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Avis de commission | Doc. 13825 | 22 juin 2015

Evaluation du partenariat pour la démocratie concernant le Parlement du Maroc

Commission sur l'égalité et la non-discrimination

Rapporteure : Mme Sahiba GAFAROVA, Azerbaïdjan, CE

Origine - Renvoi en commission: Décision du Bureau, Renvoi 3980 du 28 juin 2013. Commission chargée du rapport: Commission des questions politiques et de la démocratie. Voir Doc. 13807. Avis approuvé par la commission le 22 juin 2015. 2015 - Troisième partie de session

A. Conclusions de la commission

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1. La commission sur l’égalité et la non-discrimination soutient le projet de résolution présenté par la commission des questions politiques et de la démocratie et partage l’analyse de la situation du Maroc faite dans le projet de texte. La commission reconnaît que le partenariat pour la démocratie établi avec le Parlement marocain a contribué à l’élaboration et au lancement de réformes essentielles, et a favorisé une coopération plus étroite entre le Conseil de l’Europe et le Maroc. Elle se félicite de la participation active de la délégation marocaine aux activités de la commission sur l’égalité et la non-discrimination, et ce, même quand ces activités portent sur des questions qui ne concernent pas directement le Maroc et sa région.
2. La commission sur l’égalité et la non-discrimination partage également le point de vue selon lequel il convient d’accélérer le rythme des réformes législatives et institutionnelles, et relève que les progrès sont particulièrement lents dans les domaines relevant de sa compétence. Deux ans après la première évaluation du partenariat par l’Assemblée, certaines des recommandations formulées dans les textes correspondants adoptés par l’Assemblée n’ont toujours pas été suivies d’effet et les ambitieuses réformes envisagées dans la Constitution de 2011 n’ont pas toutes été mises en œuvre.
3. En outre, la ligne que les autorités marocaines entendent suivre dans plusieurs domaines, notamment l’égalité entre les femmes et les hommes, reste floue. Ainsi, après des années d’hésitations et de reports, l’Autorité pour la parité et la lutte contre toutes formes de discrimination, prévue à l’article 19 de la Constitution de 2011, devrait enfin pouvoir voir le jour puisqu’un projet de loi a été approuvé par le Conseil des ministres le 29 mars 2015. Toutefois, le texte proposé est décevant car l’instance qu’il établit dispose de moyens très limités, ne jouit pas d’une réelle indépendance vis-à-vis du gouvernement et assume des fonctions principalement consultatives.
4. A cet égard, et concernant d’autres aspects tels que la violence fondée sur le genre, la polygamie, les droits de succession et la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, la commission considère que le Parlement marocain pourrait jouer un rôle important, soit en modifiant les projets de loi présentés par le gouvernement, soit en prenant des initiatives législatives autonomes, afin de remplir les engagements souscrits lors de la demande du statut de partenaire pour la démocratie.
5. Tant le Parlement marocain que l’Assemblée parlementaire devraient respecter les principes qui sous-tendent le statut de partenaire pour la démocratie, à savoir l’instauration d’une coopération ouverte et constructive afin de renforcer la démocratie, les droits de l’homme et l’Etat de droit.

B. Amendements proposés au projet de résolution

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Amendement A (au projet de résolution)

Au paragraphe 5.4, après les mots «aux mesures», insérer les mots «visant à lutter contre toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et».

Note explicative: La discrimination à l’égard des femmes est générale et revêt différentes formes. Elle ne se limite pas à la sous-représentation des femmes dans la vie publique et au sein des instances décisionnelles. En invitant les autorités marocaines à agir pour garantir un niveau adéquat de représentation des femmes à tous les niveaux du pouvoir et de la société, l’Assemblée parlementaire devrait réaffirmer la nécessité de prendre des mesures contre toutes les formes possibles de discrimination.

Amendement B (au projet de résolution)

Après paragraphe 5.4, insérer le paragraphe suivant:

«appelle de nouveau les autorités marocaines à lancer un débat public sur l’abolition de la polygamie et la réforme de la législation relative aux droits de succession en vue de garantir des droits égaux aux femmes et aux hommes;»

Note explicative: La polygamie et l’inégalité en matière de droits de succession constituent des violations manifestes du principe d’égalité entre les femmes et les hommes et une menace pour la dignité des femmes directement concernées. A plusieurs reprises, l’Assemblée a invité les autorités marocaines à lancer un débat public et politique sur les réformes nécessaires pour amender la législation y attenante. La Résolution 1818 (2011) demandait notamment de «s’assurer que le Code de la famille est pleinement appliqué tout en lançant un débat public et politique en vue de réviser ses dispositions qui ne sont pas conformes avec les normes internationales en matière de droits de l’homme, y compris sur la question de la polygamie.»

Amendement C (au projet de résolution)

Après le paragraphe 5.5, insérer le paragraphe suivant:

«se félicite de l’abrogation de l’article 475 du Code pénal et invite les autorités marocaines à adopter et à mettre en œuvre une législation complète pour prévenir la violence à l’égard des femmes, protéger les victimes et poursuivre les auteurs en justice;»

Note explicative: Indépendamment de l’adhésion du Maroc à la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210), le pays devrait adopter et mettre en œuvre une législation efficace et complète pour prévenir la violence fondée à l’égard des femmes, protéger les victimes et poursuivre les auteurs en justice.

Amendement D (au projet de résolution)

Au paragraphe 5.9, supprimer les mots «prendre les mesures nécessaires pour».

Note explicative: L’incrimination de l’homosexualité est contraire aux droits de l’homme, notamment le droit au respect de la vie privée et de la dignité. Aucun progrès n’a été accompli depuis que l’Assemblée, dans sa Résolution 1942 (2013), a appelé le Parlement marocain «à engager l’abrogation de cette législation dès que possible».

C. Exposé des motifs, par Mme Gafarova, rapporteure pour avis

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1. Remarques générales

1. Je tiens à féliciter M. Klich pour son rapport exhaustif, élaboré à la suite de plusieurs visites et de consultations approfondies avec les représentants du gouvernement et du parlement marocains, conformément à l’esprit de coopération qui sous-tend le statut de partenariat, et avec les représentants de la société civile. Je me réjouis d’avoir été invitée par le rapporteur à fournir des informations complémentaires et à formuler des observations sur la participation équilibrée des femmes et des hommes à la vie publique et politique. Je m’efforcerai également de compléter le rapport sur d’autres aspects abordés dans la Résolution 1818 (2011), laquelle définit l’étendue de la coopération parlementaire avec le Maroc, et qui entrent dans le champ du mandat de la commission sur l’égalité et la non-discrimination, à savoir la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre ainsi que le racisme et la xénophobie.
2. Ces dernières années, la commission sur l’égalité et la non-discrimination a suivi les développements dans ce domaine grâce à la participation active et à la contribution précieuse de la délégation marocaine aux travaux de la commission mais aussi du Réseau parlementaire pour le droit des femmes de vivre sans violence. Parallèlement, les membres de la commission ont pris part à plusieurs activités au Maroc, notamment un séminaire sur le rôle de l’opposition dans la démocratie parlementaire, à Rabat, le 19 juin 2014. Par ailleurs, le rapport sur les droits des femmes et les perspectives de coopération euro-méditerranéenne, élaboré par Mme Fatiha Saïdi pour la commission, s’intéresse en grande partie à la situation au Maroc. Les textes adoptés correspondants sont la Résolution 2012 (2014) et la Recommandation 2053 (2014) 
			(1) 
			Voir
aussi Doc. 13596..
3. En 2013, à l’occasion de l’évaluation précédente du partenariat pour la démocratie concernant le Parlement du Maroc, la commission sur l’égalité et la non-discrimination avait souligné que des progrès avaient été accomplis aux niveaux législatif et politique, notamment en ce qui concerne l’égalité des chances pour les femmes et les hommes dans la vie publique et politique et la sensibilisation accrue des autorités et du grand public aux questions relatives à la violence sexiste et à la traite des êtres humains, entre autres. Si les acquis des deux dernières années dans le domaine de la représentation politique demeurent solides et la parité continue d’être un thème du débat politique, l’attitude des autorités semble avoir changé. Ainsi, l’Autorité pour la parité et la lutte contre toutes formes de discrimination, prévue à l’article 19 de la Constitution de 2011, n’a toujours pas été créée et le processus pour ce faire a été une succession de coups de frein et d’accélérations.

2. Droits des femmes

2.1. L’égalité homme–femme dans la Constitution marocaine

4. L’article 19 de la Constitution de 2011 consacre le principe de l’égalité des sexes et confie à l’Etat marocain la tâche ambitieuse d’assurer la parité entre les femmes et les hommes. Elle prévoit également la création de l’Autorité pour la parité et la lutte contre toutes formes de discrimination.
5. Depuis l’adoption de la Constitution, la création de cette autorité était jugée prioritaire par tous les défenseurs de l’égalité homme–femme, en particulier la société civile; l’Assemblée parlementaire a elle aussi appelé à «établir d’urgence» cette autorité et à la «doter des ressources humaines et financières suffisantes» 
			(2) 
			Résolution 1873 (2012) «L’égalité entre les femmes et les hommes: une condition
du succès du Printemps arabe».. Or, le processus pour ce faire n’a pas été rapide. Le projet de loi correspondant a été approuvé par le gouvernement en mars 2015 seulement et doit encore être examiné par le parlement. Il a suscité des critiques tant dans l’opposition que dans la société civile 
			(3) 
			<a href='http://www.telquel.ma/2015/03/20/linstance-parite-enfin-approuvee-gouvernement_1439301'>L’instance
sur la parité enfin approuvée par le gouvernement, 20 mars 2015,
Tel Quel.</a>, car l’autorité qu’il établit dispose de moyens très limités, ne peut pas intervenir de sa propre initiative et assume des fonctions purement consultatives. La composition même de cette autorité, qui, d’après le projet de loi, devrait compter plusieurs représentants du gouvernement, entrave son indépendance.
6. Une fois encore, le législateur a l’occasion de jouer un rôle de chef de file et d’améliorer le projet de loi débattu au parlement. Pour mener à bien cette tâche importante, il devrait tenir compte des indications données par les organisations de la société civile qui œuvrent à la défense des droits des femmes. A cet égard d’ailleurs, le Conseil national des droits de l’homme a formulé des recommandations fort sensées dès 2011 dans le cadre d’une étude comparative de l’expérience des instances de promotion de l’égalité dans divers pays, en particulier en Europe et en Amérique.
7. Concernant les obligations internationales relatives aux droits des femmes, j’ai souligné dans l’avis de 2013 que le Maroc n’avait pas encore signé ni ratifié le Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF), qui reconnaît la compétence du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes à recevoir des plaintes de la part de particuliers ou de groupes. Malheureusement, aucun progrès n’a été enregistré à cet égard. La recommandation y relative de l’Assemblée, contenue dans la Résolution 1873 (2012), n’a pas encore été suivie d’effet.

2.2. Représentation politique des femmes

8. A la faveur d’un système de quotas qui s’appuie sur des listes féminines pour pourvoir 60 sièges réservés aux femmes, la composition actuelle de la Chambre des représentants, c’est-à-dire la chambre basse du Parlement du Maroc, compte 67 femmes sur 395 membres. Sept d’entre elles ont été élues à partir des listes générales. Si ce résultat est encourageant et le signe d’une tendance positive (les femmes députés ont presque doublé par rapport à la législature précédente), j’espère que les développements futurs montreront une amélioration encore plus nette. En effet, les femmes doivent être représentées aux différents niveaux de l’activité politique, en particulier au sein des partis politiques, plutôt que d’être simplement recrutées pour former des listes spéciales.
9. On constate une légère amélioration au niveau de la représentation des femmes au gouvernement. Le premier gouvernement de M. Abdelilah Benkirane avait été abondamment critiqué pour n’avoir recruté qu’une seule femme, Mme Bassima Hakkaoui, ministre de la Solidarité, de la Femme, de la Famille et du Développement social. Dans sa composition actuelle, le gouvernement compte cinq femmes sur 38 membres, dont deux ministres (Mmes Hakkaoui et Fatema Marouane, ministre de l’Artisanat et de l’Economie sociale), sur 25, et trois ministres déléguées, sur 13. Ces chiffres sont bas et pas vraiment encourageants, et il y a assurément matière à amélioration. L’égalité entre les femmes et les hommes n’est toutefois pas qu’une simple affaire de chiffres, et le Maroc doit assurer une représentation plus proportionnelle des femmes au gouvernement s’il veut se conformer à l’article 19 de sa Constitution.
10. La situation pourrait évoluer dans le proche avenir, puisque des élections locales, prévues à l’origine pour juin 2015, devraient maintenant se tenir en septembre 2015. Elles se dérouleront dans le cadre d’une nouvelle législation actuellement en cours d’examen au parlement. J’espère que nos collègues marocains saisiront cette occasion pour mettre en œuvre le principe de la parité. En mars 2015, le Conseil national des droits de l’homme a apporté une contribution précieuse au débat public sur la loi électorale en publiant un mémorandum formulant «45 recommandations pour des élections plus inclusives». Ce texte propose «une série d’amendements et de mesures visant à contribuer à la réalisation des objectifs à caractère constitutionnel en matière de parité entre hommes et femmes, de la généralisation de la participation de la jeunesse au développement politique du pays et de l’inclusion des personnes en situation de handicap».
11. Le renforcement de la représentation des femmes au sein des collectivités locales présenterait le double avantage d’accroître la légitimité et la représentativité de ces collectivités et de propulser une nouvelle génération de femmes sur la scène politique. Dans une carrière politique, l’activité au sein d’une collectivité territoriale représente souvent un tremplin pour accéder à des fonctions plus élevées à l’échelle nationale.

2.3. Droit de la famille et questions relatives à la succession et la polygamie

12. Le Moudawana, ou Code de la famille, adopté en 2004, a marqué un tournant et a été salué comme une avancée notable en faveur des femmes. Toutefois, le décalage entre ce texte et sa mise en œuvre réduit considérablement son potentiel novateur. Les limitations existantes en ce qui concerne l’accès des femmes à la justice et l’absence d’application uniforme de la réglementation dans le pays, avec des écarts entre les zones urbaines et les zones rurales notamment, ont considérablement affaibli la portée de ce code.
13. La formation du pouvoir judiciaire et des professions juridiques peut jouer un rôle positif et contribuer à améliorer l’accès des femmes à la justice. Je me félicite de la coopération instaurée entre la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) et le Maroc, qui bénéficie du statut d’observateur au sein de cette instance depuis deux ans. Entre autres activités récentes menées dans ce cadre, une délégation d’experts de la CEPEJ s’est rendue au Maroc du 21 au 24 avril 2015, le ministre marocain de la Justice et des Libertés, Mustapha Ramid, a rencontré des représentants de la CEPEJ et de la Direction générale des programmes du Conseil de l’Europe, le 12 mai 2015 à Rabat, et une délégation du ministère de la Justice et des Libertés a participé à un atelier intitulé «Améliorer la justice au quotidien», organisé par la CEPEJ et le ministère tunisien de la Justice, à Monastir (Tunisie), les 1er et 2 juin 2015.
14. Outre l’application incorrecte ou incohérente du droit de la famille et d’autres textes de loi pertinents, des lacunes existent dans les dispositions mêmes, notamment en ce qui concerne la réglementation relative aux successions. A cet égard, le Code de la famille n’a pas réformé les dispositions antérieures fondées sur la jurisprudence religieuse, selon lesquelles les parents de sexe masculin reçoivent une part double de celle des femmes. Il ne saurait y avoir discrimination plus flagrante à l’égard des femmes. Je crois qu’il est temps que le Maroc ouvre un débat sur la réforme du droit de succession afin de s’aligner sur le principe général de l’égalité homme-femme, qui sous-tend désormais le système juridique national.
15. En ce qui concerne la polygamie, elle peut être considérée comme une question politique délicate au Maroc, mais je ne peux que réaffirmer ce qui a déjà été dit sur ce thème par plusieurs rapporteurs de la commission sur l’égalité et la non-discrimination, à l’instar de Mmes Nursuna Memecan et Fatiha Saïdi, ainsi que mes propos dans mon avis précédent sur la coopération avec le Maroc. Comme je l’ai rappelé dans ce texte, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a clairement indiqué que «[l]a polygamie est contraire à l’égalité des sexes et peut avoir de si graves conséquences affectives et financières pour la femme et les personnes à sa charge qu’il faudrait décourager et même interdire cette forme de mariage». Le principe de l’égalité entre les femmes et les hommes ainsi que des considérations matérielles devraient conduire à réformer le droit de la famille et à interdire la polygamie.
16. Aucun progrès n’a été enregistré dans ce domaine. Malgré les appels de l’Assemblée, aucun débat politique n’a été lancé sur l’abolition du mariage polygame, et le gouvernement ne montre aucune volonté d’aller dans ce sens. Je tiens à souligner que plusieurs pays où la population est majoritairement musulmane ont pu abolir la polygamie, notamment la Tunisie, pays de la même région que le Maroc qui partage avec ce dernier de nombreux traits culturels, la Turquie et mon propre pays, l’Azerbaïdjan.

2.4. Violence à l’égard des femmes

17. La violence à l’égard des femmes est un phénomène courant dans tous les pays et le Maroc ne fait pas exception à la règle. En 2006, un réseau regroupant 10 organisations non-gouvernementales marocaines engagées dans la lutte contre la violence à l’égard des femmes a créé l’Observatoire marocain des violences faites aux femmes. Le sixième rapport de cet observatoire, présenté en janvier 2015, montre une augmentation de ce phénomène, probablement du fait d’une sensibilisation et d’une visibilité accrues.
18. Je me félicite de l’abrogation du tristement célèbre article 475 du Code pénal, conformément aux recommandations de l’Assemblée, aux demandes appuyées de la société civile et à la promesse de la ministre Hakkaoui. Cet article permettait en effet à un violeur d’épouser sa victime pour éviter des poursuites pénales.
19. C’est un pas dans la bonne direction, certes, mais il reste beaucoup à faire pour que le pays dispose d’une législation complète visant à prévenir la violence, à protéger les victimes et à poursuivre les auteurs en justice. En 2013, Mme Hakkaoui, en coopération avec le ministère de la Justice et des Libertés, a élaboré un projet de loi sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes, mais l’examen de ce texte par le gouvernement a été reporté. Une nouvelle version devait être présentée en octobre 2014. Face aux critiques d’une partie de l’exécutif, des parties importantes du texte, en particulier celles relatives au viol conjugal et au vol entre époux, ont été supprimées.
20. Je ne peux que recommander au Maroc d’adopter rapidement une législation efficace et complète pour prévenir et combattre la violence à l’égard des femmes. Ce phénomène constitue une violation grave des droits des femmes et entrave leur jouissance de tout autre droit. La lutte contre la violence fondée sur le genre devrait par conséquent être érigée en priorité absolue par tout Etat attaché à la réalisation de l’égalité entre les femmes et les hommes. La Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210), la norme par excellence en la matière, devrait servir d’inspiration et de référence au législateur marocain.

3. Discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre

21. Dans l’avis adopté en 2013 par la commission sur l’égalité et la non-discrimination, je soulignais que les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles ou transgenres (LGBT) étaient victimes de discriminations à plusieurs égards, notamment dans l’éducation, dans la santé et dans le monde du travail, et que ces discriminations passaient largement inaperçues et n’étaient pas signalées systématiquement.
22. L’incrimination des actes homosexuels au titre de l’article 489 du Code pénal, qui prévoit des peines sévères allant de six mois à trois ans d’emprisonnement et des amendes comprises entre 200 et 1 000 dirhams marocains, est incompatible avec les normes des droits de l’homme et avec l’article 24 de la Constitution marocaine (qui consacre le droit au respect de la vie privée) en ce qu’elle constitue une violation du droit au respect de la vie privée et de la dignité. Par ailleurs, elle contribue à perpétuer les préjugés et peut être perçue comme une justification d’autres formes de discrimination à l’égard des personnes LGBT.
23. Ces dernières années, un nombre croissant de condamnations ont été rendues publiques par les organisations de défense des droits de l’homme, d’où une plus grande visibilité de ces violations. En août 2014, le blog international Erasing 76 Crimes estimait que huit personnes étaient emprisonnées au Maroc pour des actes de «déviance» (actes homosexuels) et que des «dizaines d’autres» avaient apparemment été arrêtées et jugées. Plus récemment, deux hommes ont été arrêtés et condamnés, en décembre 2014, à Al Hoceima et trois hommes ont été arrêtés le 16 mai 2015 à Taourirt, dont l’un simplement pour avoir mis en contact les deux autres. Il est inquiétant de voir que dans ce cas, des peines de trois ans d’emprisonnement ont été prononcées 
			(4) 
			Trois Marocains condamnés
à trois ans de prison ferme pour «homosexualité», Le Monde, 25 mai 2015..
24. Cette situation n’est pas acceptable dans un pays qui s’est engagé à respecter les droits de l’homme et qui coopère activement avec le Conseil de l’Europe à cette fin. Je ne peux que réitérer l’appel lancé aux autorités marocaines d’abroger d’urgence l’article 489 du Code pénal.

4. Lutte contre le racisme et la xénophobie

25. Longtemps un pays d’émigration, le Maroc est aujourd’hui également un pays de transit et même de destination. De nombreuses personnes issues de l’Afrique subsaharienne passent par le Maroc pour se rendre en Europe et, compte tenu de la difficulté croissante à atteindre leur destination finale, se trouvent contraintes de demeurer plus longtemps au Maroc, souvent dans l’illégalité. En outre, un nombre croissant de ressortissants étrangers de ces mêmes pays, mais aussi d’Asie, migrent au Maroc pour travailler ou faire des affaires ou pour suivre des études à l’université.
26. Le Maroc a entrepris de renforcer ses liens avec les pays subsahariens, en particulier l’Afrique centrale et occidentale, et la «coopération Sud–Sud» est un axe important de ses relations internationales. Si les autorités marocaines investissent dans la coopération politique et économique avec la région, il est essentiel qu’elles prêtent dûment attention au problème du racisme, désormais endémique, en particulier à l’encontre des étrangers noirs.
27. En septembre 2013, le Gouvernement marocain a lancé un programme de régularisation des étrangers en situation irrégulière. Environ deux tiers des 27 000 demandeurs ont reçu un titre de séjour d’une durée d’une année qui, d’après les autorités nationales, devait être renouvelé automatiquement à expiration. Ce programme constituait un pas dans la bonne direction puisqu’il aidait des milliers de personnes issues d’une centaine de pays différents à sortir de l’illégalité et réduisait leur exposition à la violence policière et à la criminalité. Or, en février 2015, il a subitement été annoncé qu’il serait interrompu, ce qui semble indiquer un revirement d’attitude des autorités, et plusieurs demandeurs se sont retrouvés dans une situation juridique incertaine 
			(5) 
			Maroc: Entre rafles
et régularisations – Bilan d’une politique migratoire indécise,
30 mars 2015, FIDH.. En outre, cette annonce a été immédiatement suivie d’une opération massive d’arrestation de plus de 1 200 étrangers dans le Nord du pays, une mesure dénoncée comme arbitraire, violente et illégale par des organisations comme le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’homme et la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH).
28. Il y a deux ans, nous avons recommandé la mise en place de programmes de lutte contre le racisme et la xénophobie axés sur trois éléments: la sensibilisation du grand public; la formation des forces de l’ordre, en particulier les agents de l’immigration, les gardes-frontières et les juges; et l’information des groupes concernés et des avocats sur la législation pertinente et les voies de recours.
29. Des progrès ont été réalisés en ce qui concerne le premier pilier. Le 21 mars 2014, à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale, la première campagne nationale de lutte contre les préjugés et la discrimination raciale a été lancée au Maroc. Signée «Je ne m’appelle pas Azzi», nom péjoratif souvent utilisé pour s’adresser à des Noirs, la campagne visait à transmettre le message que le racisme existe au Maroc, même s’il est nié et souvent inconscient, et qu’il faut y mettre un terme. La campagne peut être considérée comme une réussite car elle a suscité un débat enflammé qui a assurément contribué à sensibiliser le grand public à la question du racisme. Cela étant, il reste encore beaucoup à faire, car le racisme et la discrimination sont monnaie courante, que ce soit dans la société ou, selon certains commentateurs, dans les institutions 
			(6) 
			Khadija
Ainani: «Les autorités nient le phénomène de racisme au Maroc»,
Salsabil Chellali, 31 juillet 2013, Jeune Afrique..