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Résolution 2057 (2015)

Le patrimoine culturel dans les situations de crise et de postcrise

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Texte adopté par la Commission permanente, agissant au nom de l’Assemblée, le 22 mai 2015 (voir Doc. 13758, rapport de la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias, rapporteure: Mme Ismeta Dervoz).Voir également la Recommandation 2071 (2015).

1. L’Assemblée parlementaire constate avec une grande préoccupation que l’éradication délibérée de la culture, de l’identité et de l’existence de «l’autre» au travers de la destruction systématique du patrimoine culturel est devenue un élément central des conflits modernes à caractère ethnique, caractérisés par le recours à des forces paramilitaires et rarement précédés d’une déclaration de guerre officielle. Cette évolution rend très difficile l’application des instruments juridiques internationaux pertinents dont la Convention de La Haye pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé (1954) et la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre (1949), et ses protocoles (1977). L’Assemblée considère que la protection du patrimoine culturel pendant et immédiatement après un conflit est une question relative aux droits l’homme qui devrait engager la responsabilité internationale.
2. La résolution des conflits et la réconciliation sont des processus complexes qui peuvent s’étendre sur plusieurs générations. Ces processus supposent de faire preuve de sensibilité pour s’attacher en premier lieu à instaurer la tolérance et une coexistence pacifique, avant de chercher à développer la confiance, l’acceptation et la coopération. L’Assemblée souligne que la restauration et la reconstruction du patrimoine culturel bâti, et la sensibilisation à sa «valeur commune» (sa valeur intrinsèque, culturelle et historique) de toutes les communautés d’une société sont des aspects essentiels de la résolution des conflits.
3. Le processus de reconstruction du patrimoine culturel présente un fort potentiel de réconciliation et de construction de la cohésion sociale, mais il peut également être utilisé à mauvais escient pour réveiller les clivages et raviver la haine. Par conséquent, l’Assemblée affirme qu’un cadre politique, législatif et juridique solide est primordial pour jeter les bases des mesures de confiance dans un contexte de relèvement postcrise.
4. A la lumière de ces considérations, l’Assemblée recommande aux Etats membres du Conseil de l’Europe concernés par des situations de crise et de postcrise:
4.1. de signer et de ratifier la Convention-cadre du Conseil de l’Europe sur la valeur du patrimoine culturel pour la société (STCE no 199, «Convention de Faro») et la Convention européenne du paysage (STE no 176), s’ils ne l’ont pas encore fait, et de développer des stratégies nationales de restauration et de reconstruction du patrimoine culturel, conformément aux principes énoncés dans ces conventions;
4.2. de dépolitiser le processus de reconstruction du patrimoine culturel et de créer les conditions nécessaires pour permettre aux comités techniques indépendants de travailler sans subir de pressions de la part des autorités politiques et/ou religieuses, afin d’éviter l’imposition de politiques de reconstruction du patrimoine fondées sur l’ethnicité et la religion, et, par contre, de garantir un régime de protection du patrimoine impartial et non discriminatoire;
4.3. dans un premier temps, pendant et immédiatement après la crise, d’intégrer le patrimoine culturel dans les programmes d’urgence humanitaire, et en particulier:
4.3.1. de s’approprier le patrimoine culturel et sa diversité, plutôt que de déléguer la responsabilité à des organismes d’aide extérieurs;
4.3.2. d’entreprendre une évaluation des dommages causés au patrimoine culturel et d’assurer la cohérence entre l’aide humanitaire immédiate (par exemple les normes du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) en matière de logement et d’abri) et les exigences du patrimoine;
4.3.3. d’inclure le patrimoine bâti endommagé dans les programmes de réparation d’urgence, notamment les bâtiments susceptibles d’offrir un hébergement aux populations déplacées, tout en ayant recours aux méthodes appropriées (matériaux et techniques authentiques) pour leur restauration et leur reconstruction;
4.3.4. de prendre en compte le patrimoine bâti détruit dans les programmes de relance des villes et villages, en exploitant toutes les archives patrimoniales disponibles et en encourageant les communautés locales à participer au processus;
4.3.5. de préserver l’identité d’un lieu et de protéger les zones où le patrimoine bâti a été délibérément ciblé et détruit de toute construction temporaire ou permanente, exception faite de la restauration des bâtiments endommagés;
4.3.6. de protéger de toute détérioration, en procédant à des travaux de réparation d’urgence, les autres éléments du patrimoine bâti endommagés dont l’intégration dans les programmes d’urgence n’est pas justifiée;
4.4. dans un deuxième temps, de consolider les institutions publiques et les structures de gouvernance, et de définir le cadre de restauration et de reconstruction du patrimoine culturel, et en particulier:
4.4.1. de revoir la législation et les systèmes de contrôle de l’urbanisme, et de renforcer les mécanismes de suivi pour garantir des normes techniques élevées en matière de restauration et de reconstruction, et pour éviter les risques de développement anarchique et irrespectueux du patrimoine local;
4.4.2. d’associer la restauration et la reconstruction du patrimoine culturel au retour des réfugiés et des personnes déplacées;
4.4.3. d’élaborer des programmes nationaux de restauration et de reconstruction du patrimoine culturel endommagé ou détruit dans le cadre d’une stratégie nationale plus étendue en matière de patrimoine culturel; de faire participer les organisations et les donateurs internationaux à ce processus;
4.4.4. d’encourager la création de structures participatives, comme des forums du patrimoine culturel local, fondées sur les principes d’ouverture du dialogue, de transparence et de responsabilité, en vue de développer des projets relatifs au patrimoine culturel local; et d’engager une vaste consultation publique afin d’identifier les priorités;
4.4.5. dans l’évaluation postcrise des zones, d’inclure dans la production des inventaires une estimation des valeurs et de l’importance du patrimoine culturel, parallèlement aux informations techniques relatives à l’état d’un site de patrimoine culturel;
4.4.6. de préserver l’authenticité et de respecter toutes les couches de l’Histoire dans le processus de restauration et de reconstruction afin de conserver l’esprit des lieux et le caractère original des sites patrimoniaux;
4.4.7. outre les monuments emblématiques, de tenir dûment compte des autres sites du patrimoine local à l’architecture vernaculaire, y compris de leur contexte paysager naturel ou urbain, afin d’éviter la fragmentation des communautés et une perte d’identité;
4.5. dans un troisième temps, de consolider le processus de réconciliation et d’améliorer la pérennité des projets, et en particulier:
4.5.1. de garantir que la reconstruction liée à un projet à court terme ne prime pas une stratégie étendue et à plus long terme en faveur du développement durable;
4.5.2. d’engager des processus participatifs et une consultation publique afin d’intégrer les projets du patrimoine local dans les plans de développement socio-économique;
4.5.3. d’élaborer des plans de gestion du patrimoine local axés sur l’utilisation, les activités, les financements, les partenariats et l’implication de la communauté pour assurer que, dans la mesure du possible, le site deviendra au fil du temps un «patrimoine vivant» autonome;
4.5.4. d’utiliser le processus de restauration et de reconstruction du patrimoine culturel pour renforcer les capacités et les compétences, nouer des partenariats transectoriels (éducation, tourisme, médias, économie) et sensibiliser à sa «valeur commune» (sa valeur intrinsèque, culturelle et historique) toutes les communautés;
4.5.5. d’entreprendre des actions de certification de l’artisanat, de formation et d’accréditation pour stimuler l’emploi au plan local.
5. L’Assemblée invite instamment les organisations donatrices nationales et internationales à aider les institutions de l’Etat bénéficiaire, aux plans local et national, à s’approprier le patrimoine culturel et à définir ensemble des priorités et objectifs communs fondés sur un régime de protection du patrimoine culturel impartial et non discriminatoire, en accordant une attention particulière à la préservation de l’identité culturelle locale et de la diversité du patrimoine culturel; et à respecter ces principes.
6. L'Assemblée invite le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe à promouvoir la coopération, l'échange de compétences et d'expériences pratiques entre les collectivités locales et régionales, afin de gérer avec succès la restauration et la reconstruction du patrimoine culturel en tant qu’élément clé des processus de relèvement et de réconciliation après une crise.
7. L’Assemblée recommande à tous les Etats membres du Conseil de l’Europe, en coopération avec les Nations Unies et d’autres organisations compétentes:
7.1. d’envisager la révision et le renforcement des dispositions de la Convention de La Haye pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé et de la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, et ses protocoles, prévoyant des mécanismes de protection préventive plus solides et des sanctions plus lourdes, y compris des réparations, en cas de destructions non justifiées par des nécessités militaires; de reconnaître que ce type de destructions ne constitue pas une atteinte qu’au tissu bâti, mais aussi à ce qu’il représente et à la communauté qu’il dessert;
7.2. d’asseoir juridiquement l’idée selon laquelle la destruction et le pillage systématiques, délibérés et ciblés de biens culturels peuvent être qualifiés de crimes contre l’humanité, et de mettre au point de nouveaux mécanismes pour déférer les auteurs de tels actes devant la justice nationale et internationale.