1. Introduction
1. Tous les enfants ont parfois des difficultés à se
concentrer, oublient les consignes, interrompent les autres ou sont
agités. Combien de parents s’entendent dire à leurs enfants: «Fais
attention!», «Arrête de t’agiter!», «Ne m’interromps pas!»? Mais
quand la difficulté «ordinaire» à rester concentré, à prêter attention ou
à se contrôler devient préjudiciable et a une incidence sur la vie
de leurs enfants, entraînant l’apparition de problèmes et de situations
de détresse à l’école et à la maison, y compris dans leurs relations
avec leurs camarades, il arrive alors que les parents se posent
cette inquiétante question: mon enfant est-il atteint du «trouble
du déficit de l’attention avec hyperactivité» (TDAH) et si oui,
dois-je lui faire suivre un traitement médicamenteux?
2. En 2000, préoccupée par le nombre croissant d’enfants chez
qui un TDAH était diagnostiqué et qui étaient traités par des médicaments
psychostimulants, l’Assemblée parlementaire a élaboré un rapport
qui a conduit à l’adoption de sa
Recommandation 1562 (2002) «Contrôler le diagnostic et le traitement des enfants hyperactifs
en Europe». Constatant notamment que deux séries différentes de
critères étaient appliquées pour diagnostiquer le TDAH et que les
effets à long terme des médicaments psychostimulants employés pour
le soigner étaient incertains, l’Assemblée a invité les Etats membres
à coordonner et à accélérer les recherches sur la prévalence, les
causes, le diagnostic et le traitement du TDAH, et surtout sur les
effets à long terme des psychostimulants, ainsi que sur les facteurs
sociaux, éducatifs et culturels éventuellement en cause.
3. Aujourd’hui, plus de dix ans après l’adoption de la
Recommandation 1562 (2002), le TDAH est l’un des troubles de l’enfance le plus
souvent diagnostiqués, touchant 5,29 % des enfants et des adolescents
dans le monde
, soit 3,3 millions d’entre
eux rien que dans l’Union européenne
. La nette augmentation de l’incidence du
TDAH ces dix dernières années s’est accompagnée d’une augmentation
de l’utilisation de psychostimulants pour traiter ce trouble
.
Le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies a fait part de
sa préoccupation face au nombre croissant d’enfants chez qui un
TDAH ou une pathologie analogue sont diagnostiqués, entraînant une
augmentation de la prescription de psychostimulants. Le Comité a
recommandé d’affiner le diagnostic chez les enfants présentant ces
problèmes et de prendre des initiatives tendant à assurer aux enfants diagnostiqués
comme atteints de TDAH, ainsi qu’à leurs parents et à leurs enseignants,
l’accès à un large éventail de traitements et de mesures d’ordre
psychologique, éducatif et social
.
4. Alors que, d’après certains experts, l’augmentation du nombre
d’enfants chez qui un TDAH est diagnostiqué est due au fait que
les professionnels de santé connaissent mieux la maladie et que
les familles et les enseignants y sont davantage sensibilisés, d’autres
y voient une inflation du diagnostic, conséquence d’une définition
très large du TDAH (sur la base de critères de diagnostic assez
vagues ou généraux) selon laquelle quasiment toute personne ayant
un comportement indésirable persistant peut être considérée comme présentant
un TDAH
. Il est en outre suggéré que
l’évolution des facteurs environnementaux, y compris l’attention
excessive que requiert le système éducatif, la pression socio-familiale
toujours plus grande vis-à-vis des résultats scolaires voire l’exposition
aux médias électroniques
, joueraient un rôle dans l’augmentation
du nombre d’enfants présentant un TDAH.
5. Paradoxalement, si le surdiagnostic du TDAH suscite de plus
en plus d’inquiétudes, certains experts et groupes de défense sont
quant à eux vivement préoccupés par le sous-diagnostic, observant
qu’aujourd’hui encore beaucoup de personnes présentant un TDAH ne
bénéficient pas d’un diagnostic ni d’un soutien appropriés, et ce
pour des raisons diverses, tenant notamment à une formation insuffisante
des soignants, aux inégalités dans l’accès aux soins ainsi qu’à
la stigmatisation du TDAH et des idées fausses qui l’entourent.
6. S’agissant de l’augmentation de l’utilisation de psychostimulants,
trois scénarios peuvent être envisagés: un diagnostic erroné du
TDAH (y compris le surdiagnostic), une augmentation réelle du nombre d’enfants
atteints de TDAH et un recours insuffisant aux autres traitements
existants. Concernant ce dernier point, il pourrait en effet y avoir
une tendance dominante à s’en remettre au traitement médicamenteux
comme à une «solution miracle», au détriment de méthodes non-pharmacologiques
comme la thérapie comportementale. Aussi, outre les préoccupations
liées à un éventuel traitement excessif ou insuffisant découlant
d’un sur ou d’un sous-diagnostic, l’utilisation éventuellement excessive
de psychostimulants sur les enfants inquiète elle aussi.
2. La définition
changeante (critères de diagnostic) du TDAH
7. Dans sa
Recommandation
1562 (2002), préoccupée par le fait que deux séries différentes
de critères étaient appliquées pour diagnostiquer le TDAH – l’une
adoptée par l’American Psychiatric Association (Association américaine
de psychiatrie), l’autre, plus stricte, par l’Organisation mondiale
de la santé (OMS) – l’Assemblée avait invité les deux organisations
à revoir la base de leurs critères de diagnostic en vue de la clarifier
et l’harmoniser.
2.1. Manuel diagnostique
et statistique des troubles mentaux (DSM)
8. D’après la quatrième édition du DSM (DSM-IV) de l’Association
américaine de psychiatrie, le TDAH se caractérise par des symptômes
persistants et perturbants d’inattention et/ou d’hyperactivité et
d’impulsivité considérés comme inadaptés et en inadéquation avec
l’âge de l’enfant. Pour poser un diagnostic positif, il faut constater
la présence d’au moins six symptômes relevant de la catégorie «inattention»
ou «hyperactivité-impulsivité». Les symptômes doivent causer une
altération fonctionnelle significative, survenir dans plus d’un environnement
(en milieu scolaire, dans la vie courante, à la maison, lors d’événements
sociaux, etc.) et doivent se manifester depuis six mois au minimum.
De plus, le diagnostic n’est établi que si une partie au moins des
symptômes comportementaux étaient présents avant l’âge de sept ans.
9. La définition du TDAH a été actualisée dans la cinquième édition
du DSM (DSM-5), publiée en mai 2013. Si les critères de diagnostic
n’ont pas changé par rapport au DSM-IV, des exemples ont été ajoutés
dans cette édition pour illustrer les formes de comportement que
pourraient présenter les enfants, les adolescents plus âgés et les
adultes atteints d’un TDAH (par exemple, ne semble pas écouter,
peine à respecter les consignes, a des difficultés à s’organiser,
agite ses mains ou ses pieds, se tortille sur sa chaise, parle à
tort et à travers, etc.). Par ailleurs, le critère pour le début
de la maladie a été assoupli, passant de «présence de symptômes entraînant
une altération fonctionnelle avant l’âge de sept ans» à «présence
de plusieurs symptômes d’inattention ou d’hyperactivité/impulsivité
avant l’âge de douze ans». D’après certains
experts, l’incidence du DSM-5 sur le diagnostic du TDAH ne devrait
pas être importante car la conceptualisation du trouble n’a pas changé
fondamentalement. En revanche, d’autres s’inquiètent de ce que les
modifications apportées au DSM risquent d’augmenter le diagnostic
de TDAH chez des individus qui présentent les symptômes du trouble
mais ne manifestent qu’une altération fonctionnelle mineure.
2.2. Classification
internationale des maladies (CIM)
10. Dans sa CIM-10, l’OMS classe le TDAH sous une terminologie
différente, à savoir les troubles dits «hyperkinétiques», pour lesquels
elle énumère des critères de nature similaire mais plus stricts.
Selon la CIM-10, les troubles hyperkinétiques se caractérisent par
un début précoce (habituellement au cours des cinq premières années
de la vie), un manque de persévérance dans les activités qui exigent
une participation cognitive et une tendance à passer d’une activité
à une autre sans en finir aucune, associés à une activité globale
désorganisée, incoordonnée et excessive. Les enfants hyperkinétiques
sont souvent imprudents et impulsifs, sujets aux accidents, et ont
souvent des problèmes de discipline à cause d'un manque de respect des
règles, résultat d'une absence de réflexion plus que d'une opposition
délibérée. Leurs relations avec les adultes sont souvent marquées
par une absence d'inhibition sociale, de réserve et de retenue «normales».
Ils sont mal acceptés par les autres enfants et peuvent devenir
socialement isolés. Ces troubles s'accompagnent souvent d'une altération
des fonctions cognitives et d'un retard spécifique du développement
de la motricité et du langage. Ils peuvent également entraîner un
comportement dyssocial ou une perte de l'estime de soi.
11. L’OMS travaille actuellement à la 11e révision
de la CIM. Le processus se poursuivra jusqu’en 2017 mais il y a
déjà lieu de noter que, pour ce qui concerne le TDAH, le projet
actuel de CIM-11 propose un changement aussi bien de terminologie
que de contenu. Il est en effet proposé de remplacer la désignation
«troubles hyperkinétiques» par «troubles du déficit de l’attention»;
le TDAH et le trouble du déficit de l’attention sans hyperactivité
sont dès lors considérés comme deux pathologies distinctes. Selon
le projet de définition proposé, les troubles du déficit de l’attention
se caractérisent par une difficulté importante et persistante à rester
concentré lors de tâches qui n’offrent pas un niveau élevé de stimulation
ni de gratification fréquente, débutant pendant l’enfance ou l’adolescence
et en inadéquation avec le niveau de développement de l’individu.
Les symptômes doivent perturber de façon significative la vie personnelle,
familiale, sociale, éducative, professionnelle ou d’autres grands
domaines fonctionnels et se manifester de façon évidente dans plus
d’une situation (à la maison, à l’école, en consultation médicale,
au travail, etc). Cette nouvelle définition propose de toute évidence
des critères plus stricts par rapport aux troubles dits «hyperkinétiques».
12. Dans le projet actuel de CIM-11, le TDAH est considéré comme
un type de trouble du déficit de l’attention caractérisé par un
dosage variable d’inattention, d’hyperactivité et d’impulsivité
persistantes à un niveau nettement plus élevé que celui attendu
par rapport au niveau de développement général de l’individu. Dans
le cas d’un trouble du déficit de l’attention sans hyperactivité,
la difficulté persistante et marquée à fixer son attention ne s’accompagne
pas d’une impulsivité ou d’une hyperactivité significative. Parmi
les symptômes, citons des difficultés à se concentrer, l’étourderie,
des problèmes d’organisation, une tendance fréquente à la perte
d’objets et une incapacité à se concentrer sur les détails des tâches
réalisées.
2.3. Un écart qui se
creuse entre le DSM et la CIM
13. Au vu des explications ci-dessus concernant le DSM-5
(qui conserve quasiment la même définition du TDAH) et la future
CIM-11 (dans laquelle la définition proposée est encore plus stricte
que dans la CIM-10, sachant que cette dernière se fondait déjà sur
des critères plus stricts que ceux du DSM-IV), il semble que l’écart
entre les critères de diagnostic du DSM et ceux de la CIM sera encore
plus important dans les années à venir. Alors que cette occasion
manquée d’harmoniser les définitions
– harmonisation souhaitée par l’Assemblée
en 2002 (voir paragraphe 7 ci-dessus) – est à déplorer, l’OMS ne
devrait pas être tenue, au nom de l’harmonisation, d’aligner sa
nouvelle définition du TDAH sur celle de l’Association américaine
de psychiatrie. Quoiqu’il en soit, l’Assemblée devrait se féliciter
des travaux approfondis accomplis par l’OMS pour revoir la conception
du TDAH en vue de clarifier les critères déterminant le diagnostic
et inviter l’OMS à se servir de la future nouvelle édition de la
CIM pour renforcer l’adhésion aux critères plus stricts qui ont
été proposés pour le diagnostic du TDAH, sur la base des dernières
connaissances scientifiques en la matière.
3. Diagnostic du TDAH
14. D’après l’OMS, les troubles hyperkinétiques sont
des troubles complexes dont le diagnostic peut être trop souvent
insuffisamment étayé. La symptomatologie des troubles hyperkinétiques,
dont le TDAH, peut aussi caractériser d’autres troubles et parfois
faire partie des étapes normales de développement ou se manifester
en réaction à un stress dû à l’environnement auquel il est possible
de remédier avec des interventions psychosociales, ou parfois chez
des individus surdoués. Le fait de se concentrer uniquement sur les
symptômes associés à ces troubles sans évaluation diagnostique appropriée
peut aboutir à un diagnostic erroné et à un traitement inadéquat.
3.1. Evaluation clinique
15. Le diagnostic du TDAH se fonde sur une évaluation
clinique qui ne devrait pas se concentrer uniquement sur les symptômes
associés au TDAH mais tenir compte également de la nature, des causes
et conséquences de ces symptômes, notamment des facteurs de risque
et de protection dans l’environnement, tels que l’influence de la
famille, de l’école et de l’environnement social. Dans ce contexte,
le processus d’évaluation devrait comprendre: un examen physique;
un entretien clinique avec au minimum les parents, le(s) enseignant(s)
et l’enfant concerné; l’utilisation d’une échelle d’évaluation du
comportement de l’enfant; un examen du dossier scolaire et médical
complet de l’enfant; des tests psychologiques; et des observations comportementales
de l’enfant, ainsi que des interactions parents-enfants
.
16. Un examen physique est nécessaire pour écarter d’autres problèmes
médicaux susceptibles de provoquer des symptômes similaires à ceux
du TDAH ou d’être liés à ces symptômes, comme les allergies, une
carence en fer, une anémie ou une altération auditive ou visuelle.
Les tests psychologiques aident à détecter tout autre trouble psychologique
pouvant mieux expliquer les problèmes constatés, sachant que jusqu’à
75 % des enfants atteints de TDAH remplissent les critères diagnostiques
d’autres troubles comportementaux, présentant un chevauchement des
symptômes (anxiété, troubles de l’apprentissage ou troubles bipolaires,
dépression, autisme et comportements d’opposition
).
Un entretien clinique avec au minimum les parents, le(s) enseignant(s)
et l’enfant est un volet essentiel de l’évaluation car il donne
des informations sur les caractéristiques physiques et psychologiques
de l’enfant, sur sa vie familiale et sur la façon dont il interagit
avec ses pairs.
17. Il convient de veiller tout particulièrement à ce que l’enfant
soit associé au processus de diagnostic, compte tenu des effets
que celui-ci peut exercer sur sa vie. Dans ce contexte, il importe
de rappeler que, en vertu de l’article 12 de la Convention des Nations
Unies relative aux droits de l’enfant, il convient de garantir à l’enfant
le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant.
En cas de diagnostic positif, l’enfant doit également être associé
au processus décisionnel concernant les soins et le traitement dont
il fera l’objet, en vue notamment de veiller à ce qu’il y adhère
pleinement
.
18. Ces dernières années, plusieurs associations et organisations
médicales nationales et internationales, qui représentent et ciblent
divers groupes de professionnels de santé, ont publié des orientations
sur le diagnostic et/ou le traitement du TDAH. Une étude récente
portant sur 13 lignes directrices pour le diagnostic et/ou la gestion
du TDAH, établies par dix associations médicales, a mis en lumière
un consensus et des divergences entre les pratiques recommandées
tout au long de la vie et dans différentes zones géographiques. L’étude
a révélé que toutes les lignes directrices s’accordent sur le fait
que le diagnostic du TDAH repose sur un entretien clinique complet,
consistant en un examen de l’état mental, des évaluations des altérations,
du développement, de la comorbidité et des antécédents familiaux
ainsi qu’un examen physique. Toutes les lignes directrices concernant
les enfants recommandent un entretien avec la famille et établissent
que l’entretien clinique reste le critère de référence de l’évaluation
du TDAH
.
3.2. Facteurs de risque
favorisant un diagnostic erroné de TDAH
19. En dépit de ce large consensus sur la façon dont
il convient de poser le diagnostic du TDAH, les avis divergent considérablement
sur l’exactitude du diagnostic final. En effet, il n’est pas rare
d’entendre parler d’erreur de diagnostic du TDAH, qu’il s’agisse
d’un enfant diagnostiqué à tort comme atteint de TDAH (on parle alors
de «faux positif») ou d’un enfant diagnostiqué comme n’étant pas
atteint de TDAH alors qu’il l’est (on parle alors de «faux négatif»).
A ce titre, certains avancent que l’augmentation du taux de prévalence
de TDAH correspond à de nombreux «faux positifs» (surdiagnostic)
tandis que d’autres affirment que beaucoup d’enfants atteints de
TDAH n’ont pas été diagnostiqués correctement (sous-diagnostic).
Il est difficile d’établir si le phénomène de sur- et/ou sous-diagnostic
est avéré ou non, en revanche, les facteurs de risque susceptibles
de conduire à un diagnostic erroné de TDAH (lequel peut à son tour
donner lieu à un sur- et/ou sous-diagnostic) sont relativement faciles
à identifier.
20. Tout d’abord, comme évoqué ci-dessus, il arrive que d’autres
troubles psychologiques présentent des symptômes qui s’apparentent
ou se confondent avec ceux du TDAH ou – et c’est le souvent cas
– se manifestent simultanément (comorbidité). Il convient par conséquent
d’établir si les symptômes et les troubles fonctionnels peuvent
être attribués au seul TDAH ou si le TDAH se manifeste simultanément
avec un ou plusieurs diagnostics posés. C’est pourquoi il est préférable
de laisser aux spécialistes le soin d’évaluer le TDAH, dans la mesure
où ils sont bien au fait de tous les troubles qui présentent les
mêmes caractéristiques que le TDAH et dans tous les cas, ils devraient
être inclus dans le processus de diagnostic différentiel. Il importe
toutefois de garder à l’esprit que l’évaluation initiale de beaucoup
d’enfants atteints de TDAH s’opère dans un contexte de soins primaires.
A ce titre, il ressort d’une étude récente que dans beaucoup de
pays européens, la formation professionnelle des professionnels
de santé ne comporte pas de formation spécifique sur le TDAH ou
ne l’aborde que dans le cadre d’une présentation générale des dysfonctionnements neuropsychiatriques
.
21. Selon certaines études, les procédures de diagnostic, bien
qu’étayées dans les lignes directrices nationales et internationales
et dans d’autres documents, ne sont pas toujours respectées dans
la pratique
. Or
ce phénomène doit être évité car les procédures de diagnostic sont
un outil essentiel pour établir un diagnostic fiable du TDAH.
22. Il est par ailleurs possible que les personnes n’ayant pas
une compréhension globale du trouble, notamment les parents et le
personnel scolaire, exercent une pression pour que le diagnostic
soit établi. En effet, dans la mesure où le TDAH a tendance à se
manifester par des troubles fonctionnels plus marqués à l’école,
il arrive que les enseignants soient les premiers à reconnaître
les symptômes d’hyperactivité et d’inattention chez un enfant et
les signalent aux parents ou orientent l’enfant vers le psychologue
scolaire. Par exemple, sachant que le développement des enfants
a tendance à être très rapide dans l’intervalle d’une année, les
plus jeunes enfants d’une classe (qui sont parfois un an plus jeunes
que leurs camarades) peuvent être identifiés à tort comme atteints
de TDAH. Aussi, s’il est essentiel qu’un enseignant soit associé
à l’évaluation du TDAH, il arrive que les médecins et les psychologues
soient influencés par la subjectivité d’un enseignant et par l’idée
préconçue au sujet de l’enfant, ce qui peut donner lieu à l’identification
de faux positifs.
23. Au sein d’un même pays, d’importantes disparités dans la prévalence
du TDAH entre différents groupes (selon le sexe, la race, le milieu
socio-économique, etc.) peuvent révéler un sur- ou un sous-diagnostic,
si elles ne sont pas dues à de réelles différences au sein des groupes
mais sont au contraire fondées sur des données subjectives. Il ressort
d’une étude récente que le rapport filles/garçons atteints de TDAH
varie entre 1 pour 3 et 1 pour 16 dans différents pays d’Europe.
Ce décalage pourrait indiquer que, dans certains pays, davantage de
garçons que de filles atteints de TDAH sont orientés vers une évaluation
clinique, signifiant par là-même que des filles peuvent passer inaperçues.
Toutefois, il importe également de noter que par rapport aux garçons,
plus que des comportements perturbateurs ou à problèmes à l’école,
les filles présentent bien souvent des symptômes d’inattention et
d’intériorisation. Dès lors, l’identification du trouble est rendue
plus difficile et peut conduire à des décisions d’orientation influencées
par le sexe (et à un sous-diagnostic des filles atteintes de TDAH)
.
24. Les importantes différences observées au sein des pays en
matière de taux de diagnostic et de traitement du TDAH peuvent également
s’expliquer par les inégalités régionales en termes de services,
ceux-ci étant bien souvent concentrés dans la capitale et les capitales
provinciales, et peu présents, voire inexistants, en province, ce
qui peut donner lieu à des phénomènes de sous-diagnostic dans les
zones rurales.
4. Possibilités de
traitement du TDAH
25. Actuellement, la prise en charge du TDAH comporte
deux grandes composantes: les traitements pharmacologiques et les
traitements non pharmacologiques.
4.1. Traitements pharmacologiques
26. La classe spécifique de médicaments les plus couramment
prescrits pour le TDAH est celle des psychostimulants. Il s’agit
notamment de méthylphénidate et certaines amphétamines. Les psychostimulants aident
l’enfant à fixer son attention, tout en atténuant son hyperactivité
et son impulsivité (ils sont souvent plus efficaces pour ceci que
pour cela). Les médicaments non-stimulants, comme l’atomoxetine
sont aussi utilisés dans le traitement du TDAH.
27. Les études à court terme ont démontré l’efficacité des psychostimulants
dans l’atténuation des symptômes de base du TDAH, bien qu’ils soient
sans effet sur 10 % à 30 % des enfants. Parmi les bienfaits signalés,
citons un comportement plus acceptable à l’école et à la maison,
une meilleure vie de famille et une plus grande assiduité aux tâches
scolaires. Le traitement par stimulants a toutefois ses limites
et ce, à plusieurs égards. Tout d‘abord, les effets thérapeutiques
des stimulants sont symptomatiques et disparaissent lorsque le médicament
n’est plus administré, d’où la nécessité de prescrire le médicament
aux enfants concernés pendant des longues périodes ou des périodes
indéterminées
.
Ensuite, il y a peu de raisons de penser que les effets observés
à relativement court terme persistent tout au long de périodes prolongées
de manifestation des troubles. De la même manière, les effets à
long terme du traitement par stimulants sont mal connus. Si nous
savons que les enfants atteints de TDAH peuvent rencontrer des difficultés
dans leur vie (échec professionnel, accident fatal de la route,
délinquance, grossesse non désirée), nous ne savons en revanche pas
si les psychostimulants atténuent ces risques
.
28. Dernier point et non des moindres, comme tous les traitements
médicamenteux, les psychostimulants sont associés à une série d’effets
indésirables tels que des maux de tête, vertiges, insomnies, crises d’épilepsie
et convulsions, effets psychiques (sautes d’humeur, anxiété, symptômes
psychotiques, etc.) et des troubles gastroentérologiques, notamment
une perte d’appétit éventuellement liée à un retard de croissance. Le
risque de toxicomanie dû à l’utilisation de stimulants est aussi
source d’inquiétude, de même que le risque d’usage détourné des
médicaments (cas dans lequel le médicament est transmis à d’autres
personnes en dehors de son cadre de prescription).
29. Une étude sur les effets indésirables des médicaments prescrits
pour le TDAH, réalisée en 2010 et fondée sur une étude de recherche
approfondie, a conclu que certains effets des médicaments examinés étaient
minimes ou difficiles à distinguer entre les sujets suivant ou non
un traitement. Cependant, plusieurs aspects nécessitent un examen
plus poussé pour permettre de comprendre plus précisément le risque
associé au traitement médicamenteux
. Concernant
l’abus de substances, alors que certaines études ont montré que les
enfants qui suivent des traitements médicamenteux pour le TDAH ont
moins de chances de développer des troubles liés à la consommation
de substances à l’adolescence et à l’âge adulte par rapport à ceux
qui ne prennent pas de traitement médicamenteux, d’autres affirment
que l’exposition aux stimulants n’empêche ni n’augmente le risque
ultérieur de toxicomanie.
4.2. Traitements non
pharmacologiques
30. Il existe toute une variété de traitements non pharmacologiques
pour prendre en charge le TDAH. Il s’agit notamment d’interventions
psychosociales (que l’on appelle aussi thérapies comportementales
ou modification du comportement) ainsi que d’autres stratégies comme
la thérapie cognitive, le retour neuronal (neurofeedback),
le changement de régime alimentaire et les médicaments homéopathiques.
4.2.1. Traitements psychosociaux
31. L’OMS souligne qu’il existe toutes sortes de traitements
pour le TDAH et que les médicaments, tout en étant efficaces lorsque
le diagnostic est bien posé, ne remplacent pas d’autres interventions
potentiellement importantes pour atténuer les problèmes connexes
que connaît l’enfant ou l’adolescent au sein de la famille, de la
société et de l’école. En effet, les enfants atteints de TDAH se
heurtent à des problèmes dans la vie quotidienne qui vont bien au-delà
de leurs symptômes d’inattention, d’hyperactivité et d’impulsivité,
notamment de mauvais résultats scolaires et des problèmes de comportement
à l’école, des difficultés relationnelles avec leurs camarades et
leur fratrie, une incapacité à obéir aux consignes des adultes et
des rapports difficiles avec leurs parents. Il est par conséquent
essentiel que ces enfants acquièrent les facultés capables de les
aider à surmonter ces difficultés de comportement, sachant également
que le TDAH est une pathologie qui peut durer toute la vie et que
ces facultés seront utiles aux enfants tout au long de leur vie.
Les traitements psychosociaux pour les enfants atteints de TDAH
ont été précisément conçus de manière à leur transmettre ces facultés
(les enfants apprennent par exemple à adapter leur comportement
verbal et non verbal dans leurs relations sociales pour respecter
les règles d’un jeu, se concentrer et contrôler leur impulsivité).
32. La thérapie comportementale est également destinée aux parents
et aux enseignants et entend leur enseigner des techniques et des
facultés qu’ils pourront utiliser dans leur relation quotidienne
avec les enfants atteints de TDAH, et parvenir à une amélioration
du comportement des enfants (par exemple, programme de formation
des parents).
33. Les effets positifs de tous ces traitements psychosociaux
ne sont pas aussi clairement démontrés que ceux des traitements
médicamenteux, d’autant plus que les principes méthodologiques de
la recherche sur les traitements psychosociaux sont moins bien établis.
Deux études menées récemment par le réseau Cochrane
–
l’une sur la formation destinée aux parents, l’autre sur la formation
aux aptitudes sociales – ont montré que la formation destinée aux
parents pouvait avoir une incidence positive sur le comportement
des enfants présentant un TDAH (en particulier pour les enfants
d’âge préscolaire) et pouvait aussi contribuer à atténuer le stress
des parents et renforcer leur confiance en eux; toutefois, les éléments
issus de cette étude ont été considérés comme insuffisamment probants
pour servir de base à des directives pour la pratique clinique.
S’agissant de la formation permettant aux enfants d’acquérir des
aptitudes sociales, peu d’éléments permettent de se positionner
en faveur ou contre celle-ci et les données objectives font défaut
. Ces
études attirent l’attention sur la nécessité de poursuivre les essais
et d’améliorer la méthodologie pour évaluer précisément l’incidence
de ces interventions sur l’atténuation des symptômes du TDAH.
4.2.2. Autres stratégies
34. Les interventions fondées sur la neuroscience sont
prometteuses également pour le TDAH. En effet, des éléments de plus
en plus nombreux indiquent que les jeux sur ordinateur faisant travailler
la mémoire et d’autres capacités cognitives peuvent réduire les
symptômes d’inattention chez les jeunes enfants présentant un TDAH
et améliorer l’intelligence fluide (réflexion abstraite, résolution
de problèmes) chez les enfants d’âge préscolaire se développant
normalement. Le retour neuronal (
neurofeedback)
et la thérapie cognitive
sont une autre piste à explorer,
sachant que des données supplémentaires sont nécessaires pour guider
leur utilisation. Il est possible que ce type d’intervention se
développe en traitement d’appoint, voire en remplacement des options
médicamenteuses
.
35. De la même manière, une étude portant sur l’analyse de l’efficacité
des traitements à caractère diététique (régimes d’élimination, suppression
des colorants alimentaires artificiels et apport complémentaire en
acides gras libres) a montré une diminution certes minime mais révélatrice
des symptômes de TDAH; des études complémentaires sont toutefois
nécessaires pour confirmer ces effets positifs et décider s’ils
peuvent être recommandés dans le cadre du traitement du TDAH.
4.3. La nécessité d’une
approche globale du traitement du TDAH
36. Le traitement des enfants présentant un TDAH devrait
être réalisé individuellement, en tenant compte de l’âge de l’enfant
et de la gravité des symptômes
de base, de l’existence d’autres troubles et des préférences de
l’enfant et de ses parents. En effet, ce sont principalement les
parents qui décident des soins de santé à apporter à leurs enfants.
Dans ce contexte, certains parents sont préoccupés par la tolérabilité
et l’innocuité des médicaments utilisés pour soigner le TDAH et
émettent de sérieuses réserves quant à leur utilisation, alors que
d’autres privilégient le recours à cette «solution miracle» qui
améliore très rapidement le comportement et les résultats scolaires
de leur enfant, au détriment d’autres méthodes, et ce pour éviter
que l’enfant ne se retrouve davantage isolé et en souffrance.
37. Sous la pression des parents, les professionnels de la médecine
sont parfois enclins à privilégier les traitements médicamenteux,
en ayant que trop peu recours aux autres traitements possibles,
en dépit des lignes directrices officielles qui préconisent le contraire.
Les réductions budgétaires affectant les dépenses de santé peuvent
être un autre élément faisant pression sur les professionnels, qui
auront tendance à privilégier la solution la moins onéreuse, à savoir
le traitement médicamenteux
.
Tous ces éléments peuvent conduire à un recours excessif (et dans
la plupart des cas, à un recours exclusif) au traitement médicamenteux,
ce qu’il convient d’éviter compte tenu des limites détaillées plus
haut que celui-ci présente. Dans ce contexte, il importe également
de noter que le traitement médicamenteux est symptomatique, qu’il
ne traite pas les causes profondes du TDAH, pas plus qu’il ne donne
la possibilité à l’enfant de travailler sur ses difficultés de comportement.
L’expérience montre que les enfants réagissent de manière très positive
lorsqu’on leur explique qu’ils peuvent apprendre à contrôler et
à corriger leur comportement et qu’on leur donne la possibilité de
prendre les choses en main. Aussi, le traitement médicamenteux ne
devrait être utilisé qu’en dernier recours et la priorité devrait
être donnée aux interventions comportementales et au soutien scolaire,
et lorsque le traitement médicamenteux est utilisé, il devrait toujours
l’être en association avec d’autres traitements.
38. En effet, aujourd’hui l’on reconnaît de plus en plus la pertinence
d’une approche globale pour traiter le TDAH dans laquelle le traitement
associe intervention médicale, comportementale et éducative. Cette approche
globale du traitement est qualifiée de «multimodale» et comporte
une formation des parents et des enseignants concernant le diagnostic
et le traitement, des techniques de gestion du comportement pour l’enfant,
la famille et les enseignants, un traitement médicamenteux ainsi
qu’un programme et un soutien scolaires (par exemple, la mise à
disposition d’un professionnel qualifié qui aiderait l’enfant pour
ses devoirs et/ou examens)
. Les interventions
multimodales se concentrent non seulement sur les symptômes du TDAH mais
aussi sur les éléments connexes, tels que les difficultés scolaires,
les problèmes familiaux, la faible estime de soi et la comorbidité.
4.4. Une prise en charge
insuffisante des enfants atteints de TDAH?
39. Alors que sous-diagnostic (voir point 3.2 ci-dessus)
et prise en charge insuffisante sont étroitement liés, il arrive
que cette dernière se produise même lorsqu’un diagnostic fiable
a été posé. En effet, ADHD-Europe indique que dans certains pays,
les enfants d’immigrants font l’objet d’une moindre prise en charge
en dépit de taux de prévalence de symptômes associés au TDAH similaires
ou supérieurs ou sont moins susceptibles de bénéficier d’un traitement,
pharmacologique ou autre, pour soigner le TDAH. De la même manière,
le milieu socio-économique peut aussi être un facteur de risque
d’une prise en charge insuffisante, sachant que dans certains pays,
les enfants issus de milieux socio-économiques défavorisés semblent
plus susceptibles de bénéficier uniquement d’un traitement médicamenteux
(moins onéreux qu’une intervention psychosociale).
5. Facteurs environnementaux
du TDAH et prévention
40. Le TDAH est à ce jour considéré comme un trouble
aux multiples causes, parmi lesquelles une composante génétique,
un fondement neurobiologique et des facteurs environnementaux. La
recherche sur les aspects environnementaux, y compris les aspects
sociaux et interpersonnels est moins étoffée à l’heure actuelle
que les données qui corroborent le rôle de facteurs génétiques et
biologiques dans l’étiologie du TDAH. Toutefois, la prise en compte
des facteurs de risque et de protection dans l’environnement, tels
que l’influence de la famille (par exemple: conflits familiaux,
absence de limites, psychopathologie des parents, attentes élevées
des parents concernant les résultats scolaires) de l’école (système
éducatif rigide) et d’autres aspects de l’environnement social (les
médias et l’exposition aux médias électroniques) ainsi que leurs interactions
avec les caractéristiques de l’enfant, est extrêmement importante
pour le diagnostic et le traitement et à des fins de prévention.
41. Les facteurs environnementaux comprennent aussi les complications
prénatales et périnatales telles que l’exposition intra-utérine
au tabac, la prématurité et le faible poids à la naissance; des
études ont déjà établi un certain lien entre ces facteurs et la
prédisposition au TDAH. Le régime alimentaire est un autre aspect
qu’il convient de prendre en compte. Une étude américaine menée
récemment a conclu que la probabilité de diagnostiquer un TDAH était
plus importante chez les enfants exposés à des niveaux élevés de
pesticides organophosphorés (par la consommation de fruits et de
légumes insuffisamment lavés), ce qui corrobore l’hypothèse que
l’exposition aux composés organophosphorés pourrait contribuer à
la prévalence du TDAH
. Cela
étant, des études prospectives sont nécessaires pour déterminer
un éventuel lien de causalité dans cette association.
6. Conclusion
42. Il ressort d’une étude récente que le TDAH est l’une
des psychopathologies les plus négligées et les plus méconnues en
Europe
. Beaucoup d’enfants présentant
un TDAH (ainsi que leurs parents) sont stigmatisés et rencontrent
de graves difficultés dues aux symptômes et aux altérations associées
à ce trouble. Dans la mesure où le TDAH
persiste bien souvent à l’âge adulte, les individus concernés ont
tendance à connaître des problèmes psychiques et sociaux tout au
long de leur vie, à avoir du mal à trouver et à conserver un emploi
et risquent de se compromettre dans des comportements délinquants
et dangereux. Les effets profonds du TDAH sur la qualité de vie
de ceux qui en souffrent et de leur famille ainsi que sur la société
sont donc indéniables. Par ailleurs, il apparaît clairement que
les coûts associés au TDAH sont considérables et incombent au patient
comme aux membres de sa famille (par exemple, services de santé,
coûts liés à l’éducation, à la perte de productivité et aux services
sociaux, au système de justice pénale ou aux accidents de la route).
Toutefois, toute la mesure du problème reste encore à appréhender,
la recherche dans ce domaine étant limitée.
43. Les Etats membres devraient considérer le TDAH comme une pathologie
prioritaire, au même titre que la dyslexie et l’autisme, afin que
les patients puissent bénéficier d’un soutien approprié. En vue
de garantir un diagnostic fiable (et éviter le sous- et sur-diagnostic),
les praticiens devraient recevoir une formation appropriée et le
respect des procédures de diagnostic devrait être assuré. S’agissant
du traitement du TDAH, il convient de suivre une approche globale.
Les médicaments psychostimulants devraient être utilisés en dernier
recours et la priorité devrait être donnée aux méthodes psychosociales
et au soutien scolaire. L’idée fausse selon laquelle le TDAH ne
peut être traité que par voie médicamenteuse doit être combattue
en sensibilisant les familles et les enseignants ainsi que les praticiens.
Des recherches complémentaires doivent être menées concernant les
différentes possibilités de traitement. Les gouvernements devraient
également s’attacher à la prévention (en réduisant les facteurs
de risque et en augmentant les facteurs de protection au moyen de programmes
d’intervention précoce
)
et au diagnostique précoce du TDAH, afin de satisfaire au mieux
les enfants concernés ainsi que leurs familles et les professionnels.