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Résolution 1985 (2014) Version finale

La situation et les droits des minorités nationales en Europe

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 8 avril 2014 (13e séance) (voir Doc. 13445, rapport de la commission sur l’égalité et la non-discrimination, rapporteur: M. Ferenc Kalmár). Texte adopté par l’Assemblée le 8 avril 2014 (13e séance). Voir également la Recommandation 2040 (2014).

1. L’histoire européenne montre que la protection des minorités est d’une importance capitale et peut contribuer à ce que chacun se sente chez soi en Europe. Pourtant, les manifestations de nationalisme extrême, de racisme, de xénophobie et d’intolérance n’ont pas disparu; au contraire, elles semblent en augmentation. L’Assemblée parlementaire exprime son inquiétude concernant la situation et les droits des minorités nationales.
2. L’Assemblée considère la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (STE n° 157, «la convention-cadre») et la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (STE n° 148) comme des instruments essentiels pour la protection des minorités en Europe. Cependant, ces deux instruments n’ont pas encore été ratifiés par tous les Etats membres du Conseil de l’Europe. En outre, l’absence de définition du terme de minorités nationales dans la convention-cadre laisse une grande marge d’appréciation aux Etats parties, ce qui se répercute sur sa mise en œuvre. A cet égard, l’Assemblée rappelle sa Résolution 1713 (2010) «Protection des minorités en Europe: bonnes pratiques et lacunes dans l’application des normes communes», sa Résolution 1866 (2012) «Un Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme sur les minorités nationales», et les arrêts pertinents de la Cour européenne des droits de l’homme. L’Assemblée salue également la déclaration programmatique adoptée à Brixen le 23 juin 2013 par l’Union fédéraliste des communautés ethniques européennes (UFCE).
3. L’Assemblée rappelle par ailleurs la définition des minorités nationales énoncée dans sa Recommandation 1201 (1993) relative à un «protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme sur les droits des minorités nationales»: «un groupe de personnes dans un Etat qui: a. résident sur le territoire de cet Etat et en sont citoyens; b. entretiennent des liens anciens, solides et durables avec cet Etat; c. présentent des caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses ou linguistiques spécifiques; d. sont suffisamment représentatives, tout en étant moins nombreuses que le reste de la population de cet Etat ou d’une région de cet Etat; e. sont animées de la volonté de préserver ensemble ce qui fait leur identité commune, notamment leur culture, leurs traditions, leur religion ou leur langue.»
4. Soulignant l’importance de la stabilité, de la solidarité et de la coexistence pacifique de la multitude de peuples qui vivent en Europe, l’Assemblée appelle à promouvoir le concept de «l’unité par la diversité» au sein des pays et entre eux. La protection des droits des minorités nationales devrait rester une priorité politique.
5. La protection des droits des minorités peut contribuer à l’édification d’un avenir durable pour l’Europe et à la garantie du respect des principes de dignité, d’égalité et de non-discrimination. Les minorités ne sont pas les seules à bénéficier de cette protection qui est source de stabilité, de développement économique et de prospérité pour tous.
6. L’incapacité à apporter une réponse satisfaisante aux questions relatives aux minorités a été une cause majeure de tensions politiques, de conflits et de violations des droits de l’homme. La protection des minorités constitue donc également un moyen de prévention des conflits. Il est possible de concilier le droit à l’autodétermination, l’intégrité de l’Etat et la souveraineté nationale, de manière à renforcer la tolérance. Dans ce contexte, la Résolution 1832 (2011) de l’Assemblée «La souveraineté nationale et le statut d’Etat dans le droit international contemporain: nécessité d’une clarification» montre la voie à suivre.
7. Diverses formes de protection des droits des personnes appartenant à des minorités nationales fondées sur de bonnes pratiques devraient être largement prises en considération et mises en valeur en vue d’améliorer la protection et la promotion des droits des personnes appartenant à des minorités nationales. Parmi ces formes, des accords territoriaux pourraient jouer un rôle important dans la protection effective des droits des minorités nationales. A cet égard, l’Assemblée rappelle sa Résolution 1334 (2003) sur les expériences positives des régions autonomes comme source d’inspiration dans la résolution de conflits en Europe, qui affirme que la mise en place et le fonctionnement d’une entité autonome peuvent être considérés comme parties intégrantes du processus de démocratisation. L’Assemblée salue également l’adoption par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe de la Résolution 361 (2013) sur les régions et territoires disposant d’un statut particulier en Europe, qui souligne que le statut spécial octroyé aux régions de certains Etats européens a apporté stabilité et prospérité à ces régions comme à ces Etats.
8. L’Assemblée estime que des accords d’autonomie territoriale peuvent également contribuer à la protection effective des droits des minorités, dans leur dimension collective, évitant ainsi l’assimilation.
9. L’Assemblée considère le respect du droit à une identité commune, englobant la culture, la religion, les langues et les traditions, comme un élément essentiel de la protection des droits des minorités nationales. Elles ont le droit de préserver et de développer leurs propres institutions, et devraient bénéficier d’une protection collective, comme cela a été énoncé dans la Recommandation 1735 (2006) sur le concept de « nation ».
10. A la lumière de ce qui précède, l’Assemblée appelle les Etats membres du Conseil de l’Europe:
10.1. s’agissant des instruments internationaux:
10.1.1. à signer et/ou à ratifier au plus vite, s’ils ne l’ont pas encore fait, la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales et la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires;
10.1.2. à signer la Déclaration sur les droits des peuples autochtones, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 13 septembre 2007;
10.1.3. à promouvoir la mise en œuvre des bonnes pratiques reconnues par le Conseil de l’Europe et par les Nations Unies en matière de protection des droits des minorités nationales;
10.1.4. outre la mise en œuvre des dispositions juridiques de la convention-cadre, à créer les conditions nécessaires au respect des engagements/obligations énoncés dans le document de la réunion de Copenhague de la Conférence sur la dimension humaine de la CSCE (1990) et dans les accords bilatéraux y afférents;
10.2. s’agissant de la protection du droit à l’identité:
10.2.1. à garantir aux minorités nationales le droit de préserver, de développer et de protéger leur identité, tel qu’énoncé dans l’article 5.1 de la convention-cadre, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Résolution 47/135 de l’Assemblée générale des Nations Unies, «Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques»;
10.2.2. à prendre les mesures nécessaires pour assurer la participation effective des minorités nationales à la vie sociale, économique et culturelle, et aux affaires publiques, afin qu’elles puissent réellement participer à la prise de décisions, dans l’esprit de l’article 15 de la convention-cadre;
10.2.3. à s’abstenir de toute politique ou pratique visant à assimiler les minorités nationales contre leur gré, conformément à l’article 5.2 de la convention-cadre;
10.2.4. à examiner, pour s’en inspirer, les bonnes pratiques en place dans certains Etats (comme l’expérience du Haut-Adige/Tyrol du Sud, de la Finlande ou d’autres, qui octroient des droits collectifs ou pour le groupe), qui offrent des modèles et des références valables, y compris aux Etats qui ne sont pas encore parties à la convention-cadre;
10.3. s’agissant des accords territoriaux et de la prévention des conflits:
10.3.1. à appliquer, sous une forme acceptée par toutes les parties concernées, des accords d’autonomie territoriale en respectant dûment les principes généraux du droit international;
10.3.2. à prendre en compte, indépendamment des motivations économiques, la valeur ajoutée des régions historiques sur le plan culturel, linguistique, traditionnel et religieux au moment de définir/de réformer les structures ou entités administratives et/ou territoriales du pays ou de certaines institutions publiques;
10.3.3. à ouvrir et à maintenir un dialogue constant avec les représentants des minorités nationales, afin d’éviter les conflits, de répondre aux besoins du groupe concerné et de promouvoir le multiculturalisme et la solidarité;
10.4. s’agissant du droit à l’enseignement et des langues minoritaires:
10.4.1. à promouvoir l’usage officiel des langues parlées par les minorités nationales sur les territoires où elles vivent, au niveau local ou régional, conformément aux principes de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, en prenant en considération le fait que la protection et l’encouragement à utiliser les langues régionales ou minoritaires ne devraient pas se faire au détriment des langues officielles et de l’obligation de les apprendre;
10.4.2. à formuler les politiques éducatives en tenant compte des besoins des minorités nationales, y compris via des établissements et des systèmes d’enseignement spécifiques, et à intégrer les bonnes pratiques de l’enseignement des langues étrangères dans la méthodologie d’enseignement des langues officielles pour les écoles primaires qui proposent un enseignement dans une langue minoritaire;
10.4.3. à prendre les mesures nécessaires pour assurer la poursuite de l’enseignement dans la langue maternelle dans l’enseignement secondaire (y compris professionnel) et supérieur;
10.4.4. à suivre les recommandations du premier commentaire thématique du comité consultatif de la convention-cadre, sur l’éducation au regard de la convention-cadre (2 mars 2006), qui appelait à adopter une approche proactive sur les questions d’enseignement, même lorsque la demande exprimée apparaît faible;
10.4.5. à entreprendre l’élaboration de manuels d’histoire en coopération avec les Etats parents et avec les représentants des minorités traditionnelles vivant sur le territoire national, afin d’éduquer les jeunes dans l’esprit de la coopération et du partenariat au niveau européen, et à utiliser l'enseignement de l'histoire comme moyen d'améliorer la connaissance des minorités nationales par les jeunes;
10.4.6. à tenir compte des minorités nationales lors de la privatisation de services publics, dont les médias;
10.4.7. à assurer un financement adéquat aux organisations ou aux médias qui représentent des minorités afin de porter leur identité, leur langue, leur histoire et leur culture à l’attention de la majorité;
10.5. s’agissant de la lutte contre la discrimination:
10.5.1. à s’abstenir d’actions discriminatoires et à prendre des «mesures positives» sur le plan économique et social, afin de supprimer les obstacles de fait à «l’égalité des chances» et de promouvoir une égalité pleine et effective;
10.5.2. à s’abstenir, dans l’esprit de l’article 16 de la convention-cadre, d’adopter des lois ou des mesures administratives susceptibles de renforcer l’assimilation, d’encourager l’émigration ou de modifier la structure ethnique d’une région en particulier;
10.5.3. à adopter une approche partant de la base consistant à être à l’écoute des intéressés pour identifier et traiter les problèmes des minorités nationales;
10.5.4. à garantir aux minorités nationales, sans préjudice du droit fondamental à la liberté de circulation et conformément au concept de l’«unité par la diversité», la possibilité de demeurer sur leur lieu de naissance, de prospérer et de s’épanouir là où elles vivent depuis des siècles, et d’exprimer pleinement leur potentiel, dans l’intérêt de leur communauté, mais aussi de la population majoritaire, de l’Etat et de l’Europe dans son ensemble;
10.5.5. à formuler et à appliquer effectivement une stratégie nationale globale pour la protection des minorités nationales;
10.5.6. à veiller à ce que les médias puissent communiquer dans des langues minoritaires, sans aucune discrimination;
10.5.7. à adopter une législation électorale permettant la représentation politique pluraliste des minorités;
10.5.8. à s’abstenir d’adopter des lois ou des mesures administratives qui affaiblissent la protection des minorités.
11. L’Assemblée invite ses membres à suivre de plus près la question des minorités nationales, à œuvrer activement à la résolution des problèmes et à élaborer des propositions de représentation politique directe des minorités nationales.
12. L’Assemblée demande au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe d’accorder une attention particulière aux minorités nationales dans le cadre de son rapport annuel sur la situation des droits de l’homme en Europe.
13. L’Assemblée invite les médias publics et privés de tous types, dans les régions où vivent des minorités nationales, à offrir des services en langues minoritaires.