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Résolution 1999 (2014) Version finale

Le “bateau cercueil”: actions et réactions

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l'Assemblée le 24 juin 2014 (21e séance) (voir Doc. 13532, rapport de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, rapporteure: Mme Tineke Strik). Texte adopté par l'Assemblée le 24 juin 2014 (21e séance).Voir également la Recommandation 2046 (2014).

1. L’Assemblée renvoie à sa Résolution 1872 (2012) «Vies perdues en Méditerranée: qui est responsable?», adoptée à la suite d’une enquête approfondie sur les responsabilités de ceux qui auraient pu porter secours aux 72 personnes embarquées le 26 mars 2011 à bord d’un petit canot pneumatique – connu plus tard sous le nom de «bateau cercueil» – dans un voyage vers l’Europe auquel neuf personnes seulement ont survécu.
2. Malheureusement, l’inventaire des vies perdues en mer ne s’est pas clos sur cet incident. Plus récemment, en octobre 2013, deux navires ont chaviré à proximité des côtes de Lampedusa, entraînant la mort de plus de 400 personnes. En mai 2014, il y a également eu des dizaines de morts et des centaines de personnes portées disparues à la suite de deux naufrages. Ces catastrophes ont révélé une nouvelle fois la nécessité impérieuse pour l’Europe et le reste du monde de combler les lacunes du cadre juridique, des politiques et des pratiques en matière de sauvetage en mer.
3. L’Assemblée reconnaît que d’importants efforts ont été consentis par les Etats membres, l’Italie en particulier, pour sauver davantage de vies en mer. Elle constate toutefois avec préoccupation qu’il subsiste des défaillances sur le plan de la coopération, de la définition et de la reconnaissance des responsabilités, ainsi que des enseignements qu’il faut en tirer. L’incident du bateau cercueil a clairement mis en relief l’urgence de garantir les droits fondamentaux, tout en respectant les impératifs de sécurité légitimes en termes de contrôle des frontières.
4. En conséquence, l’Assemblée veut renforcer ses précédentes recommandations et encourager l’adoption de mesures supplémentaires pour éviter à l’avenir les lacunes en matière de communication et de responsabilités lorsqu’il s’agit du sauvetage des personnes en détresse.
5. En vue d’appliquer une tolérance zéro au regard de la perte de vies humaines en mer, l’Assemblée recommande en outre aux Etats membres:
5.1. concernant le sauvetage en mer et les pertes de vies humaines:
5.1.1. d’adopter des normes communes, précises, contraignantes et exécutoires en ce qui concerne les opérations de recherche et de sauvetage, y compris le débarquement, qui soient pleinement conformes au droit maritime international et aux obligations découlant du droit international relatif aux droits de l’homme et du droit international des réfugiés;
5.1.2. d’œuvrer pour que les règles récemment adoptées en matière de surveillance des frontières maritimes extérieures de l’Union européenne dans le cadre des opérations de l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l’Union européenne (Frontex) soient étendues aux opérations nationales menées en dehors des opérations Frontex;
5.1.3. de s’engager à améliorer l’enregistrement et l’identification des migrants morts ou disparus en mer, et de faire en sorte que les survivants et les familles des victimes disposent d’un accès rapide aux informations les concernant;
5.1.4. d’assurer le maintien ou le rétablissement des liens familiaux à la suite d’opérations de sauvetage;
5.1.5. de s’engager à mener des enquêtes rapides, indépendantes et approfondies sur toute allégation de défaillances en matière de sauvetage des personnes en mer, et à déterminer les responsabilités en la matière;
5.1.6. de s’engager à aider les Etats côtiers à accroître les ressources pour les opérations de recherche et de sauvetage;
5.2. concernant la criminalisation de la migration irrégulière:
5.2.1. de supprimer les facteurs qui dissuadent les navires privés de procéder à des sauvetages, en faisant en sorte que les personnes secourues soient autorisées à débarquer rapidement et en mettant fin à la menace de poursuites pour complicité à l’immigration irrégulière, à l’origine de préjudices moraux et financiers;
5.2.2. d’enjoindre aux capitaines et aux pêcheurs de se conformer aux obligations qui leur incombent, en vertu du droit international, d’aider et de signaler aux autorités compétentes des Etats membres tout bateau migrant en détresse;
5.2.3. d’assurer aux capitaines et aux pêcheurs une indemnisation pour les éventuelles pertes financières occasionnées par des opérations de sauvetage;
5.3. concernant les pratiques de renvoi:
5.3.1. de mettre fin à toutes pratiques de renvoi et de s’assurer que les pratiques de sauvetage en mer respectent le droit de demander l’asile et le droit d’être protégé contre le refoulement;
5.3.2. de veiller à la crédibilité de toute enquête judiciaire ou mesure d’instruction dans une affaire de renvoi en garantissant leur indépendance, leur impartialité et leur transparence;
5.3.3. de condamner publiquement tout cas d’expulsion sommaire ou d’expulsion collective dont ils auraient connaissance et de déterminer les responsabilités en la matière;
5.3.4. de veiller en particulier à ce que les procédures d’asile accélérées et l’évaluation de la situation personnelle menées dans le cadre d’opérations de recherche et de sauvetage respectent le droit des individus à la protection contre le refoulement, conformément aux Lignes directrices de 2009 du Conseil de l’Europe sur la protection des droits de l’homme dans le contexte des procédures d’asile accélérées; de veiller à ce que toutes les personnes interceptées aient accès à des procédures individuelles pour demander une protection internationale ou mettre en avant d’autres besoins en matière de protection, et à ce qu’elles bénéficient d’un recours effectif contre toute décision de retour;
5.3.5. de veiller à ce que les accords de réadmission bilatéraux soient rédigés et mis en œuvre en totale conformité avec les normes du droit international relatif aux droits de l’homme et du droit international des réfugiés, et à ce qu’ils incluent une protection effective des droits de l’homme et un accès à une évaluation individualisée appropriée et équitable;
5.4. concernant l’affaire du bateau cercueil:
5.4.1. de coopérer sans réserve pour trouver des réponses aux questions en suspens, en informant convenablement et rapidement la rapporteure de la position de leurs bâtiments au moment où l’embarcation concernée dérivait en quête de secours, et des messages reçus par leurs bâtiments;
5.4.2. d’accorder un droit de séjour aux survivants dont les demandes d’asile ou d’autorisation de séjour pour des motifs humanitaires sont encore en instance;
5.5. de faire preuve d’encore plus de solidarité avec les pays tiers en permettant à un plus grand nombre de réfugiés de bénéficier de programmes de réinstallation ou d’accueil temporaire, et de garantir un accès à la protection en toute sécurité.
6. Afin d’encourager la création de voies de migration légales et sûres, de dissuader les migrants en situation irrégulière, les demandeurs d’asile et les réfugiés d’entreprendre des périples risqués vers l’Europe, et d’établir un partage des responsabilités en matière d’asile au sein de l’Union européenne, l’Assemblée recommande à l’Union européenne:
6.1. d’encourager ses Etats membres à augmenter les quotas de réinstallation pour les personnes nécessitant une protection internationale et d’adopter une approche commune en ce qui concerne les visas humanitaires; d’examiner toutes les possibilités d’entrée protégée et de voies de migration permettant aux migrants d’entrer de manière régulière en Europe.
6.2. de prendre des mesures pour poursuivre l’harmonisation des normes et procédures communes en matière d’asile au sein de l’Union européenne, par exemple en envisageant un traitement conjoint des demandes d’asile et la création d’un statut uniforme; d’étudier d’autres possibilités de renforcer la solidarité à l’égard des demandeurs d’asile et des réfugiés au sein de l’Union européenne;
6.3. de renforcer les programmes de protection régionale et d’assurer leur pérennité par un financement adéquat; de soutenir ses pays voisins dans l’amélioration de leurs systèmes d’asile et de protection par le biais de partenariats pour la mobilité, et de subordonner la poursuite de la coopération en matière de migration et de contrôle des frontières à un niveau suffisant de protection des demandeurs d’asile dans ces pays;
6.4. de veiller à ce que Frontex fasse de la protection des droits fondamentaux une priorité de ses opérations conjointes, et notamment qu’elle cherche à acquérir la faculté – qui n’est toujours pas prévue dans la réglementation récemment adoptée – d’appliquer les règles (en matière de recherche et de sauvetage, de débarquement et de non-refoulement) aux bateaux de migrants dans les eaux territoriales d’Etats tiers se trouvant clairement dans l’incapacité de remplir leurs obligations internationales en matière de recherche et de sauvetage en mer et de garantir les droits des migrants en situation irrégulière, des demandeurs d’asile et des réfugiés;
6.5. de veiller à ce que Frontex établisse un mécanisme effectif de plaintes individuelles pour violations de droits fondamentaux, afin de mieux rendre compte de son action;
6.6. de veiller à ce que le mécanisme du système européen de surveillance des frontières EUROSUR contribue à protéger et à sauver des vies aux frontières extérieures de l’Union européenne;
6.7. d’adopter des mesures pour interdire les sanctions pénales à l’égard de navires privés lorsque ceux-ci effectuent des opérations de sauvetage et de recherche, et pour les dédommager s’ils subissent un préjudice économique pour avoir participé à des opérations de sauvetage;
6.8. de mettre en place un système adéquat de collecte d’informations sur les dépouilles des personnes mortes en Méditerranée et de le rendre accessible rapidement aux familles.
7. L’Assemblée recommande à l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN):
7.1. de tenir compte, dans toute opération de l’OTAN, des éventuels mouvements de personnes nécessitant une protection internationale, et de passer des accords avec tous les pays concernés pour s’assurer que ces personnes sont prises en charge;
7.2. de s’assurer que toutes les unités de l’OTAN sont équipées de l’une des versions du système mondial de détresse et de sécurité en mer (SMSDM) et ont les moyens de recevoir des messages de détresse (Hydrolant);
7.3. de publier les conclusions du processus de retour d’expérience par lequel elle a examiné les moyens de renforcer le partage d’informations et les procédures relatives à la recherche et au sauvetage maritimes lors d’opérations conduites par l’OTAN.
8. L’Assemblée estime que l’Organisation maritime internationale (OMI) devrait contribuer à promouvoir une application commune et efficace du cadre juridique relatif au sauvetage en mer, car, aujourd’hui encore, les différences d’approche retardent excessivement, voire empêchent le sauvetage de personnes en détresse en mer. A cette fin, elle recommande à l’OMI:
8.1. d’intensifier ses efforts pour élaborer un mémorandum d’accord régional relatif aux procédures visant à faciliter la coordination des opérations de recherche et de sauvetage ainsi que le débarquement de personnes secourues en Méditerranée;
8.2. de promouvoir de nouvelles consultations afin de modifier et d’appliquer le cadre juridique actuel, et en particulier les conventions de l'OMI, avec des règles et des définitions plus claires et plus strictes;
8.3. de modifier la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (SOLAS) afin de prévoir expressément que les exceptions s'appliquant de façon générale aux navires de guerre et aux transports de troupes ne concernent pas les équipements et dispositifs essentiels de recherche et de sauvetage permettant de transmettre et de recevoir des signaux de détresse, ainsi que de communiquer pendant les opérations de recherche et de sauvetage.