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Résolution 2051 (2015)
Drones et exécutions ciblées: la nécessité de veiller au respect des droits de l’homme et du droit international
1. L’Assemblée parlementaire considère
que l’utilisation des drones armés à des fins d’exécutions ciblées soulève
de graves questions en termes de droits de l’homme et d’autres domaines
du droit international.
2. L’Assemblée observe que plusieurs Etats membres et Etats qui
jouissent du statut d’observateur auprès du Conseil de l’Europe
ou de l’Assemblée parlementaire ont utilisé des drones de combat
comme armes de guerre ou pour procéder à des exécutions ciblées
de personnes soupçonnées d’appartenir à des groupes terroristes
dans un certain nombre de pays, dont l’Afghanistan, le Pakistan,
la Somalie et le Yémen.
3. Plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe ont fait l’acquisition
de drones de combat ou envisagent de le faire, ou ont partagé des
renseignements dont ils disposaient avec des Etats qui utilisent
des drones de combat à des fins d’exécutions ciblées, les aidant
ainsi à réaliser des attaques à l’aide de drones. Par ailleurs, les
Etats-Unis d’Amérique disposent sur le territoire d’Etats membres
du Conseil de l’Europe de bases de transmission qui jouent un rôle
indispensable dans la réalisation d’attaques à l’aide de drones.
4. Les drones armés permettent d’effectuer des attaques à distance,
sans que le personnel de l’attaquant risque d’être blessé ou capturé.
Le fait que les drones équipés de puissants capteurs soient capables
de rester quelque temps au-dessus d’une cible potentielle permet
de décider du lancement d’une attaque à partir d’informations particulièrement
précises et actualisées. Ces avantages ont contribué à abaisser
le seuil d’intervention et à augmenter le nombre de frappes à l’aide
de drones au cours de ces dernières années. Parallèlement, la précision
accrue des frappes effectuées à l’aide de drones offre la possibilité
de mieux respecter le droit international humanitaire et la législation
sur les droits de l’homme.
5. L’Assemblée s’inquiète du grand nombre d’attaques meurtrières
menées à l’aide de drones, qui ont également causé de nombreux dommages
collatéraux sur des non-combattants, alors que les auteurs de ces frappes
vantent leur caractère «chirurgical». La peur constante des attaques
de drones engendrée par des frappes qui ont touché des écoles, des
mariages et des assemblées tribales a perturbé la vie des sociétés traditionnelles
dans les pays où se déroulent ces opérations.
6. Les frappes effectuées à l’aide de drones soulèvent de graves
questions juridiques, qui diffèrent en fonction des circonstances
dans lesquelles ces frappes interviennent:
6.1. la souveraineté nationale et le respect de l’intégrité
territoriale au regard du droit international interdisent toute
forme d’intervention militaire sur le territoire d’un autre Etat
sans autorisation valable des représentants légitimes de l’Etat
concerné. Les responsables militaires ou des services de renseignement
de l’Etat concerné qui tolèrent, voire autorisent ces interventions
sans l’approbation ou contre la volonté des représentants de l’Etat
(notamment du parlement national) ne peuvent légitimer une attaque;
l’obligation de respecter la souveraineté nationale peut connaître
des exceptions, qui découlent du principe de la «responsabilité
de protéger» (par exemple dans la lutte contre le groupe terroriste
connu sous le nom d’«EI»), conformément aux principes de la Charte
des Nations Unies et du droit international;
6.2. en vertu du droit international humanitaire, qui est applicable
aux situations de conflit armé, seuls les combattants représentent
des cibles légitimes. De plus, le recours à la force meurtrière
doit être militairement nécessaire et proportionné, et des précautions
raisonnables doivent être prises pour éviter les erreurs et minimiser
le préjudice causé aux civils;
6.3. au regard de la législation internationale sur les droits
de l’homme, qui est généralement applicable en temps de paix, mais
dont l’application a progressivement imprégné aussi les situations
de conflit armé, l’exécution intentionnelle par des agents de l’Etat
n’est légale que si la protection de vies humaines l’exige et s’il
n’existe aucun autre moyen, tel que la capture ou la neutralisation
sans infliger la mort, d’empêcher que des vies humaines soient en
danger;
6.4. plus précisément, en vertu de l’article 2 – Droit à la
vie – de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5),
tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme,
la privation du droit à la vie ne peut être justifiée que si elle
est absolument nécessaire pour préserver la vie ou assurer la protection
d’autres personnes contre les violences illégales. L’article 2 exige
également qu’une enquête efficace et approfondie soit menée en temps
utile pour amener les responsables de tout acte répréhensible à
en rendre compte;
6.5. pour justifier une utilisation plus large des exécutions
ciblées, certains Etats ont étendu la notion de «conflit armé non
international» de manière à ce qu’elle englobe de nombreuses régions
du monde dans la catégorie des «zones de combat» de la «guerre mondiale
contre le terrorisme». Cette démarche risque de brouiller la frontière
entre conflit armé et exécution des lois, au détriment de la protection
des droits de l’homme.
7. Malgré quelques progrès récents, dus au succès de certaines
actions en justice menées notamment par des médias américains, les
attaques effectuées à l’aide de drones de combat se déroulent encore
largement dans le plus grand secret. Cela tient à la fois à l’issue
réelle de chacune des attaques, et notamment à l’étendue des «dommages
collatéraux», et au processus décisionnel qui consiste à cibler
des personnes en mettant en balance les dommages qui peuvent être
causés aux non-combattants.
8. L’Assemblée appelle tous les Etats membres et les Etats observateurs,
ainsi que les Etats dont les parlements ont le statut d’observateur
auprès de l’Assemblée:
8.1. à respecter
scrupuleusement les limites imposées aux exécutions ciblées par
le droit international, le droit international humanitaire et la
législation relative aux droits de l’homme, notamment en matière
d’utilisation des drones de combat;
8.2. à définir des procédures claires pour l’autorisation des
frappes, qui doivent faire l’objet d’une surveillance constante,
exercée par une juridiction de haut niveau, et d’une évaluation
a posteriori, réalisée par une instance indépendante;
8.3. à éviter d’élargir la notion de «conflit armé non international»,
en continuant à respecter les critères établis, notamment le degré
d’organisation des groupes non étatiques requis et un certain niveau
d’intensité et de localisation de la violence. Par ailleurs, les
frappes américaines effectuées à l’aide de drones, facilitées par
la coopération en matière de transmissions sur le territoire des
Etats membres, doivent faire l’objet d’enquêtes menées par les Etats
membres eux-mêmes, pour veiller au respect de l’article 2 de la
Convention européenne des droits de l’homme;
8.4. à mener des enquêtes efficaces et approfondies sur tous
les morts causés par les drones armés, afin d’amener les responsables
d’actes répréhensibles à en rendre compte et d’indemniser les victimes d’attaques
lancées à tort ou les membres de leur famille;
8.5. à publier les critères et les procédures utilisés pour
cibler des personnes et les conclusions des enquêtes menées sur
les morts causées par l’utilisation de drones de combat;
8.6. à s’abstenir d’avoir recours à, ou de fournir des informations
provenant des services de renseignement, ou d’autres éléments:
8.6.1. pour toute procédure automatique (robotique) visant à
cibler des personnes sur la base de modes de communication ou d’autres
données collectées par des techniques de surveillance de masse;
8.6.2. pour les «frappes signatures» qui ne reposent pas sur
l’identification précise d’une personne ciblée, mais sur un certain
comportement de la cible (sauf dans les situations de conflit armé,
sous réserve que les dispositions du droit international humanitaire
soient respectées);
8.6.3. pour les «frappes en doublé», qui consistent à prendre
pour cible dans une deuxième frappe les premiers intervenants (par
exemple les personnes qui dispensent une assistance médicale aux
victimes d’une première frappe).
9. L’Assemblée exhorte le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe
à ouvrir une procédure au titre de l’article 52 – Enquêtes du Secrétaire
Général – de la Convention européenne des droits de l’homme pour demander
aux Etats parties d’expliquer de quelle manière ils mettent en œuvre
les dispositions de la Convention relatives au droit à la vie, notamment
en ce qui concerne leurs propres programmes d’utilisation de drones
comme armes et leur coopération avec des programmes américains,
à travers l’échange d’informations et la mise en œuvre d’exécutions
ciblées à l’aide de drones.