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Rapport | Doc. 13801 | 05 juin 2015

Le fonctionnement des institutions démocratiques en Azerbaïdjan

Commission pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l'Europe (Commission de suivi)

Corapporteur : M. Pedro AGRAMUNT, Espagne, PPE/DC

Corapporteur : M. Tadeusz IWIŃSKI, Pologne, SOC

Origine - Renvoi en commission: Résolution 1115 (1997). 2015 - Troisième partie de session

Résumé:

Dans l’optique des prochaines élections générales qui auront lieu en novembre 2015, la commission de suivi a examiné le fonctionnement des institutions démocratiques en Azerbaïdjan et évalué la mise en œuvre des recommandations formulées par l’Assemblée en janvier 2013. Elle a centré ses efforts notamment sur l’équilibre des pouvoirs, l’indépendance de la justice et les questions électorales. Alarmée par les informations faisant état d’un recours de plus en plus fréquent à des poursuites pénales contre des dirigeants d’ONG, des journalistes, leurs avocats et d’autres personnes exprimant des opinions critiques, la commission a décidé d’examiner plus particulièrement l’état de mise en œuvre des paragraphes 18.2 et 18.4 de la Résolution 1917 (2013).

Même si elle a reconnu un processus électoral libre, équitable et transparent dans l’ensemble autour du jour du scrutin en octobre 2013, la commission regrette que certaines des recommandations les plus importantes de la Commission de Venise au sujet du cadre juridique électoral n’aient pas été mises en œuvre. Malgré les efforts déployés par les autorités, elle constate un manque d’indépendance de l’appareil judiciaire et s’inquiète du respect des principes de l’équité des procès, de l’égalité des armes et du respect de la présomption d’innocence. Tout en soutenant les efforts engagés par le pays pour promouvoir la transparence et lutter contre la corruption, le financement du terrorisme et le blanchiment de capitaux, la commission appelle à trouver un bon équilibre entre le droit d’association et la liberté d’expression, garantis par la Convention européenne des droits de l’homme, et la lutte légitime de l’Etat contre le crime organisé.

La commission est profondément préoccupée par la répression des droits de l’homme en Azerbaïdjan, où les conditions de travail des ONG et des défenseurs des droits de l’homme se sont considérablement détériorées, et par le nombre croissant de mesures de représailles visant des médias indépendants et des défenseurs de la liberté d’expression dans le pays. Elle appelle les autorités à mettre fin à ce harcèlement systématique des détracteurs du gouvernement. La commission se félicite du rétablissement des activités d’un groupe de travail conjoint sur les questions des droits de l’homme à la suite de l’accord conclu en août 2014 entre le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe et le Président de la République d’Azerbaïdjan.

Au vu de ces préoccupations et développements, l’Assemblée devrait appeler à appliquer pleinement les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, conformément aux résolutions du Comité des Ministres. Elle devrait faire des recommandations dans les domaines de la séparation des pouvoirs, du processus électoral, de l’appareil judiciaire, de la liberté d’expression et de la liberté d’association.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 28 mai 2015.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire reconnaît la complexité de la situation géopolitique de l’Azerbaïdjan, qui s’efforce d’entretenir des relations équilibrées avec l’Union européenne, la Turquie, l’Iran et ses autres voisins de la mer Caspienne, la Fédération de Russie et les Etats‑Unis. L’Azerbaïdjan a réussi à maintenir une politique étrangère indépendante et diversifiée, en particulier grâce à ses importantes ressources énergétiques et à son emplacement stratégique sur la mer Caspienne. L’Assemblée est pleinement consciente de l’occupation par l’Arménie du Haut‑Karabakh et de sept autres provinces de l’Azerbaïdjan, qui domine dans une large mesure la politique étrangère de l’Azerbaïdjan.
2. L’Assemblée prend note des préoccupations des autorités au sujet de la sécurité et de la stabilité du pays face aux menaces présumées venant de l’étranger, en particulier les risques qui pourraient résulter pour l’Azerbaïdjan de la situation en Ukraine. L’Azerbaïdjan est à cet égard un pays particulièrement important dont les ressources énergétiques jouent un rôle essentiel, en particulier au moment où l’Union européenne cherche à diversifier ses fournitures d’énergie au-delà de celles qui proviennent de la Fédération de Russie, ce qui a très fortement renforcé la position stratégique de Bakou ces derniers mois.
3. L’Assemblée note que la structure institutionnelle de l’Azerbaïdjan accorde des pouvoirs particulièrement importants au Président de la République et à l’exécutif. Outre les compétences restreintes attribuées au Milli Mejlis par la Constitution, elle attire l’attention sur le fait que toutes les forces de l’opposition ne sont pas représentées au parlement, ce qui empêche un dialogue politique véritable et un contrôle parlementaire efficace. Cela est dû principalement au fait que le système électoral, un système majoritaire à un tour similaire à celui du Royaume‑Uni, favorise à la fois le parti au pouvoir et les candidats indépendants et qu’en outre, l’opposition est très divisée en Azerbaïdjan et les candidats de l’opposition sont souvent en concurrence les uns contre les autres, s’affaiblissant ainsi réciproquement. C’est pourquoi, convaincue qu’il est dans l’intérêt supérieur du processus démocratique et du parti au pouvoir lui-même de se confronter aux partis de l’opposition au sein d’un organe représentatif, l’Assemblée appelle les autorités à mettre en place un environnement favorable au pluralisme politique et à un contrôle parlementaire accru sur l’exécutif, afin d’assurer l’équilibre des pouvoirs.
4. En novembre 2015, l’Azerbaïdjan procédera à des élections législatives. L’Assemblée regrette que certaines des recommandations les plus importantes de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), notamment celles concernant la composition des commissions électorales et l’enregistrement des candidats, n’aient pas été prises en compte. Elle rappelle que les autorités chargées de l’administration des élections doivent fonctionner de manière transparente et impartiale, en maintenant leur indépendance. Des voies de recours effectives sont essentielles pour assurer la confiance dans le processus électoral. Lors de l’élection présidentielle de 2013 en Azerbaïdjan, les délégations d’observation des élections de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et du Parlement européen ont constaté que le processus électoral s’était déroulé «de manière libre, équitable et transparente le jour du scrutin, mais des améliorations du cadre électoral sont encore souhaitables»; néanmoins, l’Assemblée appelle les autorités azerbaïdjanaises à prendre les mesures nécessaires pour éviter les problèmes observés pendant les élections précédentes, par exemple l’adoption de décisions judiciaires non pleinement motivées et non fondées en droit et l’absence d’un véritable contrôle juridictionnel.
5. L’Assemblée rappelle que l’indépendance de l’appareil judiciaire est l’une des conditions fondamentales de la séparation des pouvoirs et de l’équilibre entre ceux-ci. Elle accueille favorablement les modifications législatives récentes concernant le pouvoir judiciaire et, en particulier, la nouvelle règle prévoyant le départ à la retraite des juges à l’âge de 65 ans et la suppression de la réglementation antérieure qui permettait le maintien de certains juges dans leurs fonctions jusqu’à l’âge de 70 ans. Cependant, elle encourage les autorités à mieux assurer la pleine indépendance de l’appareil judiciaire et, en particulier, empêcher toute influence et ingérence de l’exécutif. Le Conseil judiciaire et juridique devrait être composé exclusivement de juges, ou au moins comprendre une forte majorité de juges élus par leurs pairs. Le rôle du Conseil judiciaire et juridique dans la nomination de toutes les catégories de juges et de présidents de tribunaux devrait encore être renforcé. D’autre part, tout en prenant note des modifications législatives récentes réduisant de cinq à trois ans la période probatoire pour les juges, l’Assemblée rappelle que la Commission de Venise s’est toujours opposée à l’existence de périodes probatoires pour les juges et ne les tolère que sous certaines conditions rigoureuses.
6. Malgré ces efforts, le manque d’indépendance de l’appareil judiciaire demeure une source de préoccupation en Azerbaïdjan où le pouvoir exécutif continuerait à exercer une influence indue. L’ouverture de poursuites pénales sur la base d’arguments juridiques douteux et l’imposition de peines disproportionnées demeurent des aspects préoccupants. L’équité des procès, l’égalité des moyens et le respect de la présomption d’innocence sont aussi des motifs majeurs de préoccupation. L’Assemblée s’inquiète du recours à la détention provisoire comme moyen de punir des personnes ayant critiqué le gouvernement, comme indiqué dans l’arrêt de la Cour dans l’affaire Ilgar Mammadov c. Azerbaïdjan où elle constate une violation de l’article 18 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention»).
7. Une légère baisse des niveaux de corruption a été observée sous l’effet de plusieurs réformes importantes et de plusieurs programmes nationaux et internationaux. L’Assemblée se félicite de la baisse de niveau de la corruption, notamment dans le contexte des services fournis au quotidien par le réseau de centres de services publics appelés centres ASAN. Tout en soutenant les efforts engagés par le pays pour promouvoir la transparence et lutter contre la corruption, le financement du terrorisme et le blanchiment de capitaux, l’Assemblée appelle instamment les autorités à trouver un équilibre adéquat entre le droit d’association et la liberté d’expression, garantis par la Convention européenne des droits de l’homme, et la lutte légitime de l’Etat contre le crime organisé.
8. Au vu de ce qui précède, l’Assemblée appelle les autorités à réviser la loi sur les organisations non gouvernementales (ONG) afin de répondre aux préoccupations exprimées par la Commission de Venise et de créer un environnement propice aux activités de la société civile. Les insuffisances de la législation sur les ONG nuisent en effet à la capacité des ONG à mener leurs activités et cela est préoccupant. Le contrôle strict exercé par les autorités de l’Etat sur les ONG est susceptible de porter atteinte à l’exercice du droit à la liberté d’association garanti à l’article 11 de la Convention. A cet égard, l’Assemblée condamne la répression des droits de l’homme en Azerbaïdjan où les conditions de travail des ONG et des défenseurs des droits de l’homme se sont considérablement détériorées et où des défenseurs des droits de l’homme, des militants de la société civile et des journalistes, éminents et reconnus, sont derrière les barreaux. D’autre part, l’Assemblée prend note de l’adoption de la loi sur la participation publique qui instaure un contrôle public sur le pouvoir exécutif central et local et les organes de l’autonomie locale, en assurant la participation des institutions de la société civile aux processus de décision.
9. L’Assemblée est profondément préoccupée par le nombre croissant de mesures de représailles visant des médias indépendants et des défenseurs de la liberté d’expression en Azerbaïdjan.
10. L’Assemblée s’inquiète des informations communiquées par les défenseurs des droits de l’homme et les ONG internationales, et confirmées par le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, sur le recours de plus en plus fréquent à des poursuites pénales à l’encontre de dirigeants d’ONG, de journalistes et de leurs avocats, ou d’autres personnes exprimant des opinions critiques, en s’appuyant sur des allégations d’infractions en relation avec leurs activités. L’Assemblée appelle les autorités à mettre fin au harcèlement systématique des détracteurs du gouvernement. L’Assemblée prend note avec satisfaction du rétablissement des activités d’un groupe de travail conjoint sur les questions de droits de l’homme, composé de représentants de la société civile, de militants prééminents des droits de l’homme, de représentants du Conseil de l’Europe, de députés et de membres de l’administration présidentielle, suite à l’accord conclu en août 2014 entre le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe et le Président de la République d’Azerbaïdjan.
11. Compte tenu de ces préoccupations et de ces développements, l’Assemblée appelle les autorités azerbaïdjanaises:
11.1. à appliquer pleinement les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, conformément aux résolutions du Comité des Ministres;
11.2. concernant l’équilibre entre les pouvoirs, à renforcer l’application effective du principe de séparation des pouvoirs garanti par la Constitution, et en particulier:
11.2.1. à renforcer le contrôle parlementaire de l’exécutif;
11.2.2. à assurer la pleine indépendance de l’appareil judiciaire, en particulier vis-à-vis de l’exécutif;
11.3. concernant les élections:
11.3.1. à accélérer la mise en œuvre des recommandations en suspens de la Commission de Venise et des décisions du Comité des Ministres sur l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme dans le groupe d’affaires Namat Aliyev avant les prochaines élections, et en particulier:
11.3.1.1. à prendre les mesures nécessaires pour résoudre les problèmes mis en évidence dans les arrêts de la Cour au sujet de l’indépendance, de la transparence et de la qualité juridique des procédures engagées devant les commissions électorales;
11.3.1.2. à continuer d’améliorer le système de contrôle de la conformité des élections afin de prévenir tout arbitraire et de permettre un contrôle juridictionnel effectif des procédures;
11.3.1.3. à poursuivre les réformes concernant la composition de l’administration électorale, l’enregistrement des candidats et l’inscription des électeurs sur les listes électorales, conformément aux recommandations de la Commission de Venise et du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE/BIDDH);
11.3.1.4. à finaliser les réformes en cours concernant le financement des partis politiques et, en particulier, le financement des campagnes électorales, conformément aux recommandations du Groupe d'Etats contre la corruption (GRECO);
11.3.1.5. à veiller à ce que les candidats ne soient tenus de notifier aux autorités exécutives que leur seule intention d’organiser un rassemblement;
11.3.1.6. à mettre à profit les compétences de la Commission de Venise à cet égard;
11.3.2. à encourager un climat favorable au pluralisme, à la liberté de faire campagne et à la liberté des médias en vue des élections de novembre 2015;
11.4. concernant l’appareil judiciaire:
11.4.1. à garantir l’indépendance de la justice et des juges et à éviter et s’abstenir d’exercer sur eux de quelconques pressions;
11.4.2. à continuer de modifier la législation sur la composition et les compétences du Conseil judiciaire et juridique et la nomination des juges en vue de réduire l’influence de l’exécutif, et en particulier:
11.4.2.1. à faire en sorte que le Conseil judiciaire et juridique soit composé exclusivement de juges ou d’une majorité substantielle de juges élus par leurs pairs, en accordant des pouvoirs accrus à l’Assemblée générale des juges;
11.4.2.2. à examiner la possibilité de supprimer la période probatoire pour les juges ou, au moins, d’en réduire encore la durée sur la base de critères objectifs préétablis;
11.4.3. à prendre les mesures nécessaires pour éviter que des procédures pénales ne soient engagées sans motif légitime et pour assurer un contrôle juridictionnel effectif par le parquet de toute tentative en ce sens, ainsi que pour prévenir les violations de la présomption d’innocence par les organes d’application de la loi ou par des membres du gouvernement;
11.4.4. à prendre toutes les dispositions nécessaires pour garantir la régularité de la procédure et l’impartialité des tribunaux, conformément à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme;
11.4.5. à prendre les dispositions nécessaires pour assurer que la détention provisoire ne puisse être imposée sans examiner si cette mesure est nécessaire et proportionnée, ou si des mesures moins attentatoires pourraient être appliquées;
11.4.6. à utiliser tous les outils juridiques disponibles pour libérer les détenus dont l’incarcération soulève des doutes et des préoccupations justifiés;
11.4.7. à s’abstenir de toute pression sur les avocats défendant des représentants d’ONG et des journalistes;
11.5. concernant la liberté d’expression:
11.5.1. à créer des conditions adéquates pour permettre aux journalistes d’effectuer leur travail et à s’abstenir de toute forme de pression sur eux;
11.5.2. à mettre un terme aux mesures de représailles à l’encontre de journalistes et d’autres personnes exprimant des opinions critiques;
11.5.3. à s’abstenir de restreindre la liberté d’expression et la liberté des médias, aussi bien dans la législation que dans la pratique;
11.5.4. à intensifier les efforts en vue de la dépénalisation de la diffamation, en coopération avec la Commission de Venise, afin d’assurer que la diffamation ne soit pas associée à des sanctions pénales excessivement sévères, y compris des peines d’emprisonnement; et, entre-temps, à appliquer la législation en vigueur avec prudence afin d’éviter l’imposition de peines d’emprisonnement pour ce type d’infraction;
11.6. concernant la liberté d’association:
11.6.1. à réviser la loi sur les ONG en vue de répondre aux préoccupations exprimées par la Commission de Venise;
11.6.2. à créer un environnement propice aux activités légitimes des ONG, y compris celles exprimant des avis critiques.
12. L’Assemblée décide de suivre de près la situation en Azerbaïdjan et de faire le point sur les progrès réalisés dans la mise en œuvre de la présente résolution et des résolutions précédentes.

B. Exposé des motifs, par MM. Agramunt et Iwiński, corapporteurs

(open)

1. Introduction

1. S’agissant de la procédure de suivi en cours, le dernier débat sur le respect des obligations et engagements de l’Azerbaïdjan s’est tenu à l’Assemblée parlementaire en janvier 2013 et a débouché sur l’adoption de la Résolution 1917 (2013). Les précédents corapporteurs, MM. Joseph Debono Grech et Pedro Agramunt, ont effectué une dernière visite en Azerbaïdjan en mai 2014, après quoi ils ont publié une note d’information qui a été déclassifiée le 25 août 2014 
			(2) 
			AS/Mon (2014) 17. .
2. En janvier 2015, la commission de suivi a nommé M. Tadeusz Iwiński corapporteur en remplacement de M. Joseph Debono Grech. Comme le mandat de corapporteur de M. Pedro Agramunt doit aussi s’achever sous peu, afin d’assurer une transmission efficace du dossier, nous avons décidé d’effectuer immédiatement une visite ensemble en tant que corapporteurs du 1er au 4 mars 2015. Le but de cette visite était d’évaluer la mise en œuvre des recommandations formulées par l’Assemblée en janvier 2013. Durant cette visite, nous avons décidé de centrer nos efforts sur la question fondamentale de l’indépendance de la justice, qui est l’une des conditions préalables essentielles requises par l’Etat de droit et le principe de séparation et d’équilibre des pouvoirs. Nous avons aussi abordé certaines questions relatives aux élections, puisque des élections générales sont prévues en Azerbaïdjan en novembre 2015. Nous étions alarmés par les informations émanant de défenseurs de droits de l’homme, d’organisations non gouvernementales (ONG) nationales et internationales et d’organisations internationales sur l’utilisation présumée d’accusations contre des militants et des journalistes – et leurs avocats – qui, aux yeux de beaucoup, sont des prisonniers politiques et des prisonniers d’opinion. Nous avons donc décidé d’examiner plus particulièrement l’état de mise en œuvre des paragraphes 18.2 et 18.4 de la Résolution 1917 (2013).
3. Au vu des développements observés dans le pays dans les domaines susmentionnés, nous avons décidé de publier un rapport sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Azerbaïdjan. Dans ce rapport, nous examinerons l’application effective du principe de séparation des pouvoirs, afin de comprendre l’équilibre des pouvoirs dans le pays et, en particulier, la fonction de contrôle du parlement dans un système fortement présidentiel, le rôle des partis d’opposition, ainsi que l’indépendance de l’appareil judiciaire. Dans l’optique des prochaines élections générales qui auront lieu en novembre 2015, une section sera consacrée au cadre juridique et institutionnel et aux pratiques dans le domaine électoral. Nous examinerons dans ce contexte, mais aussi plus généralement, l’indépendance et le fonctionnement de la justice, ainsi que la question de la détention provisoire. Les derniers développements concernant la liberté d’expression et d’association seront également pris en compte. Sans entrer dans le détail de chaque cas, nous jugeons très inquiétant le fait qu’au moins 22 prisonniers de conscience soient actuellement détenus en Azerbaïdjan selon Amnesty International, une organisation réputée 
			(3) 
			Rapport d’Amnesty International
du 4 mars 2014, <a href='https://www.amnesty.org/en/documents/eur55/1077/2015/en/'>Guilty
of Defending Rights: Azerbaijan’s Human Rights Defenders and Activists
behind Bars (disponible en anglais uniquement)</a>.. Les exemples ci-dessous sont mentionnés uniquement pour illustrer les problèmes systémiques. D’autre part, la commission des questions juridiques et des droits de l’homme a chargé M. Pedro Agramunt de préparer un rapport sur «La présidence azerbaïdjanaise du Conseil de l’Europe: quel suivi en matière de respect des droits de l’homme?».
4. Au cours de notre visite, nous avons rencontré plusieurs hauts responsables, dont le Président de la République, le ministre de la Justice, le procureur général et des membres de l’administration présidentielle. Au Milli Mejlis (parlement), nous avons rencontré les présidents de la commission des politiques juridiques et de réorganisation de l’Etat et de la commission des droits de l’homme. Nous avons également tenu un échange de vues avec la délégation de l’Azerbaïdjan auprès de l’Assemblée parlementaire. Le Bureau du Conseil de l’Europe à Bakou a aimablement organisé des rencontres avec des ONG, des représentants de la communauté internationale et des avocats de personnes en détention. Nous souhaitons exprimer notre gratitude à la délégation parlementaire azerbaïdjanaise et à son secrétariat pour l’excellente organisation de la visite, ainsi qu’au Bureau du Conseil de l’Europe à Bakou qui nous a aidés à organiser des réunions. Nous sommes particulièrement reconnaissants aux autorités de nous avoir fourni des moyens de transport pour rendre visite à des détenus dans la prison de Kurdakhani et dans la Prison 13.

2. Développements récents

5. La situation politique et de sécurité de l’Azerbaïdjan est déterminée dans une large mesure par le contexte géopolitique et peut difficilement être examinée sans prendre en compte ce dernier. Le pays est situé entre la Fédération de Russie, l’Iran et l’Arménie.
6. Depuis son accès à l’indépendance, l’Azerbaïdjan s’est efforcé de trouver dans sa politique étrangère un équilibre dans les relations avec l’Union européenne, la Turquie, l’Iran et ses autres voisins de la mer Caspienne, la Fédération de Russie et les Etats‑Unis. Pendant les dernières années, l’Azerbaïdjan est parvenu à maintenir une politique étrangère indépendante, équilibrée et diversifiée en s’appuyant sur ses importantes ressources énergétiques et sa situation stratégique sur la mer Caspienne.
7. L’Azerbaïdjan a noué des relations diplomatiques avec des acteurs clés comme l’Union européenne, les Etats‑Unis et la Turquie. Ses relations avec la Fédération de Russie ont été caractérisées par la prudence, l’Azerbaïdjan ayant refusé d’adhérer à l’Union eurasiatique. Dans le même temps, l’Azerbaïdjan a exprimé des réserves au sujet de la signature d’un Accord de stabilisation et d’association avec l’Union européenne 
			(4) 
			L’Azerbaïdjan
n’a pas signé d’accord d’association avec l’Union européenne, mais
le pays s’engage dans un Partenariat stratégique pour la modernisation
(SPM). Les accords Union européenne–Azerbaïdjan de facilitation
de l’octroi des visas et de réadmission sont entrés en vigueur le
1er septembre 2014. . L’Azerbaïdjan a souhaité obtenir un traitement différentiel au sein du Partenariat oriental, en insistant pour que ses liens de coopération bilatéraux avec l’Union européenne soient axés sur le développement économique, l’énergie, les communications et les migrations, peut-être au détriment de certains éléments clés de la démocratie, de l’Etat de droit et du respect des droits de l’homme 
			(5) 
			<a href='http://www.contact.az/docs/2015/Politics/042100113352en.htm'>www.contact.az/docs/2015/Politics/042100113352en.htm.</a>. Cette politique semble avoir pour but de manifester la neutralité de l’Azerbaïdjan à l’égard de la Russie et des pays occidentaux.
8. L’agenda de politique étrangère azerbaïdjanais est toujours dominé par l’occupation du Haut‑Karabakh et de sept autres provinces d’Azerbaïdjan par l’Arménie. Cette question sera abordée par M. Robert Walter dans le rapport qu’il prépare pour la commission des questions politiques et de la démocratie sous le titre «L’escalade de la violence dans le Haut‑Karabakh et les autres territoires occupés en Azerbaïdjan». Nous n’analyserons pas, dans le cadre du présent rapport, la question de la mise en œuvre des engagements du pays à cet égard.
9. Evoquant les manifestations qui ont eu lieu avant l’élection présidentielle de 2013 en Azerbaïdjan, nos interlocuteurs sont apparus inquiets de la possibilité de troubles sociaux ou de désordres. Ils ont invoqué les exemples de la Géorgie et de l’Ukraine pour justifier leur approche quasi‑paranoïaque de la stabilité et de la sécurité intérieures du pays.
10. Les événements en Ukraine ont également exercé une influence sur les relations de l’Azerbaïdjan avec les pays occidentaux en révélant la fragilité de l’environnement de sécurité énergétique en Europe. L’Azerbaïdjan constitue à cet égard un pays particulièrement important dont les ressources énergétiques jouent un rôle pivot. L’Union européenne cherche à diversifier ses fournitures d’énergie via le «corridor gazier sud-européen» et cela a très fortement renforcé la position stratégique de Bakou.
11. L’Union européenne est le principal partenaire commercial de l’Azerbaïdjan, les échanges avec l’Union européenne représentant environ 42,4 % du total des échanges de l’Azerbaïdjan 
			(6) 
			<a href='http://ec.europa.eu/trade/policy/countries-and-regions/countries/azerbaijan/'>http://ec.europa.eu/trade/policy/countries-and-regions/countries/azerbaijan/.</a>. En 2014, les échanges bilatéraux Union européenne–Azerbaïdjan ont atteint 16,7 milliards d’euros 
			(7) 
			<a href='http://eeas.europa.eu/enp/pdf/2015/azerbaijan-enp-report-2015_en.pdf'>http://eeas.europa.eu/enp/pdf/2015/azerbaijan-enp-report-2015_en.pdf.</a>. Le partenariat stratégique autour de l’énergie est l’épine dorsale de cette relation. Le projet de l’Union européenne en vue de la création d’un système de pipelines pour le transport des ressources en hydrocarbures de l’Azerbaïdjan vers l’Europe via la Turquie a été développé il y a une dizaine d’années afin de briser le monopole exercé par la Fédération de Russie sur l’exportation des ressources énergétiques de la mer Caspienne et de fournir à l’Europe un moyen important de diversification grâce à l’établissement d’un «corridor gazier sud‑européen». Lorsque l’Azerbaïdjan est devenu le seul fournisseur du corridor, elle a promu le réseau gazier transanatolien (TANAP) en remplacement du projet Nabucco alors contesté. Le réseau TANAP doit permettre à l’Azerbaïdjan et à la Turquie d’obtenir le contrôle du transit du gaz azerbaïdjanais et du gaz d’Asie centrale, d’Iran et d’Irak via la Turquie. Le projet conjoint Union européenne–Azerbaïdjan de corridor gazier sud‑européen a été officiellement lancé en septembre 2014. La Turquie a inauguré les travaux du pipeline TANAP en mars 2015. Les pays de l’Union européenne prévoient que ce corridor permettra de réduire fortement leur dépendance à l’égard du gaz russe, puisqu’il devrait couvrir 20 % des besoins de l’Union européenne.
12. L’Azerbaïdjan fait maintenant valoir de façon particulièrement vigoureuse son droit à une vision propre de l’avenir du pays. Il en est résulté une transformation de la nature des relations entre l’Azerbaïdjan et les pays occidentaux, l’Azerbaïdjan évoluant d’une position de demandeur à celle d’acteur indépendant.
13. Les interlocuteurs de haut niveau avec lesquels nous nous sommes entretenus en Azerbaïdjan nous ont déclaré à cet égard que le pays doit faire face à de nombreuses menaces pour son indépendance et qu’une réponse vigoureuse est nécessaire pour assurer sa stabilité et sa sécurité. Ils ont insisté en outre sur la nécessité d’éviter le risque de crises et de tensions sociales avant les premiers Jeux européens qui auront lieu à Bakou en juin 2015. A cet égard, l’intensification récente des critiques formulées au niveau international par des ONG occidentales a conduit à la publication en avril 2015 par l’Agence de Presse Azérie (APA) d’une enquête documentaire 
			(8) 
			<a href='http://en.apa.az/news/226342'>http://en.apa.az/news/226342.</a> accusant un «réseau extérieur anti-Azerbaïdjan» et le «lobby arménien» d’associer leurs efforts pour exagérer de manière artificielle et malveillante les problèmes de droits de l’homme, de liberté de la presse, de corruption, etc., en appelant à boycotter les premiers Jeux européens. L’APA, qui exprime le point de vue azerbaïdjanais officiel, déclare que ces forces cherchent à politiser les premiers Jeux européens par un barrage d’informations unilatérales, en attirant de manière déformée l’attention de la communauté internationale sur les affaires intérieures de l’Azerbaïdjan et en contraignant le pays à abandonner son orientation politique indépendante au moyen de pressions et de menaces qui ont déjà été utilisées avec succès contre certains Etats. Cependant, il est connu qui mène ces activités scandaleuses, et par quels moyens, car d’autres pays de la Communauté des Etats indépendants (CEI) ont été soumis récemment à une campagne similaire organisée par des milieux occidentaux. Bien que les véritables motifs de ces activités soient clairs, ces milieux font de grands efforts pour dissimuler leurs motifs et leurs intentions derrière de fausses déclarations. D’après l’APA, le motif principal des ONG étrangères est de protéger les membres de la «cinquième colonne» qui sont financés et reçoivent leurs instructions de sources occidentales et arméniennes et qui participent activement depuis de nombreuses années à une campagne de dénigrement contre l’Azerbaïdjan, en violant de manière flagrante la législation du pays.
14. Lors de nos entretiens, les autorités nous ont notamment rappelé les multiples menaces auxquelles est confronté l’Azerbaïdjan. Mentionnant la tentative du dirigeant du Conseil national des forces démocratiques, Rustam Ibragimbekov, qui est de nationalité russe, de se porter candidat aux élections de 2013, et l’influence négative de certains intérêts étrangers par le biais du financement des ONG, les autorités ont parlé d’«attaques par des étrangers, des ONG et des médias contre un pays libre». A leur avis, le Conseil de l’Europe et d’autres organisations internationales n’appliquent pas des normes identiques à l’Azerbaïdjan et à d’autres pays dans lesquels la situation est bien plus grave, par exemple la Géorgie où la moitié des membres du gouvernement précédent sont en prison. Lors d’une réunion avec Amnesty International, les deux corapporteurs ont appris, à leur grande surprise, que les anciens membres du gouvernement emprisonnés en Géorgie ne sont pas considérés comme des prisonniers politiques.

3. Equilibre entre les pouvoirs

15. L’Azerbaïdjan se caractérise par un pouvoir exécutif fort. Les principes de l’indépendance et de la séparation des pouvoirs sont inscrits dans la Constitution, mais le cadre institutionnel accorde des pouvoirs importants au Président de la République 
			(9) 
			Article 109 de la Constitution.. Les deux autres pouvoirs – judiciaire et législatif – sont en comparaison faibles. Les organes chargés d’exercer des fonctions de contrôle (société civile, médias et partis politiques) sont également faibles. L’institution du Médiateur ne jouit guère d’indépendance. Dans son rapport d’évaluation du quatrième cycle 
			(10) 
			<a href='http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/greco/evaluations/round4/Eval IV/GrecoEval4(2014)2_Azerbaijan_FR.pdf'>Greco
Eval IV Rep (2014) 2 F</a>, Rapport d’évaluation du Quatrième Cycle sur l’Azerbaïdjan,
adopté le 10 octobre 2014 et publié le 2 avril 2015., le Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO) indique que «le cadre institutionnel confère des pouvoirs particulièrement étendus au Président et au pouvoir exécutif, qui exercent une influence considérable sur le corps législatif et judiciaire, en particulier sur le ministère public. Cette configuration crée un environnement manquant de transparence et propice au favoritisme politique ainsi qu’à la corruption». Cependant, dans son rapport 
			(11) 
			<a href='http://www.transparency.org/whatwedo/publication/azerbaijan_national_integrity_system_assessment_2014'>www.transparency.org/whatwedo/publication/azerbaijan_national_integrity_system_assessment_2014</a>., Transparency International considère que les capacités des institutions gouvernementales, en particulier leurs ressources humaines, techniques et financières, et le solide cadre légal du pays constituent les principaux points forts du système national d’intégrité de l’Azerbaïdjan. Transparency International indique également que «pendant les dernières années, le gouvernement a lancé plusieurs programmes importants qui commencent à donner de premiers résultats. Entre 2011 et 2014, l’Azerbaïdjan a vu une réduction du niveau de la corruption, en particulier dans les services fournis quotidiennement par le réseau de centres de services publics appelés centres ASAN, grâce à l’introduction d’un système de services électroniques et d’un portail unique de l’administration publique en ligne, et aussi à l’amélioration des procédures de création d’entreprise et des pratiques de recrutement dans la fonction publique».
16. Le Président de l’Azerbaïdjan, M. Ilham Aliyev, est à la fois chef de l’Etat et chef du pouvoir exécutif. Il occupe ces fonctions depuis le 31 octobre 2003. Il a été réélu le 15 octobre 2008 avec 88,7 % des voix, puis en 2013 avec 85 % des voix, obtenant ainsi un troisième mandat de cinq ans. Le Président est rééligible sans limitation de mandats et la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) a jugé que cela constituait «un recul du point de vue de la démocratie» 
			(12) 
			<a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-INF(2001)026-e'>CDL-AD(2001)026</a>, Opinion on the Draft Constitutional Law of the Republic
of Azerbaijan on «Safeguards for the Vote of Confidence to the Cabinet
of Ministers by the Milli Meljis» (disponible en anglais uniquement),
adopté par la Commission de Venise lors de sa 49e session
plénière (Venise, 14-15 décembre 2001), paragraphes 15 et 23; <a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2009)010-e'>CDL-AD(2009)010</a>, Avis sur le projet d’amendements à la Constitution
de la République d’Azerbaïdjan, adopté par la Commission de Venise
lors de sa 78e session plénière (Venise,
13-14 mars 2009), paragraphe 13.. Il convient de noter, cependant, que la ré‑éligibilité sans limitation de mandats du chef de l’Etat ou du chef du gouvernement existe aussi dans de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe. Le Président jouit de l’immunité à vie contre les poursuites pénales.
17. Les pouvoirs du Président sont énumérés longuement à l’article 109 de la Constitution. Entre autres choses, la Constitution donne pouvoir au Président de nommer et renvoyer le gouvernement; le Président est le garant de l’indépendance de l’appareil judiciaire; il soumet le budget au Milli Mejlis; il soumet également au Milli Mejlis les nominations et révocations des juges de la Cour constitutionnelle, de la Cour suprême et des cours d’appel; il nomme les juges des autres tribunaux; il nomme et révoque le Procureur général avec l’approbation du Milli Mejlis; il présente des candidats au Milli Mejlis en vue de l’élection du Commissaire aux droits de l’homme d’Azerbaïdjan; il règle d’autres questions ne relevant pas des compétences du Milli Mejlis de la République d’Azerbaïdjan et de l’appareil judiciaire (article 109, paragraphe 32).
18. L’Assemblée nationale est un organe unicaméral comprenant 125 membres élus au système majoritaire pour un mandat de cinq ans. Les dernières élections législatives ont eu lieu le 7 novembre 2010. Le parti au pouvoir a obtenu 73 sièges et 71 sièges ont été attribués au parti «Azerbaïdjan nouveau» (Yeni Azerbaijan) et 41 à des candidats indépendants. Le Parti de la patrie a obtenu 2 sièges. Les 11 sièges restants ont été répartis entre neuf partis d’opposition. Le Parti Musavat et le Parti du front populaire d’Azerbaïdjan n’ont pas réussi à obtenir une représentation au parlement. Cela est dû principalement au fait que le système électoral, un système majoritaire à un tour similaire à celui du Royaume‑Uni, favorise à la fois le parti au pouvoir et les candidats indépendants et qu’en outre, l’opposition est très divisée en Azerbaïdjan et les candidats de l’opposition sont souvent en concurrence les uns contre les autres dans la même circonscription, s’affaiblissant ainsi réciproquement. Selon la Commission électorale centrale (CEC), le taux de participation au scrutin a été de 50,1 %. Les prochaines élections sont prévues pour le 1er novembre 2015 (voir plus bas la section sur les élections).
19. Nous sommes préoccupés par les compétences restreintes et les pouvoirs effectifs du Milli Mejlis, tels que définis dans la Constitution.
20. Aux termes de la Constitution 
			(13) 
			Article 96 I, II, III,
IV., lorsque l’initiative d’un texte de loi émane d’une autre instance que les parlementaires – Président de la République, Cour suprême, Bureau du procureur, Conseil suprême de la République autonome du Nakhitchevan ou groupe de 40 000 citoyens ayant le droit de vote –, le projet de loi ne peut être modifié qu’avec l’approbation de l’instance habilitée à initier un texte de loi et doit être soumis au vote dans un délai de deux mois (ou 20 jours dans les cas urgents), tandis que les autres projets de loi doivent être adoptés dans un délai de six mois (article 20 du règlement du parlement). Nous avons exprimé notre préoccupation au sujet de la restriction substantielle des fonctions législatives du Milli Mejlis qui résulte de ces dispositions 
			(14) 
			Au paragraphe 22 du
Rapport d’évaluation du Quatrième Cycle du GRECO sur l’Azerbaïdjan, <a href='http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/greco/evaluations/round4/Eval IV/GrecoEval4(2014)2_Azerbaijan_FR.pdf'>Greco
Eval IV Rep (2014) 2 F</a>, op. cit., le
GRECO recommande la suppression de ces dispositions. .
21. Un certain nombre de dispositions constitutionnelles prévoient que le parlement doit approuver diverses nominations à des postes exécutifs et judiciaires de haut niveau 
			(15) 
			Le parlement doit approuver
la nomination et la révocation du Premier ministre par le Président
(articles 109 (4) et 128.V). Les juges de la Cour constitutionnelle,
de la Cour suprême et des cours d’appel sont nommés par le parlement
sur proposition du Président (articles 130.II, 131.II et 132.II).
Le parlement peut destituer le Président mais seulement sur la recommandation
de la Cour constitutionnelle (article 95 (12)). Le parlement peut
démettre les juges de leurs fonctions pour diverses raisons sur
proposition du Président (article 95 (13)). D’autre part, le parlement
peut nommer et renvoyer les membres de la Banque nationale (article
95 (15)) sur proposition du Président. Le Procureur général est
nommé et révoqué par le Président avec l’approbation du parlement
(article 133.III). L’article 114 prévoit expressément que le Président
forme le conseil des ministres, qui est l’organe exécutif suprême,
soumis au Président et responsable devant lui. L’article 109 (5)
dispose que le Président nomme et révoque les membres du conseil
des ministres. Aucune disposition ne requiert l’approbation du parlement
pour la nomination ou la révocation des ministres.. Comme l’a souligné la Commission de Venise 
			(16) 
			<a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-INF(2001)026-e'>CDL-AD(2001)026</a>, Opinion on the Draft Constitutional Law of the Republic
of Azerbaijan on «Safeguards for the Vote of Confidence to the Cabinet
of Ministers by the Milli Mejlis», op.
cit., le parlement n’est aucunement habilité dans ces cas à initier quoi que ce soit; ses pouvoirs se limitent à donner ou refuser son approbation. Dans certains cas, le refus du parlement peut même être contourné 
			(17) 
			Le parlement doit approuver
la nomination et la révocation du Premier ministre par le Président.
Aux termes de l’article 118.III de la Constitution, s’il refuse
son approbation à trois reprises, le Président nomme lui‑même le
Premier ministre.. Comme les rapporteurs précédents dans leurs rapports de suivi, nous insistons sur la nécessité d’accroître le contrôle exercé par le parlement sur l’exécutif, afin d’assurer un équilibre entre les pouvoirs.
22. Le principal point faible du Milli Mejlis tient à ce que tous les partis de l’opposition ne sont pas représentés au parlement, qui nuit à l’efficacité du contrôle parlementaire. Les initiatives individuelles des députés sont limitées par le fait que, pour établir un groupe parlementaire, 25 députés au moins sont nécessaires (soit 20 % des 125 députés). En réalité, seul le parti «Azerbaïdjan nouveau» – le parti au pouvoir – est en mesure de créer un groupe parlementaire.
23. Faisant écho à ces préoccupations, nous souhaitons rappeler qu’il est dans l’intérêt supérieur du processus démocratique, et du parti au pouvoir lui-même, qu’il puisse se confronter à toutes les forces de l’opposition au sein d’un organe représentatif, en permettant ainsi un véritable dialogue politique dans le cadre parlementaire. Il importe de développer un système politique inclusif et un environnement favorable au pluralisme politique 
			(18) 
			<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-FR.asp?newsid=5597&lang=1&cat=3'>Voir
la declaration des corapporteurs du 8 mai 2015</a>.. Les autorités nous ont informés qu’une initiative en faveur du dialogue politique a été lancée il y a quelque temps mais que les partis de l’opposition non représentés au parlement, tels que le Parti Musavat et le Parti du Front populaire, refusent jusqu’à ce jour d’y participer.
24. L’indépendance de la justice soulève aussi certaines préoccupations, qui seront abordées dans une section distincte.

4. Elections

25. Le Code électoral de l’Azerbaïdjan est le principal texte de loi réglementant le processus électoral dans le pays; cependant, certaines questions électorales sont également régies par la Constitution et la loi sur les rassemblements publics, la législation sur les médias et le Code de procédure pénale.
26. En 2009, la Commission de Venise a adopté un avis sur le projet d’amendements à la Constitution de l’Azerbaïdjan 
			(19) 
			CDL-AD(2009)010, op. cit. qui mentionnait, parmi les principaux points soulevés par la réforme, la suppression de la limite de deux mandats pour le Président 
			(20) 
			Voir plus haut paragraphe
21. et les restrictions des libertés et droits fondamentaux, principalement la liberté des médias et les restrictions imposées aux journalistes qui ne peuvent réaliser d’enregistrements lors de réunions publiques ou de réunions présentant un intérêt général s’ils n’ont pas été expressément autorisés à le faire. Les amendements sont néanmoins entrés en vigueur en mars 2009. Il est à noter qu’aucune des modifications du Code électoral adoptées en 2010, 2012 et 2013 n’a été soumise à la Commission de Venise pour avis.
27. En ce qui concerne le Code électoral, en mars 2008, le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE/BIDDH) et la Commission de Venise ont préparé un avis conjoint intérimaire sur le projet d’amendements au Code 
			(21) 
			<a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2008)003-f'>CDL-AD(2008)003</a>, Avis conjoint intérimaire sur le projet d’amendements
au Code électoral de la République d’Azerbaïdjan par la Commission
de Venise et l’OSCE/BIDDH, adopté par la Commission de Venise lors
de sa 74e session plénière (Venise, 14-15
mars 2008).. Le Milli Mejlis a adopté les amendements le 2 juin 2008. La Commission de Venise et l’OSCE/BIDDH ont adopté en juin 2008 un autre avis conjoint sur les amendements adoptés au Code électoral 
			(22) 
			<a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2008)011-f'>CDL-AD(2008)011,
Avis conjoint sur le projet d’amendements au Code électoral de la
République d’Azerbaïdjan par la Commission de Venise et l’OSCE/BIDDH,
adopté par le Conseil des élections démocratiques lors de sa 25e
réunion (Venise, 12 juin 2008) et par la Commission de Venise lors
de sa 75e </a>session plénière (Venise, 13-14 juin 2008).. Depuis, le Code électoral a été de nouveau amendé en juin 2010, avril 2012 et avril 2013 mais les problèmes clés n’ont pas été résolus, en particulier la réforme de la composition de l’administration électorale, qui n’est pas suffisamment indépendante.
28. Dans leur rapport sur «Le respect des obligations et engagements de l’Azerbaïdjan» 
			(23) 
			<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-en.asp?fileid=19243&lang=fr'>http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-en.asp?fileid=19243&lang=fr</a>, paragraphe 94. du 20 décembre 2012, les corapporteurs précédents ont exprimé leurs préoccupations sur le fait que les recommandations antérieures de la Commission de Venise n’avaient pas été prises en compte. Ils mentionnaient comme sujets d’inquiétude les plus importants la composition de la Commission électorale centrale et des commissions électorales territoriales, l’enregistrement des candidats, les observateurs, la liste électorale et son exactitude, ainsi que les procédures de réclamation et de recours. Le Code électoral n’a pas été amendé depuis pour améliorer la composition de l’administration électorale, l’enregistrement des candidats et la liste électorale, malgré les recommandations de la Commission de Venise.
29. Les membres de la Commission électorale centrale sont nommés par le parlement: un tiers d’entre eux sur proposition de la majorité, un autre tiers sur proposition de la minorité et le dernier tiers sur proposition de députés indépendants. Ce système peut, en théorie, paraître adéquat mais, dans la pratique, il assure aux forces pro-gouvernementales une majorité décisive et se traduit par l’absence de membres de l’opposition au sein de la commission. 
			(24) 
			<a href='http://www.osce.org/odihr/elections/azerbaijan/104355'>Rapport
de la mission d’évaluation des besoins de l’OSCE/BIDDH</a>, juin 2013; voir aussi les rapports précédents sur des
élections et les avis conjoints émis par la Commission de Venise
et l’OSCE/BIDDH en 2008, 2005, 2004 et 2003, dans lesquels il est
déclaré à plusieurs reprises que, contrairement à ce qui avait pu
être observé lors des scrutins antérieurs, les membres de la commission
nommés par des députés théoriquement «indépendants» ou appartenant
à un petit parti votent en fait en général à l’appui du parti au
pouvoir – voir notamment les documents CDL-AD(2003)015, CDL‑AD(2004)016rev,
CDL‑AD(2005)029 et CDL-AD(2008)011.. La loi dispose que tous les présidents des commissions électorales sont nommés par la majorité parlementaire. Les membres des commissions électorales de circonscription sont nommés par la Commission électorale centrale et les membres des commissions électorales locales sont nommés par la commission électorale de circonscription pertinente. Au vu de ce qui précède, la composition des commissions ne peut que nuire à l’indépendance de l’administration des élections, sapant ainsi la confiance dans le processus électoral.
30. Les précédents avis de la Commission de Venise ont souligné à plusieurs reprises la nécessité de réviser les normes s’appliquant aux candidatures, car certaines dispositions ne sont pas suffisamment précises et certaines peuvent même être considérées comme indûment restrictives. Le processus d’enregistrement des candidats devrait être plus transparent. La mise en œuvre des dispositions légales existantes sur la nomination et l’enregistrement des candidats devrait être renforcée en améliorant la transparence des règles et procédures de vérification. Les décisions de refus d’une candidature devraient être bien fondées et motivées.
31. La Cour européenne des droits de l’homme a constaté des violations du droit à la tenue d’élections libres (article 3 du Protocole n° 1 à la Convention) de plusieurs requérants membres de partis d’opposition ou candidats indépendants à l’occasion des élections législatives de 2005 
			(25) 
			Namat Aliyev c. Azerbaïdjan, Requête
no 18705/06, arrêt du 8 avril 2010; Abil c. Azerbaïdjan, Requête no 16511/06, arrêt
du 21 février 2012; Atakishi c. Azerbaïdjan, Requête
no 18469/06, arrêt du 28 février 2012; Hajili c. Azerbaïdjan, Requête no 6984/06,
arrêt du 10 janvier 2012; Kerimli et
Alibeyli c. Azerbaïdjan, Requête no 18475/06,
arrêt du 10 janvier 2012; Kerimova c.
Azerbaïdjan, Requête no 20799/06,
arrêt du 30 septembre 2010; Khanhuseyn
Aliyev c. Azerbaïdjan, Requête no 19554/06,
arrêt du 21 février 2012; Mammadov no 2 c. Azerbaïdjan, Requête no 4641/06,
arrêt du 10 janvier 2012; Orujov c. Azerbaïdjan, Requête
no 4508/06, arrêt du 26 juillet 2011.. La Cour a jugé que les réclamations des requérants et les éléments qu’ils ont présentés à l’appui ont été rejetés sans aucune justification légale, que les déclarations et témoignages à l’encontre des requérants ont été acceptés sans examen adéquat de leur véracité et de leur crédibilité 
			(26) 
			Voir
en particulier les affaires Namat Aliyev et Orujov, ibid., que les décisions annulant la candidature ou l’élection des requérants n’ont reposé sur aucun examen indépendant et n’ont pas été motivées, et que les requérants n’ont pas eu la possibilité de participer à l’audition 
			(27) 
			Voir en particulier
l’affaire Orujov, ibid..
32. La Cour a souligné l’absence d’examen indépendant et de motivation argumentée à l’appui des décisions des commissions électorales et insisté plus généralement sur la nécessité que les autorités chargées de l’administration des élections fonctionnent de manière transparente et maintiennent impartialité et indépendance à l’égard de toute ingérence politique. L’importance de l’indépendance des membres des commissions électorales a été réitérée à plusieurs reprises également par la Commission de Venise 
			(28) 
			<a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2002)023rev-f'>CDL-AD(2002)23
rev</a>, Code de bonne conduite en matière électorale, Lignes
directrices adoptées les 18 et 19 octobre 2002. , qui recommande que les commissions électorales centrales incluent au moins un membre de l’appareil judiciaire. Ces conclusions ont ensuite été reprises dans l’avis 
			(29) 
			<a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2008)011-f'>CDL-AD(2008)011</a>, op. cit. de la Commission de Venise sur le projet d’amendements au Code électoral de la République d’Azerbaïdjan.
33. Dans sa décision du 25 septembre 2014 sur l’exécution des arrêts de la Cour dans le groupe d’affaires Namat Aliyev, le Comité des Ministres prend note des éclaircissements fournis par les autorités au sujet du groupe d’experts créé en 2008 pour assister ces commissions, mais juge néanmoins que cette réforme ne semble pas résoudre les problèmes mis en évidence dans les arrêts de la Cour quant à l’indépendance, la transparence et la qualité juridique des procédures devant ces commissions. Dans sa décision du 12 mars 2015, le Comité des Ministres, s’appuyant sur ses nombreuses décisions soulevant depuis 2013 des préoccupations identiques au sujet de l’indépendance, de la transparence et des compétences légales des commissions électorales en relation avec ce groupe d’affaires, note que les informations fournies récemment portent uniquement sur la formation des membres de ces commissions et réitère que de telles mesures ne sauraient en elles‑mêmes suffire à résoudre les problèmes identifiés par la Cour.
34. D’après les autorités azerbaïdjanaises, au cours des élections municipales de décembre 2014, 17 réclamations concernant 14 municipalités ont été déposées auprès de la Commission électorale centrale avant le jour du scrutin, et 12 réclamations portant toutes sur l’enregistrement de candidats ont obtenu gain de cause. Après les élections, la CEC aurait reçu 79 réclamations concernant 58 municipalités. La CEC aurait annulé les résultats du scrutin dans 8 municipalités. Les autorités ne nous ayant pas fourni d’informations pertinentes détaillées sur les procédures de règlement des plaintes déposées après les élections municipales de décembre 2014 et leur aboutissement, nous ne sommes pas en mesure d’évaluer les progrès éventuels en ce domaine.
35. Les autorités nous ont informés qu’en vertu du Code de procédure administrative entré en vigueur le 1er janvier 2011, les réclamations contre des actes (ou omissions) et des décisions des commissions électorales devront être déposées auprès des cours d’appel (chambre des affaires administratives et économiques). Nous n’avons pas reçu d’informations permettant d’analyser de manière adéquate le fonctionnement de ce nouveau moyen de recours.
36. Etant donné l’imminence des prochaines élections législatives, qui auront lieu en novembre 2015, il est de la plus haute importance d’assurer que les commissions électorales et les tribunaux fonctionnent de manière adéquate, en étant aptes à examiner la légalité des décisions de ces commissions. Les autorités devraient s’efforcer de continuer à améliorer le système de contrôle de la régularité des élections, afin d’empêcher tout arbitraire, au moyen de directives pratiques de la Cour suprême et d’instructions adéquates aux commissions électorales 
			(30) 
			Décision adoptée par
le Comité des Ministres le 12 mars 2015 dans le cadre de la surveillance
de l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme
dans le groupe d’affaires Namat Aliyev.. Elles devraient mettre à profit dans ce contexte les compétences de la Commission de Venise.
37. Au vu de ce qui précède, il apparaît qu’à ce jour, plusieurs recommandations des organes du Conseil de l’Europe concernant le cadre légal et institutionnel et les pratiques des élections n’ont toujours pas été prises en compte. Les prochaines élections générales auront lieu en novembre 2015. Pendant notre visite, nous avons souligné l’importance d’assurer à temps avant les prochaines élections la conformité de la législation et des pratiques avec les normes européennes, comme indiqué dans les recommandations de la Commission de Venise et dans les décisions du Comité des Ministres sur l’exécution des arrêts pertinents de la Cour européenne des droits de l’homme.
38. Dans son deuxième rapport de conformité du troisième cycle 
			(31) 
			<a href='http://www.coe.int/t/dghl/monitoringӘ/greco/evaluations/round3/2nd RC3/GrecoRC3(2014)13_Azerbaijan_2ndRC_EN.pdf'>Greco
RC-III (2014) 13 F</a>, Deuxième Rapport de conformité du Troisième Cycle d’évaluation,
adopté en octobre 2014 et publié le 2 avril 2015. , le GRECO s’est félicité des efforts réalisés par l’Azerbaïdjan pour améliorer peu à peu le contrôle public du financement des campagnes électorales, en s’appuyant sur des groupes de travail regroupant des experts et des représentants de la société civile. Les propositions visant à renforcer le contrôle du financement des partis politiques sous la responsabilité de la Commission électorale centrale constituent un pas dans la bonne direction, à condition que la CEC soit dotée de compétences et de moyens appropriés pour pouvoir contrôler efficacement à la fois le financement des partis et le financement des campagnes électorales et que son indépendance opérationnelle soit effectivement garantie 
			(32) 
			Comme
l’exige la Recommandation Rec(2003)4 sur les règles communes contre
la corruption dans le financement des partis politiques et des campagnes
électorales..

5. Appareil judiciaire

39. L’indépendance de la justice est une condition préalable essentielle dans un système de séparation et d’équilibre des pouvoirs. Assurer l’indépendance de l’appareil judiciaire vis-à-vis de l’exécutif est donc de la plus haute importance.

5.1. Le Conseil judiciaire et juridique

40. L’article 8 de la Constitution de l’Azerbaïdjan dispose que le Président de la République est le principal garant de l’indépendance de la justice. Aux termes de l’article 1 de la loi sur le Conseil judiciaire et juridique, le Conseil est un organe chargé, entre autres, d’assurer l’organisation et le fonctionnement du système des tribunaux et l’indépendance des juges. Selon les normes du Conseil de l’Europe, l’indépendance de la justice doit être sauvegardée par un organe judiciaire autonome, dont la composition, le mode de sélection des membres et les fonctions doivent garantir l’entière indépendance et impartialité.
41. Depuis sa création en 2005, le Conseil judiciaire et juridique est présidé par le ministre de la Justice. Conformément à la loi sur le Conseil judiciaire et juridique, le Conseil se compose de 15 membres comprenant des juges ainsi que des représentants de l’exécutif et du corps législatif, du Bureau du procureur et de l’Ordre des avocats, comme suit: le président de la Cour suprême de la République d’Azerbaïdjan, un membre (juge) nommé par la Cour constitutionnelle de la République d’Azerbaïdjan, deux membres (juges de la Cour suprême) nommés par la Cour suprême parmi les candidats (deux au moins) proposés par l’Assemblée générale des juges, deux membres (juges des cours d’appel) nommés par la Cour suprême parmi les candidats (deux au moins) proposés par l’Assemblée générale des juges, un membre (juge de la Cour suprême de la République autonome du Nakhitchevan) nommé par la Cour suprême de cette république parmi les candidats proposés par l’Assemblée générale des juges, deux membres (juges des tribunaux de première instance) nommés par le ministre de la Justice parmi les candidats (deux au moins) proposés par l’Assemblée générale des juges, un membre nommé par le Président de la République d’Azerbaïdjan, le ministre de la Justice, un membre nommé par le Milli Mejlis (parlement) de la République d’Azerbaïdjan, un membre nommé par le ministre de la Justice de la République d’Azerbaïdjan, un membre (avocat) nommé par le conseil de l’Ordre des avocats de la République d’Azerbaïdjan, et un membre nommé par le Bureau du procureur général de la République d’Azerbaïdjan.
42. Dans un rapport de 2013 
			(33) 
			<a href='http://www.coe.int/t/DGHL/cooperation/cepej/cooperation/Eastern_partnership/FINAL efficient judicial systems EN March 2013.pdf'>Project
Report on Efficient Judicial Systems</a> (en anglais uniquement), mars 2013. préparé dans le cadre du projet conjoint Union européenne/Conseil de l’Europe «Renforcement de la réforme judiciaire dans les pays du Partenariat oriental», les experts du Conseil de l’Europe notent que l’Assemblée générale des juges doit proposer dans tous les cas au moins deux candidats pour chaque poste et que la décision finale revient à divers organes, dont un est extérieur à l’appareil judiciaire. Par conséquent, la sélection de la majorité des membres du Conseil ne repose pas sur l’élection de juges par leurs pairs mais fait appel à de nombreux organes et institutions composés en grande partie de membres de l’exécutif. Les experts concluent que «le système serait beaucoup plus transparent si l’Assemblée générale des juges disposait de pouvoirs d’élection ou de nomination au lieu d’être un organe consultatif seulement habilité à proposer des candidats, la décision finale revenant à diverses institutions appartenant à d’autres secteurs du pouvoir d’Etat». Cette proposition a aussi été présentée aux autorités azerbaïdjanaises dans le cadre de la surveillance renforcée de l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme concernant le groupe d’affaires Namat Aliyev 
			(34) 
			<a href='https://wcd.coe.int/com.instranet.InstraServlet?command=com.instranet.CmdBlobGet&InstranetImage=2680354&SecMode=1&DocId=2232316&Usage=2'>https://wcd.coe.int/com.instranet.InstraServlet?command=com.instranet.CmdBlobGet&InstranetImage=2680354&SecMode=1&DocId=2232316&Usage=2</a>..
43. Dans le groupe d’affaires Namat Aliyev, le Comité des Ministres a invité les autorités azerbaïdjanaises à tenir compte des propositions concernant le réexamen des fonctions de l’exécutif et du Procureur général au sein du Conseil judiciaire et juridique, en particulier en matière de nomination, de promotion et de sanction disciplinaire des juges, et à renforcer d’une manière générale le rôle joué par le Conseil dans la nomination et la promotion des juges.
44. Au cours de notre visite, le ministre de la Justice nous a informés que des amendements à la loi avaient été adoptés par le parlement en décembre 2014 et promulgués par le Président de la République en février 2015. Aux termes de ces amendements, les deux juges de cours d’appel ne seront plus nommés par la Cour suprême et les deux juges de tribunaux de première instance ne seront plus nommés par le ministre de la Justice: ces quatre juges seront élus directement par le Conseil judiciaire et juridique à partir d’une liste de candidats soumise par l’Assemblée générale des juges. Nous prenons bonne note de ces amendements et invitons les autorités à veiller en outre à ce que le Conseil soit composé exclusivement de juges ou d’une forte majorité de juges élus par leurs pairs, et à réduire encore l’influence de l’exécutif sur le Conseil 
			(35) 
			Le Rapport d’évaluation
du Quatrième Cycle du GRECO sur l’Azerbaïdjan contient aussi ces
recommandations. . Nous réitérons la proposition d’autres organes du Conseil de l’Europe visant à accroître à cet égard les pouvoirs de l’Assemblée générale de juges.

5.2. Nomination des juges

45. Comme indiqué ci‑dessus, le Président de la République joue un rôle important dans la nomination des juges, y compris la nomination des chefs des hautes institutions judiciaires: certaines de ces nominations sont même de son ressort exclusif. La nomination des présidents de la Cour suprême, de la Cour suprême de la République autonome du Nakhitchevan, des cours d’appel et du Tribunal des crimes graves relève traditionnellement des seules compétences du Président de l’Azerbaïdjan. Nous prenons bonne note des informations fournies par les autorités azerbaïdjanaises 
			(36) 
			Communication reçue
des autorités au sujet du groupe d’affaires Namat
Aliyev c. Azerbaïdjan dans le cadre de la surveillance
par le Comité des Ministres de l’exécution des arrêts de la Cour
européenne des droits de l’homme. sur l’adoption d’amendements à la législation sur les tribunaux, les juges et le Conseil judiciaire et juridique 
			(37) 
			Ces amendements ont
été promulgués par le président de la République le 11 février 2015., aux termes desquels les présidents de tous les tribunaux, à l’exception de la Cour suprême de la République d’Azerbaïdjan et de la Cour suprême de la République autonome du Nakhitchevan, sont maintenant nommés par le Président de la République d’Azerbaïdjan sur proposition du Conseil judiciaire et juridique. Le Président de la République nomme tous les juges des tribunaux de district sur recommandation du Conseil judiciaire et juridique. Le Président recommande au Milli Mejlis la nomination des juges de la Cour suprême de la République d’Azerbaïdjan, de la Cour suprême de la République autonome du Nakhitchevan, de la Cour constitutionnelle et des cours d’appel. Dans la République autonome du Nakhitchevan, les juges sont nommés par le Président de la République sur proposition du président de l’Ali Mejlis (parlement) de cette république. Les juges de la Cour suprême de la République autonome du Nakhitchevan sont nommés par le Milli Mejlis après présentation du Président de la République sur la base d’une proposition du président du parlement de cette république.
46. Tout en prenant bonne note des derniers développements, nous recommandons de renforcer encore le rôle du Conseil judiciaire et juridique dans la nomination de toutes les catégories de juges et de présidents de tribunaux 
			(38) 
			Le
GRECO faisait la même recommandation dans son Rapport d’évaluation
du Quatrième Cycle sur l’Azerbaïdjan..
47. Aux termes de la loi sur le Conseil judiciaire et juridique (article 11), le Conseil est responsable de la sélection initiale des candidats à des fonctions judiciaires. Puis, sur la base des résultats du processus de sélection, le Conseil judiciaire et juridique soumet une proposition de nomination au Président (article15 de la loi sur le Conseil judiciaire et juridique), qui nomme les juges (article 109 de la Constitution). A la suite d’une demande adressée par les autorités azerbaïdjanaises à la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) du Conseil de l’Europe, une équipe d’experts du CEPEJ a examiné le système de sélection des juges en Azerbaïdjan 
			(39) 
			Le
Conseil judiciaire et juridique et la commission de sélection des
juges formée par le Conseil sont les principaux organes impliqués
dans la sélection des juges en Azerbaïdjan. La procédure actuelle
de sélection des candidats non‑juges à des postes judiciaires comprend
les étapes suivantes: test des connaissances juridiques (au moyen
d’un test à choix multiples), examen écrit (autour d’une affaire
judiciaire), examen oral, formation initiale, examen écrit basé
sur la formation, examen oral basé sur la formation, entretien avec
les membres de la commission de sélection des juges et évaluation
finale, suivie par un entretien avec les membres du Conseil judiciaire
et juridique et une proposition de nomination. en septembre 2011 
			(40) 
			<a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=CEPEJӘ-COOP(2011)1&Language=lanEnglish&Ver=original&BackColorInternet=DBDCF2&BackColorIntranet=FDC864&BackColorLogged=FDC864'>CEPEJ-COP(2011)1</a>. . Ces experts ont conclu que le système de sélection repose sur des critères objectifs et est assez transparent. Selon leur rapport, «d’une manière générale, le modèle développé par les autorités azerbaïdjanaises pour la sélection de nouveaux juges peut être considéré comme un exemple intéressant de bonne pratique tenant compte des particularités et du niveau de développement du pays, afin d’assurer l’indépendance et la qualité de la justice dans une nouvelle démocratie». Les résultats de l’évaluation de chaque candidat sont soumis au Conseil, qui propose au Président de la République d’Azerbaïdjan leur nomination à des fonctions judiciaires.
48. Le ministre de la Justice nous a assurés que le Président n’avait encore jamais refusé de nommer un candidat proposé par le Conseil, et qu’il n’avait jamais usé de son pouvoir pour influencer la nomination des juges. Cependant, les normes européennes n’exigent pas seulement la conformité des pratiques, mais aussi l’existence d’un cadre législatif conforme.

5.3. Période probatoire et mandat des juges

49. Le ministre de la Justice nous a informés que, le 30 décembre 2014, le parlement a adopté des amendements à la loi sur les tribunaux et les juges 
			(41) 
			Ces amendements ont
été promulgués par le président de la République le 11 février 2015. aux termes desquels le mandat des juges nommés pour la première fois sera de trois ans, au lieu de la période probatoire antérieure de cinq ans. A l’issue de leur mandat de trois ans, les juges seront renommés sur évaluation du Conseil judiciaire et juridique et occuperont leurs fonctions jusqu’à l’âge de la retraite, c’est‑à‑dire 68 ans pour les juges de la Cour suprême et 66 ans pour tous les autres juges. Nous prenons bonne note de la réduction de la période probatoire et invitons les autorités à la réduire encore. Nous rappelons que la Commission de Venise s’est toujours opposée aux périodes probatoires pour les juges, car elles mettent en danger leur indépendance: elle recommande que les juges ordinaires soient nommés de façon permanente jusqu’à l’âge de la retraite 
			(42) 
			Voir
Rapport sur l’indépendance du système judiciaire, Partie I: L’indépendance
des juges, adopté par la Commission de Venise lors de sa 82e session
plénière (Venise, 12-13 mars 2010) <a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2010)004-f'>www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2010)004-f</a>.. La fixation de périodes probatoires peut porter atteinte à l’indépendance des juges, car ceux-ci peuvent avoir le sentiment de faire l’objet de pressions pour statuer d’une certaine manière 
			(43) 
			<a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2014)031-f'>CDL-AD(2014)031</a>, Avis de la Commission de Venise sur le projet de loi
portant modification de la loi organique relative aux juridictions
de droit commun en Géorgie, 10-11 octobre 2014, paragraphe 13; <a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2010)028-e'>CDL-AD(2010)028</a>, Final Opinion on the Draft Constitutional Law on Amendments
and Changes to the Constitution of Georgia, adopté par la Commission
de Venise les 15-16 octobre 2010, paragraphes 85 à 91; <a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2013)034-f'>CDL-AD(2013)034</a>, Avis sur les propositions de modification du projet
de loi de révision de la Constitution renforçant l’indépendance
des juges de l’Ukraine, adopté les 6-7 décembre 2013, paragraphe 47; <a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2005)038-f'>CDL-AD(2005)038</a>, Avis sur les projets d’amendements constitutionnels
relatifs à la réforme du système judiciaire de «l’ex‑République
yougoslave de Macédoine», adopté par la Commission les 21-22 octobre
2005, paragraphes 22 à 29.. Lorsqu’existe encore une période de nomination initiale, celle‑ci devrait être de durée assez brève et l’évaluation des qualifications, des capacités et des compétences requises pour rendre des jugements en appliquant la loi avant la nomination à vie doit reposer sur des critères objectifs clairs et équitables, définis au préalable et accessibles 
			(44) 
			Rapport sur les nominations
judiciaires, adopté par la Commission de Venise lors de sa 70e session
plénière, <a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2007)028-e'>CDL‑AD(2007)028</a>, paragraphe 38 et suiv.. Au vu des informations disponibles, nous ne sommes pas en mesure, à ce stade, de conclure qu’existent en Azerbaïdjan des critères clairs et définis au préalable d’évaluation des juges aux fins de la nomination permanente à des fonctions judiciaires.
50. Des experts du Conseil de l’Europe ont également critiqué l’absence antérieure d’un âge obligatoire de retraite, fixé par la loi, pour tous les juges dans le cadre du projet conjoint Union européenne/Conseil de l’Europe «Renforcement de la réforme judiciaire dans les pays du Partenariat oriental» 
			(45) 
			<a href='http://www.coe.int/t/DGHL/cooperation/cepej/cooperation/Eastern_partnership/FINAL efficient judicial systems EN March 2013.pdf'>Project
Report on Efficient Judicial Systems</a>, op. cit.. Ces nouvelles règles nous semblent bienvenues et, en particulier, la suppression des normes et pratiques antérieures qui permettaient d’étendre le mandat de certains juges de 65 à 70 ans.

5.4. Rôle du ministère public et droits de la défense

51. Aux termes de l’article 133 de la Constitution et de l’article 4 de la loi sur le ministère public, le Bureau du procureur supervise l’exécution et l’application des lois; il engage les poursuites pénales et mène les enquêtes; il représente l’Etat devant les tribunaux et intervient comme partie dans les affaires civiles, commerciales ou administratives; et il fait appel des décisions des tribunaux. Il existe deux catégories de procureurs: les procureurs chargés de conduire l’enquête dans les affaires pénales et les procureurs qui remplissent les fonctions de ministère public en défendant des accusations à caractère public ou semi‑public devant les tribunaux. Le Bureau du procureur fait partie du pouvoir judiciaire et est considéré comme une autorité indépendante 
			(46) 
			Rapport d’évaluation
du Quatrième Cycle du GRECO, op. cit..
52. Le Président de la République joue un rôle important, directement ou indirectement, dans les nominations aux postes supérieurs du ministère public. Le Procureur général est nommé et révoqué par le Président de la République, sous réserve de l’approbation du Milli Mejlis. Ses adjoints, ainsi que les procureurs en chef spécialisés et le procureur général de la République autonome du Nakhitchevan, sont nommés par le Président de la République sur recommandation du Procureur général. Les procureurs territoriaux et spécialisés sont nommés par le Procureur général avec l’approbation du Président de la République.
53. Le Procureur général est responsable devant le Milli Mejlis et le Président de la République 
			(47) 
			Articles 43 et 44 de
la loi sur le ministère public.. Il informe chaque année le Milli Mejlis des activités du ministère public, à l’exception des affaires pénales en cours d’enquête. Le Procureur général nous a indiqué qu’outre ses rapports annuels, il notifie régulièrement le Président de la République, y compris à propos des enquêtes pénales en cours.
54. Au vu de ce qui précède, il est clair que le Président de la République joue un rôle important dans la nomination des membres du ministère public. Comme l’a souligné le GRECO dans son rapport d’évaluation du quatrième cycle 
			(48) 
			Op.
cit. , il est essentiel que, dans l’exercice de ses fonctions, le ministère public soit – et soit perçu comme – réellement indépendant à l’égard du pouvoir exécutif, lequel doit avoir une influence minime sur ses décisions. Le fait que, dans de nombreuses affaires, les tribunaux semblent fonctionner comme un simple prolongement du ministère public constitue un sujet de préoccupation supplémentaire 
			(49) 
			Ilgar
Mammadov c. Azerbaïdjan, Requête no 15172/13,
arrêt du 22 mai 2014: <a href='http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx?i=001-144124'>http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx?i=001-144124#</a>.. Le taux élevé de condamnation dans les affaires pénales n’est pas favorable à la bonne réputation de la justice: il témoigne d’un système pénal tourné vers les poursuites, dans lequel les tribunaux n’examinent pas en toute indépendance les éléments de preuve produits par le ministère public et ne tiennent pas suffisamment compte des droits de l’accusé.
55. La question de l’équité des procès, de l’égalité des moyens et du respect de la présomption d’innocence a été abordée lors de nos rencontres avec des représentants de la société civile, des avocats et des personnes en détention. Nous avons été informés de certaines irrégularités pendant l’étape préparatoire au procès et de violations des droits de la défense au cours du procès. Dans un certain nombre d’affaires contre l’Azerbaïdjan, la Cour européenne des droits de l’homme a conclu à des violations des normes de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme 
			(50) 
			Voir, par exemple, Layijov c. Azerbaïdjan, Requête
no 22062/07, arrêt du 10 avril 2014; Jannatov c. Azerbaïdjan, Requête
no 32132/07, arrêt du 31 juillet 2014; Insanov c. Azerbaïdjan, Requête
no 16133/08, arrêt du 14 mars 2013; Efendiyev c. Azerbaïdjan, Requête
no 27304/07, arrêt du 18 décembre 2014. . Les avocats avec lesquels nous nous sommes entretenus nous ont alertés sur la détérioration de la situation pour les avocats de la défense. Il serait devenu très difficile pour eux d’assurer la défense de défenseurs des droits de l’homme, de journalistes et de représentants d’ONG à cause des fortes pressions exercées sur leur travail 
			(51) 
			«<a href='https://www.fidh.org/IMG/pdf/rapport_azerbaidjan_francais_final.pdf'>Azerbaïdjan:
La répression s’intensifie à l’approche des Jeux européens</a>», 21 avril 2015, Observatoire pour la protection des
défenseurs des droits de l’homme.. Certains avocats de la défense ont affirmé avoir été arbitrairement exclus d’un procès ou radiés du barreau; d’autres ont été convoqués comme témoins dans des affaires où ils représentaient l’accusé et ont été contraints par conséquent d’interrompre leur défense; d’autres encore ont déclaré qu’une procédure pénale avait été engagée à leur encontre. Nous renvoyons à cet égard au rapport que prépare actuellement la commission des affaires juridiques et des droits de l’homme sur «La présidence azerbaïdjanaise du Conseil de l’Europe: quel suivi en matière de respect des droits de l’homme?», qui traitera de plusieurs affaires judiciaires particulières.
56. Dans l’arrêt rendu dans l’affaire Ilgar Mammadov c. Azerbaïdjan 
			(52) 
			Ilgar
Mammadov c. Azerbaïdjan, op.
cit., la Cour européenne des droits de l’homme déclare explicitement ce qui suit: «Dans toutes leurs décisions concernant la présente affaire, les tribunaux nationaux se sont limités à recopier les arguments écrits du parquet, en se servant de formules brèves, vagues et stéréotypées pour rejeter comme infondées les plaintes du requérant. Les tribunaux nationaux se sont essentiellement contentés d’approuver automatiquement les demandes du parquet et on ne peut donc considérer qu’ils ont véritablement examiné la “légalité” de la détention du requérant. Cela est contraire non seulement aux exigences de l’article 5, par. 4, mais aussi au droit interne tel qu’interprété et clarifié par le plénum de la Cour suprême. Les considérations qui précèdent permettent à la Cour de conclure que le requérant n’a pu obtenir un examen judiciaire adéquat de la légalité de sa détention. La violation de l’article 5, par. 4, de la Convention est donc avérée». Dans sa Résolution intérimaire 
			(53) 
			<a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=CM/ResDH(2015)43&Language=lanFrench&Ver=original&Site=CM&BackColorInternet=DBDCF2&BackColorIntranet=FDC864&BackColorLogged=FDC864'>CM/ResDH(2015)43</a>. du 12 mars 2015 sur l’exécution de cet arrêt, le Comité des Ministres a réitéré son appel aux autorités azerbaidjanaises de fournir sans délai des informations concrètes et complètes sur les mesures prises et/ou envisagées pour éviter l’ouverture de procédures pénales sans fondement légitime et pour assurer le contrôle juridictionnel effectif de toute tentative en ce sens du parquet, ainsi que pour éviter de nouvelles violations de la présomption d’innocence par le parquet et par des membres du gouvernement. Le Comité des Ministres a également réitéré son appel aux autorités d’assurer sans autre délai la mise en liberté du requérant.
57. Au cours de notre visite, le Président de la République et le Procureur général nous ont tous deux déclaré qu’ils n’acceptaient pas l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Ilgar Mammadov, qu’ils jugent motivé par des considérations politiques. Ils ont maintenu que la condamnation décidée par les tribunaux nationaux en relation avec les événements survenus dans la région d’Ismayilli en janvier 2013 était entièrement justifiée. Nous rappelons aux autorités qu’aux termes de l’article 46 de la Convention, l’exécution des arrêts de la Cour est obligatoire et nous regrettons la décision prise par la Cour suprême le 13 janvier 2015 de reporter sine die l’examen du recours en cassation déposé par M. Mammadov. Le Comité des Ministre note à cet égard que le recours déposé par le requérant contre sa condamnation est toujours pendant devant la Cour Suprême, et exprime sa vive préoccupation face au fait que la Cour Suprême ait reporté son examen sine die 
			(54) 
			Ibid..

5.5. Détention provisoire

58. Le Code de procédure pénale prévoit dix catégories de mesures préventives pouvant être imposées dans l’attente d’un procès, y compris la mise en détention provisoire, qui peut être décidée lorsqu’existent certains risques spécifiques 
			(55) 
			L’application de toute
mesure préventive, y compris la détention provisoire, est dictée
par l’existence d’un risque que l’accusé: (a) cherche à échapper
aux autorités de poursuite; (b) interfère dans l’enquête avant le
procès ou pendant le procès lui‑même en exerçant illégalement une
influence sur des parties à la procédure, ou en altérant ou dissimulant
des éléments de preuve pertinents; (c) commette de nouveau une infraction
ou pose un danger pour le public; (d) ne se présente pas devant
l’autorité de poursuite sans motif valable ou se soustraie d’une
autre façon à ses responsabilités pénales et à une sanction; ou
(e) empêche l’exécution d’une décision judiciaire (article 155.1). . Au moment de la décision sur la nécessité d’une mesure préventive et du choix de la mesure à appliquer, les juges doivent prendre en compte un certain nombre d’éléments qui sont énumérés à l’article 155.2 
			(56) 
			(a) La nature
et la gravité de l’inculpation pénale et les circonstances dans
lesquelles le délit sous enquête a été commis; (b) la personnalité,
l’âge, la santé et la profession de l’accusé, sa situation familiale
et sa situation financière et sociale; et (c) le fait de savoir
si l’accusé a déjà été condamné ou soumis à des mesures préventives,
et d’autres circonstances pertinentes..
59. En règle générale, le placement en détention provisoire peut être imposé comme mesure préventive uniquement aux personnes inculpées d’une infraction passible d’une peine d’emprisonnement de plus de deux ans. Le Code distingue deux types de détention provisoire: la détention en cours d’enquête, c’est‑à‑dire pendant que l’organe de poursuite compétent conduit l’enquête préparatoire au procès; et la détention ultérieure, pendant que l’affaire est en jugement devant un tribunal. Dans le cas des personnes accusées de délits criminels particulièrement graves, la durée maximum de la détention en cours d’enquête ne peut excéder 18 mois à compter du jour de l’arrestation, en y incluant les prolongations éventuelles de la période initiale de détention de trois mois. Le calcul de la durée totale de la détention en cours d’enquête doit prendre en compte les périodes de détention effective, de résidence surveillée ou de séjour dans un service médical. La détention en cours d’enquête cesse le jour où l’affaire est portée devant le tribunal, ou le jour où est levée la mesure préventive de détention provisoire. Dans le cas des personnes accusées de délits criminels «moins graves», la durée maximum de la détention provisoire avant le procès ne peut excéder neuf mois à compter du jour de l’arrestation, en y incluant les prolongations éventuelles de la période initiale de détention de deux mois. Aux termes des articles 164.1 et 164.2 du Code de procédure pénale, la libération sous caution peut être ordonnée uniquement en remplacement d’une décision antérieure de détention provisoire et sur la demande de la personne placée en détention. La libération sous caution peut être accordée uniquement aux personnes accusées d’infractions qui ne posent pas un danger majeur pour l’ordre public, de délits criminels moins graves ou d’infractions graves commises par négligence.
60. Dans sa décision «sur l’application de la législation par les tribunaux lors de l’examen des demandes de placement d’un accusé en détention provisoire comme mesure préventive» du 3 novembre 2009, le plénum de la Cour suprême d’Azerbaïdjan donne instruction aux tribunaux d’examiner les alternatives à la détention provisoire 
			(57) 
			Voir l’élément pertinent
de cette décision de la Cour au paragraphe 76, op. cit. . Depuis, une nouvelle loi clarifiant les normes des différents textes législatifs concernant la détention provisoire a été adoptée en 2012 
			(58) 
			Loi sur la protection
des droits et des libertés des détenus (22 mai 2012, N 352-IVQ),
entrée en vigueur le 11 juillet 2012.. En pratique, les juges ordonnent la détention provisoire dans la grande majorité des procédures pénales, sans examen véritable ou adéquat des raisons justifiant cette décision ou de la possibilité d’imposer des mesures moins restrictives telles que la résidence surveillée ou la libération sous caution.
61. La Cour européenne des droits de l’homme a conclu, dans un certain nombre d’arrêts, à des violations de l’article 5 de la Convention 
			(59) 
			Farhad
Aliyev c. Azerbaïdjan, Requête no 37138/06,
arrêt du 9 novembre 2010; Salayev c.
Azerbaïdjan, Requête no 40900/05,
arrêt du 9 novembre 2010; Muradverdiyev
c. Azerbaïdjan, Requête no 16966/06,
arrêt du 9 décembre 2010; Rafig Aliyev
c. Azerbaïdjan, Requête no 45875/06,
arrêt du 6 décembre 2011; Zayidov c.
Azerbaïdjan Requête no 11948/08,
arrêt du 20 février 2014; Novruz Ismayilov
c. Azerbaïdjan, Requête no 16794/05,
arrêt du 20 février 2014; Allahverdiyev
c. Azerbaïdjan, Requête no 49192/08,
arrêt du 6 mars 2014. . La Cour a conclu, par exemple, à une violation de l’article 5.1 de la Convention dans les cas de maintien en détention, en l’absence de décision judiciaire, pendant une durée supérieure aux 48 heures prévues par la législation nationale 
			(60) 
			Salayev c. Azerbaïdjan, ibid., ou après que le dossier d’un requérant ait été transmis au tribunal chargé du procès et avant que ce même tribunal ait tenu une audition préliminaire 
			(61) 
			Affaires Fahrad Aliyev et Allahveriyev c. Azerbaïdjan, ibid.. La Cour a également conclu à des violations de l’article 5.3 de la Convention dans les cas de prolongation de la détention provisoire sur la base de décisions non adéquatement ou suffisamment motivées 
			(62) 
			Affaires Fahrad Aliyev, Muradverdiyev, Rafig Aliyev,
Zayidov, Novruz Ismayilov and Allahverdiyev c.
Azerbaïdjan, op. cit.. Dans d’autres affaires, la Cour a considéré que l’article 5.4 n’avait pas été respecté en raison de l’absence d’examen judiciaire par les tribunaux nationaux d’une décision de prolongation de la détention qui n’était pas conforme, par la nature et la portée, à ce que requiert l’article 5.4 
			(63) 
			Affaires Fahrad Aliyev, Rafig Aliyev et Novruz Ismayilov
c. Azerbaïdjan, op. cit.. Dans l’arrêt Ilgar Mammadov c. Azerbaïdjan 
			(64) 
			Ilgar
Mammadov c. Azerbaïdjan, op. cit., paragraphes 143 et
144., la Cour a jugé que le requérant avait été placé en détention pour des motifs autres que la commission d’une infraction et conclu à une violation de l’article 18 de la Convention en conjonction avec l’article 5. Elle a déclaré: «Les circonstances susmentionnées montrent que les mesures contestées avaient en fait pour but de réduire au silence ou de punir le requérant pour avoir critiqué le gouvernement et tenté de diffuser ce qu’il pensait être des informations exactes que le gouvernement cherchait à dissimuler. Au vu de ces considérations, la Cour conclut que les restrictions imposées à la liberté du requérant ont été imposées à d’autres fins que celles de le faire comparaître devant une autorité légale compétente sur la base de soupçons raisonnables qu’il avait commis une infraction.»
62. Dans son intervention en qualité de tierce partie dans l’affaire Rasul Jafarov c. Azerbaïdjan 
			(65) 
			Rasul
Jafarov c. Azerbaïdjan, Requête no 69981/14., le Commissaire aux droits de l’homme a réitéré que la détention provisoire doit être l’exception et non la règle, comme l’exigent les normes européennes et internationales, notamment la Recommandation Rec(2006)13 du Comité des Ministres sur la détention provisoire 
			(66) 
			<a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=Rec(2006)13&Language=lanFrench'>https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=Rec(2006)13&Language=lanFrench.</a>. Les alternatives à la détention, telles que la libération sous caution, l’obligation de se présenter régulièrement à la police ou à une autre autorité, la surveillance électronique et les mesures de couvre‑feu, devraient être promues.
63. Nous renvoyons dans ce contexte au rapport préparé actuellement par la commission des affaires juridiques et des droits de l’homme sur «L’abus de la détention provisoire dans les Etats Parties à la Convention européenne des droits de l’homme», qui porte spécifiquement sur cette question.

5.6. Présomption d’innocence

64. Dans de nombreuses affaires engagées contre l’Azerbaïdjan 
			(67) 
			Voir, par exemple, Ilgar Mammadov c. Azerbaïdjan,op. cit.; Fatullayev
c. Azerbaïdjan, Requête no 40984/07,
arrêt du 22 avril 2010; Mahmudov et Agazade
c. Azerbaïdjan, Requête no 35877/04,
arrêt du 18 décembre 2008; Farhad Aliyev
c. Azerbaïdjan, Requête no 37138/06,
arrêt du 9 novembre 2010; Muradverdiyev
c. Azerbaïdjan, Requête no 16966/06,
arrêt du 9 décembre 2010; Huseyn et autres
c. Azerbaïdjan, Requêtes no 35485/05,
45553/05, 35680/05 et 36085/05, arrêt du 26 juillet 2011., la Cour européenne des droits de l’homme a conclu à des violations de l’article 6.2 de la Convention en relation avec les déclarations d’autorités chargées de l’application de la loi, de leurs hauts représentants ou de membres du gouvernement dont la formulation, qui ne comprenait aucune réserve ou clause restrictive, revenait en fait à affirmer expressément et sans équivoque qu’un requérant avait commis une infraction criminelle. Dans ces déclarations, ils ont préjugé de l’évaluation des faits par l’autorité judiciaire compétente et ont indubitablement incité le public à considérer le requérant comme coupable avant que sa culpabilité ait été établie conformément à la loi. Dans ses décisions sur l’exécution des arrêts de la Cour 
			(68) 
			Par
exemple dans sa décision du 4 décembre 2014 sur l’exécution de l’arrêt
de la Cour dans l’affaire Ilgar Mammadov
c. Azerbaïdjan., le Comité des Ministres a exprimé son inquiétude au sujet des violations répétées par des officiels de haut niveau du principe de présomption d’innocence, malgré plusieurs arrêts de la Cour ayant précisé depuis 2010 les normes de la Convention à cet égard, et insisté sur la nécessité d’une action rapide et décisive à ce sujet afin d’éviter des violations similaires à l’avenir.
65. Comme indiqué dans la note d’information précédente des corapporteurs 
			(69) 
			AS/Mon (2014) 17., nous attendons des autorités qu’elles accordent à Leyla Yunus un procès équitable, conformément à la Convention européenne des droits de l’homme. Il nous semble donc troublant que, le lendemain de son arrestation, le Bureau du procureur général et le ministère de la Sécurité nationale aient publié conjointement un communiqué de presse la présentant comme coupable des charges retenues contre elle.

6. Liberté d’association

6.1. Législation sur les ONG

66. Les représentants des ONG et les avocats que nous avons rencontrés se sont plaints d’une grave détérioration de la situation depuis l’élection présidentielle de 2013. Ils ont déclaré que, pendant les dernières années, les autorités ont introduit des mesures qui restreignent l’enregistrement des ONG, leur aptitude à fonctionner dans le cadre de la loi et leur accès aux fonds internationaux.
67. Lors de nos entretiens, les autorités nous ont déclaré que ces mesures faisaient partie des efforts engagés par l’Etat pour renforcer la transparence dans le cadre de la lutte contre le financement du terrorisme et le blanchiment de capitaux.
68. En 2009, des amendements à la loi sur les ONG ont renforcé le contrôle administratif des ONG nationales et internationales. Ces amendements ont également introduit de nouvelles normes d’enregistrement pour les ONG étrangères et internationales. D’après la Commission de Venise 
			(70) 
			Commission
de Venise, <a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2011)035-f'>CDL-AD(2011)035</a>, Avis no 636/2011 du 19 octobre
2011 sur la compatibilité de la législation de la République d’Azerbaïdjan
relative aux organisations non gouvernementales avec les normes
relatives aux droits de l’homme, adopté par la Commission de Venise
lors de sa 88e session plénière (Venise
14‑15 octobre 2011),, ces amendements ne sont pas conformes aux normes internationales. Les aspects les plus problématiques des amendements concernent l’enregistrement des ONG de manière générale et, plus précisément, l’enregistrement des bureaux et des représentations d’ONG internationales, les exigences relatives au contenu des statuts des ONG, ainsi que les dispositions régissant la responsabilité et la dissolution des ONG. La Commission de Venise a jugé que la nouvelle législation sur les ONG a rendu encore plus complexe une procédure déjà longue et compliquée et que les obligations spécifiques relatives à l’enregistrement des ONG internationales étaient en elles‑mêmes problématiques. La loi sur les ONG pose aussi des problèmes de compatibilité avec l’article 11 de la Convention en ce qui concerne la responsabilité et la dissolution des ONG. Dans un certain nombre d’affaires, la Cour européenne des droits de l’homme a conclu à des violations du droit des requérants à la liberté d’association 
			(71) 
			Voir en particulier
les affaires suivantes: Ramazanova et
autres c. Azerbaïdjan, Requête no 44363/02,
arrêt du 1er février 2007; Aliyev et autres c. Azerbaïdjan, Requête
no 28736/05, arrêt du 18 décembre 2008; Ismayilov c. Azerbaïdjan, Requête
no 4439/04, arrêt du 17 janvier 2008; Nasibova c. Azerbaïdjan, Requête
no 4307/04, arrêt du 18 octobre 2007. en raison de l’inaptitude répétée du ministère de la Justice à prendre une décision définitive ou à répondre dans les délais prévus par la loi à une demande d’enregistrement d’une association. Dans toutes ces affaires, la Cour a conclu à des violations de l’article 11 de la Convention dues à l’incapacité du ministère de la Justice à enregistrer une association en temps opportun, ou à la dissolution injustifiée d’une ONG 
			(72) 
			Tebieti Mühafize Cemiyyeti et Israfilov c.
Azerbaïdjan, Requête no 37083/03,
arrêt du 8 octobre 2009.. Selon la Cour, un retard important à répondre à la demande d’enregistrement d’une association équivaut de fait à un refus d’enregistrer cette association.
69. Entre-temps le parlement a adopté le 15 février 2013 de nouveaux amendements à la loi sur les ONG, qui introduisent une nouvelle disposition régissant les dons et les subventions, et à d’autres textes législatifs, notamment la loi sur les subventions et le Code des infractions administratives 
			(73) 
			Les amendements sont
entrés en vigueur le 12 mars 2013, date de leur publication au Journal
officiel.. Il a ensuite adopté le 17 décembre 2013 une autre série d’amendements à la loi sur les ONG, à la loi sur les subventions, à la loi sur l’enregistrement des associations et au Code des infractions administratives 
			(74) 
			Les amendements sont
entrés en vigueur le 3 février 2014, date de leur publication au
Journal officiel. puis, de nouveau, le 17 octobre 2014, une série d’amendements à la loi sur les ONG et à la loi sur les subventions. Le 14 novembre 2014, le Président a signé ces amendements et a émis deux décrets d’application présidentiels. Ces divers amendements ont introduit des contraintes administratives supplémentaires portant sur l’enregistrement des ONG en tant qu’entités légales, la réception et l’utilisation de subventions par les ONG et leurs obligations de déclaration à l’Etat. Plus généralement, ces amendements ont renforcé le contrôle exercé par le ministère de la Justice sur les ONG azerbaïdjanaises et étrangères en activité dans le pays. Les amendements adoptés récemment donnent également au gouvernement le pouvoir discrétionnaire de dissoudre une ONG, de lui imposer des sanctions financières et de geler ses avoirs en cas d’infraction mineure aux lois en vigueur. Les restrictions visant le financement des ONG sont le changement le plus important. Après leur enregistrement, les ONG sont tenues de respecter des dispositions restrictives quant à l’obtention de fonds provenant de l’étranger et elles sont soumises à des contrôles fiscaux.
70. En pratique, les associations publiques peuvent fonctionner sans personnalité morale mais l’acquisition de la personnalité morale est une condition préalable pour se prévaloir de différentes aides. Plus important, seules les ONG enregistrées, qui jouissent de la personnalité morale, peuvent ouvrir un compte bancaire, se porter acquéreur de biens de propriété, obtenir des subventions et bénéficier d’avantages fiscaux. Avant l’entrée en vigueur de ces amendements, à cause des difficultés et des retards du processus d’enregistrement, ou bien après le refus ou l’annulation de leur enregistrement, un certain nombre d’ONG de premier plan dans le domaine des droits de l’homme ont poursuivi en pratique leurs activités comme ONG non enregistrées. Elles recevaient des dons sous le nom de leur président sur un compte bancaire privé ou établissaient des relations de partenariat avec des ONG enregistrées qui pouvaient leur reverser des subventions.
71. Pour remédier à ces lacunes de la législation, les amendements de mars et décembre 2013 ont étendu l’obligation de déclaration des subventions aux ONG non enregistrées, en exigeant des personnes qui reçoivent des subventions qu’elles les déclarent au ministère de la Justice. Les amendements ont limité les dons en espèces, en exigeant que tous les dons d’un montant plus élevé soient effectués par virement bancaire sur le compte de l’organisation elle‑même. Les dons doivent aussi être déclarés au ministère de la Justice pour pouvoir bénéficier des exemptions fiscales.
72. Sous l’effet de multiples changements législatifs, plusieurs ONG locales et internationales des droits de l’homme auraient été empêchées de poursuivre leurs activités. De plus, des dirigeants d’ONG enregistrées et non enregistrées ont été poursuivis pour irrégularités financières en raison de la non‑déclaration de subventions au ministère de la Justice et accusés de détournement de fonds et de fraude fiscale. Un certain nombre de comptes bancaires ont été gelés et de nombreuses ONG sont visées par une enquête fiscale, leurs locaux ont été perquisitionnés et leur matériel confisqué. Plusieurs dirigeants d’ONG bien connues ont été inculpés d’infractions pénales comme la fraude fiscale, la poursuite d’activités d’entreprise non déclarées et l’abus de pouvoir.
73. La Commission de Venise, le Commissaire aux droits de l’homme et le Conseil d’experts sur le droit en matière d’ONG de la Conférence des ONG internationales du Conseil de l’Europe sont tous d’avis que la législation de l’Azerbaïdjan sur les ONG n’est pas conforme aux normes internationales sur le respect de la démocratie et les droits de l’homme 
			(75) 
			Commission
de Venise, <a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2011)035-f'>CDL-AD(2011)035</a>, op. cit., paragraphe 117;
Commission de Venise, <a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2014)043-f'>CDL-AD(2014)043</a>, Avis relatif à la loi sur les organisations non gouvernementales
(associations publiques et fonds), telle qu’amendée, de la République
d’Azerbaïdjan, adopté par la Commission de Venise lors de sa 101e session
plénière (Venise, 12‑13 décembre 2014); Rapport du 6 août 2013 de
M. Nils Muižnieks, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil
de l’Europe à la suite de sa visite en Azerbaïdjan du 22 au 24 mai
2013, <a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=2089109'>CommDH(2013)14</a>; Rapport du 23 avril 2014 du Commissaire aux droits
de l’homme, «Observations on the human rights situation in Azerbaijan:
An update on freedom of expression, freedom of association, freedom
of assembly, and the right to property», <a href='https://wcd.coe.int/com.instranet.InstraServlet?command=com.instranet.CmdBlobGet&InstranetImage=2540668&SecMode=1&DocId=2150384&Usage=2'>CommDH(2014)10</a>.. Dans son avis de 2014, la Commission de Venise recommande de simplifier et de décentraliser la procédure d’enregistrement et d’amender les dispositions pertinentes afin de limiter les motifs de refus d’enregistrement aux seuls cas d’insuffisances graves. Elle regrette que les ONG puissent toujours être dissoutes en raison de délits qui ne sont pas suffisamment graves pour justifier l’application de la sanction la plus sévère. La Commission de Venise considère en outre que l’obligation pour les ONG internationales de créer des bureaux et des représentations locales, et d’obtenir leur enregistrement, devrait être revue. Les nouvelles obligations imposées aux ONG en matière d’acceptation de subventions et de dons, et en matière d’obligation de rendre compte aux autorités publiques, semblent entraîner une ingérence suffisamment grave pour constituer une violation prima facie du droit à la liberté d’association.
74. Tout en soutenant les efforts engagés par le pays pour promouvoir la transparence et combattre le financement du terrorisme et le blanchiment de capitaux, nous rappelons l’importance de maintenir un équilibre adéquat entre le droit d’association, tel que garanti par la Convention européenne des droits de l’homme, et le besoin légitime de l’Etat de combattre le crime organisé. Au vu de ce qui précède, nous invitons les autorités à réexaminer la loi sur les ONG afin de prendre en compte les préoccupations exprimées par la Commission de Venise, d’améliorer et de faciliter la procédure d’enregistrement des ONG et de créer un climat propice à la poursuite des activités des ONG.

6.2. Evénements ultérieurs

75. En mai 2014, le Bureau du Procureur général a ouvert des enquêtes pénales sur les activités de douzaines d’ONG (ONG de la République d’Azerbaïdjan et bureaux et représentations locales d’ONG étrangères) en alléguant des irrégularités au regard des dispositions restrictives sur l’enregistrement des ONG et des obligations de déclaration des subventions. Dans ce contexte, plusieurs ONG – notamment l’Institut des droits des médias, le centre pour le développement de la démocratie et des droits de l’homme, l’Union pour les droits de l’homme, l’Association des avocats azerbaïdjanais et l’Institut pour la liberté et la sécurité des journalistes – ont fait l’objet de mesures telles que perquisitions, saisies, confiscations et blocage de comptes bancaires, et leurs représentants ont été soumis à des interrogatoires et à des interdictions de voyager. Des avocats et des partisans et défenseurs des droits de l’homme prééminents ont été arrêtés et inculpés en relation avec des violations dans les activités de leurs ONG. Le nombre d’accusations de ce type contre des défenseurs des droits de l’homme a augmenté pendant l’été 2014. Au cours de notre visite, nous avons appris qu’Emin Huseynov, dirigeant de l’Institut pour la liberté et la sécurité des journalistes, s’était réfugié à l’Ambassade de Suisse à Bakou depuis août 2014. Une décision judiciaire l’obligeant à se présenter devant le procureur a été émise par un tribunal après qu’il ait décidé de disparaître 
			(76) 
			Dans l’arrêt rendu
le 7 mai 2015 dans l’affaire Emin Huseynov
v. Azerbaijan (Requête no 59135/09),
la Cour européenne des droits de l’homme a constaté une violation
des articles 3, 5.1 et 11 de la Convention..
76. A la suite d’un accord conclu en août 2014 entre le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe et le Président Aliyev, un groupe de travail conjoint sur les questions des droits de l’homme, composé de représentants de la société civile, de parlementaires et de membres de l’administration présidentielle, a été créé et s’est réuni trois fois 
			(77) 
			La dernière
réunion a eu lieu le 9 avril 2015..
77. Pendant notre visite, nous avons rencontré Rasul Jafarov à la prison de Kurdakhani. Cet avocat et militant très connu des droits de l’homme, qui est le fondateur et le président du Club des droits de l’homme, a été arrêté le 2 août, inculpé pour entreprise non déclarée, fraude fiscale et abus de fonction puis, en décembre 2014, de chefs d’accusation supplémentaires dont le détournement de fonds à grande échelle et la contrefaçon. Il nous a expliqué que le ministère de la Justice n’a jamais accepté d’enregistrer son ONG, bien qu’il en ait fait la demande à trois reprises et ait ensuite porté plainte contre ces refus auprès des tribunaux azerbaïdjanais, mais ces plaintes ont été rejetées. Une requête est actuellement pendante devant la Cour européenne des droits de l’homme. Rasul Jafarov a précisé qu’à l’époque, la législation n’interdisait pas toute activité aux ONG non enregistrées. Le Club des droits de l’homme a donc continué ouvertement à mettre en œuvre des projets et à recevoir des subventions. Il n’a reçu aucun don après le 3 février 2014, car cela aurait exigé que l’ONG soit enregistrée, conformément à la nouvelle loi (le dernier accord de subvention date de juillet 2013). Rasul Jafarov a présenté les documents financiers requis par le Bureau du procureur général. Il a déclaré que son arrestation et sa détention étaient illégales et motivées par des raisons politiques. Un mois et demi après notre visite, le 16 avril 2015, le Tribunal des crimes graves de Bakou l’a condamné à une peine d’emprisonnement de six ans et demi. Les organisations internationales et les OING ont massivement critiqué cette condamnation 
			(78) 
			Voir
notamment notre <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-FR.asp?newsid=5525&lang=1&cat=3'>déclaration</a> et les déclarations de la <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-FR.asp?newsid=5535&lang=1&cat=5'>commission
des questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée
parlementaire</a>, de l’<a href='http://eeas.europa.eu/statements-eeas/2015/150416_05_fr.htm'>Union
européenne</a>, de <a href='https://freedomhouse.org/article/azerbaijan-convicts-leading-human-rights-defender-rasul-jafarov'>Freedom
House</a>, de la <a href='http://www.omct.org/fr/human-rights-defenders/statements/azerbaijan/2015/04/d23093/'>FIDH‑OMCT</a>, du <a href='https://www.gov.uk/government/world-location-news/fco-statement-on-sentencing-of-azerbaijan-human-rights-defender'>Royaume‑Uni</a>, des <a href='http://www.state.gov/r/pa/prs/ps/2015/04/240765.htm'>Etats-Unis</a> et de l’Assemblée parlementaire de l’<a href='http://www.oscepa.org/news-a-media/press-releases/2187-azerbaijan-s-jafarov-clearly-a-prisonerӘ-of-conscience-says-osce-pa-human-rights-chair'>OSCE</a>.. Nous réitérons nos préoccupations au sujet de cette condamnation et appelons les autorités azerbaïdjanaises à remettre en liberté Rasul Jafarov. Les autorités devraient veiller à ce qu’il bénéficie d’une procédure d’appel équitable, conformément à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme 
			(79) 
			<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-EN.asp?newsid=5525&lang=2&cat=3'>http://assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-EN.asp?newsid=5525&lang=2&cat=3</a>..
78. Intigam Aliyev, avocat et militant des droits de l’homme bien connu en Azerbaïdjan et dirigeant de la Société de formation juridique, qui a représenté de nombreux requérants devant la Cour européenne des droits de l’homme, a été arrêté en août 2014 et inculpé d’abord pour entreprise non déclarée, fraude fiscale et abus de fonction, puis pour fraude et détournement de fonds à grande échelle en décembre 2014. Ses avocats considèrent que ces accusations sont montées de toutes pièces et motivées par des raisons politiques. Bien que les autorités nous aient autorisés à lui rendre visite pendant notre séjour à Bakou, nous n’avons pu le rencontrer dans la prison de Kurdakhani car on nous a indiqué qu’il participait à ce moment-là à une audition devant le tribunal. Dans sa Résolution intérimaire 
			(80) 
			<a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=CM/ResDH(2014)183&Language=lanFrench&Ver=original&Site=CM&BackColorInternet=DBDCF2&BackColorIntranet=FDC864&BackColorLogged=FDC864'>CM/ResDH(2014)183.</a> du 25 septembre 2014 sur l’exécution des arrêts Mahmudov et Agazade c. Azerbaïdjan et Fatullayev c. Azerbaïdjan, le Comité des Ministres «insiste, par ailleurs, pour obtenir, sans autre retard, des informations détaillées sur tous les chefs d’accusation contre le représentant des requérants [c’est‑à‑dire Intigam Aliyev] dans le présent groupe d’affaires, qui est également le représentant de plusieurs requérants dans le groupe d’affaires Namat Aliyev, groupes sous examen par le Comité ainsi que dans de nombreuses requêtes actuellement pendantes devant la Cour relatives à la liberté d’expression». Dans son intervention en qualité de tierce partie devant la Cour européenne des droits de l’homme 
			(81) 
			<a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=2299501'>CommDH(2015)6</a>. dans l’affaire Intigam Aliyev c. Azerbaïdjan, le Commissaire aux droits de l’homme a exprimé ses préoccupations sur la saisie par les autorités des dossiers d’affaires en instance devant la Cour dans le cadre des enquêtes ouvertes contre les requérants. Intigam Aliyev a été condamné à six ans et demi de prison le 23 avril 2015, moins d’une semaine après Rasul Jafarov, et ce verdict a été fortement critiqué par la communauté internationale 
			(82) 
			Voir notamment notre <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-FR.asp?newsid=5525&lang=1&cat=3'>déclaration</a> et les déclarations de la <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-FR.asp?newsid=5535&lang=1&cat=5'>commission
des questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée
parlementaire</a>, de l’<a href='http://eeas.europa.eu/statements-eeas/2015/150416_05_fr.htm'>Union
européenne</a>, de <a href='https://freedomhouse.org/article/azerbaijan-convicts-leading-human-rights-defender-rasul-jafarov'>Freedom
House</a>, de la <a href='http://www.omct.org/fr/human-rights-defenders/statements/azerbaijan/2015/04/d23093/'>FIDH‑OMCT</a>, du <a href='https://www.gov.uk/government/world-location-news/fco-statement-on-sentencing-of-azerbaijan-human-rights-defender'>Royaume‑Uni</a> et des <a href='http://www.state.gov/r/pa/prs/ps/2015/04/240765.htm'>Etats-Unis</a>.. Nous avons exprimé nos graves préoccupations au sujet de cette peine sévère et appelé les autorités à remédier à la cette situation.
79. Nous avons également rendu visite à Anar Mammadli à la Prison 13. Anar Mammadli est un défenseur bien connu des droits de l’homme spécialisé dans l’observation indépendante des élections avec son organisation, le Centre d’études sur la démocratie et d’observation des élections (EMDS). Il nous a indiqué que l’enregistrement avait été refusé à EMDS cinq fois avant que l’organisation soit finalement enregistrée, pour quelques mois seulement, en février 2008. En mai 2008, l’enregistrement a été annulé par le tribunal de district sur la demande du ministère de la Justice. EMDS a continué à fonctionner sans enregistrement et poursuivi ses activités d’observation des élections. Anar Mammadli a été arrêté le 16 décembre 2013 et jugé en mai 2014 pour entreprise non déclarée, fraude fiscale, abus de fonction officielle en vue d’influencer les résultats d’une élection, détournement de fonds et fraude à grande échelle, conjointement avec son collègue Bashir Suleymanli. Ils ont été condamnés respectivement à une peine d’emprisonnement de cinq ans et demi et trois ans et demi. Bashir Suleymanli a été libéré en mars 2015 par un décret de grâce du Président de la République. Anar Mammadli nous a indiqué qu’avec les changements introduits dans la législation sur les ONG, les ONG ne peuvent poursuivre leurs activités à cause de l’impossibilité d’obtenir leur enregistrement et des restrictions sur l’utilisation de fonds d’origine étrangère. Il a déclaré qu’il était innocent et se considérait comme un prisonnier politique. Pendant notre entretien, il s’est déclaré préoccupé par les conséquences des attaques contre les organisations des droits de l’homme; d’après lui, la destruction des ONG des droits de l’homme par les autorités favorisera, en l’absence d’alternatives crédibles, le développement des mouvements islamiques. Lors de nos rencontres avec la société civile, d’autres représentants d’ONG nous ont également fait part de leurs inquiétudes au sujet de cette évolution.
80. Malgré notre demande, nous n’avons pas été autorisés à rencontrer Leyla et Arif Yunus, fondateurs et dirigeants de l’Institut pour la paix et la démocratie (ONG en activité depuis 2002 sans avoir été enregistrée), qui étaient encore visés par une enquête au moment de notre visite. Leyla Yunus a été arrêtée le 30 juillet 2014 et accusée de trahison, d’entreprise non déclarée, de fraude fiscale, d’abus de pouvoir, de fraude et de contrefaçon. Elle a été placée en détention provisoire. Arif Yunus a été accusé des mêmes infractions mais libéré sous résidence surveillée pour raisons de santé. Le 5 août 2014, il a été placé en détention provisoire. Tous deux ont de graves problèmes de santé. Nous sommes également vivement préoccupés par l’inculpation pour trahison de Leyla et Arif Yunus. L’accusation de trahison est très grave, en particulier à l’heure où l’on observe un regain des tensions autour du Haut-Karabakh. Le Commissaire aux droits de l’homme est intervenu dans la procédure de la Cour européenne des droits de l’homme en qualité de tierce partie: il a exprimé son inquiétude au sujet de l’arrestation et de la détention de Leyla et Arif Yunus, qu’il a qualifiées de «tentative de réduire au silence leurs activités d’information sur les violations des droits de l’homme, qui vise à les empêcher de poursuivre leur travail, notamment sur la question sensible de la réconciliation entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie» 
			(83) 
			<a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=CommDH(2015)10&Language=lanEnglish'>CommDH(2015)10</a>..
81. Amnesty International 
			(84) 
			Rapport
«<a href='https://www.amnesty.org/en/documents/eur55/1077/2015/en/'>Guilty
of Defending Rights: Azerbaijan’s Human Rights Defenders and Activists
behind Bars</a>», op. cit. considère que tous les militants de la société civile mentionnés ci‑dessus sont des prisonniers de conscience. Plusieurs listes de détenus politiques et de prisonniers de conscience en Azerbaïdjan ont été diffusées par la société civile et des partis de l’opposition. Ces listes évoluent en permanence, certaines personnes étant libérées, notamment par grâce présidentielle, tandis que de nouvelles personnes sont arrêtées et mises en accusation. Pendant notre visite, Amnesty International a publié un rapport 
			(85) 
			Ibid. selon lequel «au moins 22 personnes sont en prison pour avoir exercé légalement leurs droits à la liberté d’expression, d’association ou de réunion pacifique. Ce sont des prisonniers de conscience. Plusieurs d’entre elles sont poursuivies sur la base de fausses accusations de fraude, d’irrégularités financières et d’abus de pouvoir, tandis que d’autres sont faussement accusées de délits en matière de drogues».
82. Dans sa Résolution du 18 septembre 2014 sur la persécution des défenseurs des droits de l’homme en Azerbaïdjan 
			(86) 
			<a href='http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P8-TA-2014-0022+0+DOC+XML+V0//FR'>2014/2832(RSP)</a>., le Parlement européen a réitéré sa position selon laquelle le soutien et la coopération de l’Union européenne avec l’Azerbaïdjan, y compris les négociations en cours en vue d’un Partenariat stratégique pour la modernisation, doivent être conditionnels et inclure des clauses sur la protection et la promotion des droits de l’homme, en particulier en ce qui concerne la liberté des médias, y compris les garanties pour la liberté de l’internet et l’accès non censuré à l’information et à la communication, la liberté d’expression, la liberté d’association et la liberté de réunion.

7. Liberté d’expression

83. Tous les représentants de la société civile et les avocats avec lesquels nous nous sommes entretenus ont exprimé leurs préoccupations au sujet de la liberté d’expression en Azerbaïdjan et, en particulier, des pressions exercées sur les journalistes critiques et de l’incrimination de la diffamation. Des rapports inquiétants sur les violations de la liberté d’expression nous ont été communiqués par des organisations nationales et internationales, notamment Reporters sans frontières, Amnesty International, Human Right Watch et la Fondation de la Maison des droits de l’homme. Les autorités azerbaïdjanaises sont persuadées que la très forte augmentation de la production de rapports par ces ONG étrangères s’inscrit dans un plan général coordonné par des organisations étrangères qui ne cherchent qu’à déstabiliser le pays. Elles ont mentionné à ce sujet la publication par l’Agence de Presse Azérie (APA) de documents confidentiels et de courriers de ces ONG qui montrent l’existence de calendriers détaillés et de plans d’action concrets 
			(87) 
			<a href='http://en.apa.az/news/226445'>http://en.apa.az/news/226445.</a> en vue de la mise en œuvre d’«une violente campagne de diffamation contre l’Azerbaïdjan», dans la perspective à la fois des prochains Jeux européens et des élections législatives de novembre 2015.
84. Dans sa Résolution intérimaire sur l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme dans les affaires Mahmudov et Agazade c. Azerbaïdjan et Fatullayev c. Azerbaïdjan 
			(88) 
			CM/ResDH(2014)183, op. cit., le Comité des Ministres a réitéré qu’«en ce qui concerne l’application arbitraire des lois pénales pour limiter la liberté d’expression, la situation actuelle soulève de graves préoccupations, en particulier en raison d’indications données sur l’utilisation récente de différentes lois pénales – similaires à celles utilisées dans ce groupe d’affaires (accusations d’activités illégales, d’abus de pouvoir, de trahison, d’hooliganisme ou d’autres infractions pouvant avoir des liens étroits avec l’exercice légitime de la liberté d’expression) – vis-à-vis de journalistes, blogueurs, avocats et membres d’ONG».
85. Le cadre législatif relatif à la liberté d’expression est aussi quelque peu préoccupant. Malgré l’avis de la Commission de Venise sur la législation de l’Azerbaïdjan relative à la protection contre la diffamation 
			(89) 
			Commission
de Venise, <a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2013)024-f'>CDL-AD(2013)024</a>, Avis sur la législation relative à la protection contre
la diffamation de la République d’Azerbaïdjan, adopté par la Commission
de Venise lors de sa 96e session plénière
(Venise, 11‑12 octobre 2013). et les observations du Commissaire aux droits de l’homme à cet égard 
			(90) 
			Rapport du 23 avril
2014 du Commissaire aux droits de l’homme, «Observations on the
human rights situation in Azerbaijan: An update on freedom of expression,
freedom of association, freedom of assembly, and the right to property», op. cit., les sanctions pénales applicables en cas de diffamation, qui comprennent une peine d’emprisonnement de trois ans maximum, n’ont toujours pas été supprimées. En 2013, le gouvernement a même étendu le champ d’application des sanctions légales pour diffamation afin d’y inclure les expressions diffusées sur l’internet. Les procès civils en diffamation ont donné lieu à de fortes amendes contre des organisations des médias. Dans sa décision de décembre 2014 sur l’exécution des arrêts Mahmudov et Agazade et Fatullayev, le Comité des Ministres a réitéré l’appel aux autorités d’avancer sur la question de la diffamation en adoptant les amendements législatifs requis pour réduire la possibilité de l’imposition d’une peine de prison dans les affaires de diffamation, en se basant sur la proposition du plénum de la Cour suprême, et en élaborant un projet de loi plus étendu sur la diffamation en coopération étroite avec la Commission de Venise. Dans l’intervalle, la législation existante devrait être appliquée avec prudence afin d’éviter l’imposition d’une peine de prison pour de telles infractions, comme l’a proposé le plénum de la Cour suprême. Dans le même esprit, la Résolution 2035 (2015) de l’Assemblée de janvier 2015 sur la protection de la sécurité des journalistes et de la liberté des médias en Europe 
			(91) 
			<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/X2H-Xref-ViewPDF.asp?FileID=21544&lang=fr'>http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/X2H-Xref-ViewPDF.asp?FileID=21544&lang=fr</a>. exhorte le Parlement azerbaïdjanais à modifier sa législation relative à la diffamation afin de la rendre conforme aux obligations de l’Azerbaïdjan en vertu de la Convention européenne des droits de l’homme et à la proposition de loi faite par le plénum de la Cour suprême de l’Azerbaïdjan. Il convient de noter cependant que, selon le rapport de la Représentante de l’OSCE pour la liberté des médias intitulé «Libel and insult laws: a matrix on where we stand and what we would like to achieve» 
			(92) 
			<a href='http://www.osce.org/fom/41958?download=true'>www.osce.org/fom/41958?download=true</a> (disponible en anglais uniquement)., qui comprend des données détaillées sur les dispositions pénales et civiles et les pratiques des tribunaux en matière de diffamation dans la région de l’OSCE, la diffamation constitue un délit pénal dans 42 des 47 Etats membres du Conseil de l’Europe et, dans 39 Etats membres, ce délit est passible d’une peine d’emprisonnement. En 2012, le Conseil de l’Europe a publié une étude visant à recenser l’état de la législation en matière de diffamation dans les Etats membres et à fournir une analyse globale de cette législation et de son application au regard de la jurisprudence pertinente de la Cour européenne des droits de l’homme 
			(93) 
			<a href='http://www.coe.int/t/dghl/standardsetting/media/cdmsi/CDMSI(2012)Misc11_en Defamation study.pdf'>www.coe.int/t/dghl/standardsetting/media/cdmsi/CDMSI(2012)Misc11_en%20Defamation%20study.pdf</a>.. Les données recueillies sur la législation anti‑diffamation dans les Etats membres font apparaître une situation en évolution constante. L’analyse des règles et pratiques en la matière dans tous ces Etats révèle un tableau hétérogène dans lequel la décriminalisation de la diffamation ne constitue pas un indicateur très fiable de la situation réelle du harcèlement judiciaire des journalistes au moyen de procès en diffamation. Outre la nécessaire décriminalisation de la diffamation, cela fait ressortir l’importance extrême de l’application du principe de proportionnalité, tel que défini dans la jurisprudence de la Cour. La mise en conformité des règles et pratiques en matière de diffamation avec la jurisprudence de la Cour est une tâche qui présente de multiples aspects et qui requiert les efforts conjoints du législateur, de la justice et des médias.
86. Nous avons appris que de nouveaux amendements à la loi sur les médias et l’information de grande diffusion, qui permettent au ministère de la Justice de l’Azerbaïdjan de demander à un tribunal de fermer tout organe de média recevant un financement de l’étranger ou reconnu deux fois coupable de diffamation, ont été promulgués en février 2015 
			(94) 
			<a href='http://www.rferl.org/content/azerbaijan-alieyv-law-on-mass-media/26829860.html'>www.rferl.org/content/azerbaijan-alieyv-law-on-mass-media/26829860.html</a>.. D’autre part, en mars 2015, le ministère des Affaires étrangères azerbaïdjanais a approuvé les Normes d’accréditation des représentants de mass médias étrangers en Azerbaïdjan, qui sont entrées en vigueur en avril 2015. Ces normes d’accréditation prévoient que l’accréditation peut être retirée aux représentants de médias étrangers dont les activités mettent en danger l’intégrité territoriale, l’indépendance et la souveraineté de l’Azerbaïdjan, ou qui se rendent dans les régions occupées du pays 
			(95) 
			<a href='http://www.contact.az/docs/2015/Politics/040900112111en.htm'>www.contact.az/docs/2015/Politics/040900112111en.htm</a>..
87. Nous demeurons préoccupés par la situation en matière de liberté d’expression et de liberté des médias en Azerbaïdjan, aussi bien en droit qu’en fait, et nous appelons les autorités à veiller au respect de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.

8. Remarques finales

88. En vue de la préparation de ce rapport, nous avons réalisé une visite d’information en Azerbaïdjan où nous avons pu nous entretenir avec divers interlocuteurs et recueillir des renseignements. Nous avons étudié les enquêtes, rapports, recommandations et décisions des organes du Conseil de l’Europe concernant l’Azerbaïdjan, afin de produire une analyse fondée sur de solides sources documentaires. Nous avons aussi examiné les rapports d’autres organisations internationales, y compris les ONG internationales des droits de l’homme les plus renommées, afin de corroborer l’information recueillie.
89. Au cours de notre visite, les autorités nous ont déclaré que l’Azerbaïdjan est menacé de tous côtés et que des forces intérieures et extérieures cherchent à déstabiliser le pays. Elles ont insisté sur la nécessité de prendre des mesures pour garantir la stabilité du pays, en particulier dans la perspective des Jeux européens qui auront lieu à Bakou 
			(96) 
			Paragraphe
13.. Tout en étant sensibles aux préoccupations des autorités, nous rappelons que la «stabilité» ne doit pas être obtenue au détriment des normes des droits de l’homme et nous invitons les autorités à continuer à veiller au respect de leurs obligations et engagements en tant qu’Etat membre du Conseil de l’Europe.
90. Une démocratie stable exige une véritable séparation et un solide équilibre entre les pouvoirs. Il est de la plus haute importance de permettre un dialogue politique réel, notamment dans le cadre parlementaire. Comme indiqué plus haut 
			(97) 
			Paragraphe 15 et suiv., l’Azerbaïdjan aurait tout à gagner d’un contrôle parlementaire accru afin de garantir l’équilibre entre les pouvoirs. Cela exigerait de renforcer les fonctions du parlement et de favoriser la présence d’une véritable opposition au sein du Mili Mejlis. Nous avons également noté certaines insuffisances eu égard à l’indépendance de la justice (voir plus bas). Nous considérons qu’un examen détaillé de la Constitution azerbaïdjanaise par la Commission de Venise serait un moyen utile d’aider les autorités à remédier à ces insuffisances.
91. Une démocratie stable exige la tenue d’élections libres et équitables permettant la libre confrontation des idées. Comme indiqué plus haut, il semble qu’à ce jour, plusieurs des recommandations des organes du Conseil de l’Europe concernant le cadre juridique et institutionnel et les pratiques des élections n’ont toujours pas été prises en compte. L’accès à des moyens de réclamation et de recours indépendants et impartiaux devrait en particulier être garanti. Les prochaines élections générales sont prévues en novembre 2015. De nouveaux progrès sur la base des recommandations de la Commission de Venise et des résolutions du Comité des Ministres sont donc souhaitables 
			(98) 
			Paragraphe 25 et suiv.. Plus généralement, il conviendrait d’assurer le maintien d’un climat favorable aux procédures démocratiques tout au long du processus électoral, en particulier du point de vue de la liberté d’expression et de la liberté d’association.
92. Une démocratie stable exige le respect des principes de l’Etat de droit. Nous avons examiné la question de l’indépendance, de l’impartialité et de l’équité du système judiciaire azerbaïdjanais en relation avec les procédures visant des médias et des ONG, en gardant à l’esprit les préoccupations exprimées par le Commissaire aux droits de l’homme au sujet du «caractère sélectif des poursuites pénales engagées à l’encontre de journalistes et d’autres personnes exprimant des opinions critiques» 
			(99) 
			Paragraphe
83.. La Cour européenne des droits de l’homme, qui note que les tribunaux nationaux semblent fonctionner comme un simple prolongement du ministère public 
			(100) 
			Paragraphe 55 et suiv., a constaté des violations des principes de l’égalité des moyens et de la présomption d’innocence dans un certain nombre d’affaires contre l’Azerbaïdjan 
			(101) 
			Paragraphe
64 et suiv..
93. Une démocratie stable exige une société civile dynamique et des médias libres aptes à contribuer au débat public. Nous avons rapporté plus haut des allégations de répression à l’égard de personnes exprimant des opinions critiques. Les amendements récents à la législation sur les ONG et son application apparemment arbitraire, qui semblent effectivement nuisibles aux activités de la société civile, ont conduit à l’ouverture de procédures pénales à l’encontre d’un certain nombre de dirigeants d’ONG réputées. Nous sommes également préoccupés par les allégations d’application arbitraire de la législation pénale en vue de limiter la liberté d’expression.