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Résolution 2035 (2015) Version finale

La protection de la sécurité des journalistes et de la liberté des médias en Europe

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 29 janvier 2015 (7e et 8e séances) (voir Doc. 13664, rapport de la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias, rapporteur: M. Gvozden Srećko Flego). Texte adopté par l’Assemblée le 29 janvier 2015 (8e séance).Voir également la Recommandation 2062 (2015).

1. Condamnant le plus vigoureusement possible l’attentat terroriste contre le journal français Charlie Hebdo, qui a eu lieu le 7 janvier 2015, à Paris, l’Assemblée parlementaire réitère l’importance que revêt la liberté des médias pour la démocratie. Les médias offrent un espace public de diffusion de l’information et d’expression des opinions. La liberté des médias constitue dès lors un indicateur essentiel de la démocratie, des libertés politiques et de l’Etat de droit d’un pays ou d’une région. Tout attentat contre les médias et les journalistes est une atteinte à la société démocratique.
2. Atterrée par les crimes lâches et odieux commis à Paris, l'Assemblée rappelle son attachement à la liberté d'expression, pilier essentiel de la démocratie. Lorsque, dans une société, la peur et l'autocensure se substituent à la liberté de critiquer et d'enquêter, cette démocratie est indéniablement malade. La liberté et la sécurité des journalistes sont aussi notre liberté et notre sécurité.
3. Vivement préoccupée par la dégradation des conditions de sécurité des journalistes et de la liberté des médias en Europe, l’Assemblée demande instamment aux Etats membres d’intensifier leurs efforts sur les plans national et multilatéral pour assurer le respect des droits fondamentaux à la liberté d’expression et d’information ainsi qu’à la protection de la vie, de la liberté et de la sécurité de ceux qui travaillent pour et avec les médias. De la liberté des médias dépendent la démocratie et la protection des droits de l’homme.
4. L’Assemblée rappelle que la critique et la satire politiques doivent être protégées en tant que partie intégrante de la liberté des médias. La liberté d’expression s’applique non seulement aux informations ou aux idées accueillies favorablement, considérées comme inoffensives ou qui suscitent l’indifférence, mais aussi à celles qui heurtent, choquent ou dérangent l’Etat ou tout groupe de la population, sous la seule réserve des conditions ou restrictions prévues par la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5).
5. Rappelant la Recommandation 1702 (2005) sur la liberté de la presse et les conditions de travail des journalistes dans les zones de conflit, l’Assemblée condamne les homicides et les agressions présumées visant des journalistes dans le conflit armé dans l’est de l’Ukraine, et appelle les autorités ukrainiennes à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour enquêter sur ces agressions et traduire les coupables devant les tribunaux nationaux. L’Assemblée se félicite de la libération des journalistes ukrainiens Roman Cheremsky, le 27 décembre 2014, et Serhiy Sakadynskiy, le 5 janvier 2015, qui ont tous deux été détenus pendant plusieurs mois dans la zone de conflit dans l’est de l’Ukraine. L’Assemblée note avec préoccupation que le producteur de films ukrainien Oleg Sentsov a été transféré, dans sa détention, de Simferopol à Moscou, en mai 2014, et qu’il fait l’objet, depuis cette date, d’enquêtes pénales de la part d’un tribunal russe de Moscou. Conformément à la Résolution A/RES/68/262 du 27 mars 2014 de l’Assemblée générale des Nations Unies, qui a déclaré illégale l’annexion de la péninsule de Crimée par la Fédération de Russie, les autorités russes devraient transférer Oleg Sentsov sans plus tarder aux services répressifs ukrainiens compétents. Le harcèlement systématique des médias libres et indépendants dans la Crimée annexée, notamment la récente descente dans les locaux de la chaîne de télévision ATR, ne saurait être toléré en Europe.
6. Rappelant notamment les événements qui se sont produits sur la place de l’Indépendance à Kiev en février 2014, l’Assemblée condamne les agressions physiques présumées commises par les forces de police ou de sécurité à l’encontre de journalistes couvrant les manifestations et autres mouvements de protestation populaire. L’Assemblée est également préoccupée par les allégations d’agressions physiques ciblées à l’encontre de journalistes durant les événements autour du parc Gezi, à Istanbul, en mai et juin 2013. L’Assemblée appelle par conséquent à ce que ces agressions fassent l’objet d’enquêtes judiciaires approfondies et rappelle aux Etats membres leurs obligations respectives au titre de la Convention européenne des droits de l’homme.
7. Préoccupée par la détention de Khadija Ismayilova, par les chefs d’accusation qui pèsent sur Emin Huseynov et par la fermeture de Radio Free Europe/Radio Liberty à Bakou en décembre 2014, l’Assemblée appelle les autorités azerbaïdjanaises à respecter le droit à la présomption d’innocence et la liberté d’expression des médias étrangers en Azerbaïdjan. Compte tenu de la grande attention accordée à ces procédures pénales, les autorités judiciaires devraient informer les médias de leurs principales décisions, sans porter préjudice au secret de l’instruction ni aux droits des victimes ou des défendeurs.
8. Se référant à la Résolution A/RES/68/163 de l’Assemblée générale des Nations Unies sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité, l’Assemblée appelle les Etats membres à faire la lumière sur tous les cas de morts violentes de journalistes, comme le décès d’Elmar Huseynov (2005) et de Rafiq Tagi (2011) en Azerbaïdjan, de Paul Klebnikov (2004) et d’Anna Politkovskaya (2006) en Fédération de Russie, de Dada Vujasinović (1994) et de Milan Pantić (2001) en Serbie, de Hrant Dink (2007) en Turquie, de Martin O’Hagan (2001) au Royaume-Uni, et de Georgiy Gongadze (2000) et de Vasil Klementiev (2010) en Ukraine, ainsi que le meurtre du directeur des médias et fondateur de l’une des plus grandes chaînes de télévision géorgiennes, Erosi Kitsmarishvili (2014).
9. Bien que toute propagande en faveur de la guerre et tout appel à la haine qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence soient interdits par la loi en vertu de l’article 20 du Pacte international des Nations Unies relatif aux droits civils et politiques, l’Assemblée n’en demeure pas moins préoccupée par l’application excessive de ces lois dans certains pays à l’encontre des médias et des journalistes qui émettent des critiques politiques à l’égard du gouvernement. Dans ce contexte, l’Assemblée se félicite de la réduction considérable du nombre de journalistes détenus en Turquie, mais déplore néanmoins, malgré quelques progrès, l’arrestation d’un journaliste à la suite des opérations impliquant certains médias à Istanbul le 14 décembre 2014, le récent refus de la Direction générale de la presse et de l’information (BYEGM) du Premier ministre turc d'accorder des cartes de presse permanentes à 94 journalistes et le nombre de journalistes toujours poursuivis ou détenus. L’Assemblée appelle à de nouvelles réformes législatives concernant notamment les articles 216, 301 et 314 du Code pénal turc, qui pourraient conduire à une application arbitraire à l’encontre de journalistes.
10. Rappelant l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Ahmet Yildirim c. Turquie (18 décembre 2012), l’Assemblée reconnaît que le droit d’accès à internet est considéré comme inhérent au droit à la liberté d’expression et d’information, tel qu’énoncé dans la Résolution 1987 (2014) sur le droit d’accès à internet. L’Assemblée considère dès lors que le blocage généralisé de sites ou de services internet par les pouvoirs publics constitue une violation grave de la liberté des médias, qui prive sans discernement un grand nombre d’usagers de leur droit d’accès à internet. L’Assemblée se félicite que la Turquie ait introduit des mesures juridiques visant à restreindre les possibilités de blocage de contenus spécifiques sur internet.
11. Consciente de l’effet dissuasif qu’exerce la législation relative à la diffamation, l’Assemblée invite les Etats membres à examiner ladite législation conformément à la Résolution 1577 (2007) «Vers une dépénalisation de la diffamation». Cet examen devrait s’attacher aux sanctions pénales ainsi qu’aux procédures civiles pour diffamation qui pourraient représenter une menace financière disproportionnée pour les journalistes et les médias. Se référant à l’avis de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) sur la législation italienne relative à la diffamation (6-7 décembre 2013), l’Assemblée encourage vivement le Parlement italien à reprendre l’examen de sa législation conformément à l’avis en question.
12. Se référant à l’avis du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe sur la législation hongroise relative aux médias (25 février 2011) et à la coopération ultérieure du Conseil de l’Europe avec la Hongrie, l’Assemblée exhorte le Parlement hongrois à engager de nouvelles réformes de sa législation en vue d’améliorer l’indépendance des instances de régulation des médias, de l’agence de presse officielle et des radiodiffuseurs de service public, d’accroître la transparence et le pluralisme des médias privés, et de lutter contre les discours racistes à l’égard des minorités ethniques.
13. Faisant référence à l’Avis de la Commission de Venise sur la législation de l’Azerbaïdjan relative à la protection contre la diffamation (14 octobre 2013) et aux observations du Commissaire aux droits de l’homme à ce sujet (23 avril 2014), l’Assemblée exhorte le Parlement azerbaïdjanais à modifier sa législation afin de la rendre conforme aux obligations de l’Azerbaïdjan en vertu de la Convention européenne des droits de l’homme et à la proposition de loi faite par le plénum de la Cour suprême de l’Azerbaïdjan. Dans l’intervalle, l’Assemblée exhorte les autorités à n’appliquer la législation en vigueur qu’avec une précaution particulière, à prendre des mesures spéciales pour garantir le droit à un procès équitable en la matière et à éviter les peines de prison pour ce type d’infraction, comme proposé par le plénum de la Cour suprême.
14. Outre les observations formulées à propos de la Géorgie dans la Résolution 2015 (2014) sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Géorgie et la Résolution 1920 (2013) sur l’état de la liberté des médias en Europe, l’Assemblée constate avec préoccupation les changements controversés opérés à la suite des élections législatives de 2012 en matière de propriété des médias et la récente adoption d’une législation visant à restreindre l’indépendance financière des radiodiffuseurs privés, ce qui influe potentiellement sur leur indépendance éditoriale.
15. Si la liberté des médias est aujourd’hui largement proclamée en Europe, l’Assemblée déplore toutefois que cette liberté soit souvent mise à mal par les restrictions de la liberté et de la sécurité des journalistes. L’insécurité des journalistes, qu‘elle soit physique, financière, existentielle, ou une combinaison de ces éléments, limite leur liberté journalistique et influence le résultat de leur travail, les obligeant parfois à se plier aux exigences des rédacteurs, éditeurs, propriétaires, annonceurs, responsables politiques et autres.
16. Le pluralisme des médias est la condition essentielle d’une société et d’un système politique pluralistes. La transparence quant à la propriété des médias est nécessaire pour contrôler la concentration des médias, éviter qu’ils ne soient aux mains de quelques personnes et garantir le pluralisme de la propriété des médias. L’Assemblée propose, par conséquent, de mettre en circulation une «carte d’identité des médias» sur laquelle figureraient notamment les informations relatives aux propriétaires du média concerné ainsi que ceux qui contribuent dans une large mesure à ses revenus, à l’instar des grands annonceurs ou des donateurs.
17. Rappelant sa Recommandation 1878 (2009) sur le financement de la radiodiffusion de service public, l’Assemblée continue de s’alarmer de la tendance, constatée dans certains Etats membres, à l’érosion de la stabilité financière et de l’indépendance des radiodiffuseurs du service public. Or, dans une société démocratique, ces derniers demeurent un outil indispensable pour offrir au grand public une information et une culture impartiales, dans un paysage médiatique de plus en plus commercialisé, économiquement fragilisé et politiquement contrôlé.
18. Rappelant ses précédents rapports sur les violations graves de la liberté des médias et les défis qui se posent à elle, l’Assemblée considère comme essentiel que la liberté des médias en Europe reste inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée et de l’ensemble du Conseil de l’Europe. L’adoption de la présente résolution n’est qu’une étape supplémentaire d’un processus continu et nécessaire de sensibilisation et de surveillance par les parlementaires et les gouvernements de toute l’Europe des violations graves de la liberté des médias.
19. L’Assemblée invite:
19.1. les parlements nationaux à organiser des débats publics annuels (auditions, réunions de commissions ou séances plénières) sur l’état de la liberté des médias dans leurs pays respectifs, avec la participation d’associations de journalistes et des médias;
19.2. le Commissaire aux droits de l’homme à accorder une attention particulière à la situation de la liberté des médias dans toutes les zones de conflit en Europe, en particulier dans l’est de l’Ukraine; 
19.3. la Commission de Venise:
19.3.1. à analyser la conformité avec les normes européennes en matière de droits de l’homme des articles 216, 301 et 314 du Code pénal turc et de la loi turque n° 5651, ainsi que leur application dans la pratique;
19.3.2. à identifier les dispositions qui représentent un danger pour le droit à la liberté d’expression et d’information à travers les médias, dans la loi hongroise CLXXXV de 2010 sur les services médiatiques et les médias, dans la loi hongroise CIV de 2010 sur la liberté de la presse et les règles fondamentales de contenu multimédia, ainsi que dans les lois fiscales hongroises concernant l’impôt progressif sur les recettes publicitaires des médias;
19.4. la Conférence des organisations internationales non gouvernementales (OING) à favoriser une coopération plus étroite des ONG œuvrant pour la liberté des médias et la sécurité des journalistes avec toutes les instances et institutions du Conseil de l’Europe;
19.5. les commissions du Parlement européen qui s’occupent de la liberté des médias à mettre en place une étroite coopération avec l’Assemblée concernant l’action politique à mener pour répondre aux violations graves de la liberté des médias.