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Résolution 1974 (2014) Version finale

Le fonctionnement des institutions démocratiques en Ukraine

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 30 janvier 2014 (7e séance) (voir Doc. 13405 et addendum, rapport de la commission pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l'Europe (commission de suivi), corapporteurs: Mme Mailis Reps et Mme Marietta de Pourbaix-Lundin). Texte adopté par l’Assemblée le 30 janvier 2014 (7e séance). Voir également la Recommandation 2035 (2014).

1. L’Assemblée parlementaire exprime sa profonde préoccupation concernant la crise politique qui s’est déclenchée en Ukraine après la décision inattendue des autorités ukrainiennes de suspendre la procédure de signature d’un accord d’association, y compris d’un accord de libre-échange approfondi et complet, avec l’Union européenne. Elle condamne fermement l'escalade de la violence dans le cadre des manifestations de l’Euromaïdan, qui a déjà fait au moins cinq morts.
2. L’Ukraine étant un Etat souverain, c’est au peuple ukrainien – et à lui seul – de décider, sans ingérence étrangère, de l’orientation géopolitique du pays et des communautés et accords internationaux dont l’Ukraine devrait faire partie. Seul le peuple ukrainien peut répondre à la question de savoir si l’Ukraine doit signer ou non un accord d’association avec l’Union européenne. Dans le même temps, l'Assemblée considère que des décisions aussi importantes que l’orientation géopolitique d’un pays devraient être prises sur la base d’un consensus politique aussi large que possible entre les différentes forces politiques du pays et sur la base d’une vaste consultation de la population.
3. L’Assemblée rappelle que, jusqu’au 21 novembre 2013, les autorités, tant par leurs paroles que par leurs actes, se montraient très favorables à la signature de l’accord d’association avec l’Union européenne lors du Sommet de Vilnius de novembre 2013. Elle regrette donc que le soudain changement de politique ait été opéré sans la consultation requise de la société et sans aucune tentative de rechercher un consensus national. La légitimité démocratique aux yeux de l’opinion publique ukrainienne de la décision de suspendre la signature des accords s’en trouve affaiblie, ce que montre aussi la vague de manifestations de masse à l’échelle du pays qui a suivi cette décision. L'Assemblée invite donc instamment les autorités à entamer des négociations ouvertes, honnêtes et effectives avec l’opposition, et à rechercher rapidement un large consensus sur l’alignement géopolitique et la poursuite du développement démocratique, ainsi que sur l’ordre constitutionnel du pays.
4. L'Assemblée prend note des déclarations publiques faites par les dirigeants ukrainiens selon lesquelles la décision de ne pas signer l’accord d’association a été lourdement influencée par des pressions de la part de la Fédération de Russie, et notamment par la menace de la Russie de fermer ses frontières aux exportations ukrainiennes si l’accord d’association était signé. La menace de sanctions économiques ou politiques pour influencer les décisions politiques d’un autre pays est contraire aux normes diplomatiques et démocratiques communément acceptées, et est inadmissible. A cet égard, l’Assemblée souhaite rappeler à la Fédération de Russie que, lors de son adhésion, elle s’est engagée à «dénoncer comme erroné le concept de deux catégories différentes de pays étrangers, qui consiste à traiter certains d'entre eux appelés “pays étrangers proches” comme une zone d'influence spéciale», et à s’abstenir de véhiculer la doctrine géographique des zones «d’intérêts privilégiés».
5. Les autorités ukrainiennes ont affirmé que les critiques émanant de l’étranger et visant leur gestion des manifestations de l’Euromaïdan représentaient une ingérence extérieure dans leurs affaires intérieures. A cet égard, l’Assemblée tient à souligner que, en sa qualité de membre du Conseil de l'Europe, l’Ukraine est dans l’obligation de respecter les normes les plus élevées en ce qui concerne la démocratie, la protection des droits de l’homme et l’Etat de droit. De plus, l’Ukraine a signé, entre autres, la Déclaration universelle des droits de l'homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Toute violation des droits de l'homme et les initiatives risquant d’entraver le bon fonctionnement des institutions démocratiques ne peuvent donc pas être considérées comme des affaires intérieures au sens strict, mais peuvent légitimement faire l’objet de préoccupations ou de critiques de la part d’autres pays, notamment d’autres Etats membres du Conseil de l'Europe.
6. L’Assemblée regrette, et juge préoccupant, l’usage excessif et disproportionné de la violence par la police à l’encontre des manifestants. De l’avis de l’Assemblée, les tentatives des autorités de disperser de force les manifestations de l’Euromaïdan n’ont fait qu’aggraver la crise politique et galvaniser les manifestants. L’Assemblée est tout aussi préoccupée par les provocations et affrontements violents survenus à l’instigation de manifestants d’extrême droite. Le droit à la liberté de manifestation et de réunion doit être pleinement respecté, mais les actes des manifestants ne doivent pas être contraires aux normes démocratiques communément acceptées. L’Assemblée appelle donc les autorités à s’abstenir de toute tentative de recourir à la force pour briser les manifestations et démanteler les campements des manifestants. Dans le même temps, elle appelle la police et les manifestants à renoncer à la violence ou aux actes visant clairement à provoquer une réaction violente de l’autre partie.
7. L’Assemblée est particulièrement préoccupée par les allégations crédibles selon lesquelles des manifestants auraient été torturés et soumis à de mauvais traitements par la police et les forces de sécurité. Ces pratiques, dont plusieurs chaînes de télévision ont diffusé des images, sont inacceptables et il faut que leurs auteurs soient punis dans toute la mesure où la loi le permet. Il ne saurait y avoir la moindre impunité pour de tels actes. L’Assemblée est également préoccupée par des informations selon lesquelles les journalistes seraient spécialement visés par les forces de sécurité, au mépris du principe de la liberté des médias. En outre, elle est préoccupée par des informations selon lesquelles trois policiers auraient été poignardés par des manifestants, dont un mortellement touché. Elle estime que de tels actes de violence contre des membres des forces de l’ordre sont inacceptables dans une société démocratique et doivent donner lieu à une enquête approfondie.
8. Les flambées de violence de décembre 2013 et de janvier 2014, le recours excessif et disproportionné à la force par la police et les autres allégations de violations des droits de l'homme doivent faire l’objet d’investigations, d’un traitement et de réparations à caractère complet et impartial, et les responsables doivent être traduits en justice. L’Assemblée se félicite de l’initiative du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe d’établir un groupe consultatif indépendant chargé d’enquêter sur les incidents violents qui ont eu lieu lors des manifestations de l’Euromaïdan, et regrette que tant les autorités que l’opposition aient omis de désigner leurs représentants au sein de ce groupe. De l’avis de l’Assemblée, il est indispensable de mener une enquête complète, transparente et impartiale sur les flambées de violence et les violations des droits de l'homme pour trouver une solution pacifique et négociée à la crise politique. Aussi demande-t-elle instamment aux autorités comme à l’opposition de désigner sans plus tarder leurs représentants au sein du groupe et d’apporter à ce dernier toute l’assistance et la coopération dont il a besoin pour travailler.
9. L’Assemblée regrette l’adoption, dans des circonstances chaotiques qui compromettent leur légitimité, des «lois antimanifestations» par la Verkhovna Rada le 16 janvier 2014 et leur promulgation par le Président Ianoukovitch le 18 janvier 2014, en dépit des nombreux appels à ne pas les faire entrer en vigueur. Ces lois sont contraires au principe de la liberté d’expression, de la liberté de réunion et de manifestation, ainsi que de la liberté des médias et de la liberté d’information, et portent atteinte au droit à un procès équitable. Conjuguées, ces lois sont antidémocratiques et répressives, et elles sont contraires aux obligations incombant à l’Ukraine au titre de la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5) et en sa qualité de membre du Conseil de l’Europe. L’Assemblée salue donc la décision de la Verkhovna Rada, le 28 janvier 2014, d’abroger les lois antimanifestations.
10. Il faudrait faire cesser immédiatement les violences et les violations des droits de l'homme, et entamer des négociations ouvertes et effectives pour parvenir à un accord sur une solution à cette crise qui s'aggrave rapidement. De l’avis de l’Assemblée, cet accord devrait être fondé sur l'engagement, par chacune des parties, de renoncer à la violence et sur le lancement sans délai d'un dialogue ouvert, sérieux et effectif entre les dirigeants au pouvoir et les forces politiques et civiles unies dans le cadre des manifestations de l’Euromaïdan, au sujet de l'orientation démocratique future et de l'alignement géopolitique du pays.
11. L’abrogation des lois antimanifestations et la démission du gouvernement sont un premier pas vers un règlement pacifique à la crise politique. Ces actions, ainsi que les éléments indiquant que les autorités tout comme l’opposition ont intensifié leurs efforts pour trouver une solution négociée à cette épreuve de force, sont accueillies favorablement par l’Assemblée. Elles offrent une nouvelle occasion importante qui devrait maintenant être suivie, pour les deux camps, de nouvelles mesures concrètes en vue de résoudre la crise de manière pacifique et démocratique.
12. Les autorités ukrainiennes avaient annoncé précédemment plusieurs réformes de grande ampleur, y compris une révision constitutionnelle, devant permettre à l’Ukraine de respecter les obligations et engagements à l’égard du Conseil de l'Europe. L’Assemblée espère que les autorités et l'opposition maintiendront leur engagement et leur volonté politiques de mettre en œuvre ces réformes, qui traiteraient aussi plusieurs causes sous-jacentes des manifestations de l’Euromaïdan. Elle demande aux autorités de fournir à sa commission de suivi un calendrier actualisé de ces réformes.
13. Vu l’escalade de la violence et les violations des normes européennes en matière de démocratie et de droits de l'homme, on ne peut pas continuer vis-à-vis de l’Ukraine comme si de rien n’était. L’Assemblée regrette que la Verkhovna Rada ait contribué à l’aggravation violente de la crise en adoptant les lois antimanifestations controversées. La Verkhovna Rada devrait assumer toute la responsabilité pour le rôle qu’elle a joué et utiliser tous les instruments à sa disposition pour aider à trouver une solution pacifique et négociée à la crise. C’est pourquoi l’Assemblée voit dans l’abrogation des lois antimanifestations le signe clair que la Verkhovna Rada a l’intention de jouer un tel rôle. Elle ne souhaite donc pas envisager la possibilité de suspendre les droits de vote à l’Assemblée de la délégation ukrainienne à ce stade. Toutefois, elle pourrait envisager une telle sanction lors de sa partie de session d’avril 2014 si les graves violations des droits de l’homme se poursuivaient ou si les manifestations de l’Euromaïdan devaient être réprimées par la force.
14. L’Assemblée continuera à suivre de près la situation en Ukraine sur la base des informations données par sa commission de suivi, qu’elle invite à suggérer d’autres mesures si l’évolution politique le justifie.