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Rapport | Doc. 13803 | 08 juin 2015

La responsabilité et la déontologie des médias dans un environnement médiatique changeant

Commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias

Rapporteur : M. Volodymyr ARIEV, Ukraine, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 13122, Renvoi 3941 du 22 avril 2013. 2015 - Troisième partie de session

Résumé

Les codes de déontologie adoptés par les journalistes et les médias sont une expression volontaire de la diligence professionnelle de journalistes et de médias soucieux de garantir la qualité de leur travail, de rectifier leurs erreurs et d’agir de manière responsable vis-à-vis du public. L’autorégulation des médias est un moyen de réduire l’influence de l’Etat et d’autres secteurs de la société sur leurs contenus. De plus, les mécanismes d’autorégulation peuvent faciliter le règlement extrajudiciaire des litiges relatifs à ces contenus.

Cependant, la mutation rapide de l’environnement médiatique met à mal l’éthique du journalisme, et tous les journalistes n’adhèrent pas rigoureusement aux codes de déontologie. Dans bien des régions d’Europe, les journalistes travaillent dans des conditions matérielles médiocres sans bénéficier de la sécurité juridique nécessaire, ce qui les rend vulnérables aux pressions exercées sur eux par des tiers.

Les médias eux-mêmes devraient jouer un rôle prépondérant dans la définition et la défense des normes professionnelles applicables à leur personnel et aux personnes qui alimentent le contenu médiatique. Dans ce contexte, les médias devraient se doter de codes de déontologie et de médiateurs internes ainsi que de mécanismes permettant aux lecteurs, auditeurs ou spectateurs de faire part de leurs réclamations ou de leurs remarques concernant le respect de ces codes.

Dans plusieurs pays, les systèmes de co-régulation mis en place s’inscrivent dans un cadre législatif applicable à une déontologie des médias fondée sur l’autorégulation. Lorsque ces systèmes prévoient la possibilité d’imposer des amendes et d’autres sanctions, la Convention européenne des droits de l’homme, en particulier son article 10, s’applique et doit être respectée.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 2 juin 2015.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire rappelle que la liberté d’expression dans les médias constitue un préalable nécessaire dans toute société démocratique et une condition indispensable à ses progrès et à l’épanouissement de tout être humain. La liberté d’expression s’applique globalement, sans conditions ni restrictions autres que celles prévues par la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5).
2. Etant donné que l’exercice de cette liberté comporte des devoirs et des responsabilités, l’Assemblée salue la Déclaration de principes sur la conduite des journalistes adoptée par la Fédération internationale des journalistes, ainsi que les codes de déontologie adoptés par des journalistes et des médias au niveau national dans tous les Etats membres. Ces codes sont une expression volontaire de la diligence professionnelle de journalistes et de médias soucieux de garantir la qualité de leur travail, de rectifier leurs erreurs et d’agir de manière responsable vis-à-vis du public.
3. Tout en saluant les initiatives concrètes des journalistes et de leurs organisations professionnelles pour promouvoir des normes éthiques rigoureuses, à l’image de l’Initiative pour le journalisme éthique de la Fédération internationale des journalistes, adoptée à l’occasion de son Congrès mondial tenu à Moscou, en 2007, et soutenue par l’Union européenne et le Conseil de l’Europe, l’Assemblée rappelle sa Résolution 1003 (1993) relative à l’éthique du journalisme et note avec inquiétude que la mutation rapide de l’environnement médiatique met à mal l’éthique du journalisme et que tous les journalistes n’adhèrent pas rigoureusement aux codes de déontologie.
4. L’Assemblée s’alarme de la montée du discours haineux et raciste en Europe et rappelle aux Etats membres qu’il est impératif d’avoir une législation nationale pour lutter contre la propagande de guerre et contre tout appel à la haine nationale, raciste ou religieuse constituant une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence, en vertu de l’article 20 du Pacte international des Nations Unies relatif aux droits civils et politiques, mais aussi contre la diffusion d’idées fondées sur la supériorité ou la haine raciales et contre l’incitation à la discrimination raciale, en vertu de l’article 4 de la Convention internationale des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.
5. Dans bien des régions d’Europe, les journalistes travaillent sans bénéficier de la sécurité juridique nécessaire et dans des conditions matérielles médiocres, souvent à la pige, ce qui les rend plus vulnérables aux pressions exercées sur eux par des tiers. Beaucoup de médias ont des problèmes financiers en raison d’une baisse du nombre de lecteurs, d’un recul de leur audience ou d’une diminution du nombre de spectateurs liés au développement des médias basés sur internet et à des modèles économiques souvent moins rentables, ce qui compromet l’indépendance éditoriale de ces médias. De plus, les journalistes et les médias sont menacés de plus en plus par la criminalité organisée, le terrorisme et les conflits armés, ce qui met en danger tout leur travail.
6. Rappelant sa Résolution 1577 (2007) «Vers une dépénalisation de la diffamation», l’Assemblée rappelle aux Etats membres que les déclarations ou allégations formulées dans les médias, même quand elles se révèlent inexactes, ne devraient pas être passibles de sanctions, pour autant que leur inexactitude ne fut pas connue, qu’elles ne traduisent pas une intention consciente de nuire et que leur véracité ait été vérifiée avec la diligence requise. Les Etats membres devraient progresser sur la voie de la dépénalisation de la diffamation.
7. Rappelant sa Recommandation 1878 (2009) sur le financement de la radiodiffusion de service public, l’Assemblée réaffirme que les services publics audiovisuels doivent être une importante source d’informations impartiales et présenter une diversité d’opinions politiques. Leur activité doit être soumise à d’exigeantes normes éditoriales d’objectivité, d’équité et d’indépendance vis-à-vis de toute ingérence politique ou économique. En conséquence, l’Assemblée salue et soutient les principes éditoriaux et les principes directeurs de l’Union européenne des radiodiffuseurs et appelle les Etats membres à assurer que leurs services publics audiovisuels les mettent pleinement en œuvre.
8. Rappelant sa Résolution 1438 (2005) sur la liberté de la presse et les conditions de travail des journalistes dans les zones de conflit, l’Assemblée attire l’attention des Etats membres sur le fait que les journalistes doivent être considérés comme des civils, en vertu de l’article 79 du Protocole I aux Conventions de Genève de 1949, à condition qu’ils n’entreprennent aucune action portant atteinte à leur statut de personnes civiles. Elle invite l’ensemble des médias à indiquer clairement au public quels reportages ont été réalisés par des correspondants de guerre intégrés dans les forces armées ou de sécurité.
9. Rappelant sa Résolution 2001 (2014) sur la violence véhiculée dans et par les médias, l’Assemblée est favorable aux mécanismes d’autorégulation des médias audiovisuels, de l’industrie cinématographique et du secteur des jeux visant à protéger les mineurs contre la violence par une classification volontaire de leurs contenus médiatiques. La responsabilité éditoriale incombe aux médias d’éviter que les contenus à caractère violent ne heurtent la dignité de la personne humaine ou ne nuisent au développement physique, psychique ou moral des enfants et des adolescents.
10. Au vu de la croissance exponentielle des médias basés sur internet et des changements connexes dans la structure interne des médias, l’Assemblée estime que les médias eux-mêmes devraient occuper une place prépondérante dans la définition et la défense des normes professionnelles applicables à leur personnel et aux personnes qui alimentent le contenu médiatique. Dans ce contexte, les médias devraient se doter de codes de déontologie et de médiateurs internes ainsi que de mécanismes permettant aux lecteurs, auditeurs ou spectateurs de faire part de leurs réclamations ou de leurs remarques concernant le respect de ces codes.
11. L’Assemblée voit dans l’autorégulation des médias un moyen de réduire l’influence de l’Etat et d’autres secteurs de la société sur leurs contenus. De plus, les mécanismes d’autorégulation peuvent faciliter le règlement extrajudiciaire des litiges relatifs à ces contenus. Cela étant, l’Assemblée rappelle aux Etats membres que les restrictions imposées par les pouvoirs publics à la liberté d’expression et d’information par le biais des médias doivent être prévues par la loi, poursuivre un objectif légitime et être nécessaires dans une société démocratique. L’autorégulation des médias comporte nécessairement un aspect volontaire et éthique plutôt que juridiquement contraignant.
12. Les systèmes d’autorégulation des médias se sont développés différemment selon les Etats membres, en fonction des traditions politiques, culturelles et juridiques de chacun. Dans plusieurs pays, les systèmes de co-régulation mis en place s’inscrivent dans un cadre législatif applicable à une déontologie des médias fondée sur l’autorégulation. Lorsque ces systèmes prévoient la possibilité d’imposer des amendes et d’autres sanctions, la Convention européenne des droits de l’homme, en particulier son article 10, s’applique et doit être respectée.
13. En conséquence, l’Assemblée invite les médias, leur personnel et leurs organisations à adhérer volontairement en plus grand nombre à leurs codes déontologiques et à leurs mécanismes d’analyse des violations de ces codes en vue de proposer une réparation adéquate aux personnes affectées par de telles violations. A cette fin, l’Assemblée invite l’Alliance des conseils de presse indépendants d’Europe à renforcer la coordination entre ses membres, afin d’élever le niveau d’exigence des normes éthiques dans toute l’Europe, de faciliter les procédures de plainte entre différents pays et de sensibiliser le public des médias européens.
14. L’Assemblée invite l’Union européenne à coopérer avec le Conseil de l’Europe pour promouvoir l’autorégulation des médias, par exemple, en étendant les principes énoncés dans la Directive sur les services des médias au-delà de l’Union européenne, sur le modèle de la tentative faite avec la Convention européenne sur la télévision transfrontière (STE no 132), mais aussi en organisant des activités de coopération concrètes avec des associations nationales de médias et de journalistes.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet
de recommandation adopté à l’unanimité par la commission le 2 juin
2015.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire se réfère à sa Résolution … (2015) sur la responsabilité et la déontologie des médias dans un environnement médiatique changeant, ainsi qu’aux textes suivants du Comité des Ministres: Résolution (74) 26 sur le droit de réponse – situation de l’individu à l’égard de la presse et les Recommandations Rec(2004)16 sur le droit de réponse dans le nouvel environnement des médias et No R (97) 21 sur les médias et la promotion d’une culture de la tolérance.
2. L’Assemblée se félicite que la liberté des médias figure parmi les priorités du Conseil de l’Europe et recommande que le Comité des Ministres:
2.1. appelle les Etats membres à introduire un droit de réponse dans leur législation nationale, si cela n’a pas encore été fait, et à assurer qu’un tel droit de réponse accordé par un média ait valeur légale devant les tribunaux en cas de procès intenté à ce média pour les mêmes faits;
2.2. formule des lignes directrices à l’intention des gouvernements pour qu’ils soutiennent les démarches d’autorégulation des médias à l’échelle nationale, tout en respectant la liberté des médias conformément à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5);
2.3. intensifie les activités concrètes visant à renforcer les normes d’autorégulation éthique des journalistes et des médias, notamment un soutien à la formation professionnelle des journalistes et d’aide aux services publics audiovisuels pour l’établissement de normes éthiques sur le modèle des principes éditoriaux et des principes directeurs de l’Union européenne de radiotélévision;
2.4. fasse en sorte que le Conseil de l’Europe mène davantage d’actions concrètes, telles que la campagne contre le discours de haine du secteur jeunesse et les programmes «Médias en Europe pour une diversité inclusive» (MEDIANE) et «Les médias contre le racisme dans le sport» (MARS), réalisés par la Fédération européenne des journalistes et le Conseil de l’Europe.

C. Exposé des motifs, par M. Ariev, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. L’initiative de ce rapport revient à M. Mogens Jensen (Danemark, SOC), qui a présenté, le 30 janvier 2013, avec d’autres membres de l’Assemblée parlementaire, une proposition de résolution sur «La responsabilité et la déontologie des médias dans un environnement médiatique changeant» (Doc. 13122). Nommé ministre du Commerce et du développement du gouvernement danois le 3 février 2014, M. Jensen a quitté l’Assemblée, à la suite de quoi la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias m’a nommé rapporteur sur ce sujet. Après avoir entamé ma carrière à la BBC en 1993, j’ai travaillé comme journaliste et cinéaste à Kiev jusqu’en 2007, date à laquelle j’ai été élu député. Cette expérience ainsi que l’influence des médias sur la transition démocratique dans mon propre pays et dans les pays voisins expliquent mon engagement en faveur de la liberté, de la responsabilité et de l’éthique des médias.
2. Il y a plus d’une vingtaine d’années, l’Assemblée adoptait la Résolution 1003 (1993) relative à l’éthique du journalisme. Cette époque a été marquée par la chute du rideau de fer qui divisait l’Europe entre l’est et l’ouest, ainsi que par la transition progressive des pays d’Europe centrale et orientale vers la démocratie. Le rôle traditionnellement imparti aux médias dans les régimes communistes a alors changé lui aussi. Alors qu’ils étaient auparavant considérés comme un outil de propagande destiné à guider les masses, ils devenaient le moyen pour tous les citoyens de recevoir des informations et de confronter leurs points de vue, deux fonctions nécessaires dans une société démocratique. Durant cette période de transition, il était donc important de rappeler les principes éthiques du journalisme, qui correspondent à des valeurs telles que la démocratie et les droits de l’homme.
3. Ces dix dernières années, les progrès technologiques dans les médias électroniques ont profondément bouleversé le paysage médiatique, en particulier du fait de la convergence électronique sur internet. La presse traditionnelle sur papier a perdu abonnés et recette publicitaires, faisant de la plupart des journaux des proies pour des investisseurs financiers mus par des ambitions politiques plutôt que par des intérêts commerciaux. Parallèlement à cette transformation du paysage médiatique, la profession de journaliste a elle aussi évolué. Si les journalistes pouvaient auparavant espérer trouver un emploi de longue durée, le recours de plus en plus fréquent à des pigistes a réduit les effectifs permanents des journaux et a entraîné une concurrence accrue parmi les journalistes. De plus, dans nombre de pays, les journalistes ont des revenus très bas et de faibles droits sociaux, ce qui les rend très vulnérables aux pressions politiques et autres dans l’exercice de leur métier.
4. En conséquence, il est grand temps de rappeler aux parlements et gouvernements des pays européens qu’il est nécessaire, dans une société démocratique fondée sur l’Etat de droit, de reconnaître aux médias la liberté de décider eux-mêmes des règles éthiques de leur profession, tout en leur rappelant leurs obligations professionnelles.

2. Travaux préparatoires

5. Le 22 mai 2013, la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias a tenu une audition sur ce sujet à la Chambre des Communes, à Londres, en présence de Mme Agnès Callamard, Directrice générale, ARTICLE 19, Londres, de M. Lutz Tillmanns, Secrétaire général, Conseil de la presse allemande, Berlin, de Mme Judit Bayer, Représentante du Réseau du Sud-Est de l'Europe pour la professionnalisation des médias, Budapest, et du Dr Rachael Craufurd Smith, Faculté de Droit, Université d’Edimbourg. Mme Rachael Craufurd Smith a par la suite fait un exposé introductif sur l’autorégulation des médias lors de la réunion de la sous-commission des médias et de la société de l'information qui a eu lieu à Istanbul les 12 et 13 mai 2014. Sur la base de ces travaux préparatoires en commission et de mes instructions sur les aspects à traiter, Mme Rachael Craufurd Smith a été chargée d’établir un rapport d’information, qu’elle a présenté en commission à Strasbourg, le 27 janvier 2015. Le présent exposé des motifs se fonde sur son rapport d’information, dont je lui suis très reconnaissant.

3. Législation sur les médias et déontologie des médias

6. Comme la Cour européenne des droits de l’homme le rappelle invariablement, la liberté d’expression vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l'Etat ou une fraction quelconque de la population, sous réserve des seules conditions ou restrictions prévues par la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention»). C’est à cette aune que doit être mesurée la liberté des médias et toute législation en la matière.
7. En vertu de l’article 10 de la Convention, toute restriction à la liberté des médias doit être prévue par la loi et être proportionnée à un but légitime, nécessaire dans une société démocratique. En conséquence, les Etats ne peuvent restreindre la liberté des médias que par la voie légale, par opposition à tout critère arbitraire ou «flou» visant à restreindre la portée de l’article 10. La place centrale faite à la loi s’explique par le fait que les dispositions légales peuvent être appliquées ou contrôlées par les tribunaux, étant donné qu’elles sont publiquement accessibles – du fait que les lois sont publiées – et qu’elles doivent être suffisamment précises.
8. Pour sa part, la déontologie des médias relève, de ce fait, d’une approche non législative, qui correspond le plus souvent à une démarche d’autorégulation par les médias eux-mêmes. Cette démarche suppose que les médias et les journalistes se conforment volontairement à certaines normes professionnelles. Si l’application de ces principes déontologiques ne peut, en toute logique, pas être imposée par les tribunaux, ceux-ci peuvent prendre en compte le respect de la déontologie ou de la diligence professionnelle dans l’application des normes légales au comportement des journalistes. Un exemple typique est la protection légale contre les accusations de diffamation: les affirmations ou allégations faites par les médias dans l’intérêt du public ne sont pas condamnables, même lorsqu’elles sont inexactes, pour autant que leur inexactitude n’était pas connue, qu’elles n’aient pas été faites dans l’intention de nuire et que leur véracité ait été vérifiée avec la diligence requise.
9. Les principes déontologiques des médias peuvent être très larges et variables, en fonction du secteur propre à une entreprise de média, de son personnel et de sa volonté d’imposer une norme éditoriale. Une liste relativement exhaustive de ces principes déontologiques a été dressée par l’Assemblée dans sa Résolution 1003 (1993) relative à l’éthique du journalisme. Comme nous le verrons plus bas, il n’existe pas de principes déontologiques communs au niveau national, exception faite de quelques principes de base tels que l’obligation professionnelle d’exactitude et de respect de la vérité, d’impartialité et d’indépendance éditoriale, d’objectivité des commentaires, de respect de l’autre et de rectification des erreurs 
			(3) 
			Voir le
document préparé par M. Aidan White pour le Commissaire aux droits
de l'homme du Conseil de l’Europe, 8 novembre 2011: <a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=1863637'>https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=1863637#P309_47187</a>..

4. Le rôle de l’autorégulation dans le secteur des médias

10. L’autorégulation est de longue date une composante importante de la réglementation des médias en Europe. Très présente dans les secteurs de la presse écrite, de l’industrie cinématographique, des jeux vidéo et de la publicité, elle consiste en l’élaboration et l’application de règles par ceux dont le comportement doit être régi, sans supervision par l’Etat. L’une des principales motivations de l’autorégulation dans le domaine des médias est de protéger la liberté d’expression et d’aider les médias à remplir leurs fonctions démocratiques, c’est-à-dire informer sur les questions pouvant intéresser le public, formuler des commentaires et des opinions, offrir un espace de débat et surveiller les milieux politiques et autres groupes sociaux puissants.
11. Le rôle démocratique de la presse est spécifiquement reconnu dans un certain nombre de constitutions nationales, par exemple dans l’article 5 de la Loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne et la Loi sur la liberté de la presse de la Suède. La Cour européenne des droits de l’homme conclut quant à elle que la liberté d’expression consacrée par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme constitue non seulement «l’un des fondements essentiels d’une société démocratique» mais également qu’«il incombe à la presse de communiquer des informations et des idées sur les questions débattues dans l’arène politique, tout comme sur celles qui concernent d’autres secteurs d’intérêt public» 
			(4) 
			Voir, par exemple, Centro Europa 7 SRL et Di Stefano c. Italie,
Requête no 38433/09, arrêt du 7 juin
2012, paragraphe 131..
12. L’autorégulation limite la capacité de l’Etat d’influencer les médias à ses propres fins et se caractérise par une grande flexibilité, ce qui lui permet de s’adapter rapidement aux évolutions de situation. Elle s’appuie sur le savoir-faire de la profession, ce qui lui donne une efficacité accrue et offre des méthodes simples et rapides de règlement des litiges. Les mécanismes d’autorégulation étant généralement financés totalement ou principalement par le secteur concerné, ils peuvent également réduire le coût de la réglementation pour le grand public.
13. Bien que la réglementation des médias par l’Etat puisse poser des problèmes de censure, la Cour européenne des droits de l’homme a conclu que les restrictions de la liberté d’expression par l’Etat peuvent se justifier lorsque l’ingérence est prévue par la loi, qu’elle poursuit un but public légitime, notamment la protection des droits d’autrui, et qu’elle est nécessaire dans une société démocratique. Dans la pratique, les médias de tous les Etats européens sont soumis à une part importante de réglementation étatique. L’on attend des médias qu’ils respectent le droit commun en matière civile et pénale. Certains secteurs comme les médias de radiodiffusion, le sont davantage en raison notamment de leur capacité patente d’influencer le public. Une réglementation étatique peut également être nécessaire pour renforcer la liberté des médias, par exemple en s’attaquant à la concentration des médias.
14. Le recours à la réglementation étatique pour appuyer l’autorégulation est en revanche plus controversé. Les régimes d’autorégulation sont volontaires par nature et les avantages qu’ils offrent en termes de réputation ou autre sont les principaux facteurs qui motivent l’adhésion. Cela dit, ces incitations ne sont pas toujours suffisantes pour que les membres respectent les normes qui ont été définies et certains opérateurs peuvent estimer qu’il est dans leur intérêt de rester totalement hors du système. Les mécanismes d’autorégulation sont donc confrontés à deux problèmes majeurs – celui de l’efficacité et celui du respect – susceptibles de limiter la protection offerte au public. Dans la mesure où l’Etat souhaite défendre les intérêts poursuivis par l’instance d’autorégulation, ou estime qu’il y a des avantages particuliers à le faire, par exemple une réduction du nombre d’actions en justice, il peut essayer de renforcer ou d’étayer le mécanisme par le biais d’interventions législatives ou autres, dans le cadre d’une approche que l’on désigne souvent sous le terme de «corégulation».
15. Dans le secteur des médias, la corégulation prend diverses formes. L’Etat peut définir les conditions de fonctionnement du système d’autorégulation (Danemark, Royaume-Uni), imposer l’adhésion à ce système (Danemark) ou encore prévoir des pouvoirs complémentaires d’exécution ou de sanction (Danemark, Irlande et Royaume-Uni). Bien conçue, une telle intervention peut contribuer à renforcer l’indépendance du mécanisme de régulation à l’égard des pressions extérieures, y compris de la profession elle-même, mais elle peut également ouvrir la voie à une influence étatique qui modifierait fondamentalement la nature de l’instance d’autorégulation, laquelle passerait alors d’un organe servant les intérêts de la profession et créé par elle, à un organe agissant au nom de l’Etat. Comme cela a été noté ci-dessus, l’Etat peut avoir des raisons particulières de souhaiter le succès du régime d’autorégulation, ce qui peut influer sur la nature de son intervention.
16. On peut soutenir qu’il ne devrait y avoir aucune autre réglementation des médias que celle établie par le droit commun, car même l’autorégulation par la profession n’exclut pas la censure et les directives venant de l’extérieur. Ces préoccupations ont pesé sur la réglementation des médias dans des pays comme la France, où l’opposition à la mise en place de mécanismes d’autorégulation pour la presse est vive 
			(5) 
			Voir le site web de
l’Association de préfiguration d’un Conseil de presse en France: <a href='http://apcp.unblog.fr/pourquoi-un-conseil-de-presse/'>http://apcp.unblog.fr/pourquoi-un-conseil-de-presse/</a>.. Cela dit, il n’est pas rare d’observer en Europe des régimes d’autorégulation et de corégulation distincts coexister avec le droit commun, dans une interaction subtile.
17. Les médias ont plusieurs raisons de soutenir le développement de régimes d’autorégulation 
			(6) 
			Haraszti
M., Le Guide pratique de l’autorégulation des médias (OSCE, Bureau
du Représentant pour la liberté des médias, Autriche, 2008), p.
12.. Premièrement, ces régimes sont souvent mis en place pour devancer la réglementation par l’Etat. Deuxièmement, ils cherchent à instaurer la confiance chez les citoyens et les consommateurs en définissant des normes fondamentales que les organisations ou personnes physiques participantes s’engagent à respecter. Ces normes peuvent se superposer partiellement avec le droit commun, si l’on prend l’exemple de l’engagement à ne pas causer du tort aux enfants ou à ne pas porter atteinte à la vie privée, mais vont habituellement beaucoup plus loin en imposant les principes d’honnêteté, de transparence, de diligence et de respect, sans qu’il y ait toutefois de répercussion au plan juridique en cas de manquement à ces derniers. Les régimes d’autorégulation servent à souligner le caractère professionnel du journalisme et favorisent l’exercice par les médias de leur rôle démocratique. Troisièmement, certains régimes incluent une procédure relativement peu onéreuse et rapide pour traiter les plaintes du public relatives au contenu publié ou aux pratiques journalistiques qui enfreignent les normes définies par le régime, ce qui accentue le sens des responsabilités des médias. Quatrièmement, la profession est consciente du fait que le respect de normes professionnelles peut quelquefois offrir une protection dans les procédures judiciaires, si l’on fait valoir que la personne physique ou l’instance concernées ont agi de manière responsable, ou déboucher sur l’octroi de certains droits, notamment l’accès à l’information. Dernier point, mais non le moindre, ces régimes peuvent avoir de larges attributions, pour la défense de la liberté de la presse et de la liberté d’expression par des initiatives éducatives ou de formation ainsi qu’une participation active aux politiques et aux débats politiques relatifs à ces libertés.
18. Certains de ces objectifs sont de nature intéressée, car ils visent à protéger la profession contre diverses menaces extérieures ou à lui apporter des avantages, tandis que d’autres cherchent véritablement à servir l’intérêt général. Les priorités adoptées ont une influence non négligeable sur la capacité de l’autorité de régulation à orienter les normes générales relatives aux médias. Ainsi, l’importance relativement limitée accordée au traitement des plaintes par la précédente Commission britannique des plaintes relatives à la presse aurait dissuadé l’autorité de régulation d’analyser les facteurs culturels et organisationnels qui faisaient obstacle au respect de la déontologie dans certains secteurs de la presse. Il est plus probable que l’intérêt du public à bénéficier d’un journalisme libre, indépendant et responsable soit satisfait lorsque ceux qui échafaudent les mécanismes d’autorégulation reconnaissent expressément le caractère central de ces objectifs, à la fois dans les codes qu’ils publient et dans le cadre constitutionnel.

5. L’autorégulation des médias dans la pratique

19. L’autorégulation dans le secteur des médias inclut généralement l’un ou l’autre des éléments suivants, ou les deux:
  • un code de conduite;
  • une instance – habituellement un conseil et/ou un médiateur – chargée de la promotion ou de l’application du code, bien que son champ de compétences puisse être beaucoup plus vaste, comme cela a été indiqué précédemment.
20. Dans certains secteurs des médias, notamment l’industrie cinématographique et le secteur des jeux, l’autorégulation consiste plutôt en la création par la profession de systèmes de classification qui peuvent être utilisés pour informer le public sur la nature du contenu proposé. On peut citer en exemple le système PEGI (Pan European Game Information) élaboré pour la Fédération européenne des logiciels de loisirs (Interactive Software Federation of Europe) et utilisé dans 30 pays européens pour classer les jeux informatiques. L’autorégulation vise ici à donner des informations au public plutôt qu’à garantir le respect de normes journalistiques. En règle générale, les classifications sont utilisées pour faciliter la protection des enfants contre l’exposition à un contenu inapproprié et attirer l’attention sur les contenus violents ou à caractère sexuel dans des contextes où les biens et services audiovisuels, jugés particulièrement influents, sont vendus à la demande.

5.1. Codes de conduite: typologie

21. Des codes de conduite ont été élaborés par un grand nombre d’organisations de médias à la fois au niveau inter- et intra-sectoriel.
22. Certaines organisations représentatives, notamment des syndicats, ont établi des codes de conduite pour leurs membres qui, comme dans le cas de l’Union nationale des journalistes au Royaume-Uni, pourraient – en plus de s’appliquer à la presse écrite et aux médias de radiodiffusion traditionnels – être étendus aux services en ligne 
			(7) 
			<a href='https://www.nuj.org.uk/documents/nuj-code-of-conduct/'>https://www.nuj.org.uk/documents/nuj-code-of-conduct/</a>..
23. Les organisations de médias, publiques ou privées, ont également la possibilité d’adopter des codes de conduite applicables à leur personnel, leurs contributeurs ou leurs utilisateurs. La BBC, par exemple, a élaboré une ligne éditoriale détaillée pour ses producteurs 
			(8) 
			<a href='http://www.bbc.co.uk/editorialguidelines/'>www.bbc.co.uk/editorialguidelines/</a>.. Les médias de service public se devant d’avoir des principes et critères de qualité et de déontologie plus exigeants, les valeurs adoptées par l’Union européenne de radio-télévision en 2012 et son guide «Public Service Values, Editorial Principles and Guidelines» sont une référence pour ses membres 
			(9) 
			<a href='http://www3.ebu.ch/contents/publications/public-service-values-editorial.html'>www3.ebu.ch/contents/publications/public-service-values-editorial.html</a>.. Les sites de médias sociaux comme YouTube donnent des consignes à leurs utilisateurs à propos du contenu qu’ils diffusent sur leurs chaînes. Des manquements répétés à ces consignes peuvent entraîner la clôture du compte de l’utilisateur 
			(10) 
			<a href='https://www.youtube.com/t/community_guidelines?hl=en-GB&gl=GB'>https://www.youtube.com/t/community_guidelines?hl=en-GB&gl=GB</a>..
24. Des codes de conduite ont également été adoptés pour des secteurs spécifiques des médias, comme la presse écrite, les médias de radiodiffusion et la vidéo à la demande.
25. De nombreux codes s’appliquent au niveau national mais des codes privés utilisés par certaines multinationales ou des codes élaborés par des organisations représentatives comme la Fédération internationale des journalistes (FIJ) 
			(11) 
			<a href='http://www.ifj.org/fr/la-fij/code-de-principe-de-la-fij-sur-la-conduite-des-journalistes/'>www.ifj.org/fr/la-fij/code-de-principe-de-la-fij-sur-la-conduite-des-journalistes/</a>. peuvent également avoir une dimension internationale.

5.2. Les codes de conduite dans un environnement médiatique changeant: défis actuels

5.2.1. Complexité, opacité et lacunes potentielles

26. Le nombre et la variété des codes en vigueur peut créer un environnement réglementaire complexe et embrouillé. Le public peut de ce fait avoir du mal à déterminer si un service donné est soumis à l’autorégulation, qui est responsable de ce service et quelles sont les normes applicables. Dans certains pays comme le Royaume-Uni, la mise en place progressive de régimes d’autorégulation ou de corégulation distincts pour divers secteurs des médias a entraîné des lacunes et disparités dans la protection offerte au public. Cela a également donné lieu à des litiges de compétence entre les autorités de régulation, les membres de la profession cherchant à s’affilier au régime le plus avantageux et à éviter tout paiement de cotisations multiples 
			(12) 
			Voir,
par exemple, la décision de l’Ofcom concernant la compétence relative
à la section vidéo du site web du journal The
Sun: <a href='http://www.atvod.co.uk/uploads/files/Ofcom_Decision_-_SUN_VIDEO_211211.pdf'>www.atvod.co.uk/uploads/files/Ofcom_Decision_-_SUN_VIDEO_211211.pdf</a>..
27. Dans mon propre pays, l’Ukraine, deux syndicats de journalistes concurrents se sont dotés chacun de leur propre code déontologique. En pratique, ces codes n’ont guère eu d’impact sur l’amélioration de la déontologie des journalistes, mais les deux syndicats se sont entendus en 2013 sur un code de conduite unique et ont renforcé ainsi leur éthique professionnelle.

5.2.2. Convergence et cadre réglementaire

28. Les effets de la convergence des médias sur les systèmes d’autorégulation nationaux font ressortir l’importance de créer un cadre réglementaire cohérent et transparent. Bien qu’en termes de production et de présentation, le contenu textuel et le contenu vidéo puissent soulever des questions différentes, les principes fondamentaux relatifs au journalisme responsable restent les mêmes. Si nécessaire, les spécificités d’un média peuvent être abordées dans des recommandations complémentaires. Par ailleurs, le travail de comparaison entre les modes de réglementation de différents secteurs peut conduire à un renforcement des normes à tous les niveaux. Au Royaume-Uni, par exemple, les régimes de réglementation relatifs aux médias de radiodiffusion incluent une procédure détaillée à suivre avant toute action susceptible de porter atteinte à la vie privée. Si ces procédures avaient été appliquées dans la presse écrite, il aurait certainement été possible de prévenir certains des comportements illicites qui ont précipité l’enquête Leveson.
29. Certains régimes réglementaires ont été plus prompts que d’autres à se préoccuper de la convergence et à prendre en considération les fournisseurs de contenu uniquement en ligne, les blogueurs et les services de médias sociaux, ainsi que les agences de presse. Le régime finlandais, par exemple, s’étend désormais aux agences de presse finlandaises, à la presse écrite et aux médias de radiodiffusion ainsi qu’à leurs services sur le web et aux services uniquement en ligne; de la même manière, le Conseil de presse suédois est ouvert aux acteurs présents uniquement en ligne, tandis que le Conseil de presse allemand traite les plaintes relatives au «contenu journalistique et rédactionnel sur internet». Les règles professionnelles élaborées par le Conseil de presse danois demandent à tous les services nationaux de presse écrite et de radiodiffusion d’adhérer au régime mais certains médias sur internet, et notamment les blogs et médias sociaux, sous réserve d’un contrôle éditorial, peuvent également demander l’enregistrement et ont fait usage de cette possibilité dans la pratique. Ces évolutions soulèvent la question des droits que les acteurs en ligne devraient être appelés à payer et de leur représentation au sein des structures de gestion des instances d’autorégulation. Le dialogue et l’échange d’expériences entre les différentes instances de régulation existant en Europe peuvent s’avérer utiles pour ceux qui ont encore des progrès à faire en la matière.
30. Il peut toutefois rester souhaitable de disposer de plusieurs régimes d’autorégulation dans un même pays afin de rendre compte de la diversité des opérateurs de médias et de leurs aspirations. Lara Fielden, par exemple, a proposé l’adoption de plusieurs régimes réglementaires d’intensité variable qui seraient ouverts aux fournisseurs de services textuels, audio et vidéo 
			(13) 
			Fielden L., Regulating
for Trust in Journalism: Standards Regulation in the Age of Blended
Media, Reuters Institute for the Study of Journalism, Oxford, 2011.. Il y aurait ainsi quatre degrés de réglementation. Le premier – et le plus contraignant (offre de service public) – reprendrait les normes applicables aux radiodiffuseurs de service public, y compris l’impartialité. Le deuxième degré (contenu privé respectueux de l’éthique) serait légèrement plus exigeant que le régime en vigueur pour la presse au Royaume-Uni mais moins que ceux applicables à la radiodiffusion. Le troisième degré (contenu privé de base) conserverait les normes minimales énoncées dans la Directive de l’Union européenne sur les services de médias audiovisuels (codifiée dans la Directive 2010/13/UE), tandis que le quatrième degré ne comporterait aucune réglementation autre que le droit commun. Les opérateurs adhérant à l’un ou l’autre des trois premières formes de réglementation pourraient employer des symboles ou «Kitemark» pour informer le public sur le type de service proposé. Les différentes formules seraient ouvertes aux blogueurs et éditeurs amateurs qui auraient la possibilité d’opter pour l’un des trois degrés de réglementation afin de bénéficier de la marque de qualité et des avantages offerts en termes de réputation.
31. Il convient également de clarifier la question de savoir dans quelle mesure les organisations de médias peuvent être tenues pour responsables du contenu généré par l’utilisateur hébergé sur les divers forums ou sites de dialogue en ligne que nombre d’entre elles proposent aujourd’hui. Ces sites permettent aux journaux de tester leur contenu avant tirage et constituent un important espace d’échange et de débat démocratique. Un certain nombre d’autorités de régulation, comme la nouvelle Independent Press Standards Organisation (IPSO) au Royaume-Uni, n’examinent que les plaintes relatives au courrier des lecteurs ou aux contenus qui ont été coupés ou soumis à modération. Exiger des fournisseurs qu’ils assurent une modération a priori de tous ces contenus imposerait toutefois une charge administrative impossible aux organisations de médias et ferait obstacle à la participation du public.
32. Le récent arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme en l’affaire Delfi c. Estonie 
			(14) 
			Requête no 64569/09,
arrêt du 10 octobre 2013., actuellement à l’examen devant la Grande Chambre, laisse entendre que les systèmes de notification et le filtrage sélectif ne sont pas nécessairement suffisants pour décharger les fournisseurs d’information de responsabilité dans les actions en diffamation devant les tribunaux, s’agissant du contenu généré par l’utilisateur. Cette affaire met en exergue l’importance de développer une conception appropriée du «journalisme responsable» au regard de tous les services proposés à l’heure actuelle par les médias et de leur rôle évolutif, qui va bien au-delà de la simple diffusion d’informations produites et remaniées en interne. Il convient de prendre note à cet égard des recommandations sur «les publications générées par le public sur le site web d’un média» publiées par le Conseil finlandais des médias 
			(15) 
			<a href='http://www.jsn.fi/en/guidelines_for_journalists/'>www.jsn.fi/en/guidelines_for_journalists/</a>. en 2011 et la disposition relative au contenu rédactionnel dans les règles de déontologie du Conseil de presse danois 
			(16) 
			<a href='http://www.pressenaevnet.dk/Information-in-English/The-Press-Ethical-Rules.aspx'>www.pressenaevnet.dk/Information-in-English/The-Press-Ethical-Rules.aspx</a>..

5.3. Amélioration de la qualité des codes de conduite par une approche comparative

33. En Europe, les opinions divergent quant à la question de savoir si la définition des codes des médias devrait ressortir uniquement à la profession, avec un risque d’omissions ou de dispositions servant des intérêts propres, ou s’il convient d’y associer le citoyen et le consommateur, voire une représentation judiciaire comme au Danemark. L’article 9 du Code de principe de la FIJ sur la conduite des journalistes dispose que «reconnaissant le droit connu de chaque pays, le journaliste n’acceptera, en matière professionnelle, que la juridiction de ses pairs, à l’exclusion de toute intrusion gouvernementale ou autre» 
			(17) 
			<a href='http://www.ifj.org/fr/la-fij/code-de-principe-de-la-fij-sur-la-conduite-des-journalistes/'>www.ifj.org/fr/la-fij/code-de-principe-de-la-fij-sur-la-conduite-des-journalistes/</a>.. En Finlande, le Groupe de gestion, qui inclut des représentants des éditeurs, des organismes de radiodiffusion et du syndicat des journalistes, établit et révise les règles. Des préoccupations similaires concernant les risques d’intervention extérieure s’observent dans le système allemand, qui laisse aux membres de la profession le soin de rédiger le Code de la presse. Dans un certain nombre de pays post-communistes, les craintes portent sur le risque que des groupes d’intérêts ne compromettent l’indépendance des instances d’autorégulation, du fait de la participation de non-journalistes. D’autres pays, comme le Danemark, tiennent compte des contributions des journalistes, de la direction et du public ainsi que de juristes indépendants, afin d’assurer la prise en compte des intérêts du public dans les normes relatives à la presse.
34. En ce qui concerne la représentation de la profession, il est important que les intérêts de la direction comme des journalistes soient pris en considération. Ainsi, le fait que l’ancienne Press Complaints Commission (PCC) du Royaume-Uni ait négligé d’associer des journalistes d’échelon inférieur à celui de rédacteur en chef à l’élaboration et l’application des normes a pu nuire à sa crédibilité et à son efficacité. Indépendamment de la composition de l’organe chargé de la rédaction ou de la révision du code, il faudrait prévoir une consultation du public et laisser suffisamment de temps pour les contributions avant l’adoption du texte.
35. Les codes de déontologie des médias sont influencés par un ensemble de facteurs sociaux et culturels. Les attentes en matière de respect de la vie privée, par exemple, ne sont pas les mêmes en France qu’au Royaume-Uni. Il faut donc s’attendre à des divergences, d’ailleurs bienvenues, entre les codes des différents pays. Celles-ci n’empêchent toutefois pas de poursuivre le dialogue entre les différentes instances d’autorégulation existant en Europe pour recenser et échanger des bonnes pratiques tant sur les questions de fond que sur les prescriptions de forme. Une telle initiative permettrait également de mettre en évidence les réelles omissions et les grandes priorités, qui peuvent être différentes. Les règles de déontologie du Conseil de presse danois, par exemple, visent à faire en sorte que les journalistes n’aient pas à effectuer des tâches contraires à leur conscience ou à leurs convictions 
			(18) 
			<a href='http://www.pressenaevnet.dk/Information-in-English/The-Press-Ethical-Rules.aspx'>www.pressenaevnet.dk/Information-in-English/The-Press-Ethical-Rules.aspx</a>., tandis que le Code de la presse allemand définit clairement les contextes dans lesquels il peut y avoir un conflit d’intérêts et demande expressément la séparation du contenu publicitaire et du contenu rédactionnel 
			(19) 
			<a href='http://www.presserat.de/fileadmin/user_upload/Downloads_Dateien/Pressekodex13english_web.pdf'>www.presserat.de/fileadmin/user_upload/Downloads_Dateien/Pressekodex13english_web.pdf</a>..
36. Certaines questions posent problème dans tous les pays, et en particulier les circonstances dans lesquelles des pratiques journalistiques habituellement jugées contraires à la déontologie, devraient être tenues pour légitimes dans l’intérêt général. Une discussion coordonnée sur ces questions au niveau régional, voire international pourrait contribuer à clarifier les enjeux et à mieux les faire connaître.
37. Etant donné l’internationalisation croissante des médias, on pourrait également envisager de définir un ensemble de normes et de principes fondamentaux qui devraient être intégrés à tous les codes. On a recensé plusieurs critères permettant d’améliorer de manière générale la qualité des codes de conduite des médias. En particulier, les codes devraient être rédigés de manière claire et être révisés régulièrement à la lumière des évolutions technologiques et sociales. Ils devraient également être facilement accessibles au public. Compte tenu de la nature évolutive du secteur, il est préférable que le code se concentre sur les principes et valeurs fondamentaux et qu’il soit complété par des indications détaillées sur la façon d’appliquer ces principes et valeurs dans la pratique ainsi que sur la gestion des conflits internes potentiels.
38. Concrètement, pour Article 19, les codes de conduite/de déontologie devraient au minimum prévoir l’adhésion aux principes suivants:
  • le respect du droit à l’information du public;
  • l’exactitude dans la collecte et la présentation de l’information;
  • l’impartialité dans les méthodes d’obtention d’informations, de photographies et de documents;
  • l’absence de discrimination fondée sur la race, l’origine ethnique, la religion, le sexe et l’orientation sexuelle;
  • la sensibilité dans la diffusion d’informations sur des groupes vulnérables comme les enfants et les victimes de crimes;
  • le respect de la présomption d’innocence dans la diffusion d’informations sur les procédures pénales;
  • le devoir de protéger les sources d’informations obtenues à titre confidentiel;
  • le devoir de rectifier les informations publiées qui se révèleraient par la suite inexactes ou préjudiciables 
			(20) 
			Article 19, Freedom
And Accountability Safeguarding Free Expression Through Media Self-Regulation
(mars 2005), p. 8: <a href='http://www.article19.org/data/files/pdfs/publications/self-regulation-south-east-europe.pdf'>www.article19.org/data/files/pdfs/publications/self-regulation-south-east-europe.pdf</a>..
39. Les codes et déclarations élaborés par des organisations telles que la FIJ pourront également être mentionnés. Il y a toutefois un risque que ces exigences minimales soient interprétées comme établissant une norme de qualité suffisante et que cela ait un effet dissuasif sur l’adoption de normes complémentaires.
40. En coordination avec les citoyens intéressés, les consommateurs, la profession et les organisations de défense de la liberté de la presse, l’Alliance des conseils de presse indépendants d’Europe pourrait faire progresser le dialogue entre les différents conseils de presse nationaux. Il faudrait faire en sorte que la nature et les conclusions des débats soient les plus transparentes possibles et qu’elles soient rendues accessibles au public, autant que faire se peut.

6. Mise en œuvre et application

6.1. Mise en œuvre des normes relatives aux médias: la nécessité d’une approche à plusieurs niveaux

41. Même lorsqu’un code répond aux exigences précitées et tient compte de l’intérêt pour la société de disposer d’une presse libre et responsable, il n’apportera pas beaucoup s’il n’oriente pas la pratique des médias sur le terrain. En effet, le système d’autorégulation risque alors de masquer la nécessité d’une action plus poussée. Tout régime d’autorégulation est confronté à la difficulté d’attirer suffisamment de membres pour assurer sa crédibilité et de veiller à ce que l’attachement de la profession aux normes définies ne soit pas que de pure forme.
42. La capacité et la volonté des propriétaires des médias, des rédacteurs en chef et des journalistes d’agir d’une manière responsable et respectueuse des normes de déontologie ne peuvent être attribuées à un seul facteur, mais dépendent plutôt d’une interaction complexe entre différents éléments qui influent sur l’écologie globale des médias. En particulier, l’adhésion aux normes professionnelles dépend:
i. du journaliste – son niveau de formation et sa conception de la profession et de son rôle en tant que journaliste;
ii. de l’institution dans laquelle il travaille – cela inclut la sécurité de la fonction, la rémunération, la charge de travail et l’existence de mécanismes internes permettant de débattre des questions de déontologie;
iii. de l’environnement professionnel et juridique – autrement dit, la capacité des organisations professionnelles à représenter efficacement les intérêts des journalistes et à répondre de manière satisfaisante aux préoccupations du consommateur et du public, la reconnaissance du rôle démocratique important du journalisme dans les textes constitutionnels, les lois et la mise en œuvre du droit commun;
iv. de l’environnement social et culturel – la compréhension par le public du rôle du journalisme dans la société (éducation aux médias) et les facteurs qui l’influencent, ainsi que la volonté d’adopter une approche critique vis-à-vis des médias, notamment lorsque des articles portant atteinte à la vie privée ou des reportages non respectueux de l’éthique sont publiés.
43. Pour être efficace, une instance d’autorégulation devra tenir compte de toutes ces dimensions. Les défaillances au journal britannique News of the World, qui ont conduit à l’enquête Leveson 
			(21) 
			Leveson
B., An inquiry into the culture, practices and ethics of the press.
HC 780-1 (Stationery Office, Londres, 2012)., ont souligné le caractère essentiel de conditions de travail qui protègent et respectent les normes professionnelles. Le scandale du piratage téléphonique a mis en évidence l’importance d’un environnement où les questions de déontologie peuvent être abordées et où le personnel n’a pas peur de s’exprimer. En définitive, les bénéfices commerciaux tirés du comportement non respectueux de l’éthique se sont révélés être une fausse économie, bien que l’on ne s’en soit pas rendu compte à ce moment-là.
44. Comment prévenir de tels problèmes? L’affirmation claire par une société de son attachement aux normes de déontologie et la publication de cet engagement sur son site web peuvent être un début. D’après les journalistes interrogés en Europe et dans le monde arabe dans le cadre d’études menées par le projet MediaAcT, la ligne éditoriale est l’un des instruments les plus influents de responsabilité des médias 
			(22) 
			Fengler
S., Eberwein T., Lönnendonker, J. et Schneider-Mombaur, «Journalists,
Journalism Ethics, and Media Accountability: A Comparative Survey
of 14 European and Arab Countries», Wyatt, W. (sous la dir. de), The Ethics of Journalism. Individual, Institutional
and Cultural Influences (Reuters Institute for the Study
of Journalism, I.B. Taurus, 2014), p. 94-95.. Les codes de déontologie et l’enseignement du journalisme ont été jugés tout aussi influents. Il a également été dit 
			(23) 
			Harcup T., «The Ethical
Newsroom: Where the Individual and the Collective Work Together»,
Wyatt W. (sous la dir. de.), The Ethics
of Journalism. Individual, Institutional and Cultural Influences (Reuters
Institute for the Study of Journalism, I.B. Taurus, 2014), p. 13-32. qu’une représentation syndicale indépendante aurait donné davantage de confiance au personnel de News of the World dans les relations avec la direction et que l’un des critères d’affiliation à une instance d’autorégulation pourrait être sa volonté de reconnaître la représentation collective, en particulier sur les questions de déontologie. Il ressort d’autres études que plus les journalistes sont organisés en syndicats, plus ils jugent élevé le poids des instruments traditionnels de responsabilité des médias 
			(24) 
			Fengler et coll., op.
cit..
45. Une autre solution consisterait à désigner une personne qui examinerait avec les journalistes les questions de déontologie susceptibles de se poser dans le cadre de leur travail, bien que cela puisse être vu comme une ingérence dans le rôle du rédacteur en chef. Dans plusieurs pays européens comme la Finlande, certaines organisations de presse sont tenues de nommer un directeur de la rédaction qui porte ouvertement la responsabilité du contenu publié. Des préoccupations similaires ont été exprimées après la nomination de médiateurs ou de responsables du courrier des lecteurs au sein de certaines sociétés dans des pays comme l’Allemagne, le Portugal et le Royaume-Uni. Le responsable du courrier des lecteurs du journal britannique The Guardian examine non seulement les commentaires et plaintes des lecteurs, mais également – dans une perspective plus stratégique – les moyens d’améliorer le travail et les performances du journal 
			(25) 
			The
Guardian, Reader’s Editor Terms of Reference, 14 mai
2009: <a href='http://www.theguardian.com/theguardian/2009/may/14/readers-editor-terms-of-reference'>www.theguardian.com/theguardian/2009/may/14/readers-editor-terms-of-reference</a>..
46. Pour Maciá-Barber 
			(26) 
			Maciá-Barber
C., «How News Ombudsmen Help Create Ethical and Responsible News
Organisations», Wyatt W. (sous la dir. de.), The
Ethics of Journalism. Individual, Institutional and Cultural Influences (Reuters
Institute for the Study of Journalism, I.B. Taurus, 2014), p. 107-124., les médiateurs ne devraient pas jouer un rôle uniquement consultatif; ils devraient également être compétents pour veiller à ce que les rédacteurs respectent leurs obligations éthiques. En période d’austérité économique, toute obligation supplémentaire éloignant les journalistes de leur rôle journalistique pose problème, mais le fait d’apporter une réponse rapide et directe aux plaintes peut éviter des litiges plus longs et coûteux à un stade ultérieur. On pourrait envisager des roulements pour assurer les services, ou qu’un médiateur travaille pour plusieurs titres afin de répartir les coûts.
47. L’enquête Leveson a également examiné la possibilité de mettre en place d’une ligne de dénonciation de dysfonctionnements que les journalistes pourraient utiliser pour poser des questions de déontologie à une autorité de régulation de la presse, de manière confidentielle. Que des initiatives concrètes de ce type soient prises ou non, il apparaît que les médiateurs et conseils de médias ont un rôle important à jouer ici, en aidant des journalistes à développer et à maintenir un cadre de travail qui soit respectueux et conforme à l’éthique.

6.2. Le rôle des conseils de presse et des médiateurs dans l’application des normes professionnelles

48. Au-delà des différentes entreprises du secteur, ce sont le plus souvent des conseils des médias et/ou médiateurs spécifiques qui assurent la promotion et l’application des normes codifiées relatives aux médias. A l’instar des commissions chargées de mettre en place et de rédiger les codes de déontologie de la profession, les organes de direction des conseils nationaux des médias sont de composition variable. Ils peuvent inclure l’ensemble de la profession comme en Allemagne ou une combinaison de représentants de la profession et de représentants indépendants, quelquefois avec un directeur juridique, comme c’est le cas au Danemark.
49. Ces organisations disposent d’un éventail de sanctions généralement limité qui consiste principalement à exiger de l’organisation de médias concernée la rectification des erreurs ou la présentation d’excuses. Le dépôt de plaintes est plus ou moins facilité selon les pays, avec différents délais et exigences pour introduire une requête. En Irlande et au Danemark, par exemple, seuls ceux qui sont personnellement lésés par une publication peuvent porter plainte, tandis qu’en Allemagne n’importe qui peut le faire. L’approche suivie par l’IPSO au Royaume-Uni est plus nuancée: lorsque la demande a trait à l’inexactitude d’un élément de fait général, toute personne peut porter plainte, mais lorsque l’inexactitude concerne une organisation ou une personne en particulier, l’IPSO examine la position de ces dernières avant de décider d’accepter ou non une requête d’un tiers. Dans les autres cas, seules les parties lésées peuvent porter plainte; cela dit, l’IPSO examine également les requêtes présentées par des organes représentatifs lorsque la violation présumée du Code est jugée importante et qu’il y a un intérêt public à engager une procédure 
			(27) 
			IPSO, “Make a Complaint”: <a href='https://www.ipso.co.uk/IPSO/index.html'>https://www.ipso.co.uk/IPSO/index.html</a>..
50. Alors que les organisations de médias elles-mêmes soulignent l’important effet dissuasif de l’obligation de publication d’un rectificatif ou d’une décision négative à leur encontre, à peine plus de 30 % des journalistes interrogés pour MediaAcT considéraient que les conseils de presse ont un impact «élevé» ou «très élevé» sur le sens des responsabilités des médias. Dans certains pays comme le Royaume-Uni, l’effet dissuasif et éducatif des décisions négatives a été amoindri par l’accent mis sur la médiation, qui permet aux sociétés de médias de fuir la responsabilité en l’absence de constat formel de faute. Comme l’a noté le Media Standards Trust, la médiation est fondamentalement différente de la réglementation, qui implique l’établissement de précédents pour guider l’action future et l’adoption de décisions quant à ce qui constitue une réparation adéquate pour tel ou tel type de violations 
			(28) 
			Media
Standards Trust, A Free and Accountable Media. Reform of Press Self-Regulation:
Report and Recommendations (The Press Review Group, juin 2012),
p. 29-30.. Cela dit, de nombreux conseils de presse en Europe encouragent le recours à la médiation avant toute procédure judiciaire, bien que celui du Danemark exclue cette possibilité. A nouveau, il faudra, lors de la définition du régime réglementaire, s’interroger sur ce qui constitue la priorité absolue. Dans le contexte danois, celle-ci semble être l’intérêt de la société à maintenir les normes relatives à la presse.
51. Outre l’exigence de publier un rectificatif ou des excuses, il est théoriquement possible de retirer sa qualité de membre à un récidiviste. Dans le système suédois, les publications ayant fait l’objet d’une plainte dont le bien-fondé a été reconnu doivent s’acquitter d’une amende administrative d’un montant limité. L’absence générale de sanctions financières importantes sert à établir une distinction entre les régimes d’autorégulation de la presse et la procédure judiciaire en matière civile et pénale, où des dommages-intérêts ou amendes de montant élevé peuvent être infligés. L’imposition de sanctions financières importantes risque d’entraîner des pressions en vue de leur systématisation et d’une représentation juridique, susceptibles d’aller à l’encontre de l’approche constructive sur laquelle repose l’autorégulation et d’avoir un effet dissuasif sur l’adhésion à de tels systèmes.
52. Cela étant, rien ne s’oppose en principe à ce que les systèmes d’autorégulation prévoient des sanctions bien plus lourdes, comme le montre l’exemple de l’IPSO, nouvelle autorité de régulation de la presse britannique, qui peut punir ses membres d’une amende dont le montant maximum est fixé à un million de livres ou 1 % du chiffre d’affaires annuel. Le montant des amendes distingue l’IPSO des autres instances d’autorégulation des médias mais il est peu probable que l’on puisse tester son effet dissuasif dans un futur proche. En effet, le président de l’IPSO lui-même, Sir Alan Moses, a affirmé que «la notice d’utilisation de ce nouvel instrument est peu compréhensible pour le commun des mortels, comme nous chez IPSO» 
			(29) 
			Moses A., Discours
à la Conférence annuelle de la Society of Editors, octobre 2014: <a href='https://www.ipso.co.uk/IPSO2/news/speeches.html'>https://www.ipso.co.uk/IPSO2/news/speeches.html</a>.. Par ailleurs, il n’est fait aucune mention à la possibilité d’imposer des amendes sur la page web d’IPSO consacrée aux plaintes. On ignore toutefois pourquoi il n’aurait pas été possible d’établir des critères pour appliquer des amendes de niveau inférieur dans des cas bien particuliers, bien que la solution retenue ici corresponde manifestement à l’idée répandue selon laquelle les amendes ne constituent pas une sanction appropriée dans le contexte de la réglementation de la presse (contrairement au secteur de la publicité, par exemple).
53. Excluant la censure préalable, les médiateurs et les conseils de la presse répondent généralement aux plaintes relatives aux informations publiées ou aux pratiques de la presse qui ont déjà eu lieu. Bien qu’il n’autorise par le Conseil de presse à bloquer la publication de certains contenus, le Code de la presse danois demande aux éditeurs d’examiner avec attention tout contenu susceptible d’être préjudiciable à quelqu’un et si possible, de le présenter à l’intéressé avant publication. Les autorités de régulation des médias ayant un rôle consultatif pour leurs membres (mais pas pour le public), elles pourraient formuler des avis sur tel ou tel article ou enquête proposés par ces derniers et contribuer à prévenir les pratiques contraires à la déontologie en publiant les décisions rendues par le passé et en donnant des éclaircissements sur les dispositions du code.

6.3. L’intervention de l’Etat et le rôle de la corégulation

54. Compte tenu de l’impossibilité d’assurer la participation de tous les grands acteurs de la profession aux systèmes d’autorégulation et du risque d’insuffisances dans la mise en œuvre, certains Etats ont choisi de compléter ou de renforcer ces systèmes par des dispositions législatives. Des recours spécifiques sont quelquefois prévus par la loi. Plusieurs pays, comme la Finlande et le Danemark, ont inscrit dans la loi un droit de réponse, tandis que l’article 28 de la Directive de l’UE sur les services de médias audiovisuels appelle les Etats à veiller à ce que toute personne morale dont les droits légitimes ont été lésés à la suite d’une allégation incorrecte faite au cours d’une émission télévisée bénéficie d’un droit de réponse (Directive 2010/13/UE).
55. Certains Etats ont également entrepris de consolider les structures d’autorégulation et d’en améliorer l’efficacité par des initiatives de corégulation. Le Danemark a été l’un des plus interventionnistes en la matière, exigeant que tous les services de presse écrite et de radiodiffusion nationaux participent au mécanisme de régulation géré par le Conseil de presse danois. Le non-respect d’une décision du Conseil de presse est passible d’une amende d’un montant limité, voire d’une peine d’emprisonnement de quatre mois. L’Irlande a adopté une approche relativement différente en la matière. Aux termes de sa loi de 2009 sur la diffamation, lorsque les tribunaux s’interrogent sur le caractère «juste et raisonnable» d’une déclaration diffamatoire publiée par une organisation de médias, ils doivent prendre en considération l’affiliation de cette dernière au Conseil de presse et le respect de son Code de pratique (article 26). Pour être reconnu ainsi, le Conseil de presse doit tenir un code de conduite couvrant des questions spécifiques, et en particulier l’exactitude, l’intimidation et le harcèlement, le respect de la vie privée, l’intégrité et la dignité. Une autre forme de soutien consiste en l’octroi d’un financement pour appuyer le fonctionnement des conseils de presse ou des médias, comme la contribution de l’Etat allemand à hauteur de 30% environ des dépenses du Conseil de presse allemand.
56. A l’instar de l’Irlande, le Royaume-Uni n’est pas allé jusqu’à exiger des sociétés de médias qu’elles s’affilient à un mécanisme d’autorégulation; l’adhésion à ce système repose donc sur le volontariat. La loi «Crime and Courts» de 2013 établit toutefois un certain nombre de mesures incitatives et dissuasives visant à encourager les éditeurs de presse à adhérer à un organe indépendant de régulation des médias approuvé par la Charte royale de 2013 sur l’autorégulation de la presse. Ces organisations bénéficient d’une certaine protection contre l’imposition de dommages-intérêts exemplaires et le paiement des frais de justice en matière civile, tandis que les non-membres s’exposent à une condamnation aux dépens, qu’elles aient obtenu gain de cause ou non (articles 34-42). Il a donc fallu se pencher sur la question de savoir qui devrait être membre d’un tel organe reconnu (voir article 41 et annexe 15 de la loi, qui exclut notamment les «micro-entreprises»). L’une des particularités de la Charte royale de 2013 est l’obligation pour les autorités de régulation reconnues de prévoir un système d’arbitrage des litiges d’ordre civil impliquant leurs membres (critère 22). Le lien ainsi fait entre l’instance d’autorégulation et les litiges civils brouille les frontières entre l’autorégulation relative à des normes bien établies et le règlement de litiges. L’opposition au nouveau système a conduit la plupart des journaux britanniques, à l’exception notable du Guardian et du Financial Times, à adhérer à l’IPSO, qui n’entend pas demander sa reconnaissance au titre de la Charte royale de 2013.
57. Certains pays ont préféré la réglementation étatique à l’autorégulation, même dans le secteur de la presse. Au Portugal, par exemple, un organe administratif indépendant, la Entidade Reguladora para a Comunicação Social (ERC) a été établi par la loi en 2005 avec pour mandat de superviser le fonctionnement de la presse écrite et des médias audiovisuels (Loi 53/2005 du 8 novembre). L’Assemblée nationale du Portugal nomme quatre des cinq membres de l’autorité de régulation de l’ERC. Le cinquième membre est ensuite désigné par les quatre premiers. Ce recours à des nominations politiques peut remettre en question l’indépendance de l’autorité de régulation.

6.4. Recours et réexamen des décisions prises

58. On note des variations considérables en Europe s’agissant des possibilités de recours et de réexamen des décisions prises par une autorité de régulation des médias. Lorsque le système de régulation inclut à la fois un médiateur et un Conseil de presse, comme en Irlande et en Suède, un recours contre une décision du médiateur est généralement possible auprès du conseil de presse. Dans plusieurs pays, il existe des recours sur certaines questions. En Allemagne, un mécanisme de recours interne est prévu, permettant de saisir une commission de composition différente; en Finlande, il n’est possible de faire appel d’une décision du Conseil de presse que si cette décision se fondait sur des informations incorrectes, tandis qu’au Royaume-Uni, l’IPSO permet aux requérants de porter les questions de procédure (mais non les questions de fond), relatives au traitement de leur litige devant un organe d’examen des plaintes spécialement désigné à cet effet.
59. Aucun recours en révision d’une décision de l’autorité de régulation ne peut être exercé dans des pays comme la Finlande alors que cette possibilité existe ailleurs, par exemple au Danemark et au Royaume-Uni. A en juger par l’expérience britannique, cette solution ne présenterait toutefois qu’un intérêt limité pour les requérants compte tenu de son coût potentiel et de la déférence des tribunaux à l’égard du jugement des organisations professionnelles. Dans une demande de recours en révision d’une décision du PCC de la présentatrice de télévision Anna Ford en 2001, par exemple, le juge a conclu que le tribunal devrait respecter les décisions du PCC et n’aller à l’encontre de celles-ci «que lorsqu’il est clairement souhaitable de le faire» 
			(30) 
			R(Ford) v. PCC, [2001] EWHC Admin
683.. De ce point de vue, l’ajout d’une procédure d’appel, sur le modèle allemand, permettrait de donner aux requérants de pays comme le Royaume-Uni l’assurance que leurs préoccupations seront prises au sérieux, en dépit de ce que cela implique inévitablement en termes de coût et de charges administratives pour des systèmes conçus dans le souci d’offrir au public un recours rapide et relativement simple. Des travaux comparatifs plus poussés portant sur l’utilité pratique de telles procédures pourraient donc se révéler instructifs.

6.5. Application dans un contexte international

60. La distribution croissante des médias au niveau international augmente la probabilité qu’un individu souhaite porter plainte contre une publication basée dans un autre pays. Certaines autorités de régulation, comme le Conseil de presse irlandais, autorisent les sociétés établies à l’étranger et présentes en Irlande à devenir membres, bien que les organismes non membres qui «adhèrent à des normes équivalentes» à celles du Conseil puissent également se prévaloir des dispositions de la loi de 2009 sur la diffamation.
61. Pour un média, s’affilier à des instances d’autorégulation dans tous les territoires qu’il couvre aurait un coût non négligeable mais finalement peu d’intérêt. Une solution serait de s’appuyer sur l’expérience du système de plaintes transfrontalières de l’Alliance européenne pour l’éthique en publicité (EASA), dans le cadre duquel les personnes qui souhaitent porter plainte contre une publicité diffusée par une organisation soumise à une instance d’autorégulation dans un pays étranger peuvent s’adresser à leur autorité de régulation nationale qui transmettra le dossier à l’autorité de régulation compétente 
			(31) 
			Voir
le site web de l’EASA: <a href='http://www.easa-alliance.org/Home/page.aspx/81'>www.easa-alliance.org/Home/page.aspx/81</a>..
62. Une autre approche, bien plus ambitieuse, serait de soutenir le développement de systèmes d’autorégulation actifs au niveau régional, voire international, et dotés de leurs propres codes de déontologie (incluant les normes éthiques de base) et procédures de résolution de litiges. Comme indiqué ci-dessus, un certain nombre d’organisations européennes et internationales comme la Fédération européenne des journalistes et la Fédération internationale des journalistes ont élaboré des codes qui débordent les frontières nationales. Il conviendrait d’approfondir la réflexion sur les moyens de résoudre cette question d’importance croissante, toujours en faisant prévaloir l’intérêt public.

7. Propagande de guerre et discours de haine: les limites légales internationales à l’action des médias

63. L’action des médias en matière d’autorégulation ne peut se développer que dans les limites légales de la liberté des médias. S’il n’est pas possible de mentionner toutes les lois à caractère général régissant le contenu des médias, le discours de haine est particulièrement préoccupant. Comme il n’existe pas de définition claire du discours de haine, des considérations éthiques peuvent être appliquées à la zone grise qui entoure ce concept, même si le discours de haine en tant que tel doit être puni par la loi, conformément aux normes juridiques internationales. Dans ce contexte, il est donc important de rappeler ces limites.
64. L’article 20 du Pacte international des Nations Unies relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) est la norme universelle par excellence contre la propagande de guerre et le discours de haine. Il dispose que: «(1) Toute propagande en faveur de la guerre est interdite par la loi. (2) Tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l'hostilité ou à la violence est interdit par la loi.» La seconde partie de l’article 20 a fait l’objet d’analyses et d’interprétations à l’échelle internationale (voir, par exemple, Article 19.b, 2010) et a été, par la suite, développée dans l’article 4 de la Convention internationale des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, qui dispose, entre autres, que: «Les Etats parties (…) s’engagent notamment (a) à déclarer délits punissables par la loi toute diffusion d'idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale, toute incitation à la discrimination raciale, ainsi que tous actes de violence, ou provocation à de tels actes, dirigés contre toute race ou tout groupe de personnes d'une autre couleur ou d'une autre origine ethnique, de même que toute assistance apportée à des activités racistes, y compris leur financement; (b) à déclarer illégales et à interdire les organisations ainsi que les activités de propagande organisée et tout autre type d'activité de propagande qui incitent à la discrimination raciale et qui l'encouragent et à déclarer délit punissable par la loi la participation à ces organisations ou à ces activités.»
65. Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté en 1997 sa Recommandation no R (97) 20 sur le discours de haine. Cette problématique est aussi traitée par le Conseil de l’Europe dans le cadre de sa Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI), qui a adopté les recommandations de politique générale no 7 sur la législation nationale visant à lutter contre le racisme et la discrimination raciale et no 8 «Lutter contre le racisme tout en combattant le terrorisme».
66. S’agissant de l’interdiction de la propagande de guerre en vertu de l’article 20.1 du PIDCP, on renverra utilement à l’Observation générale no 11 adoptée par le Comité des droits de l’homme des Nations Unies le 29 juillet 1983: «L’interdiction prévue au paragraphe 1 s’étend à toutes les formes de propagande menaçant d’entraîner ou entraînant un acte d’agression ou une rupture de la paix, en violation de la Charte des Nations Unies. (…) Les dispositions du paragraphe 1 de l’article 20 n’interdisent pas l’appel au droit souverain à la légitime défense ni au droit des peuples à l’autodétermination et à l’indépendance conformément à la Charte des Nations Unies 
			(32) 
			<a href='http://tbinternet.ohchr.org/_layouts/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=INT%2fCCPR%2fGEC%2f4720&Lang=fr'>http://tbinternet.ohchr.org/_layouts/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=INT%2fCCPR%2fGEC%2f4720&Lang=fr</a>.

8. Conclusions

67. Les législations nationales devraient garantir la liberté des médias et en fixer les limites; de la sorte, aucune ingérence «externe» de la part des pouvoirs publics ne saurait être admissible, sauf à être clairement prévue par la loi. Les politiques internes des entreprises de médias sont l’expression de leur libre choix. Elles peuvent fixer des procédures ou des règles éditoriales pour leurs contenus, qui limitent dans une certaine mesure la liberté individuelle des journalistes ou d’autres salariés ou fournisseurs. Entre ces deux extrémités, il y a place pour des «codes de déontologie», établis en particulier au niveau national.
68. Comme l’Assemblée parlementaire a affirmé dans sa Résolution 1636 (2008) sur les indicateurs pour les médias dans une démocratie, «les médias devraient créer leurs propres organes d’autorégulation – commission des plaintes ou médiateurs. Les décisions de ces organes devraient être mises en application» (paragraphe 8.25). En fait, en Europe, l’autorégulation dans le secteur des médias possède une histoire riche et variée, avec des systèmes actifs au niveau national et régional, intra- et intersectoriel, ainsi qu’au sein des différentes entreprises du secteur. Les systèmes nationaux, qui varient considérablement selon le contexte politique, économique et culturel, sont nombreux à bénéficier d’un niveau élevé de soutien tant public que de la profession. Cela dit, ils ont tendance à présenter des insuffisances, notamment en termes de couverture et de mise en œuvre; il y a donc là une réelle occasion de mettre à profit l’expérience acquise au niveau européen pour renforcer et améliorer les régimes existants.
69. Les principaux défis auxquels sont confrontés les systèmes d’autorégulation en Europe aujourd’hui sont la nécessité de faire face à la convergence des médias et l’internationalisation croissante de l’environnement médiatique. L’accumulation progressive des systèmes d’autorégulation au fil du temps, parallèlement aux initiatives de réglementation étatique et de corégulation, a créé dans certains pays un paysage réglementaire excessivement complexe et quelquefois lacunaire dans la protection offerte au public. Il faudrait par conséquent envisager de rationaliser les cadres existants et de ne plus se focaliser uniquement sur le support. Un certain nombre d’autorités de régulation, comme le Conseil de presse danois, se sont déjà bien adaptées à ce nouvel environnement en s’ouvrant aux éditeurs en ligne soumis à un contrôle éditorial. Jusqu’ici, la question de la distribution internationale n’a pas fait l’objet d’une attention particulière; en s’appuyant sur l’expérience d’autres secteurs comme la publicité, des travaux plus approfondis devront être menés pour développer des systèmes viables de coordination ou de régulation supranationale en Europe.
70. Les codes d’autorégulation doivent constamment être revus et corrigés. Ceux qui les supervisent doivent intensifier leurs efforts pour veiller à ce qu’ils restent à jour. Une comparaison des différents mécanismes existant en Europe peut mettre en évidence d’éventuelles lacunes ou suggérer des améliorations à la fois sur le fond et sur la forme. Il est proposé de faire progresser le dialogue entre les différents conseils de presse nationaux, éventuellement par le biais de l’Alliance des conseils de presse indépendants d’Europe, en coordination avec les citoyens intéressés, les consommateurs, la profession et les organisations de défense de la liberté de la presse. Ce dialogue viserait à recenser les meilleures pratiques chez les membres et à les publier, tout en abordant les sujets de préoccupation communs tels que le degré de supervision que les éditeurs devraient appliquer au contenu généré par l’utilisateur qu’ils hébergent sur leurs sites.
71. Il existe une grande diversité d’approches en Europe, notamment au niveau procédural, et bien que la transposition de certaines dispositions en dehors du contexte national exige une grande prudence, il reste possible d’examiner dans une perspective comparative des questions comme la fonction des enquêtes d’initiative propre, les délais pour engager des poursuites, notamment en ce qui concerne le contenu en ligne, les avantages respectifs de la médiation et de la procédure judiciaire, l’intérêt des procédures d’appel, l’efficacité et les incidences des sanctions financières, ainsi que la publication, l’accessibilité et la facilité de recherche des décisions de l’autorité de régulation.
72. Le scandale du piratage téléphonique au Royaume-Uni a souligné l’importance d’un environnement de travail dans lequel les questions de déontologie peuvent être abordées ouvertement et le personnel est traité avec respect. Dans l’idéal, la mission des instances d’autorégulation des médias ne devrait pas se limiter au traitement des plaintes du public mais inclure également l’aide au développement d’un tel climat par un travail de suivi et de formation. Il convient d’encourager les entreprises à formuler leurs propres codes de déontologie et à les publier. Elles devraient également, en tant que condition d’adhésion à l’instance d’autorégulation, favoriser les initiatives de représentation collective de la part de leur personnel. Dans la mesure où les instances d’autorégulation s’ouvrent à des éditeurs professionnels et amateurs qui ne travaillent pas au sein d’organisations de médias établies, comme dans le contexte danois, elles peuvent servir de point de liaison et de lieu privilégié de débat sur les questions éthiques.
73. Confrontés aux lacunes systémiques dans les mécanismes d’autorégulation, certains Etats ont entrepris de renforcer l’efficacité de ces systèmes par une intervention législative. Les exemples du Danemark et de l’Irlande autorisent à penser qu’il est possible d’introduire des mesures étatiques élaborées avec soin sans nuire à l’indépendance des médias (ces pays sont respectivement 7e et 16e du classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans Frontières pour 2014). A l’inverse, les initiatives étatiques au Royaume-Uni ont rencontré une vive opposition au sein de la presse et ont été rendues largement inopérantes. En demandant à une instance d’autorégulation reconnue de fournir des services d’arbitrage pour les litiges civils, un lien très direct et controversé était fait entre le régime d’autorégulation et la protection des droits juridiques. L’expérience britannique montre que les Etats qui envisagent une intervention pour renforcer les mécanismes d’autorégulation dans le secteur des médias devraient veiller à ce que les mesures qu’ils prennent soient compatibles avec ces mécanismes et ne risquent pas de les dénaturer.