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Rapport | Doc. 13530 | 06 juin 2014

Intégration des immigrés en Europe: la nécessité d'une politique volontaire, continue et globale

Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées

Rapporteure : Mme Marietta KARAMANLI, France, SOC

Origine - Renvoi en commission, Doc. 12498, Renvoi 3748 du 11 mars 2011. 2014 - Troisième partie de session

Résumé

L’Assemblée parlementaire constate que le niveau global d’intégration des immigrés demeure insatisfaisant. Les immigrés continuent à subir des inégalités économiques et sociales qui mènent à l’isolement et à l’augmentation des «ghettos» pour immigrés.

Face à ce constat et afin d’assurer une meilleure intégration des immigrés, l’Assemblée rappelle la nécessité de renouer avec des politiques globales, de faciliter la formation professionnelle et la reconnaissance des diplômes et d’octroyer, si possible, des permis de séjour de longue durée.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 3 juin 2014.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire se réfère à sa Résolution 1972 (2014) «Assurer que les migrants constituent une richesse pour les sociétés d'accueil européennes» et rappelle que beaucoup de pays européens ont besoin d’une immigration régulière, en raison essentiellement du vieillissement de la population et de la baisse des taux de natalité. Par ailleurs, les migrants sont une source d’enrichissement culturel pour les sociétés d’accueil.
2. Cependant, pour tirer pleinement parti de toutes les opportunités offertes par les immigrés réguliers, les pays d’accueil doivent garantir leur bonne intégration dans la société.
3. L’Assemblée considère l’intégration des immigrés réguliers comme un processus à double sens d’inclusion dans les institutions et de relations au sein de la société d’accueil, impliquant des droits et des responsabilités des deux côtés. Le marché du travail et les services sociaux, ainsi que l’éducation et la participation à la vie politique constituent les principaux domaines d’intégration.
4. Malheureusement, force est de reconnaître que le niveau global d’intégration demeure insatisfaisant et la situation des immigrés réguliers et, plus inquiétant encore, de leurs descendants, soulève des préoccupations justifiées dans de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe.
5. En règle générale, les taux de chômage des immigrés et de leurs descendants sont supérieurs à ceux des ressortissants nationaux. De même, les deux groupes sont plus fréquemment employés à titre temporaire, d’où l’insécurité et l’accès limité aux prestations sociales qui en résultent. L’inadéquation de leurs qualifications et compétences professionnelles sur le marché du travail, souvent due à la non reconnaissance de certains diplômes ou qualifications d’un Etat à l’autre, entraîne un gaspillage de ressources humaines. Le faible taux d’emploi dans le secteur public, comparativement aux nationaux, est un autre signe clair du manque d’intégration, en particulier des enfants d’immigrés. De tels désavantages économiques et sociaux mènent souvent à l’isolement et à l’extension progressive des «ghettos» pour immigrés.
6. Si le pourcentage d’immigrés et de leurs descendants dans l’enseignement supérieur est comparable à celui des nationaux dans la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe, les premiers sont fortement surreprésentés dans les rangs de ceux qui présentent le niveau d’éducation le plus faible. Ils rencontrent également des problèmes liés à leur maîtrise insuffisante de la langue.
7. La participation politique des immigrés et de leurs descendants reste inférieure à la moyenne de celle des citoyens dans la majorité des pays européens. La discrimination fondée sur l’ethnicité et la religion continue d’être source de graves préoccupations et offre un terrain fertile pour les crimes de haine et la violence.
8. Par ailleurs, la récession économique à laquelle sont confrontés les pays européens – couplée à la hausse généralisée du chômage et à l’augmentation des manifestations xénophobes et néo-racistes – a provoqué un regain de tension à cet égard.
9. L’Assemblée souligne en particulier la vulnérabilité des migrants âgés restant dans le pays d’accueil et plus particulièrement celle des femmes migrantes âgées qui se retrouvent exposées à l’extrême pauvreté.
10. S’appuyant sur divers indicateurs quantitatifs et qualitatifs, l’Assemblée conclut à l’insuffisance des politiques publiques en place dans beaucoup d’Etats membres du Conseil de l’Europe concernant différents domaines d’intégration des immigrés et estime qu’il conviendrait de les renforcer afin de promouvoir plus efficacement cette intégration.
11. Dans ce contexte, l’Assemblée salue les initiatives prises dans certains pays en vue de créer des espaces communs qui permettent aux immigrés et aux nationaux de se rencontrer et de discuter de sujets d’intérêt et de préoccupation communs.
12. Par conséquent, l’Assemblée recommande aux Etats membres:
12.1. de revoir leurs politiques d’intégration actuelles afin d’explorer les moyens d’assurer une meilleure intégration des immigrés;
12.2. d’accroitre la coopération entre les gouvernements, les pouvoirs locaux et les organisations non gouvernementales (ONG) afin de promouvoir la cohésion sociale et la diversité;
12.3. de renouer avec des politiques globales qui assurent une meilleure redistribution de la richesse en direction des populations ayant de faibles ressources (économiques, culturelles et économiques), y compris l’ensemble des populations immigrés, récentes ou moins récentes, et dont les effets positifs pour tous permettront de jouer favorablement pour ceux ayant le plus de difficultés sans effet stigmatisant pour elles et sans sentiment d’exclusion à rebours pour les autres;
12.4. en particulier, en ce qui concerne le marché du travail:
12.4.1. de faciliter l’accès à la formation professionnelle aux immigrés réguliers et à leurs enfants;
12.4.2. de faciliter la reconnaissance des diplômes obtenus et des qualifications acquises en dehors du pays d’accueil;
12.4.3. d’introduire des mesures efficaces pour lutter contre la discrimination sur le marché de l’emploi;
12.5. en ce qui concerne l’éducation:
12.5.1. de favoriser la maîtrise de la langue du pays d’accueil;
12.5.2. d’encourager les pratiques pédagogiques favorisant la mixité sociale;
12.5.3. de former les enseignants et le personnel scolaire aux pratiques interculturelles;
12.5.4. d’éviter la pratique visant à regrouper et catégoriser les élèves selon leur origine;
12.6. en ce qui concerne la participation démocratique:
12.6.1. de faciliter l’accès à la nationalité du pays d’accueil et d’octroyer des permis de séjour de longue durée;
12.6.2. d’encourager les immigrés à exercer leur liberté d’expression et d’association, notamment au sein de partis politiques, de syndicats ou d’organisations de la société civile;
12.6.3. de veiller à ce que les immigrés puissent faire entendre leur voix dans le processus démocratique en leur accordant en particulier le droit de vote au niveau local;
12.6.4. de reconsidérer, si ce n’est pas déjà fait, l’introduction du droit à la double nationalité;
12.6.5. de faciliter le maintien des liens entre les immigrés et leur pays d’origine;
12.7. en ce qui concerne la non-discrimination:
12.7.1. de prendre des mesures afin de contrer les tentatives visant à faire des immigrés des boucs émissaires dans le contexte économique et social et d’engager quand cela est opportun, un débat serein sur l’immigration et ses avantages;
12.7.2. d’encourager le dialogue interculturel et interconfessionnel;
12.8. en ce qui concerne le soutien aux familles:
12.8.1. d’utiliser plus efficacement le regroupement familial en tant qu’instrument d’intégration;
12.8.2. de prendre des mesures d’assistance spécifiques pour aider les migrants âgés, notamment les femmes, à accéder à la protection sociale et aux services de santé.

B. Exposé des motifs, par Mme Karamanli, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. Les prises de position fermes exprimées par des responsables politiques européens ont relancé le débat sur la question de savoir si l’intégration était un échec en Europe.
2. La crise économique, les problèmes liés au contrôle de l’immigration régulière et irrégulière, la peur du terrorisme et de l’extrémisme et les inquiétudes suscitées par le repli sur soi des communautés sont autant de facteurs qui ont conduit à la question de savoir si l’intégration des immigrés était un échec ou non en Europe. Avec une population immigrée qui représente 8,7 % de la population européenne totale et un nombre d’immigrés qui augmente chaque année, il n’est pas surprenant que la question de l’intégration figure au premier rang des préoccupations politiques dans la plupart, voire dans tous les pays européens. Depuis la Russie, à l’est, qui compte 12 millions de ressortissants étrangers jusqu’au Portugal, à l’ouest, où ils sont plus de 440 000, les enjeux sont énormes, aussi bien de l’aspect numérique de la question que de sa complexité.
3. L’Europe ne peut se permettre d’ignorer cette diversité, les défis qu’elle représente et les perspectives qu’elle offre, comme l’a reconnu le Groupe d’éminentes personnalités du Conseil de l’Europe dans son rapport «Vivre ensemble. Conjuguer diversité et liberté dans l’Europe du XXIe siècle». L’Europe doit embrasser la diversité et accepter que nous ne n’ayons plus une seule identité, beaucoup d’entre nous, toujours plus nombreux, tendant à devenir des «Européens à trait d’union»: Anglo-irlandais, Maroco-français, Turco-allemands, etc. En réalité, ces identités «à trait d’union» peuvent aider à faciliter l’intégration: être capable de naviguer entre des identités plurielles devrait être considéré comme un avantage dans nos sociétés mondialisées.
4. Les inquiétudes montent également au sujet de l’intégration parce que l’Europe devient de plus en plus schizophrène dans sa vision des immigrés. D’un côté, les hommes ou femmes politiques et les médias continuent d’attiser la crainte d’une submersion par l’immigration, mais, de l’autre, ils se rendent compte que la population européenne vieillit et, à long terme, va diminuer. La Commission européenne a estimé qu’au cours des cinquante prochaines années, la population active totale de l’Union européenne aura chuté d’un million de personnes, même si la population totale augmente.
5. On peut se poser la question: sans l’immigration, comment les pays pourront-ils rembourser les dettes qu’ils ont contractées ? Qui financera les systèmes de sécurité sociale européens? L’écart existant déjà entre ce dont l’Europe a besoin et ce qu’elle accepte, en termes d’immigration, risque de s’élargir si de nouvelles stratégies de gestion de l’immigration ne sont pas mises en place et si des mesures d’intégration efficaces ne sont pas prises. La prospérité à long terme de l’Europe, mais aussi le bien-être économique des pays d’origine des immigrés, en dépendent.
6. Du côté des immigrés, la situation devient de plus en plus difficile et sensible, ce qui fait encore monter les enjeux dans le débat sur l’intégration. Les immigrés ressentent la pression exercée sur eux par les discours anti-immigration, les groupes politiques ultra-nationalistes et les attaques de plus en plus violentes dont ils sont la cible. Ils subissent également l’impact des restrictions à l’immigration et des exigences plus strictes imposées à leur entrée, notamment les restrictions en matière de regroupement familial, d’octroi des titres de séjour et d’acquisition de la nationalité. Leur situation économique aussi, devient de plus en plus précaire. Les demandeurs d’asile et les réfugiés se trouvent dans une situation similaire. Ce contexte ne facilite pas l’intégration mais il la rend plus difficile. Même si l’intégration est un processus à double sens, impliquant aussi bien les populations d’accueil que les communautés immigrées, ces dernières en portent quasiment tout le poids.
7. Le titre de la proposition de résolution pose la question suivante: «Intégration des immigrés: l’Europe en échec ?». Pour répondre brièvement, cela dépend de ce que l’on entend par «intégration», et des critères de réussite ou d’échec que l’on s’est fixés. Au regard des critères mesurant les progrès et le chemin restant à parcourir et aussi du temps nécessaire, je propose de mettre en avant la nécessité d’une politique volontaire, continue et globale d’où ma proposition du titre «Intégration des immigrés en Europe: la nécessité d’une politique volontaire, continue et globale» pour le présent rapport.
8. J’ai repris le travail de Mme Pelin Gündeş Bakir (Turquie, GDE) qui, pour rassembler des informations utiles au présent rapport, s’est rendue à Bruxelles et à Nuremberg, où elle a eu des entretiens à l’Office fédéral allemand de l’immigration et des réfugiés (BAMF). De mon côté, j’ai souhaité rassembler des informations supplémentaires et faire le point sur des initiatives positives en faveur de l’accueil des immigrés afin de pouvoir compléter le présent rapport. Je tiens à remercier tous ceux qui m’ont fourni des informations et assisté dans mon travail.

2. Approche du rapport

2.1. Comprendre ce que sont l’intégration, le multiculturalisme et l’assimilation

9. Pour répondre à la question de savoir si l’intégration est un échec, il convient tout d’abord de préciser ce qu’est l’intégration et ce qu’elle n’est pas.
10. L’intégration a été définie comme un processus d’inclusion des immigrés dans les institutions et les relations de la société d’accueil.
11. Le multiculturalisme a été défini comme une fusion dans laquelle une culture emprunte des éléments à d’autres cultures et se transforme créativement tout en transformant les autres.
12. L’assimilation peut être entendue comme un processus unilatéral, dans lequel les immigrés et leurs descendants abandonnent leur culture et s’adaptent entièrement à la société dans laquelle ils ont immigré.
13. L’intégration est un processus à double sens, auquel participent les immigrés et leurs sociétés d’accueil, avec des conséquences sur le plan des droits et des responsabilités et ceux qui affirment que l’intégration a échoué ont à l’esprit un objectif d’assimilation.
14. Le débat s’est trop souvent concentré sur la question du multiculturalisme et sur la question de savoir s’il avait échoué. Le multiculturalisme est un concept difficile à définir car il y a peu de consensus sur sa signification. Comme indiqué dans le rapport «Vivre ensemble», il génère davantage de confusion qu’il ne clarifie la situation. Il importe cependant de ne pas confondre ce que nous entendons par multiculturalisme et ce que nous entendons par sociétés multiculturelles. Nous vivons de plus en plus dans des sociétés multiculturelles et apprécions cette diversité, mais cela n’équivaut pas à créer un politique dans laquelle des cultures se développent séparément, côte à côte 
			(2) 
			Voir
également le rapport de la commission de la culture, de l’éducation,
de la science et des médias «Identités et diversité au sein des
sociétés interculturelles» (Doc.
13522)..
15. Avant d’aborder la question de savoir comment mesurer l’échec ou la réussite de l’intégration, j’aimerais souligner qu’il est difficile d’obtenir des statistiques exactes sur les flux d’immigration.

2.2. Comment mesure-t-on l’échec ou la réussite de l’intégration ?

16. L’échec ou la réussite de l’intégration dépend des critères utilisés. Si le critère est de parvenir à une égalité de résultats pour l’ensemble de la population dans les principaux domaines de la vie (économique, social et politique), alors la réponse est claire. Aucun pays n’a réussi, et il serait d’ailleurs irréaliste d’espérer réussir à cent pour cent.
17. L’on constate, en règle générale, que les pays de petite taille accueillent proportionnellement le plus d’immigrés. Il n’en demeure pas moins que les Etats-Unis et la France restent les plus vieux pays d’immigration et ce depuis la seconde moitié du XIXe siècle, alors que l’Espagne est devenue un nouveau pays d’immigration.
18. Pour étudier cette question, je me suis appuyée sur trois principaux indicateurs, tout en limitant mon examen à cinq domaines d’intégration: le marché du travail, l’éducation, la participation politique, la discrimination et le regroupement familial. Le premier indicateur correspond aux données statistiques, qui permettent de montrer dans quelle mesure les résultats atteints par les immigrés équivalent ceux de la population d’accueil. Le deuxième indicateur est l’avis des immigrés. Le troisième indicateur est la législation et la pratique, pour lequel j’ai utilisé l’Index des politiques d’intégration des migrants (MIPEX), qui examine 148 indicateurs liés au domaine de l’immigration et les mesure dans 31 pays.

3. Les domaines d’intégration

3.1. Le droit au travail

Indicateur 
			(3) 
			Trouver ses marques:
les indicateurs de l'OCDE sur l'intégration des immigrés 2012, p.
97 et 99.

Statistiques

Situation des femmes

Autres commentaires

Taux d’emploi des enfants d’immigrés

73 %, soit 10 % de moins que les enfants de nationaux

Pour les femmes, ce pourcentage descend à 69 %

Dans certains pays comme l’Espagne et la Belgique, les taux d’emploi peuvent être de 27 % inférieurs à ceux des enfants de nationaux

Chômage des immigrés

En moyenne, 1,5 fois supérieur et a, récemment, davantage augmenté pour les immigrés que pour les autochtones (2,7 % contre 1 %)

Globalement peu de différences entre les sexes

Les jeunes immigrés rencontrent des problèmes particuliers : ils sont 23 % à être au chômage contre 18 % pour les jeunes autochtones

Chômage des enfants d’immigrés nés dans le pays de résidence

Le chômage moyen s’établit à 13,8 %, soit environ 7  % de plus que pour les nationaux

Globalement peu de disparités entre les sexes

40 % d’entre eux sont des chômeurs de longue durée (contre 26 % pour les enfants d’autochtones)

3.1.1. Que nous disent les indicateurs?

19. Partant du principe établi que, sans le droit au travail, les autres droits devenaient inaccessibles, il est essentiel que les immigrés jouissent d’une égalité des chances sur le marché du travail, que ce soit dans le secteur privé ou public, ou en tant que travailleurs indépendants.
20. Il faut souligner que la nature de l’immigration a évolué. En effet, jusque dans les années 80, les migrants étaient surtout des intellectuels fuyant un pays où ils ne pouvaient pas exercer leur savoir. Depuis lors, la nature de l’immigration a changé, puisqu’il s’agit surtout de migrants fuyant leur pays pour chercher du travail ou pour fuir une situation devenue intolérable dans leur pays.
21. Or, il apparaît clairement que les politiques et les pratiques desservent les immigrés. En moyenne, dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les immigrés ont 50 % de chances de plus d’être au chômage que les nationaux, et les enfants d’immigrés ont presque deux fois plus de risques d’être au chômage que les enfants de nationaux. Cela devrait être une sonnette d’alarme, qui devrait retentir encore plus fort si l’on considère que 40 % des enfants d’immigrés nés dans leur pays de résidence sont des chômeurs de longue durée. Cela représente un danger manifeste pour la société. Si l’on se penche sur les statistiques nationales, certaines disparités deviennent encore plus marquées. En France, le taux de chômage global s’établit à 9,6 %, tandis que pour les immigrés, il est de 16,4 %, et pour les immigrés turcs, de 25,3 %. En Autriche, les jeunes de 20 à 30 ans issus de l’immigration estiment qu’il leur est deux fois plus difficile de trouver un emploi que les Autrichiens de souche. En France, selon une étude de l’INSEE publiée en 2012, le pays d’origine, l’âge d’arrivée, le capital scolaire des parents ou la structure familiale constituent des variables qui jouent en matière de non réussite dans les études et dans les difficultés rencontrées pour accéder au marché du travail 
			(4) 
			Dossier «Les enfants
d’immigrés ont des parcours scolaires différenciés selon leur origine
migratoire» Yaël Brinbaum, Laure Moguérou et Jean-Luc Primon, octobre
2012, France, Insee Références..
22. D’autres données statistiques vont dans le même sens. Les immigrés ont plus de chances d’occuper un emploi temporaire (15 % contre 10 % pour les autochtones) 
			(5) 
			Trouver ses marques,
OCDE, p. 116. et il en va de même pour leurs enfants. Les immigrés ont également plus de chances d’occuper un emploi peu qualifié (16 % contre 7 % pour les nationaux). Dans certains pays, comme la Grèce et la Suisse, le pourcentage d’immigrés occupant des emplois peu qualifiés atteint les 50 % 
			(6) 
			Ibid.,
p. 122..
23. L’Allemagne, quant à elle, a longtemps considéré la présence de travailleurs étrangers sur son territoire («Gastarbeiter», c’est-à-dire «travailleurs invités») comme provisoire. Cette approche a été abandonnée dans les années 70 et 80. Actuellement, 20% de la population allemande est d’origine étrangère et l’Allemagne est de plus en plus convoitée par des citoyens issus des pays de l’Union européenne – auxquels le Gouvernement allemand accorde également de plus en plusla naturalisation – (Pologne, Roumanie, Bulgarie, Italie, Hongrie, Espagne et Grèce) et des Balkans.
24. Il en va de même en Suède où les personnes nées à l’étranger ont en général des emplois moins qualifiés et un taux de chômage plus élevé que les Suédois d’origine, ce qui s’explique par le fait que l’apprentissage d’une nouvelle langue prend du temps ou que l’expérience professionnelle antérieure n’est pas toujours en demande sur le marché de l’emploi suédois, mais aussi peut-être par le fait que les personnes nées à l’étranger ne disposent pas des réseaux informels qui, souvent, permettent de décrocher un emploi.
25. L’emploi dans le secteur public est également un bon moyen de mesurer comment s’en sortent les enfants d’immigrés. Si 17 % d’entre eux occupent un emploi public, ce taux n’atteint nullement celui de 24 % enregistré pour les enfants d’autochtones. Les Etats peuvent certainement faire mieux dans ce domaine et suivre l’exemple de pays comme le Royaume-Uni, dont la fonction publique emploie le plus fort pourcentage d’enfants d’immigrés, soit un sur quatre, ou la France, où ce taux d’emploi est de 22 % 
			(7) 
			Ibid.,
p. 130..
26. L’on constate également que des émigrés surqualifiés occupent des emplois subalternes, en raison, notamment, de la non-reconnaissance de certains diplômes entre les Etats. Les sociétés d’accueil gaspillent ainsi des ressources humaines et des capacités qui seraient utiles à leur développement en déclassant les immigrés et en ne reconnaissant pas leurs qualifications. Dans les pays de l’OCDE, 28,3 % des immigrés ayant un niveau d’études élevé sont surqualifiés, contre 17,6 % des autochtones. Ce pourcentage diminue pour les enfants d’immigrés nés dans le pays de résidence, mais sans rejoindre celui des enfants d’autochtones 
			(8) 
			Ibid., p. 124-127.. Certains Etats ont conclu des accords bilatéraux avec des pays d’origine pour mettre en place des programmes de reconnaissance mutuelle des qualifications. Je pense que cette pratique pourrait permettre d’exploiter des compétences sous-utilisées, qui existent déjà en Europe.
27. La capacité de l’Europe à attirer des travailleurs très qualifiés est un autre indicateur. Malheureusement, elle n’a pas réussi à concurrencer les Etats-Unis et le Canada dans ce domaine. Par exemple, 50 % des immigrés qualifiés issus des pays du Maghreb vont aux Etats-Unis et au Canada et seulement 5,5 % d’entre eux choisissent un Etat membre de l’Union européenne. Si diverses raisons expliquent cette situation, les perspectives d’intégration pour eux-mêmes et leur famille en font certainement partie.
28. Enfin, le développement progressif de «ghettos» pour immigrés ou pour des populations pauvres est, sans aucun doute, devenu un obstacle majeur à l’accès à l’emploi et à la sécurité, mais également un handicap sérieux à leur intégration. La concentration des immigrés à la périphérie de nombreuses villes européennes crée un environnement dans lequel les désavantages se transmettent de génération en génération, isolant ces groupes de la population générale. Par exemple, la concentration d’immigrés d’Afrique subsaharienne dans la région parisienne et leur faible motorisation en fait le groupe qui passe le moins de temps au travail et le plus de temps dans les trajets domicile-travail. De plus, bien souvent, les immigrés qui vivent dans ces quartiers ne se sentent pas en sécurité pour des raisons liées à la misère urbaine. De même, ceux qui n’y vivent pas ont peur de se rendre dans ces «ghettos». Ces derniers deviennent alors un terrain propice à la peur et au ressentiment, qui n’affectent pas seulement les communautés immigrées, mais aussi les populations d’accueil. Les émeutes qui se sont produites en Suède en 2013 en témoignent. Ainsi, même dans un pays comme la Suède qui, sur le papier, est l’une des sociétés les plus tolérantes d’Europe, ayant fait les bons choix pour la plupart des mesures d’intégration, ne peut échapper aux conséquences d’avoir laissé des «ghettos urbains» exister.

3.1.2. Que nous disent les immigrés ?

29. Il n’est pas surprenant que parmi les principales conclusions d’une étude sur la manière dont les immigrés vivent l’expérience de l’intégration dans 15 villes européennes, les principaux problèmes soulevés par les immigrés sont le manque de sécurité de l’emploi, la surqualification, le manque de reconnaissance des qualifications, le besoin de formation et la difficulté à concilier formation, travail et vie familiale.

3.1.3. Préoccupations et mesures à prendre

30. Parmi les multiples mesures qu’il faudrait prendre, je souhaite mettre l’accent en priorité sur la nécessité de lever les restrictions, de nature réglementaire ou législative, limitant l’accès des immigrés au marché du travail dans les secteurs public et privé et en tant que travailleurs indépendants. Le secteur public étant un employeur important, des mesures doivent être prises pour mieux aider les immigrés et leurs enfants à accéder aux emplois publics. Enfin, il faudrait offrir une instruction et une formation professionnelle aux immigrés, et faciliter la reconnaissance des diplômes et des qualifications acquises en dehors de l’Union européenne. Je pourrais mentionner de nombreuses autres mesures, mais je tiens à insister tout particulièrement sur la nécessité de lutter contre la discrimination sur le marché du travail, notamment en veillant à ce que les curricula vitae soient examinés sans tenir compte de l’origine ethnique du postulant. Il s’agit là de mesures que le MIPEX (Index des politiques d'Intégration des Migrants) a examinées, pays par pays et il est intéressant de noter que la Suède et le Portugal figurent en haut du classement, et que certains des pays ayant le plus d’expérience en matière d’immigration s’en sortent moins bien, le Royaume-Uni, la Belgique et la Suisse se situant en dessous de la moyenne de l’Union européenne. Cette situation pourrait s’expliquer en partie par la peur de déplaire à l’opinion publique en offrant des perspectives professionnelles aux immigrés et par la crainte que ces derniers prennent les emplois des nationaux. Ces craintes, pourtant largement infondées, et le fait qu’il ne soit pas clairement expliqué que «les étrangers ne représentent pas un danger pour l’emploi», sont un obstacle à la mobilité de la main d’œuvre et à l’égalité des chances des immigrés. Les réfugiés, qui représentent une partie des immigrés, ont souvent des difficultés à trouver du travail en raison des traumatismes qu’ils ont subi avant d’atteindre leur pays d’asile. Ils peuvent également avoir été détenus pendant la procédure d’asile, ou avoir eu des droits restreints en matière de travail. Cela ralentit et entrave leur intégration. Les réfugiés ont des besoins particuliers, qui doivent être pris en compte.

3.2. Education

Indicateur 
			(9) 
			Eurostat, Indicators
of Immigrant Integration. 2011 edition, Table 11.du niveau d’instruction

Population totale

Immigrés

Commentaires

Enseignement supérieur

24 %

24 %

Pour les personnes nées en dehors de l’Union européenne, le pourcentage tombe à 22 %

Enseignement secondaire

49 %

40 % 

Pour les personnes nées en dehors de l’Union européenne, le pourcentage tombe à 38 %

Enseignement primaire ou inférieur

27 %

36 %

Pour les personnes nées en dehors de l’Union européenne, le pourcentage grimpe à 40 %

31. Pour que les immigrés et leurs enfants soient sur un pied d’égalité avec le reste de la population, il faut qu’ils aient des possibilités d’instruction identiques ou similaires. Le tableau ci-dessus montre que si leur taux de participation à l’enseignement supérieur est identique, les immigrés sont largement surreprésentés parmi les personnes qui ont les niveaux d’instruction les plus bas (primaire ou inférieur).
32. D’après l’OCDE, les enfants d’immigrés atteignent les niveaux d’instruction supérieure, mais ne font pas aussi bien que les enfants d’autochtones 
			(10) 
			Ibid., p. 84-87, et ce bien que le handicap de la langue devrait être dépassé s’ils vivent depuis leur petite enfance dans le pays d’accueil.
33. Il est intéressant de noter, d’après les statistiques, l’importance que revêt l’enseignement pré primaire dans lequel le taux de fréquentation scolaire des enfants d’immigrés est inférieur à celui de la population majoritaire 
			(11) 
			Ibid.,
p. 80.. Pour les enfants d’immigrés, ce premier niveau d’éducation apparaît essentiel, en particulier pour ceux qui ne parlent pas la langue du pays d’accueil à la maison 
			(12) 
			Ibid.,
p. 82, et le Programme international pour le suivi des acquis des
élèves (PISA) mentionné dans ce document..
34. En Suède, le gouvernement a présenté un rapport sur les résultats pour tous les indicateurs (Communication du gouvernement 2009/10:233) qui relevait qu’en ce qui concerne les résultats en matière d’éducation et d’égalité, une école qui offre la même qualité d’éducation à tous les élèves est primordiale pour éviter que l’exclusion ne se transmette à la génération suivante. Le rapport relevait qu’un enseignement qui aide les élèves nouveaux arrivés à atteindre les objectifs pédagogiques de l’établissement était considéré comme un défi dans ce contexte. Enfin, le rapport déclarait qu’il y a de bonnes raisons de continuer de suivre les effets de la ségrégation et d’approfondir la connaissance des facteurs qui influent sur le risque que les personnes nées à l’étranger restent piégées dans l’exclusion toute leur vie.

3.2.1. Que nous disent les immigrés ?

35. La question de la langue et du soutien à l’apprentissage de la langue est un sujet récurrent. Cela vaut non seulement pour l’école, mais aussi pour les immigrés qui viennent d’arriver. Parmi les principales conclusions de l’étude sur la manière dont les immigrés vivent l’expérience de l’intégration figure l’importance primordiale qu’ils accordent aux cours d’apprentissage de la langue du pays d’accueil. Les principaux obstacles évoqués sont le manque de temps et le manque d’information sur les cours proposés. Concernant les cours d’intégration (cours de langue y compris), les immigrés considèrent qu’ils aident vraiment à acquérir les bases de la langue, mais estiment qu’ils pourraient être mieux coordonnés avec la formation et les services de l’emploi 
			(13) 
			Comment
les immigrés vivent-ils l’expérience de l’intégration, p. 38 et
39..

3.2.2. Préoccupations et mesures à prendre

36. Il est clair que nous devons promouvoir l’accès à l’éducation le plus tôt possible, et que les besoins particuliers des immigrés et de leurs enfants doivent être pris en considération. Les enfants peuvent avoir besoin d’un soutien supplémentaire pour leur apprentissage, notamment linguistique, et à cet égard, tout ce à quoi ils ont droit doit leur être accessible, et ils doivent en être informés. Par ailleurs, une approche interculturelle de l’éducation est nécessaire, en ce qui concerne non seulement les enfants, mais aussi la manière dont les établissements scolaires communiquent avec les parents. Des enseignants issus de l’immigration doivent être recrutés en plus grand nombre, compte tenu du rôle utile qu’ils peuvent jouer en tant que médiateurs avec les familles, le personnel et les enfants. Enfin, tous les enseignants et le personnel scolaire doivent être formés pour gérer des environnements multiculturels, et des mesures doivent être prises pour éviter la ségrégation.
37. Les mesures susmentionnées ne sont que des exemples de ce qui devrait être fait. Plusieurs d’entre elles ont été examinées en relation avec les pratiques nationales dans le cadre du MIPEX et l’on peut en conclure que rares sont les systèmes éducatifs en Europe qui se soient adaptés aux réalités de l’immigration. Les pays qui ont fait le plus pour répondre aux enjeux de l’immigration sont les pays nordiques, et parmi les pays d’immigration plus traditionnels, le Royaume-Uni figure en tête. Malheureusement, selon le classement du MIPEX, de nombreux pays demeurent particulièrement défaillants en ce qui concerne les mesures prises. Il s’agit de la France, de la Hongrie, de l’Irlande, de la Lettonie et de la Lituanie.
38. Il y a trois questions relevant du domaine de l’éducation que je souhaiterais développer plus avant. La première est le manque de reconnaissance accordée aux enfants d’immigrés qui maîtrisent plusieurs langues. Bien souvent, la langue de l’immigré ne peut être reconnue dans le programme scolaire officiel et il n’a aucune reconnaissance pour sa maîtrise de celle-ci.
39. La deuxième est celle liée au problème de la ségrégation scolaire, qui résulte largement de la ségrégation dans le domaine du logement, notamment dans les centres urbains. Une étude a montré qu’au Danemark, il existait un écart de 15 % entre le taux de réussite des élèves autochtones et des élèves immigrés, lequel pouvait être imputé à la ségrégation scolaire 
			(14) 
			Manuel
sur l’intégration à l’intention des décideurs politiques et des
praticiens, troisième édition, 2009, Direction générale de la justice,
de la liberté et de la sécurité p. 144, <a href='http://ec.europa.eu/ewsi/UDRW/images/items/docl_12892_725587004.pdf'>http://ec.europa.eu/ewsi/UDRW/images/items/docl_12892_725587004.pdf</a>. . Les parents immigrés qui vivent dans les quartiers urbains défavorisés ont souvent de grandes difficultés à apporter un soutien adéquat à leurs enfants pour leurs devoirs dans la mesure où ils travaillent de longues heures et ne peuvent leur offrir un espace calme à la maison pour étudier.
40. Le troisième point que je souhaite évoquer est la pratique consistant à étiqueter, regrouper et classer les élèves en fonction de leurs capacités «élevées» ou «faibles». Les études montrent qu’à résultats comparables, les enfants issus de l’immigration, d’origine minoritaire ou appartenant à un milieu socio-économique défavorisé risquent davantage d’être orientés vers des filières réputées plus «faciles» que les enfants de parents autochtones issus des classes moyennes ou supérieures. Cette situation peut s’expliquer par les préjugés sur les capacités des enfants, à une orientation trop précoce, au fait que les élèves immigrés ou appartenant à des minorités ethniques soient abusivement considérés comme ayant des besoins particuliers, ou par diverses autres raisons 
			(15) 
			Ibid.,
p. 146. . Il apparaît impératif de supprimer les sélections rapides qui s’effectuent dans les écoles afin que les enfants des migrants soient considérés et traités au même niveau que les nationaux.
41. En conclusion, il apparaît clairement que trop souvent, les Etats membres n’ont pas été équipés pour répondre au défi que constitue l’intégration d’enfants immigrés en grand nombre. Plutôt que de prendre les devants, les systèmes se sont contentés de réagir aux difficultés qui se présentaient. Un autre problème, peut-être plus inquiétant, est que l’enseignement en Europe est, pour l’essentiel, fondé sur des programmes conçus dans la première partie du XXe siècle, il y a plus de cent ans. Le Conseil de l’Europe a mené des travaux importants et innovants pour moderniser l’approche de l’éducation dans les Etats membres.

3.3. La participation démocratique

42. Dans sa Résolution 1618 (2008) sur la situation de la démocratie en Europe, mesures visant à améliorer la participation démocratique des migrants, l’Assemblée souligne la nécessité de veiller à ce que les immigrés aient une «voix égale» dans le processus démocratique en Europe. Cependant, la participation démocratique reste faible dans toute l’Europe, et en particulier celle des immigrés. L’Assemblée fait également observer que l’intégration et la participation jouent l’une pour l’autre un rôle de catalyseur: l’intégration est essentielle à la participation démocratique des immigrés et cette participation favorise à son tour l’intégration.
43. La participation démocratique est cependant difficile à mesurer, en partie parce que la notion est difficile à définir. L’acquisition de la nationalité et la participation aux élections peuvent toutefois être utilisées pour l’évaluer.
44. En 2010, le nombre de personnes naturalisées dans l’Union européenne a atteint les 756 000, contre 700 000 l’année précédente. La part de nationaux dans la population née à l’étranger se situe cependant juste en dessous des 50 % dans les pays de l’OCDE, certains pays comme les Pays-Bas et la Suède se trouvant dans la tranche supérieure des 60 %-70 %, et le Portugal et la France dans la fourchette suivante des 50 %-60 % 
			(16) 
			Trouver
ses marques, OCDE, 2012, p. 141. Cependant, ces statistiques datent
de 2005-2006.. Il n’est sans doute pas surprenant que les nouveaux pays d’accueil de l’immigration soient en dessous des 30 % (Grèce et Espagne). Parmi les pays d’accueil traditionnels, le Royaume-Uni et le Danemark avoisinent les 40 %. En Allemagne, le vote immigré est devenu un nouvel enjeu pour les partis politiques, près de 10 % de citoyens allemands étant issus de l’immigration en 2013. Ainsi la représentation démocratique correspond davantage à la diversité de la population allemande.
45. Ces statistiques montrent clairement qu’il reste une large marge de manœuvre pour inclure davantage les immigrés dans le processus démocratique en leur permettant de devenir citoyens, de voter et de participer plus pleinement à la vie démocratique.
46. Pour ceux qui ont acquis la nationalité et le droit de vote, on a des raisons de penser que l’on pourrait faire davantage pour les encourager à participer, notamment dans les pays du sud de l’Europe. Le taux de participation global des nationaux dans les pays de l‘OCDE se situe légèrement en dessous des 80 %, et autour de 60 % pour les immigrés 
			(17) 
			Ibid., p. 142 et 143..
47. Je tiens toutefois à souligner que la participation démocratique ne se limite pas au vote et peut prendre différentes formes, comme se présenter aux élections, exercer sa liberté d’expression et sa liberté d’association, notamment en s’affiliant à des partis politiques, à des syndicats ou à des organisations de la société civile, prendre part à des manifestations et participer activement à la vie sociale et culturelle du lieu où ils résident. Le vote peut s’effectuer au niveau local et à d’autres niveaux, et ne concerne pas uniquement l’échelon national.
48. La participation démocratique des immigrés est assurément un élément important de l’intégration et il n’est pas surprenant que deux conventions clés du Conseil de l’Europe aient un rapport avec ces questions, à savoir la Convention européenne sur la nationalité (STE n° 166) et la Convention sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local (STE n° 144). Il est toutefois regrettable que les Etats membres aient hésité à signer ces conventions et à promouvoir ainsi une plus grande intégration sur la base de ces deux instruments 
			(18) 
			Pour
la Convention sur la nationalité, il y a 20 Etats parties et neuf
signatures supplémentaires. Pour la Convention sur la participation
des étrangers, il y a actuellement huit Etat Parties et cinq signatures
en suspens..

3.3.1. Que nous disent les immigrés?

49. La plupart des immigrés veulent voter, veulent plus de diversité dans la politique, et sont prêts à voter pour soutenir ces idées. Ils considèrent que des parlementaires issus de l’immigration les comprendraient et les représenteraient mieux. Cependant, il est intéressant de noter qu’une grande partie de la population générale ne considère pas cette question comme particulièrement importante pour elle et que seulement 40 % à 45 % d’entre elle estime qu’il devrait y avoir davantage de parlementaires de différentes origines ethniques 
			(19) 
			Comment
les immigrés vivent-ils l’expérience de l’intégration, p. 42-50,
avec des statistiques tirées de l’Eurobaromètre 2006.. Fait également intéressant, la situation change considérablement d’une ville à l’autre, ce qui montre que l’intégration s’opère au niveau local et qu’elle dépend des politiques et des pratiques locales. C’est l’une des raisons pour laquelle le Conseil de l’Europe attache de l’importance à ses travaux sur les cités interculturelles 
			(20) 
			Pour plus d’informations
à ce sujet, voir la publication du Conseil de l’Europe, La cité
interculturelle pas à pas – Guide pratique pour l'application du
modèle urbain de l'intégration interculturelle, janvier 2013.. S’il me semble essentiel que les communautés immigrées puissent exprimer leurs préoccupations par le processus politique, je pense qu’il importe également de rester vigilant face à la menace du clientélisme dans les élections locales.

3.3.2. Préoccupations et mesures à prendre

50. L’Assemblée a déjà clairement indiqué ce qu’il convenait de faire dans sa Résolution 1618 (2008), à savoir faciliter l’accès à la nationalité et octroyer des titres de séjour de longue durée. Elle a également insisté sur la nécessité de régulariser la situation des immigrés en situation irrégulière qui ne seront pas renvoyés vers leur pays d’origine, d’accorder le droit de vote aux immigrés, à tous le moins au niveau local, de lever les restrictions au droit des immigrés d’adhérer à des partis politiques ou de créer des associations politiques et de faire en sorte que les femmes et les hommes issus de l’immigration soient représentés à tous les niveaux politiques. Ce sont là quelques mesures essentielles à prendre; or cinq années se sont écoulées depuis la résolution de l’Assemblée sans que rien n’ait changé.
51. A mon avis, la participation démocratique est étroitement liée à la participation sociale et l’une des manières de les renforcer serait de créer un espace où les populations immigrées et autochtones pourraient se retrouver. Cela pourrait avoir lieu au niveau politique (national ou local), mais aussi au niveau social dans les clubs sportifs et autres, dans les écoles, ou lors de débats ou de conférences. Le Conseil de l’Europe a récemment contribué à cette discussion dans un document d’orientation, qui contient des recommandations clés pour développer un sentiment d’appartenance chez les immigrés par des interactions positives 
			(21) 
			Développement
d’un sentiment d’appartenance chez les migrants par des interactions
positives, Document d’orientation du Conseil de l’Europe, Andrew
Orton, novembre 2012..
52. La question de la double nationalité mérite une attention particulière. La pratique consistant, dans certains pays, à forcer les personnes à abandonner leur nationalité de naissance avant d’adopter une autre nationalité empêche, à mon avis, les immigrés de s’intégrer et de développer un sentiment d’appartenance. Au sein de l’Union européenne, pouvoir acquérir la double nationalité a été jugée bénéfique et elle est accordée à tous ses citoyens. En revanche, elle n’est pas souvent accordée aux non-ressortissants de l’Union. Cela crée des problèmes de discrimination et de différences de traitement, en dépit du fait qu’un nombre croissant de personnes ont des identités multiples en Europe, comme indiqué dans le rapport «Vivre ensemble».
53. En ce qui concerne la classe politique, je suis toujours frappée par le faible nombre de personnes issues de l’immigration au sein de l’élite politique. Cette absence est encore plus criante si l’on considère le nombre de personnes d’origine musulmane dans les hautes sphères politiques.
54. Comme indiqué précédemment, le Conseil de l’Europe a établi des normes importantes dans le cadre de la Convention sur la nationalité et de la Convention sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local. Il faudrait faire davantage pour tirer parti de ces deux conventions clés, notamment en encourageant de nouvelles ratifications et leur mise en œuvre.

3.4. Discrimination

55. Plus que toute autre chose, la discrimination nuit à l’intégration des immigrés et de leurs enfants. Elle peut exister dans tous les domaines de la vie: emploi, logement, accès aux biens et services, éducation et autre. Elle peut être directe ou indirecte. Elle peut être exercée par des individus ou être institutionnelle, et favorisée par des structures ou des pratiques.
56. La discrimination peut être mesurée de trois manières. La première consiste à comparer des données relatives à l’emploi, aux résultats scolaires, au logement, aux revenus, etc. La seconde consiste à effectuer un test en situation, en choisissant un problème, en contrôlant les variables et en déterminant si une discrimination est exercée. Il s’agit par exemple d’envoyer des demandes fictives pour un logement, un emploi ou des services sociaux et de voir ce qui se passe lorsque la seule variable est l’origine ethnique. La troisième consiste à interroger les immigrés eux-mêmes sur leurs perceptions de la discrimination.
57. J’ai déjà abordé les domaines de l’emploi et de l’éducation, où différentes formes de préjugés et de discrimination peuvent entrer dans l’équation et influer sur les résultats des immigrés et de leurs enfants, mais il existe de nombreux autres domaines où ces derniers s’en sortent moins bien que la population majoritaire.

Indicateur 
			(22) 
			Indicateurs de l'OCDE
sur l'intégration des immigrés, pages 162, 170 et 236

Commentaires

Revenu médian disponible

Demeure largement inférieur pour les immigrés en Belgique, en Grèce, en France, en Italie, en Autriche et en Slovénie et est de 75 % inférieur à celui de la population d’accueil pour ceux qui appartiennent à des classes d’âge de forte activité

Risque de pauvreté

Dans les Etats membres de l’Union européenne, il est supérieur de 9 % pour les immigrés et de 13 % pour ceux qui sont nés en dehors de l’Union européenne

Accès à la propriété

Il est presque trois fois inférieur pour les immigrés dans les pays de l’OCDE

58. Il ne s’agit ci-dessus que de quelques indicateurs supplémentaires. On pourrait également s’intéresser aux mesures pénales (droit de visite, arrestations, motifs d’inculpation et incarcérations) ou à des sous-catégories d’immigrés et voir ce qu’il en est pour les différents groupes. La situation entre différents groupes peut être très inégale, mais il ressort encore et toujours des statistiques que le groupe le plus désavantagé et le plus souvent victime de discriminations reste celui des Roms.

3.4.1. Que nous disent les immigrés?

59. Selon les statistiques citées par l’OCDE 
			(23) 
			Statistiques et informations
tirées de Trouver ses marques: les indicateurs de l'OCDE sur l'intégration
des immigrés, p. 153-157, la discrimination ethnique perçue est la plus forte en Grèce, où 26 % des immigrés ressentent une discrimination. Cependant, la discrimination perçue est supérieure à la moyenne de l’OCDE (qui est de 14 %) dans tous les pays d’Europe du sud. A l’inverse, elle est relativement faible dans des pays comme la Belgique, la Norvège, la Suisse et le Luxembourg. La discrimination est toutefois beaucoup plus fortement ressentie par les personnes venant de pays à faibles revenus que par celles qui viennent de pays à hauts revenus. Par ailleurs, il ressort également des statistiques que les personnes qui ont été naturalisées sont moins susceptibles de ressentir la discrimination. Ce qui est surprenant, et inquiétant, c’est que les enfants d’immigrés ont, en moyenne dans tous les pays de l’OCDE, davantage l’impression d’avoir été victimes de discrimination que leurs parents, alors qu’ils devraient être mieux intégrés, parler la langue locale et comprendre la société locale.
60. Les musulmans ressentent particulièrement la discrimination. Selon un rapport de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, un musulman sur trois a déclaré avoir été victime de discrimination et 11 % ont affirmé avoir été victimes d’une infraction à caractère raciste (agression, menace ou harcèlement grave) au moins une fois au cours des douze derniers mois 
			(24) 
			Enquête de l’Union
européenne sur les minorités et la discrimination, EU-MIDIS, Données
en bref : les musulmans, Agence des droits fondamentaux de l’Union
européenne, 2009, citée dans le rapport «Vivre ensemble», p. 15..

3.4.2. Préoccupations et mesures à prendre

61. Beaucoup d’efforts ont été faits en Europe pour lutter contre la discrimination, le racisme et l’intolérance, notamment sur le plan de la législation antidiscriminatoire, et grâce au travail des institutions actives dans ce domaine. Les Etats membres de l’Union européenne, en particulier, doivent respecter la législation européenne en la matière, qui date de 2000 
			(25) 
			Notamment les directives
relatives à l’égalité raciale et à l’égalité dans l’emploi.. Cependant, il reste encore beaucoup à faire, comme indiqué dans les rapports par pays qu’établit régulièrement la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) et dans les conclusions clés du MIPEX 
			(26) 
			Voir
MIPEX III, Anti-Discrimination p. 24..
62. En préparant ce rapport, j’ai pris connaissance d’un certain nombre de problèmes auxquels j’estime qu’il convient de remédier d’urgence si l’Europe entend mener à bien ses politiques d’intégration en tant que processus à double sens.
63. Les médias ont un rôle important à jouer dans ce domaine, mais, malheureusement, ils diabolisent trop souvent les immigrés et leurs enfants en insistant outre mesure sur des «scandales» réels ou supposés liés à des infractions ou à des abus du système de protection sociale, et les présentent comme un danger et comme une charge pour la société d’accueil. Or, les études et les données réelles montrent que les immigrés ne représentent pas un poids pour les sociétés qui les accueillent 
			(27) 
			Voir Doc. 13367 et la Résolution
1972 (2014).. Par exemple, dans des circonstances similaires, les immigrés ont moins tendance à recourir aux indemnités de chômage que les nationaux 
			(28) 
			Vivre
ensemble. Conjuguer diversité et liberté dans l’Europe du XXIe siècle,
Rapport du Groupe d’éminentes personnalités du Conseil de l’Europe,
2012.. Mais ce ne sont pas seulement les médias, ce sont aussi les hommes et les femmes politiques qui, souvent, diabolisent les immigrés pour leurs intérêts politiques à court terme, sachant que ces derniers ne votent pas. C’est une question qui a déjà été abordée par l’Assemblée dans sa Résolution 1889 (2012) sur l’image des migrants et des réfugiés véhiculée pendant les campagnes électorales. Les gouvernements font également montre d’un certain état d’esprit vis-à-vis des immigrés. Ainsi, les questions relatives à l’intégration sont souvent gérées au niveau des ministères de l’Intérieur, en relation avec les questions de sécurité, plutôt qu’en relation avec les affaires sociales ou autres 
			(29) 
			Au Royaume-Uni, le
ministère de l’Intérieur (Home Office) s’occupe des questions relatives
à l’intégration, en Allemagne, l’Office fédéral de l’immigration
et des réfugiés (BAMF) fait partie du ministère de l’Intérieur.. Il y a aussi sûrement des approches interministérielles !
64. La discrimination peut être fondée sur l’origine ethnique, mais elle peut aussi être fondée sur la religion. Depuis les attentats terroristes de septembre 2011, une nouvelle dimension de la sécurité s’est développée, entraînant des réactions de rejet à l’égard de l’islam. Cela a eu un impact sur l’intégration, notamment sur les perceptions des musulmans.
65. Il existe des études inquiétantes qui montrent à quel point les attitudes sont négatives à l’égard des musulmans. Selon l’une d’elles, le pourcentage de personnes ayant une opinion «plutôt défavorable» ou «très défavorable» des musulmans a augmenté, atteignant un niveau parfois proche des 50 % 
			(30) 
			Pew
Global Attitudes Project, septembre 2008, mentionné dans le rapport
«Vivre ensemble», p. 14.. Des études supplémentaires sur l’intégration des musulmans seraient toutefois nécessaires si l’on veut mieux comprendre les problèmes d’intégration qu’ils rencontrent 
			(31) 
			Des études comme celle
qui a été menée pour le compte de la Conférence allemande sur l’islam
et publiée par l’Office fédéral de l’immigration et des réfugiés
(BAMF) sur la vie des musulmans en Allemagne méritent d’être saluées. Par
exemple, cette étude a montré que le nombre de musulmans résidant
en Allemagne avait auparavant été largement sous-estimé et a attiré
l’attention sur les problèmes particuliers rencontrés par les enfants
musulmans malgré les progrès accomplis dans l’éducation en général.. La méconnaissance de l’islam et de ses racines culturelles conduit à confondre celui-ci et des phénomènes d’endoctrinement pouvant toucher toutes les religions (voir les travaux de l’Assemblée sur le sujet).
66. Il existe assurément une peur de l’extrémisme islamique, non seulement des complots terroristes, mais aussi des menaces de violence et du rejet des valeurs occidentales. Cette peur, qui, à son tour, favorise les préjugés et les stéréotypes, empêche l’ensemble des communautés de vivre ensemble en paix, et doit être surmontée. L’Alliance des civilisations des Nations Unies (UNAOC) a un rôle important à jouer dans le dialogue interculturel et interreligieux et peut aider à lutter contre cette peur et à apaiser les tensions entre les différentes communautés religieuses 
			(32) 
			Voir aussi le Livre
blanc du Conseil de l’Europe sur le dialogue interculturel, «Vivre
ensemble dans l’égale dignité » et la Résolution 1743 (2010) de l’Assemblée, «Islam, Islamisme et Islamophobie en
Europe»..
67. La religion et le dialogue interconfessionnel ont aussi un rôle à jouer dans la lutte contre la discrimination et la promotion de l’intégration. Les églises, les mosquées et les autres établissements religieux peuvent aider les immigrés à trouver du travail (promotion de l’intégration économique), à se familiariser avec la culture du pays (contribution à l’intégration culturelle) et à nouer des liens et des amitiés (faciliter l’intégration sociale).
68. La discrimination, qu’elle soit fondée sur la religion ou l’origine ethnique, peut créer un terrain propice aux crimes de haine qui ne sont pas simplement des actes violents ou des menaces dirigées contre un individu mais peuvent viser la collectivité dans son ensemble. L’échec des autorités à mener des enquêtes approfondies sur ces actes et à traduire leurs auteurs en justice a, jusqu’à présent, été l’une des principales causes de tensions avec les communautés immigrées. Par exemple, dans le cas du meurtre de Stephen Lawrence au Royaume-Uni il y a vingt ans, l’incapacité des autorités à mener à bien l’enquête a fait prendre conscience qu’il existait un profond racisme institutionnel au sein du système britannique. D’autres pays ont connu des incidents similaires, mais qui n’ont pas toujours donné lieu à un examen de conscience tel qu’engendré par l’affaire Lawrence.
69. En Allemagne, entre 2000 et 2006, une série de meurtres de commerçants a eu lieu, malencontreusement désignée par la presse sous le nom de «döner-morde» (meurtres de vendeurs de döner kebabs); huit personnes d’origine turque et une personne d’origine grecque ont été tuées. La façon dont l’enquête a été menée par la police a été vivement critiquée, notamment le refus de reconnaître la motivation raciste des crimes, le traitement des familles des victimes comme suspectes et le manque de clarté concernant les informations dont disposaient les autorités sur les meurtriers. Il est important que les pays tirent les leçons de ces événements tragiques et assument leurs responsabilités, comme l’a fait le Royaume-Uni en reconnaissant le «racisme institutionnel» après l’enquête Lawrence. Cependant, ce qu’il faut retenir de ces exemples, c’est l’effet que le fait de ne pas protéger les communautés immigrées contre de tels crimes peut avoir sur les immigrés eux-mêmes. S’ils ne se sentent pas protégés, s’ils pensent que la police ne donnera pas suite à un incident en menant une enquête appropriée, comment peuvent-ils se sentir en sécurité dans la société et être pleinement intégrés?
70. En conclusion, des études montrent que des personnes stigmatisées risquent davantage de devenir hostiles et de s’opposer au reste de la société. Nous devons donner un cadre à l’identité nationale, qui ne provienne pas de l’Etat, mais qui émane plutôt de la réalité de la nation. En cherchant à définir l’identité nationale, l’Etat ne peut être objectif.
71. Le Conseil de l’Europe a été extrêmement actif dans le domaine de la lutte contre la discrimination, en particulier via la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance, ses multiples Campagnes de jeunesse, notamment la plus récente contre le discours de haine, et les travaux du Commissaire aux droits de l’homme et du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux. Ce travail doit être pleinement soutenu par les Etats membres et mené plus avant.

3.5. Le regroupement familial

72. Il a été dit que «le regroupement familial n’est pas seulement une voie d’immigration pour les familles, c’est aussi le point de départ d’une intégration». Il est difficile d’imaginer comment une intégration pourrait être réussie sans le regroupement familial, notamment lorsqu’il s’agit d’un époux et d’une épouse ou de parents et d’enfants.
73. Les politiques gouvernementales en la matière ont fortement changé au cours des dix dernières années et ont pour la plupart restreint le droit au regroupement familial 
			(33) 
			Pour un examen approfondi
du sujet, voir Family Reunification: a barrier or facilitator of
integration? A comparative study, Tineke Strik, Betty de Hart, Ellen
Nissen.. Une série de mesures et de restrictions ont ainsi été adoptées: tests linguistiques et autres, limites d’âge et conditions financières (droits, visas et conditions de ressources) 
			(34) 
			Je n’ai pas insisté
sur la question des tests d’intégration/linguistiques et sur les
problèmes qu’ils peuvent poser pour l’intégration, dans la mesure
où elle est abordée dans le rapport de Mme Tineke Strik (Pays-Bas,
SOC) intitulé «Les tests d’intégration: aide ou entrave à l’intégration?» Doc. 13361, Résolution
1973 (2014) et Recommandation
2034 (2014)..
74. Deux exemples peuvent être donnés pour montrer leur impact. En Belgique, la ministre de l’Immigration et de l’Asile a annoncé que le pourcentage de demandes de regroupement familial acceptées était passé de 71 % en avril 2011 à 35,5 % en avril 2012. Au Royaume-Uni, la Commission consultative britannique sur les migrations (British Migration Advisory Committee) s’attendait à un taux de refus de 45 % pour les demandes de regroupement familial à la suite du durcissement des conditions exigées, en particulier de l’augmentation du niveau de ressources requis.
75. L’étude MIPEX montre que les procédures de regroupement familial sont devenues plus favorables dans cinq Etats membres de l’Union européenne et moins favorables dans 11 d’entre eux. Ainsi, il apparaît que les pays traditionnels d’immigration demandent aux immigrés de remplir des conditions auxquelles beaucoup de leurs propres nationaux ne pourraient pas satisfaire. Le Danemark, l’Allemagne, les Pays-Bas et le Royaume-Uni imposent aux immigrés un âge minimum du mariage plus élevé que celui qu’ils exigent de leurs ressortissants. L’Autriche, le Danemark et les Pays-Bas exigent des revenus plus élevés. L’Autriche, le Danemark, la France, l’Allemagne, les Pays-Bas et le Royaume-Uni imposent davantage de tests aux conjoints se trouvant à l’étranger. En revanche, la Belgique, le Portugal et la Suède ont fixé des conditions de revenu et de logement identiques pour les immigrés et les nationaux.

3.5.1. Que nous disent les immigrés?

76. Que les immigrés soient favorables au regroupement familial ne devrait pas être une surprise. Dans l’étude sur la manière dont les immigrés vivent l’expérience de l’intégration dans 15 villes européennes, les demandeurs acceptés ont insisté sur les effets positifs du regroupement familial. Presque toutes les personnes interrogées considéraient qu’il facilitait la vie familiale et plus de 80 % qu’il permettait aux immigrés de s’impliquer davantage. Dans environ 50 % des cas, il permettait aux immigrés de se sentir installés et il avait aidé 30 % d’entre eux à obtenir un meilleur emploi.
77. Dans l’étude, les immigrés ont indiqué les principaux problèmes qu’ils ont rencontrés pour être rejoints par leur famille. Environ la moitié des familles ont eu des difficultés, notamment à obtenir les documents nécessaires, à remplir toutes les différentes conditions requises et à faire face au pouvoir discrétionnaire des autorités.

3.5.2. Préoccupations et mesures à prendre

78. Tous les immigrés n’ont pas été affectés de la même manière, ce qui s’explique en partie par la Directive de l’Union européenne relative au regroupement familial. En effet, les ressortissants des Etats membres de l’Union européenne se sont trouvés avantagés par rapport aux ressortissants de pays tiers, visés par les restrictions au regroupement familial prévues par la directive. De plus, ce ne sont pas seulement les lois qui ont créé des obstacles, mais aussi les pratiques, notamment les retards dans les temps de traitement, l’attitude du personnel administratif et le contrôle des mariages et des liens familiaux. S’il existe assurément des abus de la part de certains candidats au regroupement, l’insistance des autorités sur la nécessité de les débusquer non seulement envoie un message malvenu à de nombreux immigrés, mais crée également le sentiment général que l’on abuse du système et que les mariages sont arrangés, voire forcés.
79. De plus, la multiplicité des conditions à respecter pèse lourdement sur les candidats et a un effet discriminatoire sur les personnes peu instruites ou cultivées, les personnes âgées, les femmes avec des enfants et les personnes vivant dans des régions reculées qui souhaitent rejoindre leur famille. Ce sont ces personnes qui ont le plus de difficultés à étudier en vue des examens ou des tests, à obtenir les documents nécessaires, à comprendre la procédure, et à se rendre dans les lieux où les cours sont dispensés, où les tests doivent être passés et où les documents doivent être déposés.
80. Le fait que le nombre croissant de restrictions au regroupement familial entrave l’intégration des immigrés suscite de réelles inquiétudes. Elles ont été résumées comme suit dans une étude récente 
			(35) 
			Voir Family Reunification:
a barrier of facilitator of integration?, p. 107-111..
81. Cependant, nous pouvons conclure que les mesures restrictives relatives à l'admission et au séjour des membres de la famille n'ont pas favorisé l'intégration et dans de nombreux cas, peuvent l'avoir entravée. Etre exclu signifie, de toute façon, que l’intégration n’est pas encouragée. Tout retard dans la procédure fait que les membres de la famille vivent séparément et, de ce fait, se concentrent sur la procédure et non sur la société d’accueil. Les enfants sont très affectés par ces retards, parce qu’au moins un parent leur manque et que leur apprentissage linguistique et leur intégration sont retardés. Ces conclusions vont à l’encontre de l’objectif d’intégration, officiellement utilisé par les gouvernements pour imposer des règles d’admission restrictives. 
82. C’est peut-être dans le domaine du regroupement familial que le conflit entre gestion de l’immigration et intégration se fait le plus ressentir. A une époque où de nombreux gouvernements cherchent à montrer à leur électorat qu’ils restreignent l’immigration, c’est dans le domaine du regroupement familial qu’ils sont le plus susceptible d’intervenir. Cependant, à mon avis, ces restrictions auront un impact négatif sur les perspectives d’intégration des familles.
83. Une attention particulière doit être portée à un accompagnement actif pendant plusieurs mois lors de l’arrivée des membres des familles en vue de les aider dans leurs démarches, s’assurer de leur intégration par l’apprentissage de la langue et la connaissance du pays, l’acquisition de qualifications professionnelles et l’existence de relais et soutiens dans les communautés de proximité.

4. Rôle et mandat de l’Union européenne dans le domaine de l’intégration

84. La question de l’intégration relève de la compétence des Etats membres, et l’Union européenne n’a donc pas de mandat pour harmoniser la législation ou la pratique dans ce domaine.
85. Cela étant, l’Union européenne a développé des principes de base communs et aide les Etats membres dans leurs efforts pour intégrer les immigrés par diverses initiatives telles que le Fonds européen d’intégration, le travail de plusieurs services de la Commission et le Forum européen sur l’intégration, qui a, par exemple, récemment publié une déclaration sur la participation des immigrés au processus démocratique. En décembre 2009, le Conseil européen a invité la Commission à identifier les bonnes pratiques européennes afin de définir des critères de référence pour évaluer les résultats des politiques d’intégration. L’année suivante, l’Union européenne a élaboré une stratégie pour la croissance, Europe 2020, qui comprend des «Lignes directrices intégrées». Ce document fixe une série de grands objectifs communautaires concernant l’accès au marché du travail, l’éducation et l’inclusion sociale.
86. Parmi les lignes directrices qui portent plus spécifiquement sur les stratégies d’intégration, certaines insistent sur la nécessité de «supprimer les obstacles à la mobilité professionnelle et géographique des travailleurs» et d’ouvrir «l’enseignement supérieur aux apprenants non traditionnels» 
			(36) 
			Site
web de la Commission européenne.

5. Conclusions

87. Le chemin vers l’intégration est long et complexe. Il est donc important de tirer les leçons de l’expérience et de ce qui a fonctionné dans les différents pays d’Europe et au-delà.
88. Tout au long du rapport, j’ai insisté sur le fait que l’intégration était un processus à double sens. C’est quelque chose qui prend du temps et qui s’opère sur plusieurs générations. L’intégration exige que la population du pays d’accueil et les communautés immigrées y travaillent ensemble. Une intégration réussie bénéficie à tous.
89. Selon moi, l’une des principales priorités est de créer un espace physique commun où les immigrés et la société d’accueil peuvent se rencontrer. Il importe également qu’il existe une tribune, qui puisse servir de base au débat sur l’intégration. Le Conseil de l’Europe a un rôle important à jouer à cet égard, compte tenu de son expérience, de ses instruments et de ses différents organes de protection des droits de l’homme. Enfin, les 17 principes directeurs énoncés dans le rapport «Vivre ensemble» offrent une bonne base dont les décideurs politiques, les leaders d’opinion et la société civile pourraient tirer parti.
90. Si, pour mesurer la réussite de l’intégration, nous prenons pour critère l’égalité de résultats des immigrés par rapport au reste de la population, alors il nous reste un long chemin à parcourir. Cependant, de nombreux immigrés et leurs familles se sont très bien intégrés en Europe et les exemples de bonnes pratiques abondent. Nous devons les mettre à profit 
			(37) 
			Voir
par exemple la liste de bonnes pratiques innovantes en matière d’intégration
présentée sur le site web <a href='www.integration.eu'>www.integration.eu</a> et le Manuel sur l’intégration à l’intention des décideurs
politiques et des praticiens (Troisième édition)..
91. Si nous voulons progresser, il importe de consolider ce que nous avons appris et regrouper les bonnes pratiques, les normes et les recommandations, notamment celles établies par des institutions internationales telles que le Conseil de l’Europe, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) 
			(38) 
			Voir en particulier
Ljubljana Guidelines on Integration of Diverse Societies., les Nations Unies et l’Union européenne et son Parlement 
			(39) 
			Voir, parmi les plus
récentes, la Résolution du Parlement européen du 14 mars 2013 sur
l'intégration des migrants, ses effets sur le marché du travail
et la dimension extérieure de la coordination en matière de sécurité
sociale (2012/2131(INI)..
92. L’un des plus grands dangers du moment réside dans le fait que les Etats, au lieu de prendre davantage de mesures en faveur de l’intégration, en prennent moins, en raison du climat économique et politique. C’est une erreur qui coûtera cher, non seulement pour les immigrés et leur expérience de l’intégration, mais aussi pour les sociétés d’accueil. C’est une erreur qui s’avérera également coûteuse d’un point de vue économique. En effet, s’ils sont bien intégrés, les immigrés ont beaucoup à apporter à la société sur le plan économique.
93. Il paraît nécessaire aussi de renouer avec des politiques globales qui assurent une meilleure redistribution de la richesse en direction des populations ayant de faibles ressources (économiques, culturelles et politiques) et «embarquant» avec elles l’ensemble des populations immigrées, récentes ou moins récentes, et dont les effets positifs pour tous seront à même de jouer favorablement pour ceux ayant le plus de difficultés sans effet stigmatisant pour elles et sans sentiment d’exclusion à rebours pour les autres.