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Rapport | Doc. 13405 | 28 janvier 2014

Le fonctionnement des institutions démocratiques en Ukraine

Commission pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l'Europe (Commission de suivi)

Corapporteur : Mme Mailis REPS, Estonie, ADLE

Corapporteur : Mme Marietta de POURBAIX-LUNDIN, Suède, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Renvoi 4011 du 27 janvier 2014. 2014 - Première partie de session

Résumé

La commission de suivi exprime sa profonde préoccupation concernant la crise politique qui s'est déclenchée en Ukraine après la décision inattendue des autorités ukrainiennes de suspendre la procédure de signature d'un accord d'association avec l'Union européenne. Elle condamne fermement l'escalade de la violence, par chacune des parties, dans le cadre des manifestations de l'Euromaïdan, qui ont déjà fait au moins trois morts.

A cet égard, la commission est préoccupée à la fois par les violentes provocations de manifestants d'extrême droite, et par l'usage excessif et disproportionné de la violence par la police à l'encontre des manifestants. La commission appelle donc les autorités à s'abstenir de toute tentative de recourir à la force pour briser les manifestations et les campements des manifestants. Dans le même temps, elle appelle les manifestants à renoncer à la violence et aux actes visant clairement à provoquer une réaction violente de l'autre partie.

La commission regrette l'adoption, dans des circonstances chaotiques qui compromettent leur légitimité, des «lois antimanifestations» par la Verkhovna Rada le 16 janvier 2014 et leur promulgation subséquente par le Président, M. Ianoukovitch, le 18 janvier 2014, et appelle à leur annulation immédiate.

Il faudrait faire cesser immédiatement les violences et les violations des droits de l'homme et entamer des négociations ouvertes et effectives pour parvenir à un accord sur une solution à cette crise qui s'aggrave rapidement. De l'avis de la commission de suivi, un tel accord devrait être fondé sur l'engagement, par chacune des parties, de renoncer à la violence, sur l'annulation immédiate des «lois antimanifestations» et sur le lancement sans délai d'un dialogue ouvert, sérieux et effectif entre les dirigeants au pouvoir et les forces politiques et civiles unies dans le cadre des manifestations de l'Euromaïdan, au sujet de l'orientation démocratique future et de l'alignement géopolitique du pays.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 28 janvier 2014.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire exprime sa profonde préoccupation concernant la crise politique qui s’est déclenchée en Ukraine après la décision inattendue des autorités ukrainiennes de suspendre la procédure de signature d’un accord d’association, y compris d’un accord de libre-échange approfondi et complet, avec l’Union européenne. Elle condamne fermement l'escalade de la violence dans le cadre des manifestations de l’Euromaïdan, qui a déjà fait au moins trois morts.
2. L’Ukraine étant un Etat souverain, c’est au peuple ukrainien – et à lui seul – de décider, sans ingérence étrangère, de l’orientation géopolitique du pays et des communautés et accords internationaux dont l’Ukraine devrait faire partie. Seul le peuple ukrainien peut répondre à la question de savoir si l’Ukraine doit signer ou non un accord d’association avec l’Union européenne. Dans le même temps, l'Assemblée considère que des décisions aussi importantes que l’orientation géopolitique d’un pays devraient être prises sur la base d’un consensus politique aussi large que possible entre les différentes forces politiques du pays et sur la base d’une vaste consultation de la population.
3. L’Assemblée rappelle que, jusqu’au 21 novembre 2013, les autorités, tant par leurs paroles que par leurs actes, se montraient très favorables à la signature de l’accord d’association avec l’Union européenne lors du Sommet de Vilnius de novembre 2013. Elle regrette donc que le soudain changement de politique ait été opéré sans la consultation requise de la société et sans aucune tentative de rechercher un consensus national. La légitimité démocratique de la décision de suspendre la signature des accords s’en trouve affaiblie, ce que montre aussi la vague de manifestations de masse à l’échelle du pays qui a suivi cette décision. L'Assemblée invite donc instamment les autorités à entamer des négociations ouvertes, honnêtes et effectives avec l’opposition et à rechercher rapidement un large consensus sur l’alignement géopolitique et la poursuite du développement démocratique, ainsi que sur l’ordre constitutionnel du pays.
4. L'Assemblée prend note des déclarations publiques faites par les dirigeants ukrainiens selon lesquelles la décision de ne pas signer l’accord d’association a été lourdement influencée par des pressions de la part de la Fédération de Russie, et notamment par la menace de la Russie de fermer ses frontières aux exportations ukrainiennes si l’accord d’association était signé. Recourir à des menaces de sanctions et à un chantage économique et politique pour influencer les décisions politiques d’un autre pays constitue une pratique qui est contraire aux normes diplomatiques et démocratiques communément admises et qui est inacceptable. A cet égard, l’Assemblée souhaite rappeler à la Fédération de Russie que, lors de son adhésion, elle s’est engagée «à dénoncer comme erronée la notion de deux catégories distinctes de pays étrangers, qui revient à en traiter certains comme une zone d’influence spéciale appelée “l’étranger proche”, et à s’abstenir de véhiculer la doctrine géographique des zones “d’intérêts privilégiés”».
5. Les autorités ukrainiennes ont affirmé que les critiques émanant de l’étranger et visant leur gestion des manifestations de l’Euromaïdan représentaient une ingérence extérieure dans leurs affaires intérieures. A cet égard, l’Assemblée tient à souligner que, en sa qualité de membre du Conseil de l'Europe, l’Ukraine est dans l’obligation de respecter les normes les plus élevées en ce qui concerne la démocratie, la protection des droits de l’homme et l’Etat de droit. De plus, l’Ukraine a signé, entre autres, la Déclaration universelle des droits de l'homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Toute violation des droits de l'homme et les initiatives risquant d’entraver le bon fonctionnement des institutions démocratiques ne peuvent donc pas être considérées comme des affaires intérieures au sens strict, mais peuvent légitimement faire l’objet de préoccupations ou de critiques de la part d’autres pays, notamment d’autres Etats membres du Conseil de l'Europe.
6. L’Assemblée regrette, et juge préoccupant, l’usage excessif et disproportionné de la violence par la police à l’encontre des manifestants. De l’avis de l’Assemblée, les tentatives des autorités de disperser de force les manifestations de l’Euromaïdan n’ont fait qu’aggraver la crise politique et galvaniser les manifestants. Le droit à la liberté de manifestation et de réunion doit être pleinement respecté. L’Assemblée appelle donc les autorités à s’abstenir de toute tentative de recourir à la force pour briser les manifestations et démanteler les campements des manifestants. Dans le même temps, elle appelle la police et les manifestants à renoncer à la violence et aux actes visant clairement à provoquer une réaction violente de l’autre partie.
7. L’Assemblée est particulièrement préoccupée par les allégations crédibles selon lesquelles des manifestants auraient été torturés et soumis à de mauvais traitements par la police et les forces de sécurité. Ces pratiques, dont plusieurs chaînes de télévision ont diffusé des images, sont inacceptables et il faut que leurs auteurs soient punis dans toute la mesure où la loi le permet. Il ne saurait y avoir la moindre impunité pour de tels actes. L’Assemblée est également préoccupée par des informations selon lesquelles les journalistes seraient spécialement visés par les forces de sécurité, au mépris du principe de la liberté des médias.
8. Les flambées de violence de décembre 2013 et de janvier 2014, le recours excessif et disproportionné à la force par la police et les autres allégations de violations des droits de l'homme doivent faire l’objet d’investigations, d’un traitement et de réparations à caractère complet et impartial et les responsables doivent être traduits en justice. L’Assemblée se félicite de l’initiative du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe d’établir un groupe consultatif indépendant chargé d’enquêter sur les incidents violents qui ont eu lieu lors des manifestations de l’Euromaïdan, et regrette que tant les autorités que l’opposition aient omis de désigner leurs représentants au sein de ce groupe. De l’avis de l’Assemblée, il est indispensable de mener des enquêtes complètes, transparentes et impartiales sur les flambées de violence et les violations des droits de l'homme pour trouver une solution pacifique et négociée à la crise politique. Aussi demande-t-elle instamment aux autorités comme à l’opposition de désigner sans plus tarder leurs représentants au sein du groupe et de lui apporter toute l’assistance et la coopération dont il a besoin pour travailler.
9. L’Assemblée regrette l’adoption, dans des circonstances chaotiques qui compromettent leur légitimité, des «lois antimanifestations» par la Verkhovna Rada le 16 janvier 2014 et leur promulgation par le Président, M. Ianoukovitch, le 18 janvier 2014, en dépit des nombreux appels à ne pas les faire entrer en vigueur. Ces lois sont contraires au principe de la liberté d’expression, de la liberté de réunion et de manifestation, ainsi que de la liberté des médias et de la liberté d’information, et portent atteinte au droit à un procès équitable. Conjuguées, ces lois sont antidémocratiques et répressives et elles sont contraires aux obligations incombant à l’Ukraine au titre de la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5) et en sa qualité de membre du Conseil de l’Europe. Elles doivent être abrogées en totalité et sans délai par la Verkhovna Rada.
10. Il faudrait faire cesser immédiatement les violences et les violations des droits de l'homme et entamer des négociations ouvertes et effectives pour parvenir à un accord sur une solution à cette crise qui s'aggrave rapidement. De l’avis de l’Assemblée, cet accord devrait être fondé sur l'engagement, par chacune des parties, de renoncer à la violence, sur l'annulation immédiate des «lois antimanifestations» et sur le lancement sans délai d'un dialogue ouvert, sérieux et effectif entre les dirigeants au pouvoir et les forces politiques et civiles unies dans le cadre des manifestations de l’Euromaïdan, au sujet de l'orientation démocratique future et de l'alignement géopolitique du pays.
11. Les autorités ukrainiennes avaient annoncé précédemment plusieurs réformes de grande ampleur, y compris une révision constitutionnelle, devant permettre à l’Ukraine de respecter les obligations et engagements à l’égard du Conseil de l'Europe qu’elle a contractés lors de son adhésion et qu’elle n’a pas encore honorés. L’Assemblée espère que les autorités maintiendront leur engagement et leur volonté politiques de mettre en œuvre ces réformes, qui traiteraient aussi plusieurs causes sous-jacentes des manifestations de l’Euromaïdan. Elle demande aux autorités de fournir à sa commission de suivi un calendrier actualisé de ces réformes.
12. Vu l’escalade de la violence et les violations des normes européennes en matière de démocratie et de droits de l'homme, on ne peut pas continuer vis-à-vis de l’Ukraine comme si de rien n’était. L’Assemblée regrette que la Verkhovna Rada ait contribué à l’aggravation violente de la crise en adoptant les lois antimanifestations controversées. La Verkhovna Rada devrait assumer toute la responsabilité pour le rôle qu’elle a joué et utiliser tous les instruments à sa disposition pour aider à trouver une solution pacifique et négociée à la crise. C’est pourquoi l’Assemblée devrait envisager la possibilité de suspendre les droits de vote de la délégation ukrainienne à l’ouverture de la partie de session d’avril 2014 si les graves violations des droits de l’homme se poursuivent, si les autorités décident de disperser de force les manifestations de l’Euromaïdan, ou si la Verkhovna Rada n’a pas abrogé d’ici là l’ensemble des lois antimanifestations.
13. L’Assemblée continuera à suivre de près la situation en Ukraine sur la base des informations données par sa commission de suivi, qu’elle invite à suggérer d’autres mesures si l’évolution politique le justifie.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet
de recommandation adopté par la commission le 28 janvier 2014.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire fait référence à sa Résolution … (2014) sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Ukraine dans laquelle elle soulève un certain nombre de questions concernant la récente crise politique et l’explosion de violence en Ukraine.
2. L’Assemblée rappelle à cet égard la Déclaration de 1994 du Comité des Ministres sur le respect des engagements pris par les Etats membres du Conseil de l'Europe, qui fait état de «sa propre responsabilité statutaire d’assurer le plein respect de ces engagements, dans tous les Etats membres, sans préjudice des autres procédures existantes, y compris les travaux de l’Assemblée parlementaire et des organes de contrôle conventionnels».
3. L’Assemblée recommande par conséquent au Comité des Ministres:
3.1. de procéder à un examen approprié des points et problèmes soulevés dans la Résolution … (2014);
3.2. de réfléchir à une procédure de suivi renforcée et spécifique du Comité des Ministres au titre de l’Ukraine;
3.3. d’envisager un réajustement du programme de coopération avec l’Ukraine pour veiller à ce que les causes profondes de la crise politique, telles qu’exposées, entre autres, dans la Résolution … (2014), soient traitées de manière appropriée;
3.4. d’apporter son plein appui à l’initiative du Secrétaire Général du Conseil de l'Europe d’établir un groupe consultatif chargé d’enquêter sur les violences en rapport avec les manifestations de Kiev et d’encourager les autorités ukrainiennes, ainsi que les partis d’opposition du pays, à coopérer de manière constructive avec ce groupe et à désigner leurs représentants pour y siéger.

C. Exposé des motifs, par Mme Reps et Mme de Pourbaix-Lundin, corapporteures

(open)

1. Introduction

1. Le 21 novembre 2013, le Président, M. Ianoukovitch, a annoncé, à la surprise de tous, que les autorités ukrainiennes avaient suspendu les travaux préparatoires en vue de la signature de l’accord d’association et de l’accord de libre-échange approfondi et complet avec l’Union européenne prévue lors du Sommet de Vilnius des 28 et 29 novembre 2013. Ces accords faisaient l’objet de négociations depuis 2008 et avaient bénéficié jusqu’alors de l’appui ferme des autorités.
2. Le revirement soudain des autorités a donné lieu à de vastes manifestations spontanées de la population ukrainienne. Les manifestations régulières sur la place de l’Indépendance de Kiev – «Maïdan» – qui auraient attiré plus de 300 000 personnes, ont été les plus importantes depuis la «Révolution orange». Le 1er décembre 2013, cette contestation, connue désormais sous le nom de «Euromaïdan», a malheureusement tourné à la violence lorsque des forces spéciales de la police, les «Berkut», ont eu recours, de manière disproportionnée, à la violence pour démanteler un campement de protestation autrement pacifique sur la place de l’Indépendance. Ce recours injustifié à la violence et l’intensification des tensions qui a suivi n’ont apparemment eu pour effet que de galvaniser les manifestants. Des manifestants ont dressé un campement permanent place de l’Indépendance et les manifestations du week-end suivant ont attiré de plus en plus de monde.
3. Préoccupée par la crise politique et par une éventuelle escalade, la commission de suivi, réunie le 13 décembre 2013, a décidé de demander la tenue d’un débat d’urgence sur l’évolution en Ukraine et nous a demandé, en notre qualité de corapporteures sur l’Ukraine, de nous rendre à Kiev 
			(3) 
			Nous
avions demandé, immédiatement après les événements du 1er décembre
2013, une visite d’information à Kiev du 10 au 12 décembre 2013,
visite que le Parlement a refusée. la semaine suivant sa réunion.
4. Cette visite a eu lieu les 19 et 20 décembre 2014. Nous avons à cette occasion participé à des réunions à haut niveau avec notamment le Président, M. Ianoukovitch; le Premier ministre, M. Azarov; le Président du Parlement, M. Rybak; M. Leonid Kojara, ministre des Affaires étrangères; le vice-ministre de l’Intérieur; les dirigeants – ou leurs représentants – du parti au pouvoir et des principaux partis de l’opposition; le chef de la délégation de l’Union européenne en Ukraine; l’ancien ministre de l’Intérieur, M. Iouri Loutsenko, ainsi que Mme Eugenia Timochenko, M. Grigori Nemiria et M. Serguei Vlassenko. Nous tenons à remercier le parlement ainsi que le chef du Bureau du Conseil de l'Europe à Kiev et ses collaborateurs de l’excellent programme et de l’aide qu’ils ont apportée à notre délégation, en particulier avec un préavis aussi bref.
5. Pendant la période des fêtes, la situation a été d’une manière générale calme et n’a guère évolué. Malgré les tensions et l’impasse politique, un délicat statu quo a semblé s’instaurer. Il a volé en éclats le 16 janvier 2014 lorsque le parlement a adopté, dans des circonstances chaotiques, une série de lois «antimanifestations» portant gravement atteinte aux libertés fondamentales, dont la liberté d’expression, la liberté de réunion et de manifestation ainsi que la liberté d’information et celle des médias. L’adoption de ces lois a exacerbé les tensions et approfondi la crise politique. La promulgation de ces lois par le Président, M. Ianoukovitch, le 18 janvier 2014, a été suivie de larges manifestations sur la place de l’Indépendance. Des violences se sont malheureusement produites lorsqu’un certain nombre de manifestants, apparemment un groupe de militants de droite, ont essayé de se rapprocher du Parlement et se sont heurtés à la police qui en bloquait l’accès. La police aurait fait un usage excessif et disproportionné de la force. Les violences qui ont suivi ont entraîné la mort de trois personnes au moins et fait plusieurs centaines de blessés.
6. Dans ce contexte, l’Assemblée a décidé, le 27 janvier 2014, à la demande de la commission de suivi, de tenir un débat d’urgence sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Ukraine et a saisi la commission de suivi pour rapport.

2. Contexte

7. Après son élection en 2010, le Président, M. Ianoukovitch, a fait de l’intégration aux structures européennes, en particulier de la signature d’un accord d’association, y compris d’un accord de libre‑échange approfondi et complet 
			(4) 
			La décision d’entamer
les négociations en vue d’un accord d’association et d’un accord
de libre-échange approfondi et complet entre l’Ukraine et l’Union
européenne a été prise lors du Sommet entre l’Union européenne et
l’Ukraine de 2008. , une priorité essentielle de son administration, comme il l’avait promis pendant sa campagne électorale.
8. L’accord d’association et l’accord de libre-échange approfondi et complet ont été paraphés en mars 2012 et en juillet 2012 respectivement par l’Ukraine et l’Union européenne. L’Union européenne a mis un certain nombre de conditions à leur signature définitive, dont les suivantes:
a. traitement de toutes les affaires de condamnation à motivation politique et réforme du système judiciaire pour éviter des cas analogues dans l’avenir;
b. poursuite de la réforme judiciaire, en particulier celle du ministère public, du Code pénal et du Conseil supérieur de la magistrature;
c. poursuite des réformes judiciaire et électorale et de la révision de la Constitution.
9. Une fois ces accords paraphés, le Président, M. Ianoukovitch, et son Parti des régions, principal parti de la coalition au pouvoir, ont déclaré publiquement qu’ils étaient favorables à leur signature lors du 3e Sommet du partenariat oriental prévu les 28 et 29 novembre 2013 à Vilnius. L’engagement de signer l’accord d’association et l’accord de libre‑échange approfondi et complet a en outre été confirmé lors des élections législatives de 2012, la défense de ces accords étant un élément majeur du programme électoral du parti des régions du Président, M. Ianoukovitch.
10. Les poursuites et les condamnations supposément politiques et le cas en particulier de l’ancien Premier ministre, Mme Ioulia Timochenko, et de l’ancien ministre de l’Intérieur, Iouri Loutsenko, ont retenu toute l’attention en Europe 
			(5) 
			Pour un examen approfondi
de ces affaires et de leur contexte, voir le Doc. 12814 et la Résolution
1862 (2012) sur le fonctionnement des institutions démocratiques
en Ukraine, adoptée le 26 janvier 2012.. En raison de la complexité et du caractère politiquement sensible de ces affaires, les progrès ont malheureusement été limités et lents. Des avancées notables ont toutefois été relevées en ce qui concerne les autres conditions fixées par l’Union européenne pour la signature de l’accord d’association. Il convient à ce sujet de souligner le rôle du Conseil de l'Europe, car les conditions fixées par l’Union européenne coïncident avec les engagements et les obligations que l’Ukraine a volontairement acceptés lorsqu’elle est devenue membre de l’Organisation.
11. En ce qui concerne la poursuite des réformes démocratiques notamment, les autorités ont élaboré, à la suite des élections législatives de 2012, des amendements à la loi sur l’élection des députés du peuple de l’Ukraine et à d’autres lois relatives aux élections. Ces projets d’amendements ont été envoyés à la Commission européenne pour la démocratie par le Droit (Commission de Venise) en avril 2013. D’autres amendements ont été apportés pour donner suite aux recommandations et aux préoccupations formulées par la Commission de Venise dans son avis sur le premier projet 
			(6) 
			CDL-AD(2013)016.. Dans son avis final 
			(7) 
			CDL-AD(2013)026. sur les amendements révisés, la Commission de Venise a estimé que les amendements marquaient certes un progrès, mais que certaines de ses recommandations essentielles demeuraient lettre morte. De plus, en mai 2012, une Assemblée constitutionnelle comptant des représentants de tous les groupes représentés au parlement ainsi que des représentants de la société civile et des juristes a été créée par le Président ukrainien. Elle est présidée par le premier Président de l’Ukraine, M. Leonid Kravtchouk, et est officiellement chargée de préparer une révision de la Constitution ukrainienne en vue de la rendre pleinement conforme aux normes démocratiques et juridiques européennes. On ne s’attendait pas à ce que cette Assemblée constitutionnelle puisse achever ses travaux, et encore moins que la révision de la Constitution soit adoptée avant le Sommet de Vilnius.
12. Le système judiciaire, pour ce qui est en particulier de l’indépendance de la justice et des garanties d’un procès équitable, demeure une grave source de préoccupation en Ukraine malgré les progrès réalisés dans ce domaine, en vue également de réunir les conditions fixées par l’Union européenne. Comme il est indiqué dans notre note d’information 
			(8) 
			AS/Mon (2012) 13 rév. sur la visite que nous avons effectuée à Kiev et à Kharkov du 14 au 18 mai 2012, le Parlement a adopté un nouveau Code de procédure pénale le 13 avril 2012. Ce code, élaboré en consultation avec le Conseil de l'Europe, a été salué par la communauté internationale et fait l’objet d’une évaluation positive d’experts du Conseil de l'Europe. Un projet de loi sur le ministère public a été élaboré par l’administration présidentielle et adressé à la Commission de Venise. Même si, de l’avis de la Commission de Venise 
			(9) 
			CDL-AD(2013)025., il représente une avancée significative par rapport aux propositions antérieures, il n’a pas encore été adopté par le parlement. Les modifications à apporter au Code pénal ne sont pas non plus effectives. Les autorités ont engagé la réforme du Conseil supérieur de la magistrature mais cette réforme, comme celles nécessaires pour garantir l’indépendance de la justice, est intimement liée à l’adoption des amendements à la Constitution. A cette fin, un groupe de 156 députés a élaboré une série d’amendements constitutionnels «pour renforcer l’indépendance des juges de l’Ukraine» que l’administration présidentielle a transmis à la Commission de Venise. Dans son avis 
			(10) 
			CDL(2013)034., la Commission de Venise fait un bilan mitigé des propositions, prenant note d’un certain nombre d’améliorations bienvenues mais aussi de quelques éléments très inquiétants qui doivent être revus pour que les propositions soient conformes aux normes européennes. Ces amendements n’ont pas encore été examinés par le parlement ni présentés, à notre connaissance, à l’Assemblée constitutionnelle et nous ne savons pas quand celle-ci achèvera ses travaux. Il est et a cependant toujours été clair qu’aucune révision constitutionnelle ne serait adoptée avant le Sommet de Vilnius.
13. La question la plus complexe et la plus sensible était la libération des anciens membres du gouvernement, poursuivis et condamnés, de l’avis général, pour des raisons politiques. Les progrès à ce sujet ont été limités et lents. Le 14 août 2012, la Cour d’appel de Kiev a commué la condamnation à cinq ans de Valeri Ivachtchenko par le tribunal de district de Kiev en une peine de prison avec sursis et mise à l’épreuve pendant un an et a libéré M. Ivachtchenko. Le 7 avril 2013, Iouri Loutsenko a été gracié par le Président, M. Ianoukovitch, et libéré. L’interdiction qui lui était faite d’exercer, pendant trois ans, une fonction publique, y compris un mandat électif, n’a cependant pas été levée. La libération possible de Mme Timochenko s’est révélée la plus difficile. Le commissaire de l’Union européenne à l’élargissement, M. Štefan Füle, et les envoyés du Parlement européen, M. Pat Cox et M. Aleksander Kwasniewski, chargés par ce dernier de faire libérer les anciens membres du gouvernement détenus, ont en outre consacré beaucoup de temps et d’énergie à obtenir la remise en liberté de Mme Timochenko avant le Sommet de Vilnius. Comme le Président, M. Ianoukovitch, avait exclu une grâce présidentielle, un compromis a été dégagé: Mme Timochenko serait autorisée à se rendre en Allemagne 
			(11) 
			Mme Timochenko
est soignée depuis mai 2012 pour un problème de dos par des médecins
allemands de l’hôpital de la Charité à Berlin. pour se faire soigner d’un mal de dos chronique, d’où de fait une remise en liberté. Mme Timochenko a accepté publiquement cet arrangement et M. Ianoukovitch a déclaré publiquement qu’il promulguerait la loi autorisant les détenus à se faire soigner à l’étranger dès que le parlement l’aurait adoptée. Malgré ces assurances, les députés du parti des régions n’ont pas approuvé, le 21 novembre 2013, la loi qui aurait permis à Mme Timochenko de bénéficier d’un traitement médical à l’étranger. Les autorités étaient apparemment revenues sur la signature de l’accord d’association et de l’accord de libre-échange approfondi et complet; elles ont officiellement annoncé peu de temps après la suspension des travaux préparatoires à la signature des accords.
14. Un examen approfondi des progrès réalisés ou non pour remplir les conditions de l’Union européenne va au‑delà de la portée du présent rapport. D’une manière générale cependant, l’apparente volonté politique des autorités ukrainiennes de réunir les conditions fixées par l’Union européenne et les progrès concrets à ce sujet ont fait naître l’espoir, en Ukraine et dans d’autres pays, que les accords d’association et de libre-échange approfondi et complet seraient signés pendant le Sommet de Vilnius.
15. La Russie a suivi l’approfondissement des relations entre l’Union européenne et l’Ukraine, ainsi qu’avec d’autres ex-républiques soviétiques, avec une inquiétude grandissante, craignant qu’il ne compromette son influence traditionnelle dans la région. Elle a avancé l’idée d’une adhésion de ces pays à l’Union douanière eurasienne (Russie, Bélarus et Kazakhstan), y voyant une solution de rechange, mise en place sous son égide, à l’Union européenne dans la région. Pour sa part, la Commission européenne a annoncé qu’il serait impossible, pour des questions juridiques, d’adhérer à l’Union douanière eurasienne et de signer un accord d’association et un accord de libre‑échange approfondi et complet avec elle. Ces deux possibilités s’excluent donc mutuellement.
16. Dans les mois qui ont suivi le Sommet de Vilnius, la Russie a exprimé avec de plus en plus de force son opposition à l’approfondissement et à l’institutionnalisation des relations des pays de l’ancien bloc soviétique avec l’Union européenne et à la signature ou au paraphe d’accords d’association. En juin 2013, en réaction apparemment au soutien apporté par Kiev à l’OMC dans un différend, la Russie a prélevé, à titre de représailles, des droits de douane sur les importations de charbon, de chocolat et de gaz d’Ukraine. Le 29 juin 2013, elle a interdit les importations de bonbons et de chocolat 
			(12) 
			Les principales usines
de chocolat et de bonbons appartiennent à M. Petro Poroshenko, oligarque
considéré comme proche de l’opposition en Ukraine. d’Ukraine et a ensuite menacé de couper l’approvisionnement en gaz de la République de Moldova et de l’Ukraine. Elle a aussi annoncé que l’Ukraine perdrait son statut de partenaire commercial spécial avec elle et qu’elle fermerait ses frontières aux produits ukrainiens si elle signait l’accord d’association avec l’Union européenne. Le 11 septembre 2013, le Président de la Commission européenne, M. José Manuel Barroso, ainsi que le Commissaire à l’élargissement, M. Füle, ont vivement critiqué les pressions exercées par la Russie sur l’Ukraine et sur d’autres pays pour les empêcher de chercher à resserrer leurs liens avec l’Union européenne.
17. Le 21 novembre 2013, à la suite de réunions entre le Président, M. Ianoukovitch, et le Président, M. Poutine, et de réunions entre le Premier ministre ukrainien, M. Azarov, et son homologue russe, M. Medvedev, le Président, M. Ianoukovitch, a annoncé que son administration suspendait la signature de l’accord d’association et de l’accord de libre‑échange approfondi et complet quelques semaines seulement avant leur signature supposée lors du Sommet de Vilnius. Cette annonce a profondément étonné les Ukrainiens et les partenaires internationaux du pays.
18. L’Ukraine a justifié la non-signature de l’accord par le fait qu’elle ne pourrait pas couvrir le coût économique des réformes nécessaires à l’application du texte et, dans une allusion directe aux pressions russes, que l’économie du pays s’effondrerait si elle perdait son marché russe, c'est-à-dire si la Russie décidait de fermer ses frontières à ses exportations.
19. Comme indiqué précédemment, l’annonce surprise de ce revirement politique sur l’accord d’association a entraîné une vague spontanée de grandes manifestations, principalement à Kiev mais aussi dans d’autres parties du pays, à l’Est comme à l’Ouest, signe d’un mécontentement à l’échelle du pays.
20. Si les manifestations n’ont porté, dans un premier temps, que sur la décision des autorités de suspendre la signature de l’accord d’association, elles se sont étendues rapidement au mécontentement suscité par le style de gouvernance de la majorité au pouvoir, dont le processus décisionnel jugé non démocratique et la très forte corruption parmi les dirigeants du pays. L’évolution de leur caractère s’est retrouvée dans les exigences des manifestants de l’Euromaïden qui ont appelé à la démission du gouvernement et à la tenue d’élections législatives et présidentielle anticipées. Les manifestations ont attiré et continuent d’attirer de très nombreux Ukrainiens de tout le pays, en particulier le week‑end. Un campement permanent s’est installé sur la place de l’Indépendance (Maïdan) de Kiev, théâtre des manifestations de 2004 qui avaient préludé à la Révolution orange.
21. De violents heurts ont malheureusement opposé les manifestants à la police le 1er décembre 2013. La police a essayé en vain, en faisant apparemment un usage excessif et disproportionné de la force, de démanteler un campement de tentes installé par les manifestants sur la place de l’Indépendance (Maïdan). Cette tentative, et la manière dont elle a été menée, ont aggravé la crise politique et imprimé un nouvel élan à la mobilisation.
22. La communauté internationale a largement condamné l’action de la police. Le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe, qui s’est rendu à Kiev le 4 décembre 2013, a proposé de créer un groupe consultatif d’experts chargé d’enquêter sur les affrontements violents. D’après sa proposition, le groupe comprendrait un membre nommé par l’opposition, un membre nommé par le gouvernement, et un membre de la communauté internationale. Dans un premier temps, l’opposition et les autorités ont appuyé cette proposition.
23. Le 17 décembre 2013, M. Ianoukovitch et M. Poutine ont signé un accord en vertu duquel la Russie accepte d’acheter une partie de la dette souveraine de l’Ukraine correspondant à environ 15 milliards d’euros et décide de réduire considérablement le prix du gaz, le ramenant de plus de $ 400 à $ 268  le mètre cube. Il convient de noter que conformément à cet accord, le prix du gaz sera réévalué tous les trimestres ce qui, de l’avis de bon nombre de nos interlocuteurs, donne à la Russie un moyen de pression permanent sur les autorités ukrainiennes. Les Présidents russe et ukrainien ont précisé qu’ils n’avaient pas discuté de l’adhésion de l’Ukraine à l’Union douanière eurasienne, ce qui aurait encore aggravé la situation politique dans le pays. Toutefois, nombreux sont les Ukrainiens qui soupçonnent la Russie d’avoir d’autres visées –en dehors de donner à GAZPROM un accès privilégié au réseau de distribution du gaz de l’Ukraine– ou qui craignent que le Président, M. Ianoukovitch, n’ait fait des promesses en échange de l’aide de la Russie.
24. Dans un premier temps, les pourparlers entre les autorités ukrainiennes et la Commission européenne sur l’éventuelle signature par l’Ukraine de l’accord d’association et de l’accord de libre‑échange approfondi et complet à une date ultérieure se sont poursuivis. Cela étant, précisant que la position des autorités était devenue irréaliste, l’Union européenne a suspendu les négociations le 14 décembre 2013. Le Conseil européen a précisé que l’Ukraine pourrait toujours signer l’accord d’association, tel que négocié, à un stade ultérieur.
25. Dans un premier temps, la mobilisation s’est légèrement calmée après l’annonce de l’accord entre la Russie et l’Ukraine. Cela étant, l’agression brutale, par des assaillants inconnus, d’une journaliste ayant des liens avec l’opposition pendant la période de Noël, a de nouveau galvanisé les manifestants qui affirmaient que les autorités étaient impliquées.
26. Le délicat statu quo entre les manifestants et les autorités a duré jusqu’au 16 janvier 2014, date à laquelle le parlement, a adopté, à la surprise de tous et dans des conditions chaotiques, une série de lois antimanifestations. Ces lois visent non seulement à restreindre les manifestations et leur déroulement mais aussi à limiter fortement et à compromettre les activités des organisations non gouvernementales (ONG) et des médias et à donner des pouvoirs disproportionnés et discrétionnaires aux services secrets et aux services répressifs pour qu’ils enquêtent et engagent des poursuites contre les manifestants et les militants. L’adoption de cette série de lois «antimanifestations» a été largement décriée par la communauté internationale, y compris par vos rapporteurs. Ces lois sont contraires au principe de la liberté d’expression, de la liberté de réunion et d’association ainsi que de la liberté des médias et, conjuguées, elles sont de toute évidence non démocratiques et répressives. Nous regrettons qu’en dépit de nombreux appels pour les supprimer, y compris d’appels de notre part, le Président, M. Ianoukovitch, les ait signées le 18 janvier 2014.
27. La promulgation des lois antimanifestations a de toute évidence envenimé la situation, ce qui a exacerbé inutilement les tensions entre les autorités et les manifestants. Un règlement pacifique et démocratique de la crise politique actuelle semble donc aujourd’hui plus éloigné que jamais.
28. L’adoption de ces lois antimanifestations a entraîné une vague de nouveaux rassemblements sur la place de l’Indépendance pour défier les autorités. Ses effets négatifs sur les relations entre les autorités et les manifestants sont apparus clairement le 19 janvier 2014, lorsque les manifestations sont devenues violentes: un groupe de militants apparemment d’extrême droite a provoqué des affrontements avec la police auxquels les manifestants, jusque-là pacifiques, se sont ralliés.
29. A la date de rédaction du présent rapport, la situation continue de se durcir et des affrontements violents se produisent occasionnellement de sorte qu’une solution négociée à cette crise politique semble pour l’instant impossible. Le Président, M. Ianoukovitch, et les principaux chefs de l’opposition avaient annoncé, le 18 décembre 2014, qu’ils se rencontreraient pour trouver une solution négociée à la crise. Ces pourparlers n’ont cependant donné aucun résultat et le Président, M. Ianoukovitch, et les chefs de l’opposition ont fait savoir qu’ils délégueraient leurs représentants à la réunion. De nouveaux pourparlers sont prévus le 23 janvier 2014.
30. Le 22 janvier 2014, la police a pris d’assaut les barricades érigées par les manifestants à proximité de la place de l’Indépendance. Lors des affrontements qui ont suivi, deux manifestants au moins ont été tués par la police. Nous regrettons profondément cette évolution que nous condamnons et appelons la police à faire preuve de modération et à s’abstenir d’avoir recours à tous moyens potentiellement meurtriers.
31. Le 23 janvier 2014, le Président de la Verkhovna Rada, Volodymyr Rybak, a annoncé une session d’urgence de la Verkhovna Rada pour discuter de la crise politique actuelle et, semble-t-il, pour procéder à un vote sur une proposition du gouvernement visant à abroger les lois anti-manifestations controversées. En réponse aux préoccupations exprimées, M. Rybak a souligné que la déclaration de l’état d’urgence n’est pas à l’ordre du jour de la Verkhovna Rada.

3. Légitimité

32. Comme nous l’avons fait savoir d’emblée lors de nos rencontres à Kiev, nous tenons à souligner dans le présent rapport que, quelle que soit notre position personnelle, il n’appartient pas à l’Assemblée de dire si l’Ukraine doit ou non signer un accord d’association avec l’Union européenne – ou à quelles conditions elle doit le faire. L’Ukraine est un Etat souverain et seul le peuple ukrainien doit décider, en l’absence de toute ingérence étrangère, de son orientation géopolitique et des communautés et accords internationaux dont ils souhaitent que l’Etat fasse partie. Cependant, dans le contexte des engagements démocratiques de l’Ukraine, la façon dont la décision a été prise sur une question aussi importante que l’alignement géopolitique d’un pays et la manière dont la population doit être consultée sur ce choix – bref, la légitimité démocratique de la décision – est du ressort de l’Assemblée en particulier dans le contexte de la crise politique qui en a découlé.
33. Ainsi que cela a été souligné ci-dessus, les autorités actuelles – le Président et la majorité parlementaire – ont été élus sur la foi d’une promesse claire de rechercher une intégration plus étroite entre l’Ukraine et l’Union européenne et de signer avec l’Union européenne des accords d’association et de libre échange complet et approfondi (ALECA). Dans toutes les actions et les discours qu’elles ont faits jusque quinze jours avant le Sommet de Vilnius, les autorités ont confirmé leur intention de signer ces accords lors du Sommet et ont réaffirmé qu’elles soutenaient ceux-ci 
			(13) 
			Il convient de noter
que les autorités avaient déjà paraphé ces accords un an auparavant. . De plus, différents sondages ont montré que la population restait véritablement favorable à la poursuite de l’alignement avec l’espace économique et social de l’Union européenne. Le revirement soudain des autorités, sans consultation publique préalable, alors même que l’opinion avait manifesté le souhait que les accords soient signés, soulève de graves questions sur la légitimité démocratique de la décision des autorités de renoncer à signer ces textes.
34. Selon nous, c’est en raison de cette légitimité démocratique contestée, que la décision prise par les dirigeants ukrainiens a conduit à des manifestations massives par une grande partie de la société ukrainienne. Les autorités de Kiev devraient reconnaître la légitimité des questions soulevées à cet égard par les manifestants.
35. Les principes démocratiques impliquent que des questions aussi essentielles que l’orientation géopolitique d’un pays soient tranchées sur la base d’un consensus politique aussi large que possible et de larges consultations avec l’opinion publique. Dans le contexte de la crise politique qui a éclaté, ce consensus et ces consultations sont plus nécessaires que jamais. Nous exhortons les autorités et l’opposition à conclure un accord sur la façon dont la population doit être consultée et sur l’octroi d’un mandat politique approprié pour toute décision finale concernant l’orientation géopolitique du pays. Il est capital que le peuple ukrainien puisse s’exprimer sur cette question clé. Il appartient aux autorités et à l’opposition, unie dans le cadre des manifestations de l’Euromaïdan, de convenir des modalités d’une telle consultation, par référendum, élections anticipées ou scrutin ordinaire.

4. Environnement politique

36. L’environnement politique est extrêmement tendu, polarisé et éclaté en Ukraine, ce qui a empêché la recherche d’une solution négociée à une crise politique qui n’a cessé de s’aggraver. En dépit d’une manifestation extérieure d’unité, les autorités et les manifestants semblent eux-mêmes divisés sur la façon de régler l’affrontement politique et d’en traiter les causes sous-jacentes.
37. Les divisions internes entre les autorités sont patentes, elles ressortent notamment de la démission de Sergueï Liovotchkine, l’influent Chef de l’Administration présidentielle, au sujet de la façon dont les manifestations sont réprimées 
			(14) 
			M. Liovotchkine aurait
remis sa démission à la suite d’affrontements violents entre la
police et les manifestants le 1er décembre 2013. Cependant, il n’a
été remplacé que le 18 janvier 2014.. De plus, des ministres clés comme le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur semblent souvent ne pas être bien informés ni bien contrôler les actions des services de sécurité et de maintien de l’ordre. Les investigations pénales engagées par la Prokuratura du ministère des Affaires étrangères sur les négociations avec l’Union européenne, sont une autre indication des divisions au sein de la majorité au pouvoir. En ce qui concerne ces investigations, étant donné la position adoptée par l’Assemblée dans sa Résolution 1862 (2012) 
			(15) 
			Résolution
sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Ukraine,
qui met l’accent sur les poursuites contestables d’anciens membres
du gouvernement. et sa Résolution 1950 (2013) 
			(16) 
			Résolution
«Séparer la responsabilité politique de la responsabilité pénale». , nous tenons à souligner que, quelles qu’elles soient, les poursuites dirigées contre des fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères, et en particulier contre le Ministre lui-même, en raison de leur rôle dans la négociation des projets d’accords d’association et ALECA, ne pourraient être considérées que comme motivées par des considérations politiques et seraient un exemple de plus de pénalisation de décisions politiques prises normalement, ce qui serait inadmissible.
38. Dans le même temps, les manifestations de l’Euromaïdan sont provoquées par bien autre chose qu’un simple mécontentement face à l’abandon par les autorités des accords avec l’Union européenne. Elles sont favorisées par un mécontentement général sur le style de gouvernement de la majorité au pouvoir, par la corruption endémique et par l’impression d’un manque de démocratie au sein de la classe politique en général. Le mouvement de l’Euromaïdan rassemble des manifestants issus d’une partie importante et hétérogène de la société ukrainienne. Beaucoup d’entre eux ne sont pas nécessairement représentés par l’opposition parlementaire ou les organisations traditionnelles de la société civile. En tant que telle, l’opposition parlementaire ne peut affirmer qu’elle représente tout l’éventail d’opinions qui s’unissent pour les manifestations de l’Euromaïdan. De plus, les divers partis d’opposition semblent ne pas être toujours sur la même longueur d’onde pour ce qui est de la stratégie à suivre. Un certain nombre de représentants de l’opposition se sont interrogés sur le caractère raisonnable de faire de la démission immédiate du gouvernement et de l’organisation d’élections présidentielle et législatives anticipées une condition préalable à la cessation des manifestations, dans la mesure où cela aggrave inutilement, selon eux, la confrontation et où cela rend plus difficile la recherche d’une solution négociée.
39. L’accord du 17 décembre 2013 entre les Présidents MM. Poutine et Ianoukovitch a eu des répercussions considérables sur la situation politique en Ukraine. Dans un premier temps, il a renforcé la position des autorités sur la signature des accords avec l’Union européenne. Cependant, il n’a pas conduit à la dispersion des manifestations antigouvernementales ni à une diminution notable du nombre de manifestants. En effet, l’opinion publique ukrainienne éprouvait de forts soupçons au sujet de l’accord. Ces soupçons ont redoublé quand les détails de l’accord ont commencé à être connus, notamment le fait que les prix du gaz, élément clé de l’accord, seraient renégociés tous les trois mois, ce qui pourrait donner à la Russie une influence considérable sur la politique et les décisions des autorités ukrainiennes.
40. La situation est restée relativement calme, mais tendue jusqu’à la mi-janvier 2014. Beaucoup d’interlocuteurs ont prédit que la manifestation de l’Euromaïdan était en train de se transformer progressivement en un mouvement civil qui s’attacherait à mobiliser l’opinion en vue des élections à venir. Selon leur point de vue, que nous soutenons, cela aurait conduit tôt ou tard à la dispersion pacifique des manifestations pour autant que les autorités ne cherchent pas à faire disparaître le camp de la contestation de l’Euromaïdan ou à interdire définitivement – sans qu’un large consensus ne se soit dégagé au sein de la société – la voie d’un alignement plus étroit avec l’Union européenne, par exemple par la décision d’adhérer à l’Union douanière eurasienne.
41. L’adoption controversée de l’éventail de lois «antimanifestations» a aggravé considérablement et sans nécessité les tensions et la crise politique. L’explosion de violence entre la police et certains groupes de manifestants est directement liée à cet événement. Les autorités et les manifestants ont durci leurs positions repoussant plus que jamais la possibilité d’une solution négociée de la crise.

5. Violences et violations des droits de l’homme

42. D’abord, nous tenons à exprimer notre préoccupation la plus vive au sujet des flambées de violence au cours des manifestations aussi bien en décembre 2013 et récemment après l’adoption des lois antimanifestations. Nous condamnons fermement les actions violentes de la police, qui a essayé de briser les manifestations et de certains groupes de manifestants qui ont cherché à provoquer la police. Nous exhortons les deux parties à faire preuve de retenue et à s’abstenir de violence ou de tout acte susceptible d’entraîner de telles violences. La radicalisation progressive des deux côtés pourrait dégénérer et conduire à une émeute massive. Une solution négociée pour mettre fin à l’affrontement, y compris les conditions nécessaires pour instaurer un dialogue ouvert et effectif entre la majorité au pouvoir et les partis et forces qui se sont unis au sein du mouvement de l’Euromaïdan est la seule voie acceptable pour aller de l’avant.
43. La violence qui a éclaté entre les manifestants et la police sur la place de l’Indépendance semble avoir été favorisée par les membres d’un petit groupe d’extrême droite baptisé «Pravy sektor» (Secteur de droite), qui s’est aligné sur le mouvement de contestation. De plus, des échauffourées violentes auraient été déclenchées par les «Titouchki», des casseurs et des provocateurs qui auraient été payés par des partisans des autorités pour provoquer des incidents violents afin de discréditer le mouvement de contestation. Alors que les chefs du mouvement ont publiquement pris leurs distances avec les émeutiers, les extrémistes ont reçu un soutien de plus en plus affirmé (bien que purement moral jusqu’ici) des manifestants, qui sont demeurés par ailleurs pacifiques. Cette radicalisation des manifestants est due largement au mécontentement lié aux résultats limités obtenus par les manifestations pacifiques et à l’impression que les autorités n’avaient aucunement l’intention d’entamer des négociations sérieuses avec l’opposition. Pour éviter une aggravation de la radicalisation et de l’escalade de tensions, les autorités et les chefs de l’opposition devraient sans délai entamer des pourparlers ouverts, honnêtes et effectifs avec les mouvements de contestation et les partis d’opposition sur le règlement de la crise en cours et sur l’alignement géopolitique et le développement démocratique du pays.
44. Avant la pause de Noël, la police et les forces de sécurité ont tenté de disperser les manifestations de masse sur la place de l’Indépendance le 30 novembre et les 1er et 11 décembre 2013. Au cours de ces tentatives, couvertes largement et en détail par les chaînes de télévision nationales et internationales, la police a fait un recours excessif et aveugle à la force au mépris des normes et principes européens concernant l’usage de la force par le personnel des services de maintien de l’ordre. Le 23 décembre 2013, Amnesty International a publié en anglais un rapport intitulé: «Euromaïdan: violations des droits de l’homme au cours des manifestations en Ukraine» qui détaille les violations des droits de l’homme au cours des manifestations de l’Euromaïdan, y compris le recours excessif et aveugle à la force de la part de la police et des forces de sécurité qui ont tenté de disperser les manifestations.
45. Les tentatives de disperser les manifestations qui soulèvent en soi des questions sur le respect de la liberté de manifestation pacifique et la violence dont elles se sont accompagnées n’a fait que renforcer la détermination des manifestants et a fait grossir leurs rangs. Les événements du 30 novembre 2013 où une unité de «Berkout» – la police anti-émeute – a été filmée en train de frapper violemment des manifestants pacifiques, d’innocents passants et des journalistes, ont suscité des protestations nationales et internationales. Les autorités se sont distanciées de l’action de la police et ont affirmé qu’elle avait été ordonnée par un haut responsable des forces de maintien de l’ordre sans qu’il en informe ses supérieurs politiques. Le chef de la police de Kiev a été limogé et des investigations criminelles ont été entamées contre un certain nombre de cadres supérieurs du ministère de l’Intérieur.
46. Nous sommes particulièrement préoccupés par les rapports et les affirmations selon lesquels des journalistes auraient été visés à dessein dans l’exercice de leur métier par la police anti-émeute, ce qui serait contraire au principe de liberté des médias.
47. Le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, qui s’est rendu le 4 décembre 2013 en Ukraine, a proposé la création d’un groupe d’experts consultatif pour suivre les investigations relatives aux affrontements violents du 1er décembre. Selon cette proposition, le groupe comprendrait un membre désigné par l’opposition, un par le gouvernement et un autre par la communauté internationale. La proposition a été reprise à son compte par l’opposition et par les autorités. Sir Nicolas Bratza, ex-Président de la Cour européenne des droits de l’homme, a été nommé comme représentant du Secrétaire Général au sein du groupe consultatif. Cependant, au cours de notre visite de décembre 2013, les autorités nous ont dit explicitement qu’aucune initiative ne pouvait compromettre les investigations du Procureur général sur ces incidents violents, s’ingérer dans celles-ci ou aller à leur encontre, ce qui de fait a vidé de son sens l’initiative du Secrétaire Général. Par la suite, ni l’opposition ni les autorités au pouvoir n’ont désigné de représentants au groupe consultatif. Nous regrettons cet état de choses, car selon nous, une enquête indépendante sur le recours à la violence serait fort utile, étant donné notamment les morts récentes. Une enquête indépendante et impartiale sur les affrontements violents et le recours à la violence serait aussi la condition clé d’une solution négociée de la crise politique. Il est clair que les services de maintien de l’ordre et le Procureur général sont considérés comme mêlés à ces affrontements. C’est pourquoi, ils ne pourront mener une enquête qui soit reconnue comme impartiale par la population ukrainienne en général et par les manifestants de l’Euromaïdan en particulier.
48. Le 19 décembre 2013, la majorité au pouvoir et les partis d’opposition ont conclu un accord au Parlement pour adopter une amnistie générale à l’égard de tous les participants des manifestations de l’Euromaïdan. Ils ont également décidé que l’amnistie ne couvrirait aucune violation des droits de l’homme commise par les fonctionnaires de police, y compris l’usage excessif de la force. Cependant, dans le cadre des lois antimanifestations votées le 16 janvier 2014, cette règle a été révisée si bien que les infractions pénales commises par des fonctionnaires de police à l’occasion des manifestations de l’Euromaïdan ont aussi été couvertes en violation de l’accord d’origine.
49. Le rapport d’Amnesty International précité fait état de cas où des groupes de gens ont été empêchés de participer aux manifestations ou harcelés par la police et les forces de sécurité au sujet de leur participation. Selon d’autres informations, les forces de police ont exercé des pressions sur des manifestants pour qu’ils retirent les plaintes qu’ils avaient déposées contre des agents des forces de maintien de l’ordre et de sécurité. Si ce fait est avéré, ce pourrait être une grave violation des principes démocratiques et des droits de l’homme. Toutes ces plaintes et allégations doivent faire l’objet d’une enquête approfondie et transparente. Toute violation avérée doit être traitée comme il convient conformément aux normes européennes et aux obligations de l’Ukraine en tant que membre du Conseil de l’Europe.
50. Au cours des affrontements violents entre la police et les manifestants dans la matinée du 22 janvier 2014, au moins deux manifestants ont été tués par balle par la police et un autre a fait une chute mortelle du toit du stade de football du Dynamo de Kiev. L’un des manifestants tués par des tirs de la police aurait reçu quatre balles à la tête et à l’abdomen, ce qui semble montrer clairement un recours excessif à la force par la police. Tous ces décès devraient faire l’objet d’une enquête approfondie et transparente et les auteurs de ces actes être traduits en justice.
51. Un autre domaine de préoccupation tient aux indications selon lesquelles les autorités auraient utilisé les manifestations comme argument pour restreindre l’activité de l’opposition. La mesure la plus inquiétante à cet égard est la descente des services secrets le 8 décembre 2013 au siège du parti d’opposition «Patrie» 
			(17) 
			Le parti «Batkivchtchina»
(Patrie) est dirigé par Ioulia Timochenko. et la saisie de ses serveurs informatiques. Même l’éventualité peu probable que les manifestations aient été utilisées par les autorités pour réprimer l’opposition est profondément préoccupante et devrait être suivie de près par l’Assemblée parlementaire.

6. Pressions et ingérence extérieures

52. Nous avons décrit plus haut les différentes formes de pressions et de menaces de sanctions appliquées par la Russie à l’Ukraine à l’approche du Sommet de Vilnius. Le Premier ministre, Mykola Azarov, a déclaré publiquement que le processus de signature avait été suspendu principalement parce que l’économie ukrainienne s’effondrerait si la Russie fermait ses frontières aux exportations ukrainiennes après la signature de l’accord d’association. De plus, les autorités ont souligné que la signature de l’accord d’association aurait altéré les relations entre l’Ukraine et la Fédération de Russie. Il est donc clair que les pressions russes ont été l’une des principales causes du revirement soudain des autorités ukrainiennes. Cela a aussi été confirmé par plusieurs déclarations du Commissaire à l’élargissement de l’Union européenne, Štefan Füle.
53. Nous tenons à souligner que toutes les nations souveraines doivent être totalement libres de choisir leur alignement géopolitique et leurs alliances internationales. Il est logique, et prévisible, que chaque partie, l’Union européenne comme la Russie, cherche à convaincre les autorités ukrainiennes de se rallier à sa position et leur fasse des avances pour qu’elles adhèrent à l’option géopolitique qui a sa préférence. Toutefois, ces tentatives doivent rester dans les limites des normes et principes diplomatiques et démocratiques communément admis. Les menaces de sanctions et le chantage économique et politique qui ont été appliqués à l’Ukraine (et à d’autres anciennes républiques soviétiques désireuses de signer des accords d’association avec l’Union européenne) dépassent le cadre de ces normes et principes et ne peuvent être qualifiés que de pressions indues. Le recours à de tels moyens pour influer sur les décisions politiques d’un autre pays est inacceptable et contraire aux obligations incombant aux Etats membres du Conseil de l’Europe. A cet égard, nous tenons à rappeler à la Fédération de Russie que, lors de son adhésion, elle s’est engagée «à dénoncer comme erronée la notion de deux catégories distinctes de pays étrangers, qui revient à en traiter certains comme une zone d’influence spéciale appelée “l’étranger proche”, et à s’abstenir de véhiculer la doctrine géographique des zones “d’intérêts privilégiés”», engagement qui a été réaffirmé dans la Résolution 1896 (2012) sur le respect des obligations et engagements de la Fédération de Russie, adoptée par l’Assemblée le 2 octobre 2012.
54. Les autorités sont devenues de plus en plus sensibles aux critiques émanant de l’étranger et visant leur gestion des manifestations de l’Euromaïdan, critiques qu'elles perçoivent comme une ingérence extérieure dans leurs affaires intérieures. A la suite de la conclusion de l'accord sur l'aide financière avec la Russie, les autorités ont explicitement mis en garde les membres de l'Union européenne et les organisations internationales, y compris le Conseil de l'Europe, contre toute tentative de s'immiscer dans la crise politique que traverse le pays. Dans ce contexte, même l’initiative du Secrétaire Général d’établir un groupe consultatif a été considérée par les autorités comme une ingérence étrangère. Nous devons dire que notre action et nos préoccupations n'ont, à ce jour, pas été remises en question par les autorités et qu’elles ont été considérées comme légitimes dans le cadre de la procédure de suivi en cours concernant l’Ukraine.
55. Dans les paragraphes précédents, nous avons donné notre point de vue sur les limites d’une éventuelle influence étrangère. Cependant, nous tenons aussi à souligner que, en sa qualité de membre du Conseil de l'Europe, l’Ukraine est dans l’obligation de respecter les normes les plus élevées en ce qui concerne la démocratie, la protection des droits de l’homme et l’Etat de droit. De plus, l’Ukraine a signé, entre autres, la Déclaration universelle des droits de l'homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies. Les éventuelles violations des normes des droits de l'homme et les initiatives risquant d’entraver le bon fonctionnement des institutions démocratiques ne peuvent donc pas être considérées comme des affaires intérieures au sens strict, mais peuvent légitimement faire l’objet de préoccupations ou de critiques de la part d’autres pays, et notamment d’autres Etats membres du Conseil de l'Europe.

7. Lois antimanifestations

56. Le 16 janvier 2014, le Parlement ukrainien a pris une initiative inattendue et adopté une série de lois dites «antimanifestations» ou «anti-Maïdan». En plus de soumettre les manifestations et les contestations à de nouvelles restrictions, ces lois limitent les activités des ONG et des médias, érigent de nouveau la diffamation en infraction pénale, criminalisent la propagande extrémiste (définie dans un sens large) et modifient le Code de procédure pénale, de manière à accélérer les procédures en supprimant certaines protections contre de possibles violations du droit à un procès équitable.
57. Le présent rapport n’a pas pour objet d’analyser de manière détaillée les lois anti-Maïdan. C’est la Commission de Venise qui a été invitée par le Secrétaire Général à faire une analyse approfondie de cet ensemble de lois, ce dont nous nous réjouissons. Nous allons simplement décrire ci-dessous quelques-unes des dispositions qui, après une première analyse de ces lois, nous semblent particulièrement préoccupantes.
58. Tout d’abord, il convient de noter que les lois antimanifestations ont été adoptées dans des conditions chaotiques et controversées et en apparente violation du règlement du Parlement ukrainien. Cela met en doute à la fois la légalité et la légitimité de leur adoption. La plupart des textes adoptés dans le cadre de cet ensemble législatif ont été déposés au dernier moment et adoptés sans examen préalable dans l’une des commissions du Parlement, ce qui est contraire au règlement. Les lois ont été adoptées à main levée, alors que, d’après nos informations, le règlement n’autorise ce mode de scrutin que si des raisons techniques empêchent le vote électronique. Le comptage des mains n’a pris que quelques secondes et les voix ont été comptabilisées sur la base de l’importance numérique des groupes politiques, malgré l’absence de nombreux députés.
59. Concernant les restrictions apportées au droit de manifester, le fait de bloquer l’entrée d’une résidence privée est punissable de trois ans d’emprisonnement; dans le cas d’un bâtiment public, la sanction est portée à cinq ans. Il est interdit de former un cortège de plus de cinq véhicules sans autorisation préalable de la police, ainsi que d’installer des tentes ou des estrades, sous peine d’être emprisonné pour une durée pouvant atteindre 15 jours. Sont passibles de la même sanction les manifestants qui portent un casque ou ont un masque ou n’ont pas respecté la «procédure à suivre» pour tenir une manifestation 
			(18) 
			La législation ukrainienne
ne définit pas cette procédure, ainsi que l’a constaté la Cour européenne
des droits de l'homme dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire Vyerentsov c. Ukraine..
60. Les lois adoptées interdisent les «activités extrémistes», qui sont punissables d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à trois ans. Dans la législation, l’«activité extrémiste» est définie de manière trop large et laisse une marge d’appréciation excessive aux tribunaux et au ministère public. De plus, l’outrage envers un policier ou un juge ou la diffusion de données à caractère personnel ou d’autres éléments dénotant un manque de respect envers ces personnes peuvent entraîner une peine d’emprisonnement comprise entre six mois et trois ans.
61. Nous constatons avec une vive inquiétude que la diffamation tombe de nouveau sous le coup du droit pénal. La diffamation dans les médias ou sur internet est punissable de travaux d'intérêt général et, dans le cas d’une accusation sans preuve concernant une infraction grave, la législation prévoit une peine privative de liberté pouvant aller jusqu’à deux ans. Il convient de noter que la corruption est considérée comme une infraction grave; en conséquence, toute accusation de corruption portée contre un fonctionnaire qui n’a pas été confirmée par un tribunal pourrait conduire à un emprisonnement. Cela aura sans nul doute un effet dissuasif sur les journalistes et les militants anti-corruption.
62. Les médias numériques devront désormais être enregistrés, ce qui limite clairement la liberté d’expression et la liberté des médias. La Commission nationale des communications – composée de sept membres nommés par le Président – peut ordonner aux fournisseurs d’accès internet de bloquer des médias numériques non enregistrés ou tout site web qui diffuse des «informations illégales».
63. Dans le but indéniable de limiter l’activité des ONG, et en violation flagrante du droit à la liberté de réunion, le législateur ukrainien a instauré une loi sur les «agents étrangers». Nous souhaitons attirer l'attention sur le fait qu’une loi similaire sur les «agents étrangers», émanant de la Douma russe, a déclenché un tollé au niveau international et a été sévèrement critiquée par notre Assemblée. Les autorités russes auraient indiqué vouloir réviser cette loi pour tenir compte des préoccupations exprimées par la communauté internationale. Selon la nouvelle loi ukrainienne, les ONG présentes en Ukraine qui reçoivent une aide financière de l’étranger et qui mènent une activité politique seront considérées comme des «agents étrangers». Elles ne seront plus exonérées d’impôts et devront de nouveau se faire enregistrer auprès des autorités. Les ONG considérées comme des «agents étrangers» devront mentionner ce statut sur tous leurs supports d’information et dans tous les rapports qu’elles produisent.
64. Il ressort clairement d’une première évaluation des lois que celles-ci emportent violation du droit à la liberté d’expression, à la liberté de réunion et de manifestation et à la liberté des médias et qu’elles fragilisent le droit à un procès équitable. Si certaines des dispositions, comme celles qui concernent les «agents étrangers» et la «propagande extrémiste», existent aussi dans certains autres pays (et sont également beaucoup critiquées par le Conseil de l’Europe et son Assemblée parlementaire), l’étendue et les effets cumulés de cet ensemble de lois antimanifestations, ainsi que le contexte politique dans lequel elles ont été adoptées, en font un cas à part. Ces lois sont antidémocratiques et répressives et elles sont contraires aux obligations incombant à l’Ukraine au titre de la Convention européenne des droits de l’homme et en sa qualité de membre du Conseil de l’Europe.
65. L'adoption de ces lois n’a fait que renforcer la contestation de l’Euromaïdan et attiser les tensions entre les autorités et l'opposition, ce qui rend plus improbable à court terme de trouver une solution pacifique et démocratique à la crise politique actuelle. Ce résultat était facile à prévoir et c’est pourquoi, le 17 janvier 2014, nous avons appelé le Président, Viktor Ianoukovitch, à ne pas signer l'entrée en vigueur de ces lois. Malheureusement, notre avertissement et notre demande n’ont pas été pris en compte et les lois ont été promulguées le 18 janvier 2014. L'adoption et la promulgation de ces lois sont la cause directe de l’escalade de la violence et des émeutes qui ont suivi.
66. Compte tenu du caractère contestable de ces lois, et de leurs effets néfastes sur la situation politique en Ukraine, nous appelons les autorités, et notamment le parlement, à abroger ces lois sans tarder.

8. Conclusion

67. A l’approche du Sommet de Vilnius, l’attention était surtout focalisée sur le maintien en détention, pour des motifs très contestables, de l'ancien Premier ministre, Ioulia Timochenko. Le revirement soudain des autorités et les événements qui ont suivi ont relégué le cas de Mme Timochenko au second plan et donné l’impression que sa situation critique ne faisait plus partie des préoccupations politiques. Si nous avons toujours eu des réserves sur l’établissement d’un lien entre son cas et la signature de l’accord d’association, nous tenons néanmoins à souligner que son maintien en détention, pour des motifs contestables et apparemment politiques, continue à nous préoccuper beaucoup et que nous poursuivrons nos efforts pour tenter d’obtenir sa libération.
68. La crise politique en Ukraine est également enracinée dans le déséquilibre de pouvoir institutionnel envisagé dans la Constitution de 1996 qui est entrée en vigueur avec l’arrêt controversé rendu en 2010 par la Cour constitutionnelle qui, du point de vue de la Commission de Venise, a soulevé certaines questions se rapportant à la légitimité du nouvel ordre constitutionnel. Par conséquent, nous réitérons notre recommandation de mettre en œuvre rapidement la réforme constitutionnelle, également dans l’objectif d’asseoir pleinement la légitimité de l’ordre constitutionnel dans la population ukrainienne.
69. Dans le cadre de la procédure de suivi, les autorités ukrainiennes ont annoncé plusieurs réformes de grande ampleur, y compris une révision constitutionnelle, devant permettre à l’Ukraine de respecter les engagements et obligations à l’égard du Conseil de l'Europe qu’elle a pris lors de l'adhésion et qu’elle n’a pas encore honorés. Dans le contexte politique actuel, il est difficile de savoir où en est ce train de réformes. Vu le rôle prééminent joué par le Procureur général dans les événements récents, certains interlocuteurs ont déclaré douter que le projet de loi relatif au ministère public soit débattu au Parlement sous sa forme actuelle. Cela pourrait à son tour entraver la mise en œuvre du nouveau Code de procédure pénale, dont l’adoption avait été saluée par le Conseil de l’Europe. Nous demandons aux autorités de nous donner des informations à jour sur le calendrier et les priorités des réformes annoncées. Nous espérons que la décision de ne pas signer l’accord d’association n’entamera pas la volonté politique des autorités de mettre en œuvre les réformes promises.
70. Le Conseil de l'Europe mène un ambitieux programme de coopération avec l’Ukraine. Ce programme, qui est très utile au pays pour respecter ses obligations de membre et les engagements qu’il a pris lors de l’adhésion, devrait, lorsque cela s’avère nécessaire et pertinent, être adapté pour tenir compte des événements politiques récents.
71. Il faudrait faire cesser immédiatement les violences et les violations des droits de l'homme et entamer des négociations ouvertes et effectives pour parvenir à un accord sur une solution à cette crise qui s'aggrave rapidement. Cette solution devrait être fondée sur l'engagement, par chacune des parties, de renoncer à la violence, sur l'annulation immédiate des «lois antimanifestations» – qui ont provoqué l'escalade – et sur le lancement sans délai d'un dialogue ouvert, sérieux et effectif entre les dirigeants au pouvoir et les forces politiques et civiles unies dans le cadre des manifestations de l’Euromaïdan, au sujet de l'orientation démocratique future et de l'alignement géopolitique du pays.
72. Il importe que les circonstances ayant conduit à chaque décès fassent l’objet d’investigations approfondies et transparentes et que les responsables soient traduits en justice. Il est également nécessaire que des enquêtes transparentes et impartiales soient menées sur les incidents violents, y compris le recours excessif et disproportionné à la force par la police le 30 novembre et les 1er et 11 décembre 2013, ainsi que sur la flambée de violence qui s’est produite le 18 janvier 2014. La création d’un groupe consultatif d’experts chargé de superviser les enquêtes, qui a été proposée par le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, pourrait constituer un excellent moyen de garantir l’impartialité de ces enquêtes et l’acceptation de leurs résultats par la population ukrainienne. La majorité au pouvoir ainsi que l’opposition devraient revenir sur leur apparente réticence à s’associer à cette initiative.
73. Vu l’escalade de la violence et les violations des normes européennes en matière de démocratie et de droits de l'homme qui sont commises, on ne peut pas continuer vis-à-vis de l’Ukraine comme si de rien n’était. A cet égard, nous regrettons vivement que le Parlement ukrainien – c’est-à-dire nos propres collègues – ait provoqué l’aggravation violente de la crise en adoptant les lois «anti-Maïdan», qui sont à la fois antidémocratiques et répressives par nature. Le Parlement devrait en assumer toute la responsabilité. Nous proposons donc à l’Assemblée parlementaire de priver la délégation ukrainienne de ses droits de vote en avril 2014, si les graves violations des droits de l’homme se poursuivent, si les autorités décident de disperser de force les manifestations de l’Euromaïdan, ou si la Verkhovna Rada n’a pas abrogé d’ici là l’ensemble des lois antimanifestations. En outre, l’Assemblée pourrait envisager la possibilité d’autres mesures en cas d’aggravation de la crise politique.