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Résolution 2035 (2015) Version finale
La protection de la sécurité des journalistes et de la liberté des médias en Europe
1. Condamnant le plus vigoureusement
possible l’attentat terroriste contre le journal français Charlie Hebdo, qui a eu lieu le
7 janvier 2015, à Paris, l’Assemblée parlementaire réitère l’importance
que revêt la liberté des médias pour la démocratie. Les médias offrent
un espace public de diffusion de l’information et d’expression des
opinions. La liberté des médias constitue dès lors un indicateur
essentiel de la démocratie, des libertés politiques et de l’Etat
de droit d’un pays ou d’une région. Tout attentat contre les médias
et les journalistes est une atteinte à la société démocratique.
2. Atterrée par les crimes lâches et odieux commis à Paris, l'Assemblée
rappelle son attachement à la liberté d'expression, pilier essentiel
de la démocratie. Lorsque, dans une société, la peur et l'autocensure
se substituent à la liberté de critiquer et d'enquêter, cette démocratie
est indéniablement malade. La liberté et la sécurité des journalistes
sont aussi notre liberté et notre sécurité.
3. Vivement préoccupée par la dégradation des conditions de sécurité
des journalistes et de la liberté des médias en Europe, l’Assemblée
demande instamment aux Etats membres d’intensifier leurs efforts
sur les plans national et multilatéral pour assurer le respect des
droits fondamentaux à la liberté d’expression et d’information ainsi
qu’à la protection de la vie, de la liberté et de la sécurité de
ceux qui travaillent pour et avec les médias. De la liberté des
médias dépendent la démocratie et la protection des droits de l’homme.
4. L’Assemblée rappelle que la critique et la satire politiques
doivent être protégées en tant que partie intégrante de la liberté
des médias. La liberté d’expression s’applique non seulement aux
informations ou aux idées accueillies favorablement, considérées
comme inoffensives ou qui suscitent l’indifférence, mais aussi à celles
qui heurtent, choquent ou dérangent l’Etat ou tout groupe de la
population, sous la seule réserve des conditions ou restrictions
prévues par la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5).
5. Rappelant la Recommandation
1702 (2005) sur la liberté de la presse et les conditions
de travail des journalistes dans les zones de conflit, l’Assemblée
condamne les homicides et les agressions présumées visant des journalistes
dans le conflit armé dans l’est de l’Ukraine, et appelle les autorités
ukrainiennes à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour enquêter
sur ces agressions et traduire les coupables devant les tribunaux nationaux.
L’Assemblée se félicite de la libération des journalistes ukrainiens
Roman Cheremsky, le 27 décembre 2014, et Serhiy Sakadynskiy, le
5 janvier 2015, qui ont tous deux été détenus pendant plusieurs mois
dans la zone de conflit dans l’est de l’Ukraine. L’Assemblée note
avec préoccupation que le producteur de films ukrainien Oleg Sentsov
a été transféré, dans sa détention, de Simferopol à Moscou, en mai
2014, et qu’il fait l’objet, depuis cette date, d’enquêtes pénales
de la part d’un tribunal russe de Moscou. Conformément à la Résolution
A/RES/68/262 du 27 mars 2014 de l’Assemblée générale des Nations
Unies, qui a déclaré illégale l’annexion de la péninsule de Crimée
par la Fédération de Russie, les autorités russes devraient transférer
Oleg Sentsov sans plus tarder aux services répressifs ukrainiens
compétents. Le harcèlement systématique des médias libres et indépendants
dans la Crimée annexée, notamment la récente descente dans les locaux
de la chaîne de télévision ATR, ne saurait être toléré en Europe.
6. Rappelant notamment les événements qui se sont produits sur
la place de l’Indépendance à Kiev en février 2014, l’Assemblée condamne
les agressions physiques présumées commises par les forces de police ou
de sécurité à l’encontre de journalistes couvrant les manifestations
et autres mouvements de protestation populaire. L’Assemblée est
également préoccupée par les allégations d’agressions physiques
ciblées à l’encontre de journalistes durant les événements autour
du parc Gezi, à Istanbul, en mai et juin 2013. L’Assemblée appelle
par conséquent à ce que ces agressions fassent l’objet d’enquêtes
judiciaires approfondies et rappelle aux Etats membres leurs obligations
respectives au titre de la Convention européenne des droits de l’homme.
7. Préoccupée par la détention de Khadija Ismayilova, par les
chefs d’accusation qui pèsent sur Emin Huseynov et par la fermeture
de Radio Free Europe/Radio Liberty à Bakou en décembre 2014, l’Assemblée appelle
les autorités azerbaïdjanaises à respecter le droit à la présomption
d’innocence et la liberté d’expression des médias étrangers en Azerbaïdjan.
Compte tenu de la grande attention accordée à ces procédures pénales,
les autorités judiciaires devraient informer les médias de leurs
principales décisions, sans porter préjudice au secret de l’instruction
ni aux droits des victimes ou des défendeurs.
8. Se référant à la Résolution A/RES/68/163 de l’Assemblée générale
des Nations Unies sur la sécurité des journalistes et la question
de l’impunité, l’Assemblée appelle les Etats membres à faire la
lumière sur tous les cas de morts violentes de journalistes, comme
le décès d’Elmar Huseynov (2005) et de Rafiq Tagi (2011) en Azerbaïdjan,
de Paul Klebnikov (2004) et d’Anna Politkovskaya (2006) en Fédération
de Russie, de Dada Vujasinović (1994) et de Milan Pantić (2001)
en Serbie, de Hrant Dink (2007) en Turquie, de Martin O’Hagan (2001)
au Royaume-Uni, et de Georgiy Gongadze (2000) et de Vasil Klementiev
(2010) en Ukraine, ainsi que le meurtre du directeur des médias
et fondateur de l’une des plus grandes chaînes de télévision géorgiennes, Erosi
Kitsmarishvili (2014).
9. Bien que toute propagande en faveur de la guerre et tout appel
à la haine qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité
ou à la violence soient interdits par la loi en vertu de l’article
20 du Pacte international des Nations Unies relatif aux droits civils
et politiques, l’Assemblée n’en demeure pas moins préoccupée par
l’application excessive de ces lois dans certains pays à l’encontre
des médias et des journalistes qui émettent des critiques politiques
à l’égard du gouvernement. Dans ce contexte, l’Assemblée se félicite
de la réduction considérable du nombre de journalistes détenus en
Turquie, mais déplore néanmoins, malgré quelques progrès, l’arrestation
d’un journaliste à la suite des opérations impliquant certains médias
à Istanbul le 14 décembre 2014, le récent refus de la Direction
générale de la presse et de l’information (BYEGM) du Premier ministre
turc d'accorder des cartes de presse permanentes à 94 journalistes
et le nombre de journalistes toujours poursuivis ou détenus. L’Assemblée
appelle à de nouvelles réformes législatives concernant notamment
les articles 216, 301 et 314 du Code pénal turc, qui pourraient
conduire à une application arbitraire à l’encontre de journalistes.
10. Rappelant l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme
dans l’affaire Ahmet Yildirim c. Turquie (18 décembre
2012), l’Assemblée reconnaît que le droit d’accès à internet est
considéré comme inhérent au droit à la liberté d’expression et d’information,
tel qu’énoncé dans la Résolution
1987 (2014) sur le droit d’accès à internet. L’Assemblée
considère dès lors que le blocage généralisé de sites ou de services
internet par les pouvoirs publics constitue une violation grave
de la liberté des médias, qui prive sans discernement un grand nombre
d’usagers de leur droit d’accès à internet. L’Assemblée se félicite
que la Turquie ait introduit des mesures juridiques visant à restreindre
les possibilités de blocage de contenus spécifiques sur internet.
11. Consciente de l’effet dissuasif qu’exerce la législation relative
à la diffamation, l’Assemblée invite les Etats membres à examiner
ladite législation conformément à la Résolution 1577 (2007) «Vers une dépénalisation
de la diffamation». Cet examen devrait s’attacher aux sanctions
pénales ainsi qu’aux procédures civiles pour diffamation qui pourraient
représenter une menace financière disproportionnée pour les journalistes
et les médias. Se référant à l’avis de la Commission européenne
pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) sur la législation
italienne relative à la diffamation (6-7 décembre 2013), l’Assemblée encourage
vivement le Parlement italien à reprendre l’examen de sa législation
conformément à l’avis en question.
12. Se référant à l’avis du Commissaire aux droits de l’homme
du Conseil de l’Europe sur la législation hongroise relative aux
médias (25 février 2011) et à la coopération ultérieure du Conseil
de l’Europe avec la Hongrie, l’Assemblée exhorte le Parlement hongrois
à engager de nouvelles réformes de sa législation en vue d’améliorer
l’indépendance des instances de régulation des médias, de l’agence
de presse officielle et des radiodiffuseurs de service public, d’accroître
la transparence et le pluralisme des médias privés, et de lutter contre
les discours racistes à l’égard des minorités ethniques.
13. Faisant référence à l’Avis de la Commission de Venise sur
la législation de l’Azerbaïdjan relative à la protection contre
la diffamation (14 octobre 2013) et aux observations du Commissaire
aux droits de l’homme à ce sujet (23 avril 2014), l’Assemblée exhorte
le Parlement azerbaïdjanais à modifier sa législation afin de la rendre
conforme aux obligations de l’Azerbaïdjan en vertu de la Convention
européenne des droits de l’homme et à la proposition de loi faite
par le plénum de la Cour suprême de l’Azerbaïdjan. Dans l’intervalle,
l’Assemblée exhorte les autorités à n’appliquer la législation en
vigueur qu’avec une précaution particulière, à prendre des mesures
spéciales pour garantir le droit à un procès équitable en la matière
et à éviter les peines de prison pour ce type d’infraction, comme
proposé par le plénum de la Cour suprême.
14. Outre les observations formulées à propos de la Géorgie dans
la Résolution 2015 (2014) sur
le fonctionnement des institutions démocratiques en Géorgie et la Résolution 1920 (2013) sur
l’état de la liberté des médias en Europe, l’Assemblée constate
avec préoccupation les changements controversés opérés à la suite
des élections législatives de 2012 en matière de propriété des médias
et la récente adoption d’une législation visant à restreindre l’indépendance
financière des radiodiffuseurs privés, ce qui influe potentiellement
sur leur indépendance éditoriale.
15. Si la liberté des médias est aujourd’hui largement proclamée
en Europe, l’Assemblée déplore toutefois que cette liberté soit
souvent mise à mal par les restrictions de la liberté et de la sécurité
des journalistes. L’insécurité des journalistes, qu‘elle soit physique,
financière, existentielle, ou une combinaison de ces éléments, limite
leur liberté journalistique et influence le résultat de leur travail,
les obligeant parfois à se plier aux exigences des rédacteurs, éditeurs,
propriétaires, annonceurs, responsables politiques et autres.
16. Le pluralisme des médias est la condition essentielle d’une
société et d’un système politique pluralistes. La transparence quant
à la propriété des médias est nécessaire pour contrôler la concentration
des médias, éviter qu’ils ne soient aux mains de quelques personnes
et garantir le pluralisme de la propriété des médias. L’Assemblée
propose, par conséquent, de mettre en circulation une «carte d’identité
des médias» sur laquelle figureraient notamment les informations
relatives aux propriétaires du média concerné ainsi que ceux qui contribuent
dans une large mesure à ses revenus, à l’instar des grands annonceurs
ou des donateurs.
17. Rappelant sa Recommandation
1878 (2009) sur le financement de la radiodiffusion de
service public, l’Assemblée continue de s’alarmer de la tendance,
constatée dans certains Etats membres, à l’érosion de la stabilité
financière et de l’indépendance des radiodiffuseurs du service public.
Or, dans une société démocratique, ces derniers demeurent un outil
indispensable pour offrir au grand public une information et une culture
impartiales, dans un paysage médiatique de plus en plus commercialisé,
économiquement fragilisé et politiquement contrôlé.
18. Rappelant ses précédents rapports sur les violations graves
de la liberté des médias et les défis qui se posent à elle, l’Assemblée
considère comme essentiel que la liberté des médias en Europe reste
inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée et de l’ensemble du Conseil
de l’Europe. L’adoption de la présente résolution n’est qu’une étape
supplémentaire d’un processus continu et nécessaire de sensibilisation
et de surveillance par les parlementaires et les gouvernements de
toute l’Europe des violations graves de la liberté des médias.
19. L’Assemblée invite:
19.1. les
parlements nationaux à organiser des débats publics annuels (auditions,
réunions de commissions ou séances plénières) sur l’état de la liberté
des médias dans leurs pays respectifs, avec la participation d’associations
de journalistes et des médias;
19.2. le Commissaire aux droits de l’homme à accorder une attention
particulière à la situation de la liberté des médias dans toutes
les zones de conflit en Europe, en particulier dans l’est de l’Ukraine;
19.3. la Commission de Venise:
19.3.1. à analyser la
conformité avec les normes européennes en matière de droits de l’homme des
articles 216, 301 et 314 du Code pénal turc et de la loi turque
n° 5651, ainsi que leur application dans la pratique;
19.3.2. à identifier les dispositions qui représentent un danger
pour le droit à la liberté d’expression et d’information à travers
les médias, dans la loi hongroise CLXXXV de 2010 sur les services
médiatiques et les médias, dans la loi hongroise CIV de 2010 sur
la liberté de la presse et les règles fondamentales de contenu multimédia,
ainsi que dans les lois fiscales hongroises concernant l’impôt progressif
sur les recettes publicitaires des médias;
19.4. la Conférence des organisations internationales non gouvernementales
(OING) à favoriser une coopération plus étroite des ONG œuvrant
pour la liberté des médias et la sécurité des journalistes avec toutes
les instances et institutions du Conseil de l’Europe;
19.5. les commissions du Parlement européen qui s’occupent de
la liberté des médias à mettre en place une étroite coopération
avec l’Assemblée concernant l’action politique à mener pour répondre
aux violations graves de la liberté des médias.