accès au dépistage volontaire et anonyme et aux soins

42. Malgré un taux de dépistage élevé du VIH en Europe, un grand nombre de patients séropositifs commencent leur traitement tardivement et bon nombre d’entre eux ignorent qu’ils sont porteurs du virus au moment du diagnostic. Selon l’ECDC 
			(16) 
			ECDC, HIV testing:
Increasing uptake and effectiveness in the European Union, Stockholm,
2010., «de nombreux faits concourent à indiquer qu’un diagnostic précoce d’une infection par le VIH, suivi d’un traitement, peut conduire à une nette amélioration du pronostic pour l’individu qui peut espérer une faible morbidité, une bonne qualité de vie, et une espérance de vie quasi-normale» (traduction non officielle).
43. Les experts internationaux reconnaissent que le dépistage devrait toujours être volontaire. Il ne s’agit pas seulement d’un outil épidémiologique qui permet de contrôler la propagation du VIH. C’est également un outil de prévention en soi, qui permet à un professionnel de la santé de discuter des comportements à risque avec le patient lors d’une séance de conseil qui précède ou qui suit un test de dépistage. Si l’on veut diminuer le comportement à risque, il est fondamental d’établir une relation de confiance, relation qui ne peut être établie lorsqu’un test est obligatoire. En outre, les tests obligatoires parmi les «groupes à haut risque» (les migrants mais aussi les toxicomanes, les professionnels du sexe, les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes) ont un effet stigmatisant; les personnes visées se détournent du dépistage et le reste de la population a l’impression d’être en sécurité. En réalité, chacun devrait connaître les risques et les modes de transmission du VIH.

4.5. Accès aux procédures de demande d’asile

44. Les demandeurs d’asile sont considérés comme des personnes particulièrement vulnérables au VIH pour trois raisons principales: ils peuvent avoir été exposés à des situations de risque dans des régions où la prévalence du VIH est élevée; ils peuvent avoir été contraints de migrer car ils ont enduré des épreuves telles que la détention, la violence, la torture, le viol, des agressions et du harcèlement sexuels; et le fait de devenir un demandeur d’asile ou un réfugié peut entraîner des conditions de vie déplorables, une malnutrition, une protection insuffisante et une détresse qui peuvent renforcer leur vulnérabilité à l’exploitation sexuelle.

4.6. Protéger les migrants gravement malades contre l’expulsion

45. S’il est vrai que les personnes vivant avec le VIH peuvent espérer une qualité de vie élevée, elles doivent bénéficier de soins médicaux spécialisés (y compris des analyses sanguines régulières nécessitant des techniques de laboratoire perfectionnées) et, dans la plupart des cas, doivent suivre un traitement antirétroviral jusqu’à la fin de leur vie. En outre, il est fréquent que les patients aient besoin de prendre d’autres médicaments pendant leur traitement (par exemple pour traiter d’autres pathologies auxquelles les patients séropositifs sont particulièrement vulnérables). Le fait d’arrêter le traitement ou de le prendre de manière irrégulière se traduit presque toujours par une aggravation de leur état de santé impliquant un risque de décès immédiat ou une diminution importante de l’espérance de vie, ainsi que le développement d’une résistance au traitement du VIH.
46. Dans certains pays, les réfugiés et les demandeurs d’asile peuvent être renvoyés ou «refoulés» malgré leur séropositivité. Par exemple, dans mon pays, la Suisse, le statut de séropositivité en soi n’est pas considéré comme un motif suffisant pour que le renvoi soit jugé déraisonnable. En plus d’être diagnostiquée séropositive, la personne qui s’est vu refuser l’asile doit déjà bénéficier d’un traitement antirétroviral en Suisse. Elle doit également démontrer qu’elle n’a pas la possibilité de recevoir un traitement dans son pays d’origine. Très souvent, il est impossible de fournir de tels éléments de preuve car les ministères de la Santé des pays d’origine dressent un tableau de la situation plus positif qu’il ne l’est en réalité 
			(17) 
			Migration
en VIH en Suisse, Aide suisse contre le SIDA..
47. Certains migrants sans papiers qui sont gravement malades ou qui ont des enfants gravement malades refusent d’aller à l’hôpital pour se faire soigner par crainte d’être renvoyés dans leur pays du fait de leur statut. Le renvoi d’une personne séropositive dans un pays où elle ne peut pas accéder aux soins nécessaires peut effectivement être comparé à une condamnation à mort, hors de vue, décidée par l’administration!
48. Les critères de protection des migrants gravement malades sont loin d’être cohérents et varient considérablement d’un Etat membre à l’autre, malgré le fait que les Etats membres ont tous ratifié la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5, «la Convention») et que l’expulsion des migrants séropositifs peut constituer un traitement inhumain ou dégradant, soulevant de ce fait un problème au regard de l’article 3 de la Convention. Certains Etats membres ont adopté une législation pour protéger les étrangers gravement malades qui n’ont pas accès aux soins de santé dans leur pays d’origine contre la détention et l’expulsion. Dans la pratique cependant, les organisations de la société civile en Europe 
			(18) 
			Par exemple, voir la
Plate-forme pour la Coopération Internationale sur les Sans-papiers
(PICUM), Undocumented and seriously ill: residence permits for medical
reasons in Europe (2008). ont constaté que le traitement et les soins sont souvent jugés «accessibles» sur la base d’éléments partiels uniquement. Mais le fait que des traitements antirétroviraux sont uniquement disponibles à un prix très élevé et dans une zone bien délimitée d’un pays d’origine ne signifie pas que les soins du VIH sont accessibles à tous.
49. Je suis convaincue que la législation internationale et nationale devrait garantir aux migrants séropositifs une protection juridique contre l’expulsion. Dans ce contexte, l’accessibilité aux soins de santé dans le pays d’origine devrait être évaluée selon la disponibilité géographique et financière du traitement pour la personne concernée dans l’Etat donné. Il convient d’accorder une attention particulière à l’accessibilité d’un traitement continu et de soins de suivi spécialisés (par exemple disponibilité suffisante, tant sur le plan de la quantité que de la qualité, de médecins et de structures de soins spécialisés dans le traitement du VIH ainsi que les analyses sanguines et autres équipements nécessaires). L’absence ou l’existence d’un traitement doit également être évaluée compte tenu de l’état de santé particulier du demandeur (progression de la maladie, complications).

4.7. Protection contre la détention arbitraire

50. Le fait de détenir une personne en raison de sa séropositivité est arbitraire et illégal, même pour les personnes qui séjournent illégalement dans le pays. Les organisations internationales, y compris l’ONUSIDA, l’OMS, et le Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, ont toutes dénoncé le dépistage obligatoire du VIH et l’isolement des personnes séropositives comme étant incompatibles avec les normes relatives aux droits de l’homme.
51. Pour autant que je sache, la Grèce est le seul pays européen à avoir mis en place des mesures de détention visant spécifiquement les personnes séropositives. Le règlement sanitaire n° GY/39A «Modifications concernant la restriction de la transmission des maladies infectieuses» dispose que des examens de santé obligatoires seront requis, ainsi que l’isolement et un traitement obligatoire, pour les maladies importantes au regard de la santé publique. Ce règlement dispose que certains groupes doivent passer un test de dépistage en priorité, y compris les migrants sans papiers originaires de pays où ces maladies sont endémiques.

4.8. Protection des groupes vulnérables

52. Les groupes vulnérables parmi les migrants nécessitent une attention particulière en ce qui concerne l’accès à la prévention, au dépistage du VIH et aux services VIH. Les femmes sont davantage exposées à une infection par le VIH car elles sont plus souvent victimes de violence et d’exploitation sexuelles. Les inégalités entre les sexes concernent également les femmes séropositives qui peuvent être davantage exposées à la violence de leurs partenaires ou de leur famille. La protection des enfants touchés par le VIH (directement ou qu’il s’agisse d’un des membres de leur famille) pourrait également être renforcée pour garantir l’accès à l’éducation et aux soins de santé et prévenir la violence. Les professionnels du sexe – surtout dans les pays où leur activité est criminalisée ou dans lesquels les politiques locales les empêchent de s’adresser aux forces de l’ordre – nécessitent une protection particulière en raison du risque élevé de subir des violences sexuelles, de subir une pression pour avoir des rapports sexuels non protégés et d’être ensuite infectés par le VIH ou d’autres ISM. Les hommes migrants qui ont des rapports sexuels avec des hommes et les toxicomanes migrants sont souvent invisibles en raison de la stigmatisation qui est associée à ces comportements à haut risque. Souvent, les détenus n’ont pas accès aux services de prévention et de traitement du VIH – les détenus issus de l’immigration sont extrêmement vulnérables.

5. Réponse des pays européens au problème de la prévention et du traitement du VHI/SIDA chez les migrants

5.1. Test de dépistage du VIH : pratiques positives et pratiques négatives

53. En général, des informations concernant le VIH et le dépistage du VIH sont communiquées aux migrants dès leur arrivée dans le pays (Allemagne, Italie, Lituanie, Monténégro, Pologne, Roumanie, Slovénie, Espagne et Suisse). Les médecins donnent également des informations sur le dépistage du VIH lors de visites médicales pour les migrants et les demandeurs d’asile (Norvège, Serbie, Suède et Suisse). A cet égard, une campagne suisse d’information préventive qui encourage le dépistage volontaire du VIH pour les migrants pourrait être un excellent modèle pour d’autres pays. En Suisse, l’organisation frontalière de services médicaux fournit des supports audiovisuels en 28 langues pour informer et conseiller les demandeurs d’asile. Ils portent sur le système de santé suisse, la tuberculose, et le choix de plusieurs vaccinations. Les demandeurs d’asile visionnent une vidéo de 12 minutes sur le VIH, le SIDA et un comportement sans risques. Cette vidéo est disponible en 16 langues.
54. En Ukraine, selon la loi relative à la lutte contre la propagation des maladies dues au VIH et à la protection juridique et sociale des personnes atteintes du VIH, les migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile peuvent passer un test de dépistage gratuit du VIH/SIDA. Au cours des six premiers mois de 2013, 1 818 citoyens étrangers ont passé des tests de dépistage du VIH, dont 18 se sont révélés positifs. Les organisations non gouvernementales (ONG), telles que l’International HIV/AIDS Alliance en Ukraine, proposent aux migrants un dépistage volontaire et ont entrepris une étude du comportement des migrants, en surveillant la prévalence du VIH parmi les travailleurs migrants ukrainiens.
55. S’il est vrai que la plupart des pays considèrent que les migrants et les minorités ethniques ont davantage de risque d’être infectés par le VIH, tous les pays ne recommandent pas explicitement un dépistage volontaire du VIH pour ces populations 
			(19) 
			ECDC Technical report,
Migrant health: HIV testing and counselling in migrant populations
and ethnic minorities i EU/EEA/EFTA member States, Stockholm, 2009..
56. En Islande et en Pologne, un dépistage du VIH est proposé à tous les migrants avant leur entrée dans le cadre d’un examen de santé général. Au Danemark, on recommande de proposer un test de dépistage aux migrants lors de leur premier contact avec les services sanitaires, quel que soit le motif de recours. En France, les recommandations officielles préconisent un test de dépistage annuel pour les personnes originaires des pays subsahariens ou des Caraïbes.
57. Dans certains pays, le dépistage est obligatoire pour une certaine catégorie de migrants (Chypre, Russie et République slovaque). A Chypre, par exemple, le dépistage est obligatoire pour les migrants originaires de pays où il existe une forte prévalence du VIH. En Russie, le dépistage est obligatoire pour les travailleurs migrants qui doivent fournir un certificat médical attestant de leur séronégativité pour pouvoir obtenir un titre de séjour temporaire ou permanent. En République slovaque, les ressortissants de pays tiers sont obligés de se soumettre à un examen médical.
58. Il n’y a pas de dépistage obligatoire en Suisse. Le dépistage obligatoire et/ou le dépistage sans le consentement de la personne sont en contradiction avec la stratégie de prévention de la Suisse dans ce domaine.
59. Il convient de noter que les femmes ont plus souvent accès aux tests de dépistage du VIH car elles doivent subir des examens pendant leur grossesse. Un test de dépistage du VIH est systématiquement proposé aux femmes enceintes (migrantes ou non) afin d’éviter une transmission de la mère à l’enfant. Les femmes passent donc plus souvent des tests de dépistage du VIH. Dans certaines circonstances, les femmes migrantes ne savent pas qu’elles ont été dépistées pour le VIH en raison du manque d’information de la part des médecins ou de la barrière de la langue. Cette situation est inacceptable car un test de dépistage ne doit pas être réalisé sans le consentement des femmes.

5.2. Bonnes pratiques des pays européens en matière de prévention et de traitement du VIH/SIDA chez les migrants

60. En ce qui concerne l’accès aux soins de santé des migrants en situation régulière, plusieurs pays européens proposent un traitement gratuit du VIH et des IST. En Lettonie, seuls les citoyens de l’Union européenne peuvent bénéficier d’un dépistage et d’un traitement gratuits du VIH.
61. En outre, plusieurs pays proposent un dépistage du VIH aux migrants sans papiers. Selon les réponses à notre questionnaire, le dépistage et le traitement du VIH sont gratuits dans certains pays (Belgique, Croatie, France, Italie, Lituanie, Estonie, Pologne, Espagne et Russie), même si les migrants rencontrent souvent les obstacles administratifs susmentionnés. Le principal problème réside dans le fait que les migrants en situation irrégulière n’ont pas accès à une assurance de santé. En effet, dans certains pays le dépistage et le traitement du VIH dépendent de l’accès aux soins de santé en général (Finlande, Lettonie, Pays-Bas, Roumanie et Suisse).
62. Le Portugal dispose d’une législation très élaborée en ce qui concerne la non-discrimination des migrants et leur accès aux soins de santé. Le parlement prête une attention particulière au problème du VIH; un groupe de travail permanent pour les problèmes du VIH/SIDA a été créé au Parlement portugais pour examiner ce problème. Les médicaments antirétroviraux sont considérés d’une importance telle qu’ils sont immédiatement mis à disposition de toutes les personnes infectées, y compris les migrants sans papiers.
63. En 2012, après avoir évalué les coûts du traitement restrictif sur une période de huit ans, le Gouvernement britannique a décidé que toute personne diagnostiquée séropositive en Angleterre pourrait bénéficier d’un traitement gratuit, qu’elles bénéficient ou non des soins du Service national de santé (National Health Service).
64. En Ukraine, un Programme national de prévention de l’infection par le VIH, le traitement, les soins et l’aide aux patients atteints par le VIH/SIDA a été élaboré pour 2009-2013. Les migrants sont considérés comme faisant partie des groupes vulnérables et sont inclus dans les principaux volets de ce programme. Grâce à ce dernier, 92 % des personnes atteintes du VIH/SIDA reçoivent une aide de l’Etat pour le traitement et les soins médicaux. Néanmoins, le gouvernement devrait consacrer davantage de ressources aux mesures préventives et à l’aide sociale aux groupes vulnérables.
65. Les organisations de la société civile jouent un rôle important lorsqu’il s’agit de mobiliser des ressources pour le traitement des personnes atteintes du VIH/SIDA en Europe. De nombreuses initiatives, plus ou moins importantes, sont prises et apportent toutes leur contribution. A cet égard, je tiens à saluer, à titre d’exemple, l’initiative lancée en Italie par l’organisation ukrainienne de migrants intitulée «Les femmes pour la paix, la culture et le développement», qui a permis de recueillir € 2 200 pour le traitement des enfants séropositifs au cours d’un concert caritatif organisé à Rome.
66. Pour résumer, les politiques relatives à la prévention et au traitement du VIH chez les migrants diffèrent considérablement selon les pays. Bien que de nombreux pays aient mis en place des interventions et des bonnes pratiques tenant spécifiquement compte des besoins des migrants, des mesures supplémentaires pourraient être prises pour garantir un accès universel à la prévention et au traitement.

5.3. Programmes de prévention et de traitement du VIH/SIDA mis en œuvre par les organisations internationales en Europe

67. Plusieurs organisations internationales ont uni leurs efforts pour apporter une réponse humanitaire au danger de la prolifération du VIH/SIDA en Europe. L’ONUSIDA, l’OMS, le HCR, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), l’Organisation Internationale du Travail (OIT) et l’UNESCO ont élaboré des plans stratégiques et différents programmes de coopération pour les migrants et leur accès à la protection, à la prévention, au traitement, aux soins et aux interventions d’appui en matière de VIH.
68. Le HCR, par exemple, a élaboré un Plan stratégique pour la lutte contre le VIH et le SIDA 2008-2012 
			(20) 
			Plan stratégique du
HCR pour la lutte contre le VIH et le SIDA 2008-2012.. Il décrit les objectifs généraux et les principales stratégies pour lutter contre le VIH et le SIDA dans le contexte du mandat de protection des réfugiés, des personnes déplacées dans leur pays et des autres personnes relevant de la compétence du HCR. En coopération avec l’ONUSIDA, cette organisation a également mis en place des activités visant à encourager les pays à lever les restrictions de voyage liées au VIH 
			(21) 
			VIH/sida
et réfugiés, Comité exécutif du Programme du Haut Commissaire, 5
juin 2012, EC/63/SC/CRP.16.. L’organisation renforce également les capacités des acteurs nationaux pour garantir l’intégration du VIH dans les plans de préparation au niveau des régions présentant un risque de catastrophe. A cette fin, des formations et des campagnes de sensibilisation ont été organisées sur les principes de la programmation en matière de VIH dans les situations d’urgence, en coordination avec des commissions nationales sur le SIDA, des unités gouvernementales de gestion des catastrophes et des ONG.
69. L’OMS a adopté le Plan d’action européen en matière de VIH/SIDA 2012-2015, avec notamment pour objectif de «réduire de moitié le nombre de nouvelles infections par le VIH par voie sexuelle, y compris chez les hommes ayant des rapports sexuels avec les hommes, dans le contexte du travail sexuel et parmi les migrants» 
			(22) 
			Plan d’action européen
en matière de VIH/SIDA 2012-2015, OMS, 2011..
70. La Commission européenne a également mis en œuvre un Plan d’action pour lutter contre le VIH/SIDA pour la période 2009-2013. Elle définit comme prioritaires les régions comprenant les pays d’Europe de l’Est qui font l’objet de la politique européenne de voisinage, et les migrants originaires de pays avec un taux élevé de personnes infectées par le VIH sont identifiés comme l’un des trois principaux groupes concernés. Dans le cadre de ce plan, une série de cinq rapports a été produite sur les thèmes de l’épidémiologie du VIH et du SIDA; l’accès à la prévention, au traitement et aux soins du VIH et le dépistage du VIH chez les migrants et les conseils; les problèmes liés aux maladies infectieuses, y compris le VIH et les migrants; et l’amélioration de la comparabilité des données et des définitions du terme migrants utilisées dans l’UE/l’EEE/l’AELE 
			(23) 
			Special Report, Monitoring
implementation of the European Commission Communication and Action
Plan for combating HIV/AIDS in the European Union and neighbouring
countries, 2009-2013, ECDC, 2012..
71. En ce qui concerne les pays de l’UE/l’EEE, le Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies a récemment publié un document intitulé «Suivi de la mise en œuvre de la Déclaration de Dublin sur le partenariat pour lutter contre le VIH/SIDA en Europe et en Asie Centrale: rapport d’avancement 2012» dans laquelle il demande une amélioration de la disponibilité des données sur la prévalence du VIH parmi les communautés de migrants, des services et des programmes en nombre suffisant pour les communautés de migrants particulièrement touchées par le VIH, et des mesures supplémentaires pour lever les obstacles et les difficultés qui empêchent les migrants (notamment les migrants sans papiers) d’accéder aux services du VIH.

5.4. Politique de développement internationale

72. Il y a eu une nette amélioration de l’accès au traitement antirétroviral dans les pays à faible et à moyen revenu, surtout dans les pays d’Afrique sub-saharienne, depuis l’an 2000 environ: selon l’ONUSIDA, le taux de couverture du traitement antirétroviral est passé de 0 à 50 %. Le traitement antirétroviral est de plus en plus accessible et de moins en moins coûteux dans ces pays. Mais cela signifie qu’environ 50 % des personnes ayant besoin d’un traitement ne peuvent toujours pas accéder au traitement antirétroviral, ce qui a abouti à 1,6 million de décès dus au SIDA en 2012!
73. Ces progrès considérables ont pu être réalisés grâce aux fonds de pays à revenu élevé – y compris la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe. Les mécanismes de financement internationaux de la lutte contre le VIH/SIDA doivent être considérés comme un instrument efficace pour promouvoir un accès universel au traitement du VIH/SIDA dans les pays à faible revenu. Compte tenu de l’ampleur de l’épidémie dans certains de ces pays – surtout dans les pays d’Afrique sub-saharienne – la lutte contre le VIH/SIDA est aussi une façon efficace d’atténuer les inégalités économiques et sociales qui sont un important facteur d’incitation à la migration.
74. A cet égard, il convient de mentionner que le coût annuel moyen du traitement antirétroviral dans les pays en développement est estimé à environ $US 100  par personne. Même si la totalité ou une partie des frais est à la charge des patients, ce coût annuel est inférieur au prix d’un billet d’avion à destination de l’Europe.
75. Les Etats membres devraient consacrer des fonds supplémentaires aux services VIH/SIDA dans les pays à faible et à moyen revenu afin de garantir un accès universel effectif au traitement pour les personnes séropositives dans ces pays.

6. Lutter contre les craintes et les préjugés de la société à l’égard du VIH/SIDA et des migrants 

6.1. Le mythe du tourisme de la santé

76. Certains responsables politiques et professionnels de la santé pensent intuitivement que des politiques de santé restrictives peuvent contribuer à mettre en œuvre des politiques migratoires restrictives, même si toutes les données sociologiques donnent à entendre le contraire. Cette conviction est étroitement liée à l’idée du «tourisme médical» (qui consiste à se rendre dans d’autres pays pour recevoir des soins de santé extrêmement spécialisés ou moins coûteux). De peur qu’un meilleur accès aux soins de santé ne représente un facteur d’attraction pour les migrants, la question du VIH/SIDA est parfois utilisée dans ce débat.
77. Plusieurs études montrent que le nombre de «réfugiés médicaux» – les personnes qui quittent leur pays d’origine en raison de l’absence de soins de santé – est très faible 
			(24) 
			Par exemple, pour un
aperçu voir T. Faist (1997), The Crucial Meso-Level. In T. Hammar,
G. Brochmann, K. Tamas et T. Faist (Eds.), International
Migration, Immobility and Development. Multidisciplinary perspectives (p.
187-218). Oxford, Berg. Accessible en ligne via <a href='http://books.google.be/books?id=gRbAf-AI7KYC&pg=PA187&lpg=PA187&dq=Faist+1997+Crucial+Meso-Level+Hammar+International+Migration,+Immobility+and+Development&source=bl&ots=VmCtx8OZnf&sig=KlkuTKy_td4_WAmHYiHsutZEYLE&hl=en&sa=X&ei=JyQxUJj0HaKI0AW404DoDA&sqi=2&ved=0CD8Q6AEwAQ'>Google
Books</a>. En outre, il est bien plus fréquent de voyager depuis
les pays industrialisés vers les pays moins développés – voir Nicolas
P. Terry, Under-regulated health care phenomena in a flat world:
medical tourism and outsourcing. 29 W. New Eng. L. Rev. 421 (2007), <a href='http://digitalcommons.law.wne.edu/lawreview/vol29/iss2/6'>http://digitalcommons.law.wne.edu/lawreview/vol29/iss2/6.</a>. Seulement 1,6 % des répondants à une enquête réalisée en 2012 par Médecins du Monde dans sept pays de l’Union européenne ont cité la santé comme étant une des raisons de migration 
			(25) 
			Access
to healthcare in Europe in times of crisis and xenophobia, avril
2013, Chauvin P., Simonnot N. et Vanbiervliet F., Médecins du Monde.. En outre, comme nous le savons, l’un des principaux obstacles aux soins de santé pour les migrants dans les pays d’accueil est la méconnaissance du système de santé et d’assurance. On peut donc supposer que les migrants qui viennent de pays en développement ne tiennent pas compte du niveau d’accessibilité des soins de santé dans une région donnée. Le processus qui conduit les migrants à prendre une décision concernant leur destination est plutôt complexe, il est guidé par l’économie informelle locale (à savoir l’offre d’emplois) et la présence de membres appartenant à la même communauté (capital social et processus de la migration en chaîne) parmi d’autres considérations. De nombreux migrants ne connaissent pas leur destination finale lorsqu’ils commencent leur voyage.
78. En d’autres termes, lorsqu’on examine ces données, il est évident que l’accès aux soins de santé ne représente pas un facteur d’attraction. Les migrants ne tiennent pas compte des restrictions d’accès aux soins lorsqu’ils décident de s’installer dans tel ou tel pays. En outre, les taux de VIH parmi les migrants qui se rendent en Europe sont en général nettement inférieurs aux taux de VIH dans leur pays d’origine. Ce phénomène peut s’expliquer par ce que les spécialistes des migrations appellent «l’effet du migrant en bonne santé» – un processus de sélection naturelle selon lequel seules les personnes en bonne santé dans une société émigrent.
79. Pour conclure, on peut dire qu’aucun élément ne permet de confirmer la thèse du «tourisme de la santé». En outre, le fait de faire bénéficier les migrants et les réfugiés d’un accès gratuit aux services de santé ne semble pas ouvrir la voie à ce phénomène de «tourisme de la santé».

6.2. Conséquences de la crise financière mondiale

80. L’Europe traverse l’une des crises financières les plus graves de son histoire. La charge de la dette publique et les contraintes budgétaires pèsent plus lourd dans les pays du Sud de l’Europe. Cette situation se traduit par des ressources plus limitées en général et par des restrictions budgétaires nationales, y compris en ce qui concerne les systèmes de soins de santé. Nous sommes confrontés au risque que certains grands progrès accomplis dans la lutte globale contre le VIH/SIDA au cours des dix dernières années en Europe soient réduits à néant par des politiques de réduction des coûts à court terme.

7. Conclusions

81. Bien que l’on manque généralement de données épidémiologiques précises sur la santé des migrants en Europe, les informations disponibles dans de nombreux pays laissent à penser que les migrants sont affectés de manière disproportionnée par le VIH. Cela est dû à la forte prévalence du VIH dans leur pays d’origine ou à l’absence de prévention, de dépistage et de traitement accessibles dans leur pays d’accueil. Les Etats membres du Conseil de l’Europe peuvent directement améliorer le taux d’infection élevé chez les communautés de migrants en Europe en prenant des mesures législatives, politiques et sociales spécifiques.
82. Dans un premier temps, les pays européens devraient améliorer la disponibilité de données quantitatives et qualitatives sur le VIH parmi les communautés de migrants en établissant des partenariats avec des organisations internationales telles que l’OMS Europe, l’ECDC et l’ONUSIDA. Il est nécessaire d’obtenir plus d’informations sur les groupes de migrants particulièrement vulnérables, y compris les femmes et les enfants, les professionnel(le)s du sexe, les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, les toxicomanes, les détenus et enfin les migrants ayant un statut de séjour précaire ou irrégulier (demandeurs d’asile, migrants sans papiers et réfugiés).
83. Dans un second temps, il est important de s’assurer que les migrants bénéficient dans une mesure suffisante des services de prévention et de traitement du VIH et que ces services sont financièrement accessibles, surtout pour les groupes de migrants particulièrement vulnérables. Il convient de mentionner tout particulièrement la situation des migrants sans papiers vivant avec le VIH/SIDA qui n’ont pas d’accès effectif aux soins de santé dans leur pays d’origine et/ou leur pays de résidence. Ils devraient pouvoir accéder gratuitement au traitement en Europe et obtenir la garantie d’une protection juridique contre l’expulsion et la détention, qui constituent de graves violations des droits de l’homme. Les pays européens devraient réviser leur législation dans le but d’alléger toutes les dispositions administratives et juridiques qui entravent une prévention et un traitement effectifs du VIH/SIDA chez les migrants (y compris les demandeurs d’asile et les migrants sans papiers). Des mesures devraient également être prises pour éliminer les obstacles linguistiques, sociaux et financiers aux services. Un dépistage volontaire et anonyme du VIH, des conseils, un traitement financièrement accessible, ainsi que des programmes d’éducation sexuelle et de sensibilisation devraient être accessibles à tous.
84. En outre, les Etats membres devraient interdire toutes les restrictions d’entrée et de séjour ainsi que les pratiques de détention spécifiquement liées au VIH: elles sont considérées comme étant inefficaces, ineffectives, voire dangereuses pour la santé publique par les experts internationaux et elles constituent une grave violation des droits de l’homme.
85. Des mesures spécifiques peuvent être prises pour protéger les migrants vivant avec le VIH/SIDA contre la discrimination et la stigmatisation. Les Etats membres peuvent introduire des mesures pour garantir un accès effectif au marché de l’emploi, à un logement, à l’éducation et aux soins de santé pour les migrants vivant avec le VIH (et leurs familles).
86. Les Etats membres devraient examiner la nécessité d’adopter un plan national (cadre stratégique) pour lutter contre le VIH/SIDA, intégrant une partie spécifique sur les migrants et les groupes de migrants vulnérables mentionnés ci-dessus, avec la contribution des migrants vivant avec le VIH/SIDA et des organisations de la société civile.
87. Enfin, les pays européens peuvent contribuer à améliorer la couverture insuffisante du traitement antirétroviral dans les pays en développement par le biais de programmes de financement internationaux en tant que stratégie à long terme.