Imprimer
Autres documents liés
Addendum au rapport | Doc. 13651 Add. | 26 janvier 2015
La situation humanitaire des réfugiés et des personnes déplacées ukrainiens
Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées
1. Introduction
1. Dans le cadre de mon rapport, je me suis rendu à
Kiev et Kharkiv, en Ukraine, du 16 au 19 novembre et à Moscou et
Rostov-sur-le-Don, en Fédération de Russie, du 8 au 10 décembre
2014. Lors de sa réunion de Bucarest, en Roumanie (27-28 novembre
2014), la commission des migrations, des réfugiés et des personnes
déplacées a convenu que je présenterais, pendant la partie de session
de janvier 2015, un addendum au rapport qu’elle venait d’adopter,
contenant mes observations sur les deux visites. Je tiens à remercier
ici les délégations de l’Ukraine et de la Fédération de Russie pour
leur assistance lors de la préparation des visites, ainsi que toutes
les personnes que j’ai rencontrées à cette occasion.
2. Visite en Ukraine
2. La majorité des personnes déplacées du fait du conflit
dans l’est de l’Ukraine, et de l’annexion de la Crimée par la Fédération
de Russie, se trouvent encore en Ukraine. Leur nombre continue à
augmenter: au moment de ma visite, le Service d’Etat des situations
d’urgence recensait 454 456 personnes déplacées à l’intérieur du
pays (PDI), et au moment de la rédaction du présent addendum (mi-décembre)
leur nombre était de 542 080. Il est toutefois communément considéré
que leur nombre réel est au moins deux ou trois fois supérieur à
ce chiffre. Les PDI n’ont aucune obligation légale de se déclarer
comme telles, sauf si elles veulent bénéficier d’une assistance
sociale, et il m’a été rapporté que certaines de ces personnes préféraient
ne pas se faire connaître de peur que les informations sur leur
situation parviennent jusqu’à leur région d’origine. D’un autre
côté, il a été suggéré que de nouvelles procédures (voir ci-dessous)
pourraient avoir favorisé une augmentation du nombre de déclarations.
Il est considéré qu’entre 3,5 et 4 millions de personnes se trouvent encore
dans les régions contrôlées par les séparatistes. Tous mes interlocuteurs
me l’ont confirmé: le souhait le plus cher des PDI est que les combats
s’arrêtent et qu’elles puissent rentrer chez elles.
3. Les autorités de Kharkiv ont fourni des informations qui illustrent
l’impact des PDI. Plus de 130 000 PDI venues de Donetsk et Lougansk
ont déclaré leur présence dans la région de Kharkiv. Sur ce nombre,
35 000 avaient besoin d’une assistance médicale, dont plus d’un
millier pour des maladies graves telles que le cancer, plus de 100
personnes séropositives et plus de 150 tuberculeux, environ 300
diabétiques et 33 personnes ayant quotidiennement besoin d’une dialyse.
Il y avait plus de 1 500 femmes enceintes parmi les PDI nouvellement
arrivées, entraînant plus de 700 naissances (à la mi-novembre),
dont une centaine avec des complications. Cette assistance médicale
a coûté 27 millions UAH (environ $US 1,74 millions ) à ce jour, auxquels 7
millions UAH devraient encore s’ajouter jusqu’à la fin de 2014.
Concernant l’éducation, la présence d’enfants DPI d’âge scolaire
a pesé lourdement sur les budgets consacrés à l’enseignement, exposés
à un déficit de 22 millions UAH. De même, les inscriptions de PDI
ont entraîné une augmentation de près de 10 % du nombre d’étudiants
de l’université de Kharkiv. Ces charges budgétaires n’avaient pas
été anticipées, ce qui a provoqué une compétition pour l’obtention
de ressources: les dépenses destinées aux résidents de Kharkiv seront
diminuées et certains programmes sont menacés. Les autorités espèrent
que le gouvernement central ou la communauté internationale combleront
les déficits occasionnés.
4. Les représentants des organisations internationales et des
organisations non gouvernementales (ONG) que j’ai rencontrés en
Ukraine considèrent que la contribution de l’ensemble de la population
et de la société civile a été déterminante pour répondre aux besoins
immédiats des PDI, en particulier pendant la phase la plus extrême
de déplacements de populations qui a suivi la détérioration subite
de la sécurité à partir de juin 2014. Nombre de ces interlocuteurs
ont considéré que les autorités nationales n’avaient pas, du moins
jusque récemment, pris toute la mesure du problème et n’y avaient
pas apporté une réponse adéquate. Le gouvernement a souligné que
l’Ukraine n’avait aucune expérience sur la manière de faire face
à une crise humanitaire de ce type, qui a été complètement inattendue
et dans laquelle elle n’a aucune responsabilité. Des organes spécialisés
tels que le Service d’Etat des situations d’urgence, malgré tous
leurs efforts, n’étaient pas préparés et ne disposaient pas des
ressources nécessaires. Des représentants du Haut-Commissariat des Nations
Unies pour les réfugiés (HCR) et d’ONG locales m’ont parlé d’obstacles
bureaucratiques à leurs activités. Les organisations internationales
ont mentionné le risque que la générosité de la population s’émousse
et que les ressources de la société civile s’épuisent dans un avenir
proche. Plus globalement, il a été suggéré que les problèmes de
mauvaise gouvernance que l’Ukraine connaît de longue date, en particulier la
corruption, risquaient d’être aggravés par la situation dans l’est
du pays et par la crise des PDI, lesquels ne pourront trouver une
issue favorable si des réformes ne sont pas entreprises pour résoudre
ces problèmes.
5. Nombre de nos interlocuteurs estiment que le cadre juridique
de l’Ukraine concernant les PDI reste insuffisant. Bien que le Président
Porochenko ait promulgué la nouvelle loi sur les PDI immédiatement
après ma visite, le texte doit encore être pleinement mis en œuvre,
y compris (comme l’a mentionné par exemple le Bureau du médiateur
parlementaire pour les droits de l’homme) sur des questions telles
que le logement, l’activité économique et l’emploi. Un problème
peut tenir aux incohérences entre les instruments d’application et
la loi elle-même, par exemple sur des questions aussi fondamentales
que la définition d’une PDI .
Le HCR m’a indiqué qu’il y avait diverses interprétations du cadre
juridique de la part des collectivités locales. Un nouveau système
de recensement des PDI, placé sous la responsabilité du ministère
de la Politique sociale (alors qu’il relevait précédemment du Service
d’Etat des situations d’urgence), a été établi en vertu de la résolution
n° 509 du 1er octobre 2014 du Cabinet
des ministres. Néanmoins, plusieurs interlocuteurs ont évoqué la
nécessité d’améliorer la coopération entre les autorités publiques,
notamment le Service d’Etat des situations d’urgence et le ministère
de la Politique sociale. Le gouvernement m’a indiqué qu’un nouvel
organe serait créé pour diriger l’action relative aux PDI et la
restauration du Donbas. Ces deux questions seront traitées par des
sections distinctes du nouveau service, dotées chacune de moyens
suffisants et équivalents. Au final, mon sentiment général est celui
d’un manque de clarté, en particulier quant aux détails pratiques.
6. Le Bureau du médiateur parlementaire pour les droits de l’homme
a indiqué que le problème le plus urgent pour les PDI était le logement:
le gouvernement n’a encore adopté aucune réglementation à ce sujet, de
sorte que les PDI inscrites sur les listes d’attente d’un logement
public le sont avec le même niveau de priorité que les autres personnes.
Bien que la plupart des PDI habitent dans diverses formes de logements privés,
le HCR m’a indiqué qu’environ 10 % d’entre elles vivaient encore
dans des centres collectifs n’ayant toujours pas été adaptés aux
conditions hivernales. Des logements supplémentaires sont proposés,
y compris sous la forme de bâtiments préfabriqués, mais ils ne peuvent
être occupés que pendant un mois, après quoi les PDI sont tenues,
avec l’aide des autorités, de trouver un autre logement. Les autorités
de Kharkiv m’ont affirmé que toutes les PDI concernées avaient été
relogées dans des bâtiments adaptés aux conditions hivernales. Malgré
cela, je me suis rendu au centre collectif privé «Romashka», dans
la banlieue de Kharkiv, dont les propriétaires m’ont dit qu’ils
étaient submergés par les demandes de logements de PDI, bien que
le centre n’était pas encore adapté aux conditions hivernales, puisqu’il
y manquait par exemple le chauffage central.
7. Les représentants des organisations internationales et des
ONG ont en particulier fait part de leur préoccupation au sujet
de l’impact socio-économique des PDI. Ils ont le sentiment que l’Ukraine
atteindra rapidement sa capacité d’absorption, alors qu’une certaine
lassitude des collectivités et des populations locales et le mécontentement
croissant des PDI font naître des divisions. De nombreux interlocuteurs
ont évoqué une discrimination à l’encontre des PDI dans les domaines
du logement et de l’emploi, fondée peut-être sur une sorte d’«étiquette
politique» de sympathies pro-russes, quoiqu’il m’ait aussi été rapporté
que la discrimination la plus marquée visait les PDI roms. Beaucoup
considèrent que cette discrimination pourrait entraîner une radicalisation
des PDI et qu’il y a un besoin de plus en plus urgent de mesures
de réconciliation pour restaurer la confiance. Il y a semble-t-il
une planification insuffisante des éventuels déplacements de longue
durée. Les responsables gouvernementaux m’ont dit que le but du
gouvernement avait été jusqu’à présent d’éviter les concentrations
de PDI et de faciliter leur adaptation et leur intégration dans
des conditions normales, mais que des fonds plus importants étaient
nécessaires pour garantir la mise à disposition de logements et
la prise en charge des besoins fondamentaux. Les représentants des
autorités de Kharkiv ont demandé où les PDI vivraient à plus longue
échéance: même dans les zones libérées, ou dans tout autre endroit
où la paix sera rétablie, ceux dont les maisons ont été détruites
n’ont nulle part où aller. Comment ces maisons ou les autres infrastructures
ou bâtiments détruits seront-ils reconstruits, et avec quels financements?
8. J’ai été alarmé par certaines mesures prises par le pouvoir
central dans le but d’isoler les populations des zones contrôlées
par les séparatistes. Le décret présidentiel n° 875/2014 (4 novembre
2014) exigeait la fermeture des entreprises, institutions et organisations
de l’Etat et l’évacuation de leurs employés et le retrait de biens
et de documents de ces zones. Il m’a été dit qu’en conséquence de
ce décret, par exemple, des établissements destinés aux enfants
handicapés situés dans les zones en question étaient privés de fonds
leur permettant de rémunérer leur personnel ou de payer leurs factures,
sans que rien ne soit fait pour retirer les enfants de ces établissements.
Le décret appelait aussi à transférer les prisonniers et les personnels pénitentiaires
des zones contrôlées par les séparatistes vers celles qui sont sous
le contrôle du gouvernement. Malgré cela, j’ai appris que des milliers
de condamnés étaient encore détenus dans des prisons situées sur
les territoires contrôlés par les séparatistes, qui ne disposaient
plus de suffisamment de personnel et manquaient de denrées essentielles,
y compris alimentaires. Cette situation est particulièrement inquiétante,
d’autant plus que les conditions de détention dans les prisons d’Ukraine
sont déjà déplorables, comme l’a signalé notamment le Comité européen
pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains
ou dégradants (CPT). Un autre effet du décret a été la fermeture
des services bancaires dans les zones contrôlées par les séparatistes,
ce qui signifie que les guichets automatiques ne fonctionnent plus
et que les personnes n’ont plus accès à leurs comptes bancaires.
De plus, la résolution n° 595 (7 novembre 2014) du Cabinet des Ministres
a interrompu le versement des pensions et autres prestations sociales
dans les zones en question. En conséquence, les personnes qui ne
souhaitaient ou ne pouvaient pas partir pour les zones contrôlées
par le gouvernement se sont retrouvées totalement démunies. Le gouvernement
a déclaré qu’il était quasiment impossible de transférer des fonds
et de faire des versements aux personnes vivant dans les zones contrôlées
par les séparatistes et que les fonds transférés avaient été volés
et détournés par des séparatistes et des criminels. Compte tenu
des conditions de vie des personnes qui vivent encore dans les zones
contrôlées par les séparatistes (voir ci-dessous), je considère,
quelles que soient les raisons qui ont motivé l’adoption de ces
mesures, que leurs effets s’appliquent de manière complètement indifférenciée
et que, dans de nombreux cas, ils seront gravement disproportionnés,
en particulier pour les plus vulnérables. Ces mesures risquent en outre
d’amener ces populations et d’autres à ne plus soutenir l’unité
nationale.
3. Visite en Fédération de Russie
9. Il est difficile d’établir avec certitude le nombre
réel d’Ukrainiens partis en Russie pour fuir les conflits de l’est
de l’Ukraine. Les chiffres de 800 000 à 1 000 000, souvent cités
par les responsables politiques et les médias russes, sont contestés
par des organisations internationales et des ONG, qui pensent que
ces chiffres tendancieux concernent en réalité le nombre total des
personnes ayant franchi la frontière entre l’Ukraine et la Russie
en 2014. Ce qu’on peut affirmer avec certitude, c’est qu’en début
décembre 2014 le Service fédéral russe des migrations avait recensé
237 131 demandeurs d’asile ukrainiens en Fédération de Russie depuis
le début de l’année, tandis que 228 590 autres personnes avaient
demandé à résider dans le pays d’une autre manière. Il est à noter
que les Ukrainiens peuvent maintenant obtenir des visas temporaires
valides pendant neuf mois et ne sont pas tenus de déclarer officiellement
leur présence jusqu’à l’expiration de cette période. Lorsque ces
visas expireront, par conséquent, il pourrait y avoir une augmentation
du nombre de demandes d’asile ou d’autres statuts de la part des
personnes qui ne peuvent ou ne souhaitent pas retourner en Ukraine. On
ne dispose pas de chiffres plus exacts provenant d’autres sources,
puisque l’assistance du HCR (par exemple) n’a pas été sollicitée
pour répondre aux besoins de protection des réfugiés et des personnes déplacées.
Le HCR n’a donc pas publié d’estimations sur le nombre de ces personnes.
10. La plupart des réfugiés et personnes déplacées ukrainiens
se trouvent dans la région de Rostov, frontalière avec l’Ukraine.
J’ai appris auprès de la Croix-Rouge russe qu’au 8 décembre il y
avait 39 070 de ces personnes dans la région, parmi lesquelles 11 562
enfants et 372 personnes handicapées; 1 344 d’entre elles résidaient
dans des centres d’hébergement temporaire, les autres habitant chez
des amis ou des parents, dans des familles d’accueil, etc. Le nombre
des réfugiés et personnes déplacées hébergés dans des centres d’hébergement
temporaire avait diminué jusque début décembre, lorsqu’il a commencé
à augmenter de nouveau. En effet, certaines des personnes retournées
en Ukraine précédemment n’ont pas pu y rester et ont donc dû revenir
en Russie.
11. Les autorités russes ont accompli des efforts remarquables
en réponse à l’afflux de réfugiés et de personnes déplacées depuis
l’été, tout en choisissant de ne pas demander l’aide d’organisations internationales
telles que le HCR. Celui-ci suit cependant la situation dans le
pays, de même que d’autres organisations comme le Comité international
de la Croix-Rouge (CICR). Des mesures juridiques ont rapidement
été adoptées, les procédures administratives (par exemple pour la
reconnaissance du statut) ont été accélérées et l’assistance, y
compris la prise en charge médicale et la scolarisation, a été proposée
à un niveau supérieur aux normes internationales (par exemple, trois
repas chauds par jour dans les centres d’hébergement temporaire).
La Croix-Rouge russe , active dès le départ, a
collecté 76 millions RUB (environ $US 1,4 millions ) de dons publics. La plus
grande partie de cette somme a maintenant été dépensée, notamment
en nourriture, vêtements et produits médicaux. La Croix-Rouge russe
coopère étroitement avec les autorités russes, dont les actions
sont dans certaines circonstances limitées par le fait que les réfugiés
et les personnes déplacées ne sont pas tous des citoyens russes:
par exemple, la Croix-Rouge russe a pu accorder un traitement préférentiel
aux personnes handicapées, ce qui était interdit aux autorités russes.
12. La politique des autorités russes consiste à limiter les concentrations
de réfugiés et de personnes déplacées dans les régions frontalières
avec l’Ukraine, qui dans le cas de Rostov ont rapidement atteint
leur seuil de saturation (un état d’urgence a été déclaré en juin).
Une fois déclarés, les nouveaux arrivants sont informés des possibilités
d’emploi adaptées dans d’autres régions, où ils peuvent aussi recevoir
une aide pour se loger. Par exemple, le Donbas est une région minière,
et de nombreux réfugiés et personnes déplacées ayant les compétences
nécessaires ont donc trouvé un emploi en Sibérie. Il m’a été garanti
que de tels transferts étaient volontaires et que d’ailleurs certaines
personnes étaient revenues dans la région de Rostov, soit parce
qu’elles trouvaient que leur région de destination était trop inhospitalière
ou pour se rapprocher de l’Ukraine et attendre un éventuel retour
dans leur région d’origine. A quelques exceptions près, parmi lesquelles
Moscou, Saint-Pétersbourg et la Tchétchénie , chaque région
dispose d’un quota de personnes relocalisées. J’ai eu connaissance
de cas où des personnes n’ont pas pu aller à Moscou, par exemple,
bien que des membres de leur famille proche y résident déjà. Cette
politique devrait être appliquée avec une certaine souplesse.
13. D’après les informations qui m’ont été communiquées par le
HCR, le fait que les autorités russes réorientent des ressources
vers les Ukrainiens qui demandent une protection a notamment pour
conséquence que d’autres groupes devant bénéficier d’une protection
d’urgence, comme les Syriens, les Irakiens et les Afghans, se voient
vu refuser l’accès à la procédure d’asile. Il m’a aussi été rapporté
que les réfugiés et les personnes déplacées d’Ukraine étaient beaucoup
mieux traités par les autorités russes que les membres de certains
groupes vulnérables de citoyens russes, tels que les sans-abri.
Peut-être, pour des considérations générales de protection humanitaire,
un certain rééquilibrage de l’allocation de ressources est-il nécessaire, de
manière à éviter toute discrimination injustifiée.
4. Situation dans les régions d’Ukraine non contrôlées par les autorités ukrainiennes
14. La situation dans les régions d’Ukraine contrôlées
par les séparatistes, et à proximité de ces régions, est un vif
sujet d’inquiétude à la fois en Ukraine et en Russie. Des représentants
de Memorial et de Human Rights Watch qui se sont rendus récemment
dans ces régions m’ont rapporté des cas de violations graves des droits
de l’homme et du droit humanitaire international et fait état d’une
situation humanitaire «effroyable». Malgré le cessez-le-feu de Minsk
décidé en septembre, des personnes ont encore été tuées et blessées .
Les deux camps ont bombardé indistinctement des quartiers résidentiels,
utilisé des armes à sous-munitions et – principalement les forces
séparatistes – stationné des personnels et des équipements militaires
à proximité de bâtiments résidentiels. J’ai aussi eu connaissance
de violences fondées sur le genre, y compris des viols; de pénurie
de nourriture, d’eau, de gaz et d’électricité, avec des cas signalés
de personnes mortes de faim ou de froid; de mauvaises conditions
de logement, avec des personnes vivant dans des maisons à-demi détruites
et dans des caves; l’absence totale d’Etat de droit, marquée par
une réglementation insuffisante des forces de police, des tribunaux
et des lieux de détention; un chômage de masse et le non-paiement
des salaires; le manque d’accès à l’éducation, à la santé et à la
prise en charge des personnes âgées, dont la plupart vivent seules;
les problèmes de liberté de circulation, avec l’obligation de verser
des pots-de-vin, le harcèlement et les violences physiques en particulier
aux postes de contrôle, qu’ils soient tenus par des séparatistes,
des bataillons volontaires ou les forces armées régulières, etc.
Fait le plus saisissant, certaines personnes ayant aussi connu Grozny
pendant les guerres de Tchétchénie m’ont indiqué que les conditions
étaient aujourd’hui comparables dans certains endroits. D’une certaine
manière, il est regrettable que je n’aie pas pu m’y rendre, car
ce sont les endroits où les conditions sont de loin les plus extrêmes.
Je note que le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe
a publié des informations sur ses récentes visites dans des zones
voisines de celles qui sont contrôlées par les séparatistes, et
que le Haut-Commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies
rend régulièrement compte de la situation, et j’attends avec intérêt
le rapport imminent de Human Rights Watch/Memorial sur la situation
dans les zones contrôlées par les séparatistes .
15. Bien que je ne me sois pas rendu en Crimée, je ne voudrais
pas donner le sentiment – par omission – que la situation de cette
région ne reste pas vivement préoccupante, ce que m’ont confirmé
nombre de mes interlocuteurs en Ukraine. Je rappellerai donc les
rapports, entre autres, du Commissaire aux droits de l’homme, du
Comité consultatif sur les minorités nationales, du Haut-Commissariat
des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) et de Human Rights
Watch, confirmés lors de ma rencontre avec le Bureau du Commissaire
parlementaire aux droits de l’homme .
Toutes ces sources décrivent des violations massives commises notamment
contre des membres de la communauté tatare de Crimée et son organe
représentatif, la Meijlis, ainsi que contre les défenseurs des droits
de l’homme, les militants politiques, les journalistes et d’autres
voix dissidentes. La peur a poussé des dizaines de milliers de personnes,
principalement des Tatars de Crimée, à fuir la péninsule vers d’autres
régions d’Ukraine. Environ 20 000 se sont déclarées en tant que PDI,
mais les ONG que j’ai rencontrées estiment que leur nombre réel
pourrait être trois fois plus élevé et qu’il pourrait augmenter
fortement en 2015 au terme de la période de transition pour recevoir
un passeport russe. Bien que l’annexion de la Crimée par la Russie
soit une violation du droit international, les autorités russes, parce
qu’elles exercent de fait un contrôle sur ce territoire, sont légalement
responsables de la protection de toutes les personnes qui y vivent
en vertu de la Convention européenne des droits de l’homme (STE
n° 5).
5. Conclusions finales
16. En Ukraine comme en Fédération de Russie, la quasi-totalité
de mes interlocuteurs m’ont affirmé que les PDI, les réfugiés et
les personnes déplacées voulaient avant tout qu’il soit mis fin
au conflit et avoir la possibilité de rentrer chez elles. Je me
félicite par conséquent de l’apaisement significatif des combats
depuis le cessez-le-feu renouvelé qui a débuté le 9 décembre 2014,
qu’on a appelé la «Journée du silence». Un cessez-le-feu complet
et durable et un règlement politique pacifique de la crise, basé
sur le respect de l’indépendance, de la souveraineté et de l’intégrité
territoriale de l’Ukraine, sont deux conditions fondamentales d’une
résolution permanente de la situation humanitaire.