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Résolution 2031 (2015) Version finale
Attaques terroristes à Paris: ensemble, pour une réponse démocratique
1. L’Assemblée parlementaire est indignée
par les attaques terroristes barbares des 7, 8 et 9 janvier 2015 à
Paris, qui ont causé la mort de 17 personnes, au nombre desquelles
figuraient des journalistes, des caricaturistes et des membres du
personnel tués de sang-froid au siège du journal satirique Charlie Hebdo, des policiers et
des personnes de confession juive. L’Assemblée s’associe à la douleur
des familles des victimes et exprime sa solidarité au côté des autorités
et du peuple français.
2. Plus qu’une attaque contre la liberté d’expression ou qu’un
nouvel acte de violence antisémite – ce qu’elles étaient aussi –
ces attaques visaient les valeurs mêmes de démocratie et de liberté
en général, le type de société que notre Organisation paneuropéenne
s’attache à bâtir depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
3. Ces attaques terroristes se fondaient sur la haine, que rien
ne saurait justifier, et il convient de rejeter fermement toute
tentative de trouver des excuses aux actes des meurtriers. Il ne
doit pas y avoir de «mais». Comme le déclare l’Assemblée dans sa Résolution 1258 (2001) sur
les démocraties face au terrorisme, «rien ne peut justifier le terrorisme».
4. Par ailleurs, l’Assemblée tient à souligner que, bien évidemment,
ces attaques terroristes n’étaient pas le fruit d’un prétendu complot
destiné à stigmatiser l’Islam ou les musulmans, mais une action
concertée destinée à réduire au silence, par le crime, des journalistes
et un journal emblématiques de la liberté d’expression; et à tuer
des personnes pour la seule raison qu’elles sont juives ou des policiers
parce qu’ils incarnent la défense des institutions et l’Etat de
droit.
5. L’Assemblée rappelle que, conformément à une jurisprudence
bien établie de la Cour européenne des droits de l’homme, l’utilisation
de la satire, y compris irrévérencieuse, et les informations ou
idées «offensantes, choquantes ou perturbantes», y compris les critiques
de la religion, sont protégées dans le cadre de la liberté d’expression
consacrée par l’article 10 de la Convention européenne des droits
de l’homme (STE no 5, «la Convention»).
Ce sont là les conditions de ce pluralisme, de cette tolérance et
de cette ouverture d’esprit sans lesquels il ne saurait y avoir
de société démocratique.
6. Liberté rime avec responsabilité, et il incombe aux institutions
démocratiques, notamment les tribunaux, de trouver le juste équilibre
entre la liberté d’expression et ses limitations autorisées, par
exemple le discours de haine et l’incitation à la violence – qui
devraient figurer dans la législation de tous les Etats européens
– sous l’ultime contrôle de la Cour européenne des droits de l’homme.
Dans ce contexte, l’Assemblée rappelle sa Résolution 1510 (2006) sur la liberté
d’expression et le respect des croyances religieuses dans laquelle
elle déclarait que «la liberté d’expression, telle qu’elle est protégée
en vertu de l’article 10 de la Convention européenne des droits
de l’homme, ne doit pas être davantage restreinte pour répondre
à la sensibilité croissante de certains groupes religieux».
7. L’Assemblée note que le fait que les terroristes aient revendiqué
leur action «au nom de l’Islam», insultant par là même la religion
qu’ils prétendaient défendre, a incité bon nombre de figures religieuses musulmanes
de premier plan, de représentants d’associations islamiques mais
aussi un très grand nombre de citoyens de confession musulmane à
condamner les attaques et à mettre en garde contre le risque de stigmatisation.
L’Assemblée condamne fermement tous les actes malveillants, actuellement
en augmentation, à l’encontre des citoyens de confession musulmane
et de leurs lieux de culte.
8. Dans le même temps, le fait que les trois djihadistes aient
été des Français, qui sont nés et ont grandi dans un milieu défavorisé,
et que bon nombre de personnes se disant musulmanes, en particulier
parmi les jeunes, aient pris le parti des terroristes dans les réseaux
sociaux, a déclenché un double débat: d’une part sur la nécessité
d’apporter d’urgence une réponse commune, internationale mais aussi
spécifiquement européenne, à la menace djihadiste; et d’autre part
sur la nécessité de combattre l’exclusion sociale, la discrimination,
la violence et la ségrégation, qui font le lit du terrorisme et
du fanatisme religieux.
9. Rappelant les actes de violence récemment commis à l’encontre
de juifs à Toulouse et à Bruxelles, l’Assemblée réitère sa condamnation
de tout acte antisémite. Elle écarte entièrement toute idée selon
laquelle le conflit arabo-israélien ou les autres événements du
Moyen-Orient ou d’autres régions pourraient éventuellement justifier
ces actes au sein de nos sociétés démocratiques européennes.
10. Toute l’Europe a condamné d’une seule voix les attaques et
porté le deuil des victimes innocentes des 7, 8 et 9 janvier 2015,
et toute l’Europe a marché aux côtés de la France le dimanche 11
janvier 2015 pour exprimer son rejet du terrorisme, et déclarer
son ferme attachement aux valeurs de démocratie et de liberté. Toute
l’Europe doit maintenant, ensemble, trouver une réponse démocratique
à la montée du terrorisme et de l’islamisme radical. Les valeurs
sur lesquelles est fondée l’Europe ne sont pas dépassées. La démocratie,
la liberté et les droits de l’homme méritent que l’on se batte pour
eux.
11. L’Europe devra continuer de montrer qu’elle n’a pas peur et
continuer d’utiliser l’humour et la satire. S’interdire de le faire
pour être politiquement correct voudrait dire que les terroristes
ont gagné. La laïcité, c’est-à-dire le principe de la séparation
de l’Etat et des religions, doit également être protégée.
12. La liberté d’expression, en particulier celle des journalistes,
des écrivains et autres artistes, doit être protégée et les gouvernements
des Etats membres ne devraient pas interférer dans l’exercice de
cette liberté, que ce soit dans la presse écrite ou les médias électroniques,
y compris les médias sociaux. A cet égard, l’Assemblée condamne
les déclarations faites par certaines autorités à l’encontre de
la liberté des médias, dans les jours qui ont suivi les attaques
contre Charlie Hebdo.
13. L’Assemblée est fermement convaincue que les démocraties ont
le droit, et l’obligation, de se défendre lorsqu’elles sont attaquées.
Elle estime donc que la lutte contre le terrorisme et le djihadisme
doit être renforcée, tout en garantissant le respect des droits
de l’homme, de l’Etat de droit et des valeurs communes défendues
par le Conseil de l’Europe.
14. A cet égard, l’Assemblée rappelle sa Résolution 1840 (2011) sur les droits
de l’homme et la lutte contre le terrorisme, dans laquelle elle
déclarait que le concept d’une «guerre contre la terreur» était
fallacieux et de peu d’utilité, et qu’il menaçait l’ensemble du
cadre des droits de l’homme internationaux. Les terroristes sont des
criminels, pas des soldats, et les crimes terroristes ne s’apparentent
pas à des actes de guerre. Elle invite en particulier les Etats
membres:
14.1. à faire en sorte qu’un
juste équilibre soit trouvé pour défendre la liberté et la sécurité
en évitant, ce faisant, de violer ces mêmes droits;
14.2. à éviter toute surveillance massive indiscriminée, qui
s’est révélée inefficace pour la prévention du terrorisme et qui,
donc, non seulement est dangereuse pour le respect des droits de
l’homme, mais constitue aussi un gaspillage de ressources;
14.3. à doter les services répressifs, de sécurité et de renseignement
de moyens appropriés et à former leurs personnels pour faire face
aux menaces croissantes de terrorisme, y compris la menace djihadiste;
14.4. à faire en sorte que les services de renseignement des
différents pays européens intensifient leur collaboration. La coopération
avec d’autres démocraties, ainsi qu’avec les pays du Proche-Orient
et le monde arabe, est également importante;
14.5. à partager, sous réserve de garanties appropriées en matière
de protection des données, les fichiers nationaux de personnes condamnées
pour des chefs de terrorisme ainsi que les informations sur les
passagers des transports aériens constituant une menace pour la
sécurité;
14.6. à suivre sérieusement les filières permettant d’acheminer
de l’argent et des armes à des terroristes potentiels, pour démanteler
ces réseaux et punir les coupables.
15. En outre, afin de renforcer l’action juridique contre le terrorisme,
l’Assemblée:
15.1. invite les Etats
membres du Conseil de l’Europe, et les pays voisins, qui ne l’ont
pas encore fait, à signer et à ratifier, en priorité, la Convention
du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme (STCE no 196);
15.2. se réjouit de la préparation, qu’elle soutient pleinement,
d’un protocole additionnel sur «les combattants terroristes étrangers»
à la Convention pour la prévention du terrorisme, l’Assemblée suivant
elle-même de près cette question;
15.3. soutient les demandes émanant de plusieurs Etats membres
de l’Union européenne qui demandent au Parlement européen qu’il
reconsidère sa position concernant le système de données personnelles
des passagers (Passenger Name Record-PNR), qu’il bloque depuis près
de deux ans, sous réserve de garanties appropriées concernant la
protection des données.
16. L’Assemblée invite les journaux et les chaînes de télévision
à envisager un code de conduite quant à la couverture des événements
terroristes, conciliant la nécessaire liberté d’information avec
les nécessités de l’action policière.
17. L’Assemblée souligne que les réponses apportées en matière
de sécurité doivent s’accompagner de mesures préventives visant
à éradiquer les causes mêmes de la radicalisation et de l’essor
du fanatisme religieux, spécialement chez les jeunes. A cet égard,
l’Assemblée demande aux Etats membres en particulier:
17.1. d’analyser avec soin la situation
dans les prisons et la manière dont les prisonniers sont endoctrinés
pour le terrorisme, et en particulier le djihadisme, et de prendre
des mesures pour lutter contre ce phénomène;
17.2. de surveiller de près internet et les réseaux sociaux,
en vue notamment de lutter contre le discours de haine, la radicalisation
et le cyberdjihadisme;
17.3. d’accorder des moyens et des ressources appropriés aux
écoles et aux enseignants pour promouvoir l’éducation à la citoyenneté
démocratique et aux droits de l’homme, en ciblant plus particulièrement
l’éducation dans des contextes marginalisés et défavorisés;
17.4. de promouvoir le dialogue interculturel et le modèle du
«vivre ensemble», notamment dans les écoles;
17.5. de prendre des mesures pour combattre la marginalisation,
l’exclusion sociale, la discrimination et la ségrégation, en particulier
chez les jeunes de quartiers défavorisés;
17.6. de soutenir les familles dans leur rôle d’éducation de
leurs enfants au respect des valeurs de la démocratie et de la tolérance;
17.7. de protéger les journalistes, les écrivains et autres
artistes des menaces extrémistes, et de s’abstenir de toute ingérence
avec l’exercice de leur liberté d’expression, dans le respect de
la loi, que ce soit dans les médias sur support papier ou électronique,
y compris dans les médias sociaux;
17.8. de soutenir l’action du Conseil de l’Europe dans les domaines
susmentionnés et d’allouer les moyens et les ressources appropriés,
conformément aux propositions formulées par le Secrétaire Général
du Conseil de l’Europe.
18. Pour sa part, l’Assemblée décide de continuer à suivre de
près et de s’efforcer de relever, par les travaux de ses commissions
et de l’Alliance parlementaire contre la haine, nouvellement créée,
les principaux défis issus des récentes attaques terroristes à Paris,
à savoir: la nécessité de vivre ensemble; la montée de la menace
djihadiste et la question des djihadistes venus d’Europe pour combattre
en Irak et en Syrie; la protection des droits de l’homme dans la
lutte contre le terrorisme; la nécessité de combattre les causes
de la radicalisation et du fanatisme religieux, telles que l’exclusion
sociale, la discrimination voire la ségrégation; le processus de
radicalisation dans les prisons; la poursuite de la lutte contre
le discours de haine, le racisme et l’intolérance, y compris l’antisémitisme
et l’islamophobie; et le rôle de l’éducation à la citoyenneté démocratique,
aux droits de l’homme et au dialogue interculturel.