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Résolution 2051 (2015)

Drones et exécutions ciblées: la nécessité de veiller au respect des droits de l’homme et du droit international

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 23 avril 2015 (17e séance) (voir Doc. 13731, rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, rapporteur: M. Arcadio Díaz Tejera). Texte adopté par l’Assemblée le 23 avril 2015 (17e séance).Voir également la Recommandation 2069 (2015).

1. L’Assemblée parlementaire considère que l’utilisation des drones armés à des fins d’exécutions ciblées soulève de graves questions en termes de droits de l’homme et d’autres domaines du droit international.
2. L’Assemblée observe que plusieurs Etats membres et Etats qui jouissent du statut d’observateur auprès du Conseil de l’Europe ou de l’Assemblée parlementaire ont utilisé des drones de combat comme armes de guerre ou pour procéder à des exécutions ciblées de personnes soupçonnées d’appartenir à des groupes terroristes dans un certain nombre de pays, dont l’Afghanistan, le Pakistan, la Somalie et le Yémen.
3. Plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe ont fait l’acquisition de drones de combat ou envisagent de le faire, ou ont partagé des renseignements dont ils disposaient avec des Etats qui utilisent des drones de combat à des fins d’exécutions ciblées, les aidant ainsi à réaliser des attaques à l’aide de drones. Par ailleurs, les Etats-Unis d’Amérique disposent sur le territoire d’Etats membres du Conseil de l’Europe de bases de transmission qui jouent un rôle indispensable dans la réalisation d’attaques à l’aide de drones.
4. Les drones armés permettent d’effectuer des attaques à distance, sans que le personnel de l’attaquant risque d’être blessé ou capturé. Le fait que les drones équipés de puissants capteurs soient capables de rester quelque temps au-dessus d’une cible potentielle permet de décider du lancement d’une attaque à partir d’informations particulièrement précises et actualisées. Ces avantages ont contribué à abaisser le seuil d’intervention et à augmenter le nombre de frappes à l’aide de drones au cours de ces dernières années. Parallèlement, la précision accrue des frappes effectuées à l’aide de drones offre la possibilité de mieux respecter le droit international humanitaire et la législation sur les droits de l’homme.
5. L’Assemblée s’inquiète du grand nombre d’attaques meurtrières menées à l’aide de drones, qui ont également causé de nombreux dommages collatéraux sur des non-combattants, alors que les auteurs de ces frappes vantent leur caractère «chirurgical». La peur constante des attaques de drones engendrée par des frappes qui ont touché des écoles, des mariages et des assemblées tribales a perturbé la vie des sociétés traditionnelles dans les pays où se déroulent ces opérations.
6. Les frappes effectuées à l’aide de drones soulèvent de graves questions juridiques, qui diffèrent en fonction des circonstances dans lesquelles ces frappes interviennent:
6.1. la souveraineté nationale et le respect de l’intégrité territoriale au regard du droit international interdisent toute forme d’intervention militaire sur le territoire d’un autre Etat sans autorisation valable des représentants légitimes de l’Etat concerné. Les responsables militaires ou des services de renseignement de l’Etat concerné qui tolèrent, voire autorisent ces interventions sans l’approbation ou contre la volonté des représentants de l’Etat (notamment du parlement national) ne peuvent légitimer une attaque; l’obligation de respecter la souveraineté nationale peut connaître des exceptions, qui découlent du principe de la «responsabilité de protéger» (par exemple dans la lutte contre le groupe terroriste connu sous le nom d’«EI»), conformément aux principes de la Charte des Nations Unies et du droit international;
6.2. en vertu du droit international humanitaire, qui est applicable aux situations de conflit armé, seuls les combattants représentent des cibles légitimes. De plus, le recours à la force meurtrière doit être militairement nécessaire et proportionné, et des précautions raisonnables doivent être prises pour éviter les erreurs et minimiser le préjudice causé aux civils;
6.3. au regard de la législation internationale sur les droits de l’homme, qui est généralement applicable en temps de paix, mais dont l’application a progressivement imprégné aussi les situations de conflit armé, l’exécution intentionnelle par des agents de l’Etat n’est légale que si la protection de vies humaines l’exige et s’il n’existe aucun autre moyen, tel que la capture ou la neutralisation sans infliger la mort, d’empêcher que des vies humaines soient en danger;
6.4. plus précisément, en vertu de l’article 2 – Droit à la vie – de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme, la privation du droit à la vie ne peut être justifiée que si elle est absolument nécessaire pour préserver la vie ou assurer la protection d’autres personnes contre les violences illégales. L’article 2 exige également qu’une enquête efficace et approfondie soit menée en temps utile pour amener les responsables de tout acte répréhensible à en rendre compte;
6.5. pour justifier une utilisation plus large des exécutions ciblées, certains Etats ont étendu la notion de «conflit armé non international» de manière à ce qu’elle englobe de nombreuses régions du monde dans la catégorie des «zones de combat» de la «guerre mondiale contre le terrorisme». Cette démarche risque de brouiller la frontière entre conflit armé et exécution des lois, au détriment de la protection des droits de l’homme.
7. Malgré quelques progrès récents, dus au succès de certaines actions en justice menées notamment par des médias américains, les attaques effectuées à l’aide de drones de combat se déroulent encore largement dans le plus grand secret. Cela tient à la fois à l’issue réelle de chacune des attaques, et notamment à l’étendue des «dommages collatéraux», et au processus décisionnel qui consiste à cibler des personnes en mettant en balance les dommages qui peuvent être causés aux non-combattants.
8. L’Assemblée appelle tous les Etats membres et les Etats observateurs, ainsi que les Etats dont les parlements ont le statut d’observateur auprès de l’Assemblée:
8.1. à respecter scrupuleusement les limites imposées aux exécutions ciblées par le droit international, le droit international humanitaire et la législation relative aux droits de l’homme, notamment en matière d’utilisation des drones de combat;
8.2. à définir des procédures claires pour l’autorisation des frappes, qui doivent faire l’objet d’une surveillance constante, exercée par une juridiction de haut niveau, et d’une évaluation a posteriori, réalisée par une instance indépendante;
8.3. à éviter d’élargir la notion de «conflit armé non international», en continuant à respecter les critères établis, notamment le degré d’organisation des groupes non étatiques requis et un certain niveau d’intensité et de localisation de la violence. Par ailleurs, les frappes américaines effectuées à l’aide de drones, facilitées par la coopération en matière de transmissions sur le territoire des Etats membres, doivent faire l’objet d’enquêtes menées par les Etats membres eux-mêmes, pour veiller au respect de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme;
8.4. à mener des enquêtes efficaces et approfondies sur tous les morts causés par les drones armés, afin d’amener les responsables d’actes répréhensibles à en rendre compte et d’indemniser les victimes d’attaques lancées à tort ou les membres de leur famille;
8.5. à publier les critères et les procédures utilisés pour cibler des personnes et les conclusions des enquêtes menées sur les morts causées par l’utilisation de drones de combat;
8.6. à s’abstenir d’avoir recours à, ou de fournir des informations provenant des services de renseignement, ou d’autres éléments:
8.6.1. pour toute procédure automatique (robotique) visant à cibler des personnes sur la base de modes de communication ou d’autres données collectées par des techniques de surveillance de masse;
8.6.2. pour les «frappes signatures» qui ne reposent pas sur l’identification précise d’une personne ciblée, mais sur un certain comportement de la cible (sauf dans les situations de conflit armé, sous réserve que les dispositions du droit international humanitaire soient respectées);
8.6.3. pour les «frappes en doublé», qui consistent à prendre pour cible dans une deuxième frappe les premiers intervenants (par exemple les personnes qui dispensent une assistance médicale aux victimes d’une première frappe).
9. L’Assemblée exhorte le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe à ouvrir une procédure au titre de l’article 52 – Enquêtes du Secrétaire Général – de la Convention européenne des droits de l’homme pour demander aux Etats parties d’expliquer de quelle manière ils mettent en œuvre les dispositions de la Convention relatives au droit à la vie, notamment en ce qui concerne leurs propres programmes d’utilisation de drones comme armes et leur coopération avec des programmes américains, à travers l’échange d’informations et la mise en œuvre d’exécutions ciblées à l’aide de drones.